CHAPITRE XI.

Bien que nostre vraye patrie soit le Paradis, auquel seul nous devons aspirer, & non aux choses de la terre. Si est-ce que l'amour du pays de nostre naissance nous est si naturel qu'encores que nous nous voulions resoudre de l'abandonner, si ne pouvons nous pourtant l'oublier disoit le Sertorius Romain. C'est pourquoy Socrates pour aucunement moderer l'imperfection & la passion de cette inclination naturelle, defendit à ses Disciples de dire cestuy-cy, ou celuy là est mon pays, afin qu'ils ne peussent dire, cecy est à moy, & cela est à toy, pensant par là couper la source de toutes les querelles, procès, & debats, qui demeureroient esteins à son advis, si toutes choses estoient possedées en commun.

Et à ce propos Plutarque au livre d'exil, raconte que Hercules le Thebain, ayant esté interrogé par les Sidoniens de quel pays il estoit naturel, respondit ainsi. Je ne fuis pas de la grande cité de Thebes, ny de la tres-renommée Athenes, ny moins de Lycaonie, ains suis naturel de toute la Grece. Grandement fut estimé par les Grecs cette responce d'Hercules, pour s'estre nommé naturel de Grece. Mais beaucoup plus fut prisée celle de Socrates, ayant esté enquis par le grand Sacrificateur Archites d'où il estoit auquel il respondit: Je ne suis de Thebes comme Thesiphonce, ny des Athenes comme Agesilaus, ny de Lycaonie comme Platon, moins de Lacedemone comme Lycurgus, mais suis né au monde, & naturel de tout le monde.

C'est une leçon qui devroit servir à beaucoup & particulièrement aux Religieux, car qu'est-il de besoin que l'on sçache, ce Frere, est de ce pays là, de cette ville là, il est de bonne maison, il est pauvre, il est riche puisqu'ayant Renoncé, au monde & à tout ce qu'il y pretendoit, il ne doit plus rien avoir à démesler avec iceluy. C'est aussi une vaine curiosité aux seculiers de s'en vouloir informer, pour esgaler l'honneur qu'ils leur rendent non au pois de leur vertu, mais à l'once de ce qu'ils ont quitté, comme si l'honneur n'estoit deu qu'aux apparences extérieures, à l'exclusion des vertus internes, lesquelles Dieu seul cherit sans distinction du pauvre ou du riche.

Or nos Hurons encores barbares n'ont pas esté instruicts en une si bonne escole qu'ils voulussent penser en un seul Paradis, ils disent franchement leur qualité & au delà, & croyent que ce leur soit honneur de haut louer leur pays, quoy qu'assez mal garny en comparaison de plusieurs autres contrées, qui se retrouvent plus vers le Su, mais comme il n'est pas encores des pires, je vous en feray la description telle que je l'ay deu sçavoir, laquelle vous sera d'autant plus utile que vous aurez de volonté d'y voyager.

Premièrement il est situé sous la hauteur de quarante quatre degrez & demy de latitude, & selon aucuns le Soleil se leve six ou sept heures plus tard sur leur Orison que sur celuy de Paris, tellement qu'il est icy environ six heures du matin, qu'il n'est encor aux Hurons que unze heures ou minuit du jour précèdent, & la supputation en est bien faite, laquelle je rapporte simplement comme je l'ay apprise.

Ce pays est tres-beau & agréable, fort deserté & traversé d'estangs, & de lacs, avec des beaux ruisseaux qui se desgorgent dedans ce grand lac, que nous appellons la mer douce. Il est plein de belles collines, campagnes, & de tres-belles & grandes prairies qui portent quantité de bon foin, auquel les François mettent le feu sur le pied quand il est sec, non pour en profiter, mais pour se recreer.

Il y a aussi en plusieurs endroits quantité de froment sauvage, qui a l'espic comme seigle, & le grain comme de l'avoine; j'y fus trompé, pensant au commencement que j'en vis, que ce fussent champs ensemancez de bon grain: je fus de mesme trompé aus pois sauvages, où il y en a en divers endroicts aussi espais, comme, s'ils y avoient esté semez & cultivez: & pour monstrer evidemment la bonté de la terre, un Sauvage du village de Toenchen ayant planté dans un coin de son champ un peu de pois qu'il avoit apporté de Kebec rendirent en quantité leur fruicts deux fois plus gros que leur semence, dequoy je m'estonnay, n'en ayant point veu par tout ailleurs de si beaux.

Il y a de belles, forests, peuplées de gros chesnes, fouteaux, herables, cedres, sapins, ifs, & autres sortes de bois beaucoup plus beaux, sans comparaison, qu'aux autres provinces du Canada que nous avons veuës: & sont tousjours d'autant plus belles, le pays plus beau, & les terres meilleures, que plus on avance tirant au Su: car du costé du Nord les terres sont plus sablonneuses, le pays plus montagneux, & les forests plus desgarnies de gros bois, sinon de cedres qui croissent mesme jusques dans les veines des rochers-, comme je vis voyageant sur la mer douce, pour la pesche du grand poisson.

Il y a plusieurs contrées ou provinces au pays de nos Hurons qui portent divers noms, & sont gouvernées par divers Capitaines ou chefs généraux & particuliers dependans & independans; celle où commandoit le grand Capitaine Atironta s'appelle Renarhonon, celle d'Entanaque s'appelle Arigagnongueha, & la Nation des Ours qui est celle ou nous demeurions sous le grand Capitaine Anoindaon s'appelle Atingyahointan, & en cette estendue de pays il y a environ vingt ou vingt cinq tant villes que villages, dont une partie ne sont point clos ny fermez, & les autres sont fortifiez, de longues boises de bois à triples rangs, à la hauteur d'une longue picque entrelassées les unes dans les autres, & redoublées par dedans de grandes & grosses escorces de huict à neuf pieds de haut, par dessous il y a de grands arbres esbranchez posez de leur long sur les troncs des arbres faits en fourchettes, fort courtes pour les tenir en estat, puis au dessus de ces pallissades & fermetures, il y a des galleries ou guerittes qu'ils appellent Ondaqua, lesquelles ils garnirent de pierres en temps de guerre pour ruer sur l'ennemy, & d'eau pour esteindre le feu qu'il y pourroit appliquer. On y monte par une eschelle assez mal façonnée, & difficile, qui est faite d'une longue piece de bois charpentée de plusieurs coups de haches, pour tenir ferme du pied en montant.

Les villes & villages de nos Hurons sont permanans, & ne se changent point sinon lors que trop esloignez des bois, ils ont de la peine d'en avoir. Et en second lieu quand leurs heritages sont tellament amaigris & deseichez (à faute de fumier) qu'ils ne peuvent plus produire leur bled à la perfection ordinaire, ce qui arrive de dix, vingt, trente, & quarante ans, plus ou moins selon les contrées, la bonté des territoires, ou l'esloignement des forests, au milieu desquelles ils bastissent tousjours leurs bourgs & villages pour les commoditez qu'ils en reçoivent, car auparavant que tous les bois des environs soient consommez, il y va un grand temps, de maniere qu'il n'y auroit plus qu'à trouver l'industrie de fumer les terres, ou de semer, en de nouvelles places leur bled d'Inde, qu'ils sont accoustumez de planter tous les ans dans les mesmes trous des années precedentes, qu'ils seroient comme nous des eternitez en un mesme lieu, car pour le bois ils ont l'invention de l'amener en temps d'Hyver, par sus les neiges, attaché sur de certaines traisnées ou planchettes de cedre fort commodement.

Leurs cabanes qu'ils appellent Ganonchia, sont faites comme j'ay dit en façon de tonnelles ou berceaux de jardins, couvertes d'escorces d'arbres, longues de vingt cinq à trente toises plus ou moins, selon qu'il eschet (car elles ne sont pas toutes d'une egale longueur) & larges de six, laissant par le milieu une allée de dix à douze pieds de large, qui va d'un bout à l'autre de la cabane, aux deux costez de laquelle il y a une maniere d'establie, qu'ils appellent Endicha, de mesme longueur & de la hauteur de quatre ou cinq pieds, où ils couchent en Esté pour eviter l'importunité des puces dont ils ont en quantité, & en Hyver au bas sur les nattes devant le feu arrangez les uns joignans les autres pour estre plus chaudement, les enfans au lieu plus commodes & les pere & mere aprés, & n'y a point d'entre-deux ou de separation, ny pied, ny chevet, non plus en haut qu'en bas, & ne font autre chose pour se reposer, que de s'estendre, en la mesme place où ils se trouvent assis, & s'affubler la teste dans leur robe sans autre couverture, ny lict, qui est une façon de se coucher aysée, & qui le continue à petit fraiz.

Ils emplissent de bois sec pour brusler en Hyver, tout le dessous de ses establies, mais pour les grosses busches, qu'ils appellent Anemeuny qui servent à entretenir le feu posées à terre par un des deux bouts & eslevées de l'autre sur une pierre, ou bout de tizon, ils en font des piles devant leurs cabanes, ou les serrent au dedans des porches, qu'ils appellent Aque. Toutes les femmes s'aydent à faire ceste provision de bois, qui se faict dés les mois de Mars & d'Avril, & avec cet ordre en peu de temps chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire.

Ils ne se servent que de tres-bon bois, aymans mieux l'aller chercher bien loin, qu'avoir moins de peine & en avoir de mauvais ou qui fasse fumée, c'est pourquoy ils entretiennent tousjours un feu clair & bien faict: avec peu de bois, que s'ils: ne rencontrent point d'arbre secs à leur gré, ils en abbatent de ceux qui ont les branches mortes, lesquelles ils mettent par esclats & couppent de longueur comme les cotrets de Paris. Pour le fagotage, ils ne s'en servent point du tout, non plus que du tronc des gros arbres qu'ils abbatent, lesquels ils laissent là pourrir sur la terre faute de scie pour les scier, ou d'industrie pour les mettre en pièces, qu'ils ne soient secs & pourris, & pour nous qui n'y prenions pas garde de si prés, nous nous servions du premier venu, sans employer tout nostre temps à en aller chercher si loing, car c'estoit à nous mesmes à y pourvoir, & non aux Sauvagesses, qui ne nous en donnoient que par courtoisie ou par presents reciproquez d'autres de pareille valeur, sinon lors que nous estions logez dans leurs cabanes.

En une cabane il y a plusieurs feux, & à chaque feu il y a deux mesnages, l'un d'un costé, & l'autre de l'autre, & telle cabane aura jusqu'à 8 10 ou 12 feux qui font 24 mesnages, & les autres moins, selon qu'elles sont longues ou petites, & où il fume à bon escient, qui faict que plusieurs en recoivent de tres-grandes incommoditez aux yeux, n'y ayant fenestre ny aucune ouverture, que celle qui est au faiste de leur Cabane par où fort la fumée.

Ces cabanes n'ont aucune cloison ou separation, qui puisse empescher de porter sa veuë d'un bout à l'autre & voir ce qui s'y passe, neantmoins ils y demeurent tous en paix & sans aucune confusion n'y bruits, chacun dans son département avec ce qui leur appartient, qui n'est ny enfermé, ny clos de clefs ou de serrures. Aux deux bouts il y a à chacun un porche, & ces porches leur servent principalement à mettre leurs grandes cuves ou tonnes d'escorce, dans quoy ils serrent leur bled d'Inde, aprés qu'il est bien sec & esgrené. Au milieu de chacun de leur logement il y a deux grosses perches suspendues, qu'ils appellent Ouaronta, où ils pendent leur cramaliere, & mettent leurs fourures, vivres & autres choses, peur des souris, & pour tenir les choses seichement.

Pour le poisson duquel ils font provision pour leur Hyver, aprés qu'il est boucané & bien deseiché, ils le serrent en des tonneaux d'escorce, qu'ils appellent Acha, excepté Leinchataon, lequel ils n'esventrent point & le pendent au haut de leur cabane attaché avec des cordelettes peur des souris & d'une mauvaise odeur qu'il rend en temps chaud, telle que personne ne la pourroit souffrir îcy.

Crainte du feu, auquel ils sont assez sujects, ils serrent ordinairement ce qu'ils ont de plus précieux dans des tonneaux d'escorces, qu'ils enterrent en des fosses profondes qu'ils font au coin de leur foyer, puis les couvrent de la mesme terre, & par ce moyen sont conservez non seulement du feu, mais auffi de la main des larrons, pour n'avoir d'autre coffre ny armoire en tout leur mesnage que ces petits tonneaux. Il est vray qu'ils se font fort peu souvent du tort les uns aux autres; mais encore, s'y en pourroit il trouver de meschans, qui vous feroient du desplaisir s'ils en trouvoient l'occasion, car l'object, esmeut la puissance, dit le Philosophe, & l'occasion faict le larron.

Des exercices ordinaires des Hurons, & des pauvres mendians & vagabons, & comme les Canadiens cabanent & courent les bois.

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