CHAPITRE XLVI

IL n'y a point de doute que l'on pourrait facilement persuader aux Sauvages, les prieres & bonnes oeuvres pour les deffuncts, puis que d'eux mesmes ils se sont desja forgez une manière de les assister, car de dix en dix ans, plus ou moins, nos Hurons & autres peuples sedentaires, font la grande feste ou ceremonie des morts, en l'une de leur bourgade, ou village, comme il aura esté conclu & arresté par un conseil general de tous ceux du pays (car les corps des deffuncts ne sont ensevelis en particulier que pour un temps) & là font encore annoncer aux autres Nations circonvoisines, afin que ceux qui y ont esleu la sepulture des os de leurs parens les y portent, & les autres qui y veulent venir par devotion, y honorent la feste de leur presence; car tous y sont les biens venus & festinez pendant quelques jours que dure la ceremonie, où l'on ne voit que chaudieres sur le feu, festins, & dances continuelles, qui fait qu'il s'y trouve une infinité de peuple qui y aborde de toutes parts.

Les femmes qui ont à y apporter les os de leurs parens, les prennent aux Cimetieres: que si les chairs n'en sont du tout consommées, elles les en tirent & les rendent fort nets, puis les envelopent dans de beaux castors neufs, ornez de rassades, & colliers de pourceleines, que les parens & amis contribuent, disans: Tien, voyla ce que je donne pour les os de mon pere, de ma mee, de mon oncle, de ma femme, &c, & lss ayans mis dans un sac neuf, elles les portent sur leur dos, parez encore par le dessus de quantité de pourceleines, & autres petites jolivetez desquelles ils ne sont point chiches en semblables occasions.

Elles portent aussi toutes les pelleteries, haches, couteaux, chaudieres & autres choses offertes, avec quantité de vivres au lieu destiné, qui sont après mis à part & separez, les vivres en un lieu, pour estre employez en festins, & les sacs, & emmeublemens pendus par les cabanes de leurs hostes, en attendant le jour auquel tout doit estre ensevely dans la terre avec les os.

La fosse se fait hors de la ville fort grande & profonde, capable de contenir tous les os, meubles, & pelleteries dediées pour les deffunts. On y dresse un eschaffaut haut eslevé sur le bord auquel on porte tous les sacs d'os, puis on tend la fosse par tout, & au fond, & au costez de peaux, & robbes mesmes de castors, puis on y fait un lict de haches, en apres de chaudieres, rasades, colliers, & brasselets de pourceleine, & autres choses qui ont esté données par les parens & amis. Cela fait, du haut de l'eschaffaut les Capitaines vuident tous les sacs dans la fosse parmy la marchandise, lesquels ils couvrent encore d'autres peaux neuves, & d'escorces, après ils rejettent la terre par dessus, & des grosses pieces de bois peur des bestes, puis ils piquent en terre des pilliers de bois tout autour de la fosse, & font une couverture pardessus, qui dure autant qu'elle peut, festinent derechef, & prennent congé l'un de l'autre pour leur retour, bien joyeux & contens que les âmes de leurs parens & amis deffuncts, ayent bien dequoy butiner, & se faire riche ce jour là en l'autre vie.

Chrestiens, r'entrons un peu en nous-mesmes, & voyons si nos ferveurs sont aussi grandes envers les ames de nos parens detenues dans les prisons de Dieu, que celles des pauvres Sauvages envers les ames de leurs semblables deffuncts; & nous trouverons que leurs ferveurs surpassent de beaucoup les nostres, & qu'ils ont plus d'amitié l'un pour l'autre, & en la vie, & après la mort, que nous, qui nous disons plus sages, & le sommes moins en effet, parlant de la fidelité, & de l'amour réciproque simplement: car s'il est question de donner l'aumosne, ou faire quelque oeuvre pieuse pour les vivans, ou deffuncts, c'est souvent avec tant de peine & de repugnance, qu'il semble à plusieurs qu'on leur arrache les entrailles du ventre, tant ils ont de difficulté à bien faire, prenans pour excuse, leurs enfans, si Dieu leur oste, leur pauvres parens, & par ainsi ils ont tousjours raison à leur dire, de continuer dans leur avarice, & plustost mourir que lascher prise & d'avoir sa bourse ouverte à l'indigent.

Au contraire de nos Hurons & autres peuples Sauvages, lesquels font leurs presents, donnent leurs aumosnes pour les vivans, & pour les morts avec tant de gayeté, & si librement que vous diriez à les voir, qu'ils n'ont rien plus en recommandation, que de faire du bien, & assister de leurs moyens ceux qui sont en necessité, & particulièrement les ames de leurs parens & amis deffuncts, ausquels ils baillent le plus beau & meilleur de leur avoir, & s'en incommodent quelquefois, & y a telle personne qui donne presque tout ce qu'il a pour les os de celuy ou celle qu'il a aymée & cherie en cette vie, & ayme encore apres la mort: tesmoin Ongyata, qui pour avoir donné & enfermé avec le corps de sa deffuncte femme (sans nostre sçeu) presque tout son vaillant, en demeura tres-pauvre & incommodé, & s'en resjouissoit sous l'esperance que sa femme en seroit mieux accommodée en l'autre vie.

Or par le moyen de ces assemblées & ceremonies, ils contractent une nouvelle alliance, amitié & union plus estroite, disans: Que tout ainsi que les os de leurs parens, & amis deffuncts sont assemblez & unis en un mesme lieu, de mesme aussi qu'ils devoient durant leur vie, vivre tous ensemblement en une mesme unité & concorde, comme bons parens & amis, sans s'en pouvoir à jamais separer ou distraire, pour aucun desservice ou disgrace, comme en effet ils font.

Fin du second Livre.

HISTOIRE

DU CANADA.

ET

VOYAGES DES PERES

RECOLLECTS EN LA
nouvelle France.

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