CHAPITRE XIV.

TU mangeras ton pain à la sueur de ton visage, & non point à la sueur d'autruy, dit le Seigneur en la Genese, car Dieu n'approuve point les faineans, n'y ceux qui veulent faire bonne chere aux despens d'autruy. J'ay long-temps pratiqué, & encore plus admiré la maniere de vivre de nos Hurons, & Canadiens, à la verité estrange à ceux qui n'y sont point accoustumez, mais, admirable, & telle que tous les pauvres necessiteux qui sont partout en tres-grand nombre, la devroient imiter dans l'honnesteté, puis que souvent faute de prevoyance & d'invention, ils se trouvent réduits & accablez sous le pesant faix d'une extrême pauvreté, de sorte qu'ils vivent languissent, & meurent sans pouvoir mourir, au lieu que nos Barbares dans un pays sauvage & peu cultivé, vivent contans, gays & joyeux, & tellement satisfait, qu'il ne croyent pas une autre vie meilleure que la leur, & neantmoins, elle ne consiste entre nos sedentaires, qu'au bled d'Inde principalement, lequel il sçavent tellement bien diversifier, & accommoder, en diverses sauces dans la pure eau, qu'ils y trouvent du goust, de la delicatesse, & une nourriture plus que suffisante pour les maintenir forts, & les conserver en santé.

Et ne faut point alléguer que les pauvres ne sont point, accoustumez à cette vie sauvagesse, & que ce seroit leur prescrire une maniere de vivre bien miserable, puis qu'ils en meinent souvent une autre plus deplorable, qui est de mourir de faim, & de vivre en langueur, les Sauvages sont hommes comme nous, & de mesme nature, & moy mesme ay vescu de leur seule viande, sans sel, sans pain, & sans vin, plus d'une bonne année entière, sans me trouver mal ny incommodé qu'un petit du coeur, auquel je fuis sujet naturellement, & non de leur viande.

Ne dites donc point que ces viandes sont incipides, & de peu de goust, il suffit qu'elles sont capables de nourrir l'homme, & le tirer de la necessité. Et quoy les riches ont ils tousjours les viandes au gré de leur appétit, helas il y en a qui les destrempent souvent dans les larmes, & les amertumes, ausquels sont sujets les plus eslevez, mortifiez vous donc pour l'amour de Dieu & destrempez tous les grains de ce bled d'Inde dans les playes & les douleurs d'un Jesus nay pauvre & mort pauvre pour vous & je vous asseure de sa part, que les choses qui vous auront semblé ameres & difficiles au commencement, vous seront à la fin douces & faciles.

Diogenes disoit, que la vertu ne peut habiter en cité ny en maison riche, c'est donc une grande disposicion à la vertu que la pauvreté, laquelle estant bien prise, nous rend imitateur de celuy qui a dit de luy mesme. Les renards & les oyseaux ont des nids & des tanières pour se reposer, mais le Fils de l'homme n'a pas où reposer son chef. Les Sauvages errants plus miserables que les sedentaires sembleroient à la verité imiter en quelque chose nostre Seigneur, en ce qu'ils n'ont aucune demeure arrestée, provision, ny rente asseurée, mais ils ne sont pas Chrestiens, & n'ont point Dieu pour object de leurs actions, c'est pourquoy il n'y a point de mérite pour eux, ny de recompense à recevoir, au contraire des vrays Chrestiens pauvres, qui peuvent en toute action agrandir leur couronne & leur merite. Ayans la nourriture & les vestemens pour nous couvrir, nous nous contentons, disoit l'Apostre à son disciple Timothée.

Chaque mesnage de nos Hurons & Canadiens, contant de ce peu qu'il a, vit de ce qu'il peut pescher, chasser & semer, car toutes les terres, forests & prairies non defrichées, sont en commun, & est permis à qui veut de les défricher & ensemencer, & cette terre ainsi defrichée, demeure à la personne autant d'années qu'il la cultive, & entierement abandonnée du maistre, s'en sert par aprés qui veut & non autrement.

Ils les défrichent avec grand peine & travail, pour avoir des instrumens propres & commodes, car nos Hurons n'ont pour tout outils que la hache & la petite pesle de bois, faicte comme une oreille, attachée par le mollet au bout d'un manche, ou celles de nos Montagnais ressemblent aucunement à celles des batteliers un peu creusées.

Ils esmondent les branches des arbres qu'ils ont couppez, & les bruslent au pied d'iceux, & par succession de temps en ostent les racines, puis les femmes nettoyent bien la terre & beschent de deux en deux pieds ou peu mois, une place en rond, où elles sement au mois de May à chacune neuf ou dix grains de maiz, qu'elles ont premièrement choisi, trié & faict tremper par quelque jours dans de l'eau, & continuent ainsi tant qu'ils en ayent assez pour deux ou trois ans de provision, soit pour la crainte qu'il ne leur succede quelque mauvaise année, ou bien pour l'aller traicter & eschanger en d'autres nations, pour des pelleteries, ou autres choses qui leur font besoin, & tous les ans sement ainsi leur bled aux mesmes places & endroits, quelles rafraischissent avec leur petite pelle de bois, le reste de la terre n'est point labourée, ains seulement nettoyée des meschantes herbes, de sorte qu'il semble que de soient tous chemins, tant ils sont soigneux de tenir tout net, ce qui estoit cause qu'allant par fois seuls de nostre village à un autre, je m'esgarois ordinairement dans ces champs de bled, plustost que dans les prairies & forests.

Le bled estant donc ainsi semé, à la façon que nous faisons les febves, d'un grain sort seulement un tuyau ou canne, & la canne rapporte deux ou trois espics, & chaque espic rend cent, deux cens, quelquefois 400 grains, & y en a tel qui en rend plus. La canne croist à la hauteur de l'homme, & plus, & est fort grosse, (excepté en France & mesme en quelque endroit du Canada, où il ne vient pas si bien ny si haut, ny le grain n'est du tout si bon qu'au païs de nos Hurons & és contrées plus méridionales.) Le grain meurit en quatre mois, & en de certains lieux en trois; aprés ils le cueillent, & le lient en pacquets par les feuilles relevées contremont, qu'ils pendent arrangez le long des cabanes du haut en bas, en des perches accommodées en ratellier qui descendent jusqu'au bord devant les establies, & tout cela si proprement ajancé, qu'il semble que ce soient tapisseries tendues le long des cabanes, & le grain estant bien sec & bon à serrer, les femmes & filles l'esgrenent, nettoyent & mettent dans des sacs ou tonnes à ce destinées & posées en leur porche, ou en quelque coin de leurs cabanes.

Ils sement aussi force citrouilles du païs, & les eslevent avec grande facilité, par ceste invention. Les femmes Huronnes en la saison, vont aux forests voisines amasser alentour des vieilles souches, quantité de poudre de bois pourry, puis ayans disposé une grande caisse d'escorce, y font un lict de la dite poudre, sur lequel ils sement de la semence des citrouilles, qu'ils couvrent aprés d'un autre lict de la mesme poudre, & sur icelle sement derechef des semences, jusques à 2, 3, & quatre fois autant qu'ils veulent, en telle sorte neantmoins qu'il y reste encor plus de quatre ou cinq bons doigts de vuide dans la caisse, pour donner lieu au germe des semences, aprés ils couvrent la caisse d'une grande escorce qu'ils posent sur les deux perches suspendues à la fumée du feu, laquelle eschauffe petit à petit tellement ceste poudre & ensuitte les semences, qu'elles germent en fort peu de jours, estant grandelettes & propres à planter, on les prend par bouquets avec leur poudre, on les separe, puis on les plante dans les champs en lieux disposez, d'où, aprés on en cueille le fruict en sa saison.

La moisson du bled estant faicte, nos Sauvages en usent en diverses façons, car pour le manger en pain ou petits gasteaux, ils luy font premierement prendre un bouillon dans de l'eau, puis l'essuyent & font un peu seicher: en aprés ils le broyent dans le grand mortier, & paistrissent avec de l'eau tiede comme on faict la paste de laquelle ils font des petits gasteaux, espois d'un bon pouce, qu'ils font cuire sous les cendres chaudes, enveloppez de feuilles de bled, & à faute de feuilles le lavent & nettoyent après qu'il est cuit: s'ils ont des fezoles ils en font cuire dans un petit pot, & en meslent parmy la paste sans les escacher, ou bien des fraizes, des bluës, framboises, meures champestres, & autres petits fruicts secs & verts, pour luy donner goust & le rendre meilleur; car il est fort fade de foy, si on n'y mesle de ces petits ragousts.

Ils font encor d'une autre sorte de pain, que nous appellions pain masché; ils cueillent une quantité d'espics de bled, avant qu'il soit bien sec & meur, puis les femmes, filles & enfans avec les dents en destachent les grains, qu'ils rejettent avec la bouche dans de grandes escuelles, qu'elles tiennent auprés d'elles, après on l'acheve de piler dans le grand mortier; on en pestrit la paste, & en faicts des tourtelets qu'on enveloppe dans des feuilles de bled, pour les faire cuire sous les cendres chaudes à l'accoustumée; ce pain masché est le plus estimé entr'eux, mais pour moy je n'en mangeois que par necessité & à contre coeur, à cause que le bled avoit esté ainsi à demy masché, pilé & pestry, avec les dents des femmes filles & petits enfans. Ils font une troisiesme espece de pain, qu'ils appellent d'un nom particulier Coinkia; car les autres susdits, avec celuy duquel nous usons par deça, & mesmes le biscuit, ils appellent Andataroni; ils reduisent la paste comme deux balles jointes ensemble les enveloppent de feuilles qu'ils lient par le milieu d'une cordelette, avec laquelle ils avallent ce pain dans une chaudière d'eau bouillante, & l'y laissent prendre plusieurs bouillons, estant cuit, ils l'en retirent & le mangent sans le faire passer par le feu.

Ce pain de maiz & la sagamité qui en est faicte, est de fort bonne substance & nourrit merveilleusement, comme peut voir en ce que ne beuvant jamais que de l'eau pure, mangeant peu souvent de ce pain, encore plus rarement de la viande, n'usans presque que des seuls sagamitez, avec un bien peu de poisson, on se porte fort bien, & si tous ces apprests se font à fort peu de frais, sans qu'il y ait necessité d'y adjouster de la viande, du poisson, beure, sel, huyle, herbes ou espices, si on ne veut, car ce bled porte presque toute la sauce quand & luy, c'est ce qui me faict souhaitter d'affection, d'en voir beaucoup de terres cultivées en France, pour le soulagement des pauvres, qui y sont par tout en tres-grand nombre, & vont tousjours multiplians à mesure que les miseres du siecle croissent.

Ils le diversifient & accommodent en plusieurs façons, pour le trouver bon en menestre & potage, car comme nous sommes curieux de diverses sauces pour contenter nostre appetit, aussi sont ils soigneux d'inventer de nouvelles manières d'accommoder leur menestre, dont j'ay traicté amplement en mon premier volume, intitulé le grand voyage des Hurons, imprimé à Paris, chez Denis Moreau rue S. Jacques, où je renvoye ceux qui s'en voudront servir & user de ce bled pour leur vivre.

Nos Hurons se servent aussi des vieux os de poisson reduits en poudre pour donner goust à leur sagamité, quand ils n'ont autre chose à mettre dans leur pot, mais les Canadiens & Algoumequins souverainement plus gueux, mangent jusques à la raclure des peaux d'Eslans & de Castors, qu'ils reduisent en masse dure comme pierre, j'y fus trompé, car pensant avoir traicté un morceau de viande boucannée des Algoumequins, qui estoient venus hyverner à la Province des Ours, elle devint à force de bouillir ce qu'elle estoit auparavant, tellement que personne n'en pu manger & la fallut jetter. Ils font aussi pitance de glands, qu'ils font bouillir en plusieurs eaues, pour en oster l'amertume, & les trouvois assez bons: ils mangent aussi aucunefois d'une certaine escorce de bois crue, ressemblant à la saulx, de laquelle j'ay mangé à l'imitation des Sauvages; mais pour des herbes ils n'en mangent ny cuites ny crues, sinon de certaines racines qu'ils appellent Sondhratates & autres semblables.

Auparavant l'arrivée des François au païs des Canadiens, Montagnais & Algoumequins, tout leur meuble n'estoit que de bois, d'escorces, & de pierres, de ces pierres ils ee faisoient les haches & cousteaux, & du bois & de l'escorce ils en fabriquoient toutes les autres ustenciles & pièces de mesnage, & mesme, les plats, chaudieres, bacs, ou auges à faire cuire, leur viande, laquelle ils faisoient cuire ou plustost mortifier en ceste manière.

Ils mettoient une quantité de grais ou cailloux dans un grand feu, puis les jettoient tous bruslans dans le plat ou chaudière d'escorce pleine d'eau, en laquelle estoit la viande ou le poisson à cuire, & à mesme temps les en retiroient, & en remettoient d'autres en leur place, & à succession de temps, l'eau s'eschauffoit & cuisoit aucunement la viande, de laquelle ils faisoient aprés leur repas.

Il y a eu de mesme des Religieux, qui mesprisans le fer & l'airain, se servoient de pots de bois. Il y en avoit un en Egypte, qui remplissoit un pot de bois l'exposoit aux rayons du Soleil, lequel rassemblant ses rayons en un à cause de la concavité du pot, eschauffoit aysement la partie intérieure, si bien que ce pot de bois venoit à bouillir & cuire les viandes, sans neantmoins que ceste ardeur le bruslat: ceste invention estoit bonne seulement en Esté, & lors que le Soleil dardoit à plomb ses rayons sur la terre, mais l'autre methode inventée par nos Sauvages, se pouvoit pratiquer en toute saison & à toute heure, ayans de l'eau, du bois & du feu.

Pour les Hurons & autres peuples sedentaires, je croy qu'ils avoient, comme ils ont encores, l'usage & l'industrie de faire des pots de terre, dans quoy ils cuisoient leur viande chair ou poisson, comme j'ay dit au chapitre unziesme. Quelqu'uns ont voulu dire, ce que j'ay peine à croire veu l'usage des bacs & auges susdits, que les Montagnais avant la venue des François, avoient encor le mesme usage de faire des pots de terre, lesquels ils avoient quitté du depuis, pour se servir de nos chaudieres, & que leurs haches estoient comme celles des autres peuples une pierre trenchante, accommodée dans un baston fendu, avec quoy ils abbattoient les bois, comme nous en labourions nostre petit jardinet au païs des Hurons, où toutes sortes d'outils nous manquoient, fors la hache, les cousteaux & les chaudrons, que nous y avions porté de Kebec.

On remarquera aussi qu'eux & les Algoumequins, ont autrefois labouré les terres & habité en des bourgades comme nos Hurons, mais du depuis les Hiroquois leurs ennemis mortels les en ayans dechassez, ils furent contraincts courir les bois, & se rendre vagabonds & errants parmy les terres, fuyans la persecution de leurs ennemis, lesquels s'estans saisis de leurs bourgades les fortifierent, & depuis abandonnerent, ne les ayans pu conserver, comme il se voit encore en un lieu sur la haute terre, qui est auprès de nostre petit Convent, que l'on appelle le fort des Hiroquois.

De leurs festins & convives tant de paix que de guerre, & des ceremonies qu'ils y observent.

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