CHAPITRE XX.

CE grand Empereur Marc Aurelle, que pleust à Dieu qu'il eut esté Chrestien, il ne luy eut rien manqué digne d'un Prince egallement puissant, & vertueux. Discourant un jour avec son amy Pullion du soin que les anciens Romains avoient d'instruire leurs enfans dans la vertu & l'habitude des bonnes moeurs, dit de luy mesme ces parolles, dignes à la verité d'estre gravées & burinées sur le coeur de tous ceux qui ont à gouverner la jeunesse & les esprits encores tendres, dans la vertu.

Mon pere Anne Vere, fut en cas, autant digne de louange, comme je suis digne de reprehension, car moy estant jeune enfant, jamais ne me laissa dormir en lict, assoir en chaise, boire ny manger avec luy à sa table, & si n'osois hausser ny lever la teste ny les yeux pour le regarder en face, & pour ce souvent me disoit: Marc mon fils, j'ayme trop plus que tu sois vertueux & honneste Romain, que Philosophe superbe & dissolu, car celuy là est indigne de vivre & de paroistre entre les hommes qui n'ensuit la vertu, laquelle les Dieux mesmes recompensent dans le Ciel, & les hommes honorent sur la terre.

Puis poursuivant son discours disoit: anciennement les enfans des bons tettoient jusques à deux ans, jusqu'à quatre vivoient en leur appetit & volonté, lisoient jusques à six, & estudioient en Grammaire jusques à dix ans puis devoient prendre office ou mestier, selon qu'ils se sentoient appellés, ou destinés, ou s'adonner à l'estude, ou aller aux exercices de la guerre, de manière que parmy Rome ils n'avoient oisifs ny vagabons, veu mesmes, qu'ils avoient des Maistres & Precepteur vieils & tellement sages & prudents, que leur seule presence sans dire mot, estoit capable de les maintenir dans leur devoir & conserver dans la vertu.

J'ay estudié, dit ce bon Prince, en Grammaire avec un Maistre qui s'appelloit Euphermon, il avoit la teste toute blanche de vieillesse, il estoit fort moderé en parler, en discipline fort rigoureux, & en la vie tres-honneste, pour ce qu'en Rome y avoit une loy, que les Maistres des enfans fussent fort anciens, de maniere que si le disciple avoit l'aage de dix ans, le Maistre devoit passer cinquante. Et ce qui faict qu'à present on voit si peu d'enfans sages & modestes, c'est pour ce que les Maistres sont eux mesmes jeunes & sans vertu, & ont encore moins d'expérience; c'est pourquoy on ne doit trouver estrange si on ne leur obey pas tousjours en choses justes & licites, puis qu'en imprudens & peu experimentez, ils commandent souvent choses injustes, ou par une manière trop precipitée s'emportent au gré de leurs passions à la moindre mousche qui les picque, pensans par là se faire estimer bon conducteur de la discipline & du bon gouvernement, en mesme paralelle de ceux qui pour estre maintenus, tellement les choses qu'ils devroient corriger.

Car les commandemens justes & bien digerez, encore qu'il n'appartienne pas aux disciples de les examiner, font les coeurs doux, souples & débonnaires, comme au contraire, les commandemens injustes ou mal faicts, tournent & convertissent les hommes humbles & doux, en personnages durs & austeres, comme l'experience nous l'a faict voir maintefois, & dans les Religions les plus austeres mesmes, où la voye de la douceur est tousjours employée la premiere, puis la verge si elle ne suffit.

Il est vray, que nous voyons souvent des peres, estre la cause de la perte de leurs enfans & de la corruption de leurs moeurs, par les mauvaises habitudes qu'ils leur laissent prendre en leur bas aage. Car les uns font gloire de les nourrir dans les delicatesses & les délices, & leur souffrent de faire tout ce qu'ils veulent, comme s'ils estoient enchantez des merveilles imaginaires de leur esprit & de leur beauté, sans se mettre en peine de ce qui en arrivera, quand ils seront grands. Les autres tout au contraire les eslevent avec trop de rigueur, comme aux maisons des mécaniques, & ceux-cy les perdent encore, car comme par une excessive delicatesse, les forces du corps & de l'esprit s'affoiblissent, aussi par un chastiment trop rude, ils deviennent si hebetez qu'ils perdent souvent toute esperance d'apprendre, & sont en des apprehensions continuelles, qui les empechent de faire rien de viril, de maniere que pour les rendre tels qu'ils doivent estre, il n'est rien meilleur que de tenir un milieu, entre la douceur & la severité, afin qu'aux occasions ils soient tousjours discrets & sages, & apprennent sans timidité.

Or que ce milieu dans lequel consîste la vertu soit pratiquée par nos Sauvages envers leurs enfans, il y a apparence qu'ils n'y manquent pas en toutes choses, bien qu'ils leur souffrent les desobeissances, & de manquer au respect qu'ils doivent à leurs parens. J'en ay veu de bien sages, j'en ay veu de bien fols & temeraires, mais cela venoit de l'instinct & inclination de leur propre nature, à laquelle ils adherent, & non de l'instruction & conduite de leurs parens, lesquels les laissent vivre dans toute sorte de liberté, la bride sur le col & sans chastiment, comme ils ont esté eux mesmes eslevez sans correction, car les Sauvages n'en sçauroient souffrir à leurs enfans, & de vérité ils n'en méritent souvent pas tant que ceux d'icy, pour ce qu'ils ont moins de malices & moins d'instructions.

S'ils ne sçavent que c'est d'estre rudoyez & severement reprimendez, ils n'expérimentent non plus de delicatesses & sont eslevez fort autrement. De ses petites mignardises & caresses que les pères & mères traictent icy leurs enfans, on ne sçait que c'est aux Canadiens, car ils ayment d'une amitié plus cachée que descouverte, & plus virillement que sensuellement, & par ceste manière de gouvernement l'on peut juger comme j'ay des-ja dit, que nos Canadiens tiennent quelque chose du milieu en la conduicte de leurs enfans, & mesme nos Montagnais, lesquels ne font autre reprimende à leurs petits garçons quand ils crient, que de leur dire: & quoy ne veux tu pas te taire, je te dis que tu ne tueras point d'Ours, d'Eslans, ny de Castors, & si tu te tais tu en tueras. Et aux filles ils leur disent seulement: Chotéega maché, arreste-toy, ne crie pas & rien plus.

Leurs exercices ordinaires, particulierement des jeunes garçons, n'est pas de bien employer le temps, ny d'apprendre mestier car il n'y en a point entre nos Canadiens & Hurons, où chacun mesnage faict de luy mesme ce qui luy est convenable & necessaire, soit à coudre, à filer, faire des pots de terres & toute autre ouvrage & action de mestier qui leur faict besoin; mais nos jeunes Hurons s'exercent principallement à tirer de l'arc en quoy ils se rendent fort adroits, à darder la fleche, qu'ils font bondir & glisser droict superficiellerment par dessus le pavé, jouer avec des battons courbez qu'ils font couler par dessus la neige, & crosser une bale de bois léger; comme l'on faict par-deça. Apprendre à jetter la fourchette avec quoy ils herponnent le poisson entre les enfans des Quieunontateronons; & darder l'espée entre nos Montagnais, par le moyen d'un baston au bout duquel ils attachent une alaine, qu'ils eslancent contre un but, puis à beaucoup d'autres petits jeux & exercices de récréation, qui ne les empéchent pas de se retrouver à la cabane aux heures des repas, & lors qu'ils ont faim d'aller griller du bled.

Que si une mere prie son fils d'aller quérir de l'eau, du bois, ou faire quelque autre semblable service du mesnage, il luy respondra que c'est un ouvrage de fille & n'en faict rien: que si par fois nous obtenions d'eux de semblables services, c'estoit à condition qu'ils auroient tousjours entrée en nostre cabane, ou pour quelque espingles, plumes ou autre petite chose à se parer, dequoy ils estoient fort contans & nous aussi, pour ces petits & menus services que nous en recevions.

Il y en avoit pourtant de malicieux, qui se donnoient le plaisir de couper la corde qui soustenoit nostre porte en l'air, & puis estant tombée, nioient absolument que ce fussent eux, ou bien prenoient la fuite, car ils n'advouent jamais guere leur faute s'ils ne sont attrapez sur le fait ou que l'on ne leur convainque l'esprit par raisons. C'est une petite vanité qui n'est pas blasmable en eux, comme elle pourroit estre en des Chrestiens de vouloir estre estimé meilleur qu'on n'est, c'est neantmoins la perfection du jourd'huy, car qui voyons nous qui veuille souffrir le mespris qu'il merite, ou d'estre estimé pour tel qu'il est, personne, car le monde ne veut point de ces pratiques là, on la laisse pour les Cloistres, encores, y est elle souvent bien mal traictée & encores plus mal receue, par ceux qui en devroient monstrer l'exemple aux autres.

Il y en a qui veulent bien estre estimez pour tels qu'ils sont, non par vertu, mais par imprudence, & font voir eux mesmes à descouvert l'imperfection & malice de leur esprit, de laquelle ils veulent tirer gloire, mais gloire qui leur tournera à confusion devant Dieu.

De mesme que les petits garçons ont leur exercice particulier, & apprennent à tirer de l'arc les uns avec les autres, si-tost qu'ils commencent à marcher, on met aussi un petit baston entre les mains des petites fillettes, en mesme temps qu'elles commencent de se fortifier, pour les stiller & apprendre de bonne heure à piler le bled, qui est leur exercice plus rude, & estans grandelettes elles jouent aussi à divers petits jeux avec leurs compagnes, & parmy ces petits ebats on les dresse encore doucement à de petits & menus services du mesnage, & aussi quelquefois (chose deplorable) au mal qu'elles voyent commettre devant leurs yeux, qui faict qu'estans grandes elles ne valent rien pour la pluspart & sont pires (peu exceptées) que les garçons mesmes, se vantans souvent du mal, qui les devroit faire rougir & qu'elles n'ont pas commis pour se faire rechercher & admirer comme valeureuses desbauchées.

Les Montagnaites apprennent aussi ce qui est du mesnage, à faire les robes, les raquettes, les escuelles, ustencilles, vaisselles & autres petites jolivetez, peindre & faire des franges aux robes & nagent comme canars. Je loue nostre Seigneur, de ce que les Huronnes prenoient d'assez bonne part nos reprimandes, & qu'à la fin elles commencoient d'avoir de la retenue & quelque honte de leur dissolution, n'osans plus que fort rarement user de leurs impertinentes parolles en nostre presence, & admiroient en approuvant l'honnesteté que leur disions estre aux filles de par-deça, ce qui nous donnoit esperance d'un prochain amendement de vie, si les François qui estoient montez avec nous par une malice effrénée, ne leur eussent dit le contraire, diffamans & taxans meschamment l'honneur & la pudicité des femmes & filles de leur païs, pour pouvoir continuer avec plus de liberté leur vie infame & mauvaise, tellement que ceux qui nous devoient seconder & servir par bons exemples, à l'instruction & conversion de ce peuple, estoient ceux-là mesme qui nous empeschoient & destruisoient le bien que nous allions establissans. Il y en avoit neantmoins quelqu'uns de tres honnestes & discrets, lesquels s'ils faisoient du mal, il ne venoit pas à nostre cognoissance, & n'esclatoit point en publique.

Tous les peuples infidelles & barbares, ne sont point neantmoins tous tellement abrutis dans le mal & si plongé dans l'horreur du vice, qu'il ne s'y en trouve encore quelqu'uns, qui observent les Loix de l'honnesteté & plus rigoureusement que les Chrestiens mesmes, bien que les premiers n'ayent aucune Loy, qui leur deffende le mal, & les derniers ayent les deffences expresses du Createur de ne le commettre pas.

L'un de nos François nommé Grenole, ayant esté à la traicte du costé Nord, en une nation esloignée environ cent lieues des Hurons, tirant à la mine cuivre, nous dit à son retour y avoir veu plusieurs filles, ausquelles on avoit couppé le bout du nés selon la coustume du païs, pour avoir faict bresche à leur honneur, (bien opposite & contraire à celle de nos Hurons & Canadiens, qui leur permet toute liberté,) nous asseura de plus avoir veu ces Sauvages, faire quelque forme de prieres avant que prendre leur repas qui estoit un prejugé, qu'ils recognoissoient & adoroient vrayement quelque divinité, à laquelle ils rendoient aussi action de graces aprés leur repas. Ceste disposition nous fist concevoir un grand desir d'y aller, si Dieu par sa divine providence n'en eut autrement ordonné, me renvoyant pour affaires en Canada, & de là en France pour Paris.

De l'excellence, de l'escriture. Des principes que nous en donnions aux enfans Hurons, de leur langue & de celle des Canadiens.

Share on Twitter Share on Facebook