CHAPITRE XV.

SUetone Tranquile, raconte que l'Empereur Octave Auguste defendit à Rome l'exercice du jeu, & que nul ne peut inviter autruy à manger chez soy, pour autant disoit-il; qu'aux jeux, aucun ne s'abstient de blasphemer contre les Dieux, & aux festins de mesdire de son prochain, ce que ce victorieux peuple observa religieusement un long-temps, plus admirable, en cette victoire de soy mesme, se privant de son propre contentement pour obeir aux Loix, que d'avoir subjugué l'ennemy par le fer où les plus vicieux peuvent remporter de signalées victoires, pendant qu'eux: mesmes se laissent vaincre de leurs propres appetits.

Je ne voudrois pas neantmoins absolument condamner les honnestes entretiens & petites recreations, qui se font quelquefois entre parens & amis par un pieux divertissement, puis que cela sert à entretenir l'amitié & benevolence mutuelle, comme un autre Job avec ses enfans, mais il faudroit qu'ils imitassent cette mesme vertu & l'exemple, non de quelques avares Chrestiens, mais des anciens Payens, qui donnoient aux pauvres & souffreteux, les reliefs de leurs festins banquets, qui par ce moyen se rendoient meritoires où les nostres sont ordinairement vicieux.

Le Philosophe Aristide en une oraison qu'il fist des excellences de Rome dit: que les Princes de Perse, avoient ceste coustume de ne s'assoir jamais à table pour disner ou soupper, jusques à ce que aux portes de leurs Palais, leurs trompettes eussent sonné, & ce afin que là, toutes les vesves & orphelins s'y assemblassent, pour ce que c'estoit une loy entr'eux, que tout ce qui demeuroit des tables royales fussent pour les personnes necessiteuses. Et Plutarque en sa politique confirmant la mesme chose pratiquée entre les Romains, dit: qu'ils ordonnerent, que tout ce qui demeurerait des banquets & conviz, qui se faisoient és nopces & triomphes, fut donné aux pauvres, vesves & orphelins.

Voilà des Loix qui ne doivent point estre appellées payennes, bien qu'ordonnées & pratiquées par les Payens mesmes, mais plustost religieuses & Chrestiennes, puis qu'elles sont, fondées en charité, de laquelle nous faisons particulièrement profession, en recevant le baptesme.

Nos Sauvages, à la vérité, ne sont pas gens de si grande chere, qu'ils ayent besoin de faire sonner leurs tortues, pour inviter les pauvres à venir manger les restes de leurs festins, car outre qu'ils n'ont point de pauvres ils n'ont aussi point de superflu. Ce n'est pas comme és maisons de beaucoup de riches avaricieux, lesquels s'ils traictent leurs amis avec quelque abondance, ils se servent des reliefs à leurs autres repas, & n'en font point de part aux pauvres que les vers & la putréfaction ne les y contraignent. Action digne de chastiment & non point de mérite, car on ne doit rien donner aux pauvres, qui ne soit honneste & bon s'il se peut, autrement ceste offrande est rejettée de Dieu, comme celle de Cain, qui donnoit le pire de son troupeau en sacrifice, où le bon Abel faisoit choix du meilleur, imité à present de plusieurs bonnes dames, & de personnes de merite, qui se privent souvent des mets les plus délicieux de leur table, pour en faire part aux pauvres malades & necessiteux, qu'ils envoyent visiter jusques dans les cachots & où ils sçavent qu'il y a de la necessité.

Quand quelqu'un de nos Canadiens ou Hurons, veut faire festin à ses amis, il les envoye inviter de bonne heure comme l'on faict icy, mais personne ne s'excuse là, dont vous en voyez tels, sortir d'un festin pleins comme un oeuf, qui du mesme pas s'en vont à un autre, où, ils se racheptent s'ils ne peuvent manger, car ils tiendront à affront d'estre esconduits s'il n'y avoit excuse vrayement légitime, & que ce fut un festin à tout manger.

Le monde estant invité, on met la chaudière sur le feu, grande ou petite selon la quantité des viandes & le nombre des personnes qui doivent estre de la feste, tout estant cuit & prest à dresser, on va derechef faire la seconde semonce, par ces mots Montagnais, comme à la premiere fois Kinatomigaouin, je te prie de festin, & s'ils sont plusieurs Kinatomigaouinaou, je vous prie de festin, lesquels respondent ho ho ho, & entr'eux Ninatomigaouinano, nous sommes priez de festin. Mais les Hurons disent d'un ton plus grave & puissant en invitant au festin; Saconcheta (qui est un mot qui ne derive point neantmoins du nom de festin, car agochin entr'eux, veut dire festin) lesquels s'y en vont à mesme temps avec leur escuelle & la cueillier dedans, qu'ils portent gravement devant eux avec les deux mains. Si ce sont Algoumequins qui fassent le festin, les Hurons portent leurs escuelles garnies d'un peu de farine pour mettre dedans le brouet, à raison que ces Aquanaques en ont fort peu souvent, & puis c'est leur coustume.

Entrans dans la cabane chacun s'assied sur les nattes ou la terre nue, ou pour le plus sur de petits rameaux d'arbres ou de cedre, les hommes au haut bout & les femmes en suitte, également des deux costez jusques au bas. Tout estant entré on dit les mots, après lesquels il n'est permis à personne d'y plus entrer, soit-il des conviez ou non, ayans opinion qu'autrement il y auroit du mal-heur en leur festin, qui est ordinairement faict à quelque intention, bonne ou mauvaise.

Les mots du banquet sont prononcez hautement & intelligiblement devant toute l'assemblée par le maistre du festin, où un autre à ce deputé, en ces termes: vous qui estes icy assemblez, je vous fais sçavoir que c'est N. qui faict le festin, nommant la personne & l'intention pourquoy il est faict, & tous respondent du fond de l'estomach: ho, puis poursuivant sa harangue dit les mots qui précèdent le manger, à sçavoir: Nequaré, la chaudiere est cuite, & de mesme tout le monde respond, ho, en frappant du poing contre terre, Gagnenon youri, il y a un chien de cuit: si c'est du cerf, ils disent: Sconoton youri, & ainsi des autres viandes, nommant l'espece ou les choses qui sont dans la chaudiere, les unes aprés les autres, & tous respondent ho, levans la derniere sillabe à chaque fois, puis frappent du poing contre terre d'autant plus gaillardement qu'ils estiment ce festin & l'excellence des viandes qui leur doivent estre servies.

Les Montagnais ont cela de particulier, qu'en disans les mots du festin, ils annoncent aussi si c'est un festin à tout manger, car quand ce n'est pas à tout manger, ils remportent le reste chacun à sa cabane, pour leur femmes & leurs enfans, qui est une coustume louable.

Cela faict les officiers vont de rang en rang prennent les escuelles de tous, les unes aprés les autres, qu'ils emplissent du brouet avec leurs grandes cueillieres, & recommencent tousjours à remplir, tant que la chaudiere soit nette, & si c'est un festin à tout manger, il faut qu'un chacun avale tout ce qu'on luy a donné, & s'il ne peut pour estre trop saoul, qu'il se rachepte de quelque peut present envers le maistre du festin & fasse achever son escuelle par un autre, tellement qu'il s'y en trouve, qui ont le ventre si plein, qu'il leur bande comme un tabourin.

Ce grand Philosophe Platon cognoissant le dommage que le vin apporte à l'homme, quand il est pris avec excez, disoit: qu'en partie les Dieux l'avoient envoyé ça-bas, pour faire punition des hommes, & prendre vengeance de leurs offences, les faisans (aprés qu'ils sont yvres) quereller & se tuer l'un l'autre comme il n'arrive que trop souvent par deçà, entre gens de petite condition & de petit esprit. Chose si hideuse que pour en faire abhorrer le vice, les Lacedemoniens souloient faire voir à leurs enfans, leurs esclaves pleins de vin.

Or nos barbares en leurs festins sont exempts de ses mal-heurs là Dieu mercy, car on n'y presente jamais ny vin, ny biere, ny cidre; & si quelqu'un demande à boire, ce qui arrive fort rarement, on luy donne de l'eau toute claire, non dans un verre, mais dans une escuelle ou à mesme le chaudron, qu'il avale gaillardement, & par ce moyen sont exempts d'ivrognerie, qui est un grand bien & pour le corps & pour l'esprit, car il est croyable, que s'ils avoient l'usage du vin, qu'ils se rendroient intemperés comme nous, & puis feroient des furieux, comme on a veu en quelques Montagnais, coeffez d'eau de vie que les Mattelots leur traictent.

Nos Sauvages ont je ne sçay quoy de prudent & venerable dans leurs desbauches, qu'ils ne s'emancipent point aysement en parolles & disputes, vont aux festins d'un pas plus modeste & representans ses Maigistrats, s'y comportent avec la mesme modestie & silence, & s'en retournent en leurs maisons & cabanes avec la mesme sagesse; de maniere que vous diriez voir en ces Messieurs là, allant à leur brouet, les vieillards de l'ancienne Lacedemone.

Valerius Leo, donnant un jour à soupper à Jules Cesar en la ville de Milan, servit à table des asperges où l'on avoit mis d'une huyle de senteur, au lieu d'huyle commun, il en mangea simplement sans faire semblant de rien, & tança ses amis qui s'en offençoient, en leur disant qu'il leur devoit bien suffire de n'en manger point si cela leur faisoit mal au coeur, sans en faire honte à leur hoste, & que celuy qui se plaignoit estoit bien incivil & mal appris.

Personne ne se plaint du mauvais goust des viandes aux festins de nos Canadiens, on ne dit point elles sont trop cuittes, elles sont mal nettes, trop espicées, mal salées, la sauce en est amer & d'un goust fade, qui me faict bondir le coeur & me ravit l'esprit du corps, non: mais on y mange simplement les viandes servies & telles que le maistre les donne, sans faire la mine & se plaindre de chose qui soit, pour n'estre estimé impertinent, croyans que le cuisinier & celuy qui traicte ont tasché de bien faire & que de les blasmer seroit se rendre blasmable soy mesme.

Ils font quelquefois des festins où l'on ne prend que du petun avec leur petunoir, qu'ils appellent anondahoin: & en d'autres où l'on ne mange rien, que des petits pains de bled d'Inde cuits sous les cendres chaudes. Aucunefois il faut, que tous ceux qui sont au festin soient assis à plusieurs pas l'un de l'autre, & qu'ils ne se touchent point. Autrefois, quand les festinez sortent, ils doivent faire une laide grimasse à leur hoste, ou à la malade, à l'intention de laquelle le festin aura esté faict. A d'autres il ne leur est permis de lascher du vent 24 heures, par une opinion qu'ils en mourroient incontinent aprés, quoy qu'ils ne mangent en tels festins que chose fort venteuse, comme sont une espece de petits pains bouillis.

Quelquefois il faut, aprés qu'ils sont bien saouls & ont le ventre bien plein, qu'ils rendent gorge auprés d'eux, ce qu'ils font facillement & ne s'en tiennent pas moins honnestes & civils, car estant l'ordre, ils l'observent comme action de religion ou de superstition, car telle est leur religion de croire à leurs folles pensées, & aux advis de leurs charlatans qui sçavent se donner du credit, & ausquels ils ont tant de croyance, que s'ils avoient obmis la moindre ceremonie de leur ordonnance, ils croiraient avoir commis une grande faute & s'en confesseroient miserables. Il me souvient à ce propos avoir leu dans Florimond de Remont, d'une certaine heresie ou fausse religion observée dans l'Estat de Holande (à mon advis) qui permettoit à ses Sectateurs de mettre en effet (s'ils pouvoient) tout ce qui leur venoit premier en fantasie, fut honneste ou non convenable, car disant le sainct Esprit me l'a inspiré cela, suffisoit pour se mettre en besongne, & Dieu sçait comme tout alloit au profit des maistres Milourds, & au contentement des malins esprits qui avoient là leur empire.

Aussi nos Sauvages revans qu'il nous fallut faire mourir, il ne faudroit point d'autre Arrest pour nous tous mettre à mort, car comme je viens de dire, ils croyent parfaitement leur songe, & ne veulent pas qu'on s'en mocque, ny d'aucune de leur singerie pour exhorbitantes qu'elles soient, helas il y a assez de Chrestiens qui ne sont pas moins superstition, & qui adorent leurs pensées & leurs songes de la nuict, autant supersticieusement que les Sauvages mesmes, dequoy font encore foy beaucoup de bonnes femmes, qui nous en demandent les explications. Autant difficilles à donner qu'il y a de difficulté de croire les vaines Prophéties.

De quelque animal que soit fait le festin, la teste entiere est tousjours presentée au principal Capitaine, ou à un autre des plus vaillans de la trouppe, pour tesmoigner l'estime que l'on fait de la vaillance & vertu, comme nous remarquons chez Homere aux festins des Héros, c'est à dire des Princes, ou des hommes extraordinairement vertueux & nobles, dans le sang desquels est meslé, je ne sçay quoy de divin, en un mot Heros est un homme tres-sage & généreux, qui à mis à chef quelque signalée entreprise, qu'on leur envoyoit quelque piece de boeuf pour honorer leur vertu, ce qui semble estre un tesmoignage tiré de la nature, puis que ce que nous trouvons avoir esté pratiqué és festins solemnels des Grecs, peuples polis, se rencontre en ces Sauvages, par l'inclination de la nature sans cette politesse.

Pour les autres conviez qui sont de moindre consideration, si la beste est grosse, comme d'un ours, d'un eslan, d'un grand esturgeon, de plusieurs assihendos, ou bien de quelqu'un de leurs ennemis, chacun a un morceau, de la beste, & le reste est demincé dans le brouet. C'est aussi la coustume que celuy qui fait le festin ne mange point pendant iceluy, ains petune, chante, ou entretient la compagnie de quelque discours. J'y en ay veu neantmoins quelqu'uns manger, contre leur coustume, mais peu souvent, car mesme quand un particulier me faisoit festin, moy seul je mangeois & ne pouvois gaigner sur eux de manger un morceau avec moy, ny pendant que j'estois à table, ce qui m'estonnoit au commencement, mais depuis j'ay esté sçavant en toute leur ceremonies fondées sur des imaginations d'esprit plustost que sur des expériences.

Pour dresser la jeunesse à l'exercice des armes, les rendre recommandables par le courage & la prouesse, qu'ils estiment plus que toutes les richesses de la terre, ils ont accoustumé de faire des festins de guerre, & de resjouissance, pendant lesquels les vieillards avec les jeunes hommes, les uns aprés les autres ayans une hache en main, une masse, ou quelque autre instrument de guerre; font des merveilles (à leur oppinion) d'escrimer & faire des armes, usans de paroles menaçantes & de mespris, comme si en effect ils estoient aux prises avec l'ennemy.

Au commencement que je me trouvay en de ces festins, je ne sçavois bonnement comment prendre ces escrimes, car le taillant de la hache, ou le vent de la masse, approchoit parfois si prés de mes oreilles que je ne les trouvois pas bien asseurées, dequoy s'appercevans les Sauvages ils s'en prenoient à rire, & me disoit Ersagon prens courage, car ces escrimeurs ont la main tellement asseurée qu'il ne leur arrive jamais de blesser nonobstant le hazard.

Si c'est un festin de victoire & de triomphe, en faisant des armes, ils chantent d'un ton plus doux & agréable, les louanges de leurs braves Capitaines, qui ont bien tué de leurs ennemis en guerre, puis se rassoient, & un autre prend la places jusques à la fin du festin que chacun se retire, aprés avoir fait les ordinaires remerciemens du pays Onne ottaha. Je suis saoul, ou Satani. Je fais rassasié, en frappant doucement leur ventre de la main ho ho ho Onianné, voyla qui est bien. Mais quand ce qu'ils mangent leur agrée vous leur entendez dire de fois à autre à Houygahouy mécha, voyla qui est bon, & les Montagnais. Tapoué nimitison; en verité je mange.

Je n'ay point remarqué que nos Huronnes fassent de festins entr'elles, comme font quelquefois en Hyver les Canadiennes & Montagnaises en l'absence de leur marys, car comme elles ont peu souvent de la viande, & du poisson, qui ne soit sçeu de leurs domestiques, il y a tousjours quelque hommes dans les cabanes, qui les pourroient accuser & apporter du trouble entre elles & leur marys, lesquels quoy que sans jalousie, ne trouveroient pas bonnes ces petites friponeries s'ils n'y estoient appellez.

Les Canadiennes, & Montagnaises ont un moyen plus facile de se consoler & faire leurs petites assemblées, car comme leur marys sont à la chasse, qui est ordinairement pendant les grandes neiges, elles se donnent le mot, & ayans chacune choisy de la meilleure viande, elles en font de rostie, & de bouillie qu'elles mangent en quantité, le plus souvent jusques à rendre, puis c'est à rire, à gausser, & faire des contes à plaisir, qui leur mettent à toutes le coeur en joye, puis elles se font des confessions générales de toute leur vie passée ou elles adjoustent plustost qu'elles ne diminuent, non par devotion ou de contrition, mais plustost pour faire voir qu'elles n'ont pas tousjours esté nyaises ny vescu en bestes, comme disent les femmes mal sages, je croy neantmoins qu'en tout cela il y a souvent plus de plaisanteries que de malices, & qu'elles sont plus plaisantes que deshonnestes. Ainsi lisons nous en nos Croniques d'un jeune Religieux fort jovial duquel s'estant ennamouraché certaines femmes ou filles, elles le firent entrer dans leur chambre sous prétexte de luy donner l'aumosne, puis l'ayant enfermé sous clef le voulurent contraindre de contenter leur deshonnesteté, ce qu'ayant absolument refusé, elles l'estranglerent & firent mourir miserablement, ce qui fut sçeu par nos Religieux qui louerent Dieu, que ce Frère en un aage si tendre, si gay & jovial de son naturel, avoit pû (assisté de la grace de Dieu) resister à la furie de ces femmes.

Ces matrones ont la prudence & le soin de briser leurs assemblées avant la retour de leur marys & se rendent toutes si sages, que vous diriez à les voir qu'elles n'ont toutes de consolation qu'en la presence de leurs marys ausquels elles tiennent de la viande toute preste, & du bouillon tout chaud, qu'elles leur font avaller quand ils diraient pour les delasser, qui est une invention admirable, car ils tiennent par expérience que quand ils boivent leur bouillon, ou faute d'iceluy de l'eau chaude allans ou revenans de la chasse, ils n'ont jamais les jambes roides.

Les hommes font aussi leurs festins, & à diverses intentions ainsi que font nos Hurons, ou par recreation, ou pour gratifier un amy, ou pour observer un songe, à la pluspart desquels il faut tout manger, ou crever à la peine, & pour plusieurs autres intentions & respects que nous ne sçavons pas, mais si c'est pour avoir bonne chasse ils se donnent bien de garde que les chiens n'en gouttent tant fort peu; car tout seroit perdu, & leur chasse ne vaudroit rien à leur dire, mais qui croiroit une telle sottise.

Comme le Pere Joseph le Caron, & l'un de nos Frères se trouverent un Hyver avec eux, un barbare nommé Mantouiscache, songea que Choumin avoit tué un eslan de la teste duquel il avoit fait festin avec du bled d'Inde qu'il avoit envoyé querir à Kebec, 8 ou 9 lieuës de luy. Le lendemain matin il dit son songe à Choumin avant qu'il allast à la chasse, à laquelle il frappa ce jour là mesme un jeune eslan deux fois de son espée, sans qu'il ne pû l'aborder ny l'atteindre, pour luy donner un dernier coup, de manière qu'il fut contrainct (à cause qu'il se faisoit tard) de laisser là sa beste, & s'en retourner à sa cabane, où il conta à son songeur ce qui luy estoit arrrivé, qui luy respondit qu'asseurement la beste estoit morte, & l'envoyerent chercher le lendemain matin par un de leur parens, qui la trouva abbatue à trois lieues de leur cabane, cent pas d'où elle avoit esté frappée.

Ce fut là une heureuse rencontre pour luy & pour toute leur famille, car ils se regalerent & se remplirent à plaisir, aprés avoir envoyé quérir du bled d'Inde à Kebec, qui fut l'accomplissement du songe de Mantouiscache. Je ne veux pas gloser là dessus, mais j'admire que le Diable aye pû si precisement conjecturer tout ce qui devoit arriver, car encor bien que Choumin pû en avoir dit quelque chose par esperance, la chose n'estoit point asseurée, & pouvoit ne point arriver, car en fin le Diable ne sçait pas les choses futures que par des conjectures, si Dieu ne luy revele pour la punition de ceux qui ont recours à luy.

Je m'oubliois de dire qu'aux repas ordinaires de tous nos Sauvages, aussi bien qu'en leurs banquets & festins, on donne à un chacun sa part, d'où vient que s'il y a de la viande ou du poisson à departir, il ny en a que 3 ou 4 qui ayent ordinairement les meilleurs morceaux, car il ny en a pas souvent pour tous; & si personne ne s'en plaint. Pour la sagamité elle est departie egallement à tous, autant au-dernier comme au premier avec un tel ordre que tout le monde reste contant.

Des dances, chansons & autres cérémonies ridicules de nos Hurons.

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