CHAPITRE XLV.

PAr Arrest du tres-haut, il a esté ordonné, que tout homme riche & pauvre mourra un jour, & rendra compte devant Dieu de toute la vie passée, mais helas le pauvre & le riche seront bien differens en la mort, beaucoup plus qu'en la vie, pour ce que si le pauvre meurt ce sera pour reposer, & si le riche meurt ce sera pour peiner: de manière que Dieu tres-juste privera l'un de ce qu'il possedoit, & mettra l'autre en possession de ce qu'il desiroit, & par ainsi chacun aura son tour, le riche deviendra pauvre, & le pauvre deviendra riche, ô Jesus, des biens de vostre Paradis.

Bienheureux est celuy qui n'est point attaché aux vanitez & richesses de cette vie, & qui se maintient tel en la vie qu'il desire estre trouvé en la mort: car il vaut beaucoup mieux mourir comme un pauvre Lazare estant en la grace de Dieu, abandonné de tous, que de mourir puissant comme le riche gourmand, & estre assisté de tous.

On meurt bien differemment & de diverses maladies naturelles & violentes; mais dans l'ordinaire, le seul manger & boire tue les bestes & les hommes, brutaux qui en prennent au delà de leur suffisance; mais les hommes sages & gens d'esprit ne meurent jamais, fors que d'ennuis, disoit Ciceron escrivant à Atticus son amy.

Toutes les nations les plus barbares aussi bien que Chrestiennes, ont tousjours eu un soin tres particulier d'ensevelir les morts & de venerer les trespassez. Le bon Tobie en receut les promesses de Dieu comme il se lit és sainctes lettres, & tous les livres sont plains d'exemples des personnes devotes qui se sont addonnées à ceste Chrestienne & pieuse occupation, qui est reverée mesme de nos Hurons & Canadiens, qui y apportent l'ordre que je vous vay d'escrire.

A mesme temps que quelqu'un de nos Hurons est decedé l'on l'enveloppe dans sa plus belle robe, de telle sorte que le menton touche les genouils, ils le lient avec de leurs couroyes de cuir, qu'ils font de peau d'eslan ou de l'escorce qu'ils apellent ati. Si c'est un Montagnais ou Canadien, ils luy donnent des gands & des chausses, & l'ayant enveloppé dans une robe toute neuve, puis lié en une piece d'escorce, ils le portent en leur cimetière. Pour les Hurons aprés que le corps a esté enveloppé dans sa plus belle robe, il est aprés posé sur la natte où il est mort, couvert d'une autre robe qui luy sert de poisle & deslors n'est plus sans assistance d'hommes ou de femmes ou des deux ensemble, qui se tiennent là en grand silence assis sur les nattes & la teste panchée sur leurs genouils, sinon les femmes qui se tiennent assises à leur ordinaire avec un visage pensif, qui denote le dueil.

Cependant tous les parens & amys du deffunct, tant des champs que de la ville sont advertis de cette mort, & priez de se trouver au convoy par les plus proches, & diriez qu'ils ayent appris, ces ceremonies des Chrestiens, desquels ils veulent mesme surpasser en leur soin.

Le Capitaine de la police de son costé, faict ce qui est de sa charge: car incontinent qu'il est adverty de ce trespas, luy, ou son assesseur, en en faict le cry par tout le bourg, & prie un chacun disant: Etsagon. Etsagon, prenez courage, prenez courage, & faites tous festin au mieux qu'il vous sera possible, pour un tel ou une telle qui est decedée. Alors tous les parens & alliez du deffunct; chacun en leur particulier, font un festin dans leurs cabanes, le plus excellent qu'ils peuvent & de ce qu'ils ont à commodité, puis le departent & l'envoyent à tous leurs parens & amys à l'intention de deffunct, sans en rien reserver pour eux, & ce festin est appellé Agochin atiskein, le festin des ames.

Les Montagnais font quelquefois des festins des morts, auprés des fosses de leurs parens trespassez & leur donnent la meilleure part du banquet qu'ils jettent au feu, mais je ne me suis pas enquis des autres nations s'ils en font de mesme, ou comme ils en usent, d'autant que cela est de peu d'importance, & qu'il est facile par ce que je viens de dire, de leur persuader les prieres, aumosnes & bonnes oeuvres pour les deffuncts, puis que des-ja ils en font en quelque maniere dans leur obscurité, croyans soulager les ames.

Les Essedons, Scythes d'Asie, celebroient les funerailles de leur pere & mere avec chants de joye. Les Thraciens ensevelissoient leurs morts en se resjouissans, d'autant (disoient-ils) qu'ils estoient partis du mal & arrivez à la beatitude: mais nos Hurons ensevelissent les leurs en pleurs & tristesses, neantmoins tellement moderées & reglées au niveau de la raison, qu'il semble que les femmes qui doivent pleurer ausquelles seules la charge en est donnée, ayent un pouvoir absolu sur leurs larmes & sur leurs sentimens, de manière qu'elles ne leur donnent cours que dans l'obeïssance, & les arrestent par la mesme obeïssance, où plusieurs femmes Chrestiennes pleurent demesurement, au lieu qu'à l'imitation des Essedons & Thraciens elles devroient se resigner à la volonté de Dieu en la mort de leurs parens, & pleurer plustost en leur naissance pour les voir chargés de crimes & du peché de la conception.

Avant que le corps du deffunct sorte de la cabane, les femmes & filles là presentes y font les pleurs & lamentations ordinaires, lesquelles ne commencent ny ne finissent jamais, (comme je viens de dire,) que par le commandement dû Capitaine ou Maistre des ceremonies. Le commandement donné, toutes unanimement commencent à pleurer, & se lamenter à bon escient, & femmes, & filles, petites & grandes, (& non jamais les hommes, qui demonstrent; seulement une mine & contenance morne & triste, la teste & les yeux abaissez) & pour s'y esmouvoir avec plus de facilité, elles repetent tous leurs parens & amis deffuncts, disans. Et mon pere est mort, & ma mere est morte, & mon cousin est mort, & ainsi des autres, & toutes fondent en larmes, sinon les petites filles, qui en font plus de semblant qu'elles n'en ont d'envie, pour n'estre encores capables de ses sentimens.

Ayans suffisamment pleuré, le Capitaine leur faict le hola, & toutes cessent de pleurer comme si elles n'y avoient point pensé. Il y en a qui entremestent en leurs complaintes funebres, les hautes louanges du deffunct & exagerent ses vertus & prouesses, pour en faire regretter la perte, & donner un facil accez à leurs larmes qui autrement seroient souvent taries, car de grace sans ses inventions, quelle apparence y auroit il de pouvoir pleurer une personne, à qui vous n'auriez aucune obligation & ne vous seroit ny parente ny amie, ny de cognoissance.

Or pour monstrer combien il leur est facile de pleurer, par ces ressouvenirs & repetitions de leurs parens & amis decedez, les Hurons & Huronnes souffrent assez patiemment toutes autres sortes d'injures: mais quand on vient à toucher cette corde, & qu'on leur reproche que quelqu'un de leurs parens est mort, ils sortent alors fort aysement des gonds & de la patience, car ils ne peuvent supporter ce ressouvenir, & feroient en fin un mauvais party à qui leur reprocheroit: & c'est en cela, & non en autre chose, que je leur ay veu quelquefois perdre patience & se cholerer ouvertement.

Au jour & à l'heure assignée pour le convoy chacun se range dedans & dehors la cabane pour y assister: on met le corps sur un brancart en forme de civiere couverte d'une peau, puis tous les parens & amis avec un grand concours de peuple le suivent processionnellement devant & derriere jusques au cimetiere ordinairement esloigné d'une portée d'arquebuse du bourg, où estans tous arrivez, chacun se contient en silence, les uns debouts & les autres assis, selon qu'il leur plaist, pendant qu'on esleve le corps en haut, & qu'on l'accommode dedans sa chasse, faicte & disposée exprés pour luy: car chacun corps est mis dans une chasse à part, bastie de grosses escorces, & posé sur quatre gros piliers de bois, un peu peinturez, haut eslevé de neuf ou dix pieds, où environ, ce que je peux conjecturer en ce qu'eslevant ma main, je ne pouvois toucher aux chasses qu'à plus d'un pied ou deux prés.

Les Corinthiens & presque tous les peuples d'Asie, avoyent de coustume d'enfouir dans la terre avec les corps des deffuncts, tous les plus beaux vaisseaux d'oeuvre de poterie qu'ils eussent; & pensoient à leur fol jugement, & vaine superstition, que les Dieux qui en avoient la garde comme Dieux domestiques, venoient boire & manger avec eux, aprés leur trespas, & leur apportoient de la viande des Dieux celestes, & de leur breuvage aussi. J'ay veu une petite idole de terre cuite de la longueur de cinq ou six poulces, plombée de vert, qu'on avoit apportée d'Egypte & prise dans le corps d'un deffunct, selon l'ancienne coustume des Egyptiens de mettre dans les corps morts de ceux de leur nation, une semblable idole, comme un Dieu tutelaire posé pour leur garde & conservation.

Nos Sauvages sont bien fols à la verité, mais ils ne le sont pas davantage que ces Sages Egyptiens en ce cas, car bien qu'ils enferment avec les corps de leurs parens deffuncts, de l'huyle, de la galette, des haches, cousteaux, & autres meubles, si est-ce qu'ils ne croyent pas que les Dieux domestiques, terrestres, ny celestes viennent manger avec eux dans la fosse, ny qu'une petite idole de terre cuitte, pétrie par la main d'un potier soit un Dieu tutelaire, qui les puisse deffendre, & par ainsi il ne faut point trouver estrange s'ils ont de folles croyances, puis que des peuples policez estimez Sages & non Sauvages, ont eu de si ridicules superstitions.

Le corps estant posé & enfermé dans la chasse avec tout son petit équipage, on jette de dessus la biere deux battons ronds, chacun de la longueur d'un pied, & gros comme 4 doigts, l'un d'un costé pour les jeunes hommes, & l'autre pour les filles, après lesquels ils se mettent comme Lyons à qui les aura, & les pourra eslever en l'air de la main pour gaigner un certain prix, qui leur couste presque la vie tant ils s'empressent pour l'avoir. Il y a des ceremonies & des jeux où l'on peut prendre quelque esbat, mais à celuy-cy il n'y en a point du tout, & donne plustost horreur que contentement & récreation, particulierement la violence & l'empressement que ce font les filles, qui pourtant n'en font que rire, non plus que les garçons de leurs sueurs & perte d'haleines, qui feroient estouffer personnes plus delicates; mais ceste ceremonie ne s'observe pas envers tous.

Or pendant que toutes ces ceremonies s'observent, il y a d'un autre costé un officier monté sur un tronc d'arbre, qui reçoit les presens que plusieurs font à la vefve, ou plus proche parent du deffunct, pour essuyer ses larmes, qui est une bonne invention, car par ce moyen le dueil en est bientost passé. A chaque chose qu'il reçoit, il l'esleve en l'air à la veue de tous, & dit; voyla une telle chose qu'un tel ou une telle a donné, pour essuyer les larmes d'une telle, puis il se baisse & luy met entre les mains: tout estant achevé, chacun s'en retourne d'où il est venu avec la mesme modestie & silence.

J'ay veu en quelque lieu des corps mis en terre, (mais fort peu,) sur lesquels il y avoit une chasse d'escorce dressée, & à l'entour une pallissade toute en rond, faicte de pieux picqués en terre, de peur des chiens & bestes carnassieres, ou bien par honneur & reverence des deffuncts.

Les Canadiens, Montagnais, & les autres peuples errants, ont quelques autres ceremonies particulières envers les morts qui ne sont pas communes avec celles de nos Hurons, car premierement les Montagnais ne sortent jamais les corps, des trespassez par la porte ordinaire de la cabane où il est mort, ils levent en un autre endroit une escorce par où ils le font sortir, disans pour leur raison, que l'on ne doit pas sortir un deffunct par la mesme porte où les vivans entrent & sortent, & que ce seroit leur laisser un fascheux resouvenir, & pour quel que autre raison que je n'ay pas apprise.

Ils ont encore une autre ceremonie particuliere de frapper sur la cabane ou quelqu'un vient de mourir, en disant: oué, oué, oué, pour en faire sortir l'esprit, disent ils, & ne se servent jamais d'aucune chose de laquelle un trespassé se soit servy en son vivant, & pour le reste des funerailles aprés que le corps a esté enseveli & garotté à leur accoustumée, ils l'eslevent couvert d'une escorce sur des fourches ou habitacle fort haut, avec tous ses meubles, & richesses, en attendant que tous ses parens & amis se soient assemblez pour l'enterrement: car de laisser le corps en bas dans les cabanes il y pourroit par fois estre trop long-temps, ce qui les incommoderoit fort, & causeroit une autre plus mauvaise odeur que leur poisson puant. O bon Jesus, qui ne leur seroit pas plus en horreur & desdain qu'est à nous la putrefaction de ces vaines créatures du monde quand elles viennent à mourir, à aucunes desquelles j'ay assisté & n'y ay pas esté satisfait.

Estans vagabonds & sans aucune demeure permanente, ils ne peuvent avoir de cimetière commun & arresté comme les nations sedentaires, mais aux lieux plus commodes où ils se trouvent, ils font une fosse capable, laquelle estant faite ils mettent au fons 2 ou 3 bastons, puis le corps dessus qu'ils entourent de branches de sapin sans y mettre de terre, le couvrent d'une escorce, & par dessus cette escorce d'une quantité de busches qu'ils couppent de longueur plus grandes que la fosse, d'autres redoublent la fosse par tout de rameaux d'arbres, puis de peaux de bestes, & en suitte y mettent tout le meuble du deffunct, si c'est d'un homme, son arc, ses fleches, son espée, sa masse & quelque escuelle, petite chaudiere & un fuzil. Si c'est une femme, sa corde pour aller au bois, sa hache, quelque escuelle & ses petites ustencilles à travailler, tant à peindre leurs robes que leurs esguilles à coudre; puis tout cela est couvert d'escorces & de busches; quelquefois font tomber dessus plusieurs gros arbres en croix les uns sur les autres comme un bucher, crainte des bestes, & un autre debout pour signal, qu'ils peindent un peu de rouge par en haut.

Il y en a qui n'y en mettent point pour en oster la cognoissance aux estrangers & François desquels ils craignent plus l'avarice, que la gueule devorante des bestes féroces & carnassieres, tant ils sont religieux conservateurs, des biens & des os de leurs parens deffuncts, de maniere qu'on ne sçavoit en rien tant les offencer, qu'à fouiller dans leurs sepultures, comme ont quelquefois fait les François pour en tirer les castors, lesquels s'ils y eussent esté surpris par les Sauvages, ils en eussent suby la peine que meritoit leur avarice & impiété, & comme m'ont dit quelquefois les Hurons, il faudroit faire estat de subir une mort plus cruelle que pour avoir vollé les vivans, ou s'y pourroit assez assurer dans ce tesmoignage averé, qui si le feu s'estoit pris en leur village, & en leur cimetiere, ils accourroient premierement esteindre celuy du cimetiere, & puis celuy du village.

La fosse estant couverte (entre nos Canadiens) l'on faict un grand feu à l'un des bouts, où tous les assistans & gens de convoy s'approchent pour festiner & faire bonne chere, des meilleures viandes, soit chair ou poisson, que l'on a peu recouvrer. Ce festin est à tout manger, en deut-on crever à la peine, si l'on ne se rachepte. Les plus proches parens du deffunct ont soin (bien qu'en deuil) de faire cuire les viandes qui sont dans les chaudières, pendant que le Capitaine ou plus ancien de la compagnie faict les harangues, & oraisons funebres à la louange du trespassé, lesquelles finies l'on commence à vuider les marmites, sinon la femme ou le mary de la deffuncte & autres parens proches, qui demeurent en silence sans manger, jusques à une autre heure hors de compagnie, ils se peignent le visage de noir, qu'ils entretiennent, un an durant pour habit de deuil, puis en retournent chacun à sa cabane.

Ils font de la différence & distinction aux sepulchres des Capitaines, lesquels ils font en façon d'une Chappelle ardente: ils plantent des pieux à l'entour, redoublez d'escorces, sur lesquelles ils peignent quelque personnage dessus, il y en a à quelqu'uns dont on ne met point d'escorces, mais forces busches que l'on entasse les unes sur les autres; on dit aussi que à la mort de ces Capitaines ou personnes d'authorité, les parens & amis du deffunct, avec le reste du peuple, vont trois ou quatre fois l'an, chanter & dancer sur leur fosse, & que s'il y reste quelque chose du festin, il est jetté dedans le feu, au lieu qu'aux autres il faut tout manger; & en cela ils se conforment aucunement à l'ancienne coustume de plusieurs Chrestiens, qui souloient banqueter sur les sepultures, interpretant l'escriture qui dit: met ton pain & ton vin sur la sepulture du trespassé.

A ce propos des sepultures de Capitaines, il me souvient avoir veu un petit Islet au milieu d'un grand lac au païs des Algoumequins, couvert d'un fort haut bucher avec une grosse piece de bois dressée debout par dessus, je le contemplay & l'admiray un fort long-temps avec opinion que ce devoit estre la sepulture d'un des plus grands de leur nation, puisque le bucher en estoit si haut, qu'il estoit le travail de beaucoup d'hommes. Mes Sauvages ne m'en sceurent donner autre raison, aussi y avait il bien de l'apparence. Ce lac estoit si grand qu'il comprenoit plus de 50 Isles dans son enceinte, mais celuy du bucher estoit le plus petit de tous, car il ne contenoit simplement que le bucher.

En quelque nation, non seulement les Sauvages ont accoustumé de se peindre le visage de noir à la mort de leurs parens & amis, qui est un signe de deuil: mais aussi le visage du deffunct, & enjolivent son corps de matachias, plumes & autres bagatelles, & s'il est mort en guerre le Capitaine fait une harangue comme une oraison funebre devant le corps, où assistent tous ses parens & amis, lesquels il incite & exhorte de prendre promptement vengeance d'une telle meschanceté, & que sans delay on aille faire la guerre à leurs ennemis, afin qu'un si grand mal ne demeure point impuny, & qu'une autre fois on n'aye plus la hardiesse de leur venir courir sus.

Les Attiouindarons font des resurrections des morts, principalement des grands Capitaines & personnes signalées en valeur & merite, à ce que la mémoire des hommes illustres revive en quelque façon en autruy, par exemples de vertus semblables que doit donner celuy que l'assemblée subroge.

Or l'election se faist par les gens du conseil de la personne qu'ils croyent plus approcher en corpulence, aage, & valeur, de celuy qu'ils veulent ressusciter. Aprés quoy il se levent tout debouts excepté celuy qui doit estre ressuscité, auquel ils imposent le nom du deffunct, & baissans doucement la main jusque bien bas, feignent le relever de terre, voulans dire par là qu'ils tirent du tombeau ce grand personnage deffunct, & le remettent en vie en la personne de cet autre qui se leve debout, lequel (apres les grandes acclamations du peuple) reçoit les presents qu'on luy fait, & les complimens desquels il est honoré, puis festinent en sa consideration avec allegresse pour l'avoir retiré du tombeau; voyla comme les personnes bien meritées sont honorées chez les Gentils.

Il me reste à vous dire avant clore ce Chapitre, que si je n'ay point faict mention des Testamens, & dernieres volontez de nos Hurons, c'est pour n'estre pas en usage chez-eux ny necessaires, & que leur seule parole suffit sans autre escriture, car ils sont tellement bien unis, & si peu picquez d'avarice, que pour ce regard ils n'ont jamais de difficulté, mais ils ont ce malheur en eux de ne pardonner point à leurs ennemis en mourant comme font les bons Chrestiens, & en recommandent la vengeance à leurs enfans, comme David la punition à Semej, & comme les dernières paroles d'un pere sont celles que les enfans doivent inviolablement observer & garder en leur esprit, de là vient qu'ils ne pardonnent point aysement à quiconque a fait du desplaisir à leurs parens, plus portez en cela de mauvaise volonté que le bon Phocion General des Atheniens, lequel estant fait injustement mourir par ses concitoyens, quelqu'un des assistans luy ayant demandé s'il vouloit mander aucune chose à son fils Phocius: Ouy certes, dit-il, c'est qu'il ne cherche jamais à venger le tort que me font les Athéniens, ce qu'il dit non par un esprit de vanité, mais par devoir d'un homme de bien, & vrayement vertueux, il estoit d'ailleurs si attrempé, & d'un naturel si honneste qu'il se monstroit doux, gracieux, courtois, & humain à tout le monde, jusques à hanter privement avec ceux qui luy estoient adversaires, & les servir en leurs affaires s'ils venoient à tomber en quelque danger, & en quelque adversité, ce que je ne puis assez admirer, car nous voyons bien peu de Chrestiens avoir de semblables qualitez, sinon quelqu'uns, lesquels mourans laissent à leurs enfans un catalogue de bonnes instructions pour principal heritage, & souveraine richesse, laquelle la rouille ne peut endommager, ny les larrons l'emporter, mais qui est un prix si haut qu'elle nous peut eslever jusques à Dieu, le cognoistre, l'aymer, adorer, & jouyr de vous mesme, ô bon Jesus, qui est l'unique, & vray bien de tous les esleuz.

Mais pour ce que l'exemple des grands Princes est d'autant plus énergique & capable de nous esmouvoir, que leur condition a surpassé la nostre, je vous rapporteray icy les dernieres paroles du tres pieux Empereur Marc Aurelle à son fils Commode, son unique heritier à l'Empire, afin que si l'exemple des petits n'a eu assez de force sur vostre esprit; celle d'un grand Prince vous soit recommandable, & vous porte dans l'exercice de la vertu, autant courageusement qu'un autre grand Payen vous en donne l'exemple sans vous alléguer la vie de nos Saincts, & la parole de Dieu mesme qui nous enjoint la charité, la concorde & la paix avec nostre prochain. O Dieu que c'est une grande vertu du Ciel que de pardonner & faire bien à son ennemy, il ny a jeusne, austerité, ny aumosne qui luy soit comparable.

Ce bon Prince se tournant à son fils, apres une longue exhortation à la vertu, luy dit. Pour cette dernière heure, mon fils, je t'ay gardé le meilleur, le plus noble, & plus riche joyau que j'aye possedé en ma vie: & proteste aux Dieux immortels, que si ainsi comme ils me commandent mourir, ils me donnoient congé & licence de lire en la sepulture, je le commanderois enterrer avec moy. Tu sçauras, mon fils, qu'en l'an dixiesme de mon Empire, s'esleva une forte guerre contre les Parthes indomptez, où par malheur advint qu'il fut necessaire y aller en propre personne pour leur donner la bataille: laquelle gaignée, & toutes leurs terres, m'en revins par l'ancienne Thebes d'Egypte pour voir si je trouverois aucune antiquité de celles du temps passé. En la maison d'un Prestre Egyptien, trouvay une petite table que l'on pendoit à la porte de la maison de Roy, le jour que l'on le couronnoit Roy: & me dit ce pauvre Prestre, ce qui estoit en cette table avoit esté escrit par un Roy d'Egypte appellé Ptolomée Arsacide.

Je prie aux Dieux immortels, mon fils, que telles soyent tes oeuvres, comme les paroles de ce tableau le requierent. Comme Empereur je te laisse heritier de plusieurs Royaumes, & comme pere je te donne cette table de conseils que je te prie tousjours garder, & tenir en ta mémoire & entendement pour les mettre en pratique. Sois doncque cette cy ma dernière parole. C'est avec l'Empire que tu seras craint par tout le monde, mais avec les conseils de cette table tu seras aymé de tous, & vivras en homme de bien & Prince equitable.

Ce propos achevé, & la table baillée, l'Empereur tourna les yeux & perdit le sentiment, & par l'espace d'un quart-d'heure fut en tel travail, & de là à bien peu rendit l'esprit.

En icelle table, estoient certaines lettres Grecques, quasi par maniere de vers heroiques, qui veulent dire en nostre vulgaire:

Jamais je n'eslevay le riche tyran, ny hay le pauvre juste.

Jamais n'ay nié la justice au pauvre, pour estre pauvre, ny pardonné au riche pour estre riche.

Jamais je n'ay fait aucun don pour une seule affection, ny donné chastiment pour une seule passion.

Jamais je n'ay laissé le mal sans punition & chastiment, ny le bien fait sans remuneration & loyer.

Jamais n'ay commis le jugement de la justice evidente à un autre, ny determiné l'obscure par moy seul.

Jamais je n'ay denié justice à celuy qui la me demandoit, ny misericorde à celuy qui la meritoit.

Jamais n'ay fait chastiment par ennuy quelconque, ny promis loyers estant joyeux & content.

Jamais n'ay esté nonchalant en la bonne prosperité & santé, ny desesperé en l'adversité.

Jamais n'ay fait mal ny chose deshonneste par malice, ny commis aucune vilenie par avarice.

Jamais n'ay favorisé les mutins, ny presté l'oreille aux flatteurs.

J'ay tousjours travaillé à estre aymé des bons, & jamais ne me suis soucié d'estre hay des mauvais.

Pour avoir favorisé les pauvres qui pouvoyent peu, j'ay esté favorisé des Dieux contre ceux qui pouvoient beaucoup.

De la grand'feste des morts, & comme tous les os des deffuncts sont mis ensemblement dans une grande fosse avec leurs plus beaux emmeublemens, & des richesses que les parens, & amis donnent pour leur servir en l'autre vie.

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