CHAPITRE XIX.

DOnner une bonne & vertueuse nourrice à l'enfant, est le fait d'une mere sage qui y doit avoir l'oeil, car de là depend en partie sa bonne inclination, pour ce qu'il tient ordinairement plus du naturel de celle qui l'a alaité, que de celuy qui la engendré, comme l'antiquité a tres-bien experimenté en Titus fils de Vespasian, & en plusieurs autres, lequel (ainsi qu'escrit Lampride) fut tout le temps de sa vie sujet à plusieurs maladies & infirmitez, à cause qu'il avoit esté baillé à nourrir à une nourrice sujete à maladie.

Mais le pis est qu'il demeure quelque impression & caractere aux ames de cette vicieuse nourriture, comme, le Grec escrit au second livre des Cesars, lors qu'il fait mention de Calligula quatriesme Empereur de Rome: les cruautez & infamies duquel n'estoient imputées à pere ny à mere: mais à la nourrice qui l'alaicta, laquelle outre qu'elle estoit cruelle & barbare d'elle mesme, encore frotoit elle quelquefois le bout de sa mamelle de sang, & le faisoit succer à l'enfant qu'elle allaitoit.

Si la nourrice est yvrongne, elle prepare l'enfant à convulsion & debilité, mesme le sera yvrongne, & comme on lit en la vie de l'Empereur Tibere, qui fut grand yvrongne, car ce que la nourrice qui l'alaitoit non seulement beuvoit excessivement, mais elle sevra l'enfant avec des souppes trempées à du vin.

Et voyla pourquoy le divin Platon entre les Grecs, & Lycurgue entre les Lacedemoniens ordonnerent & commanderent en toutes leurs loix, non seulement que toutes les femmes simples, mais les bourgeoises, Damoiselles, & de moyen estat, nourrissent leurs enfans, & celles qui estoient Princesses & délicates, au moins qu'elles nourrissent leurs enfans aisnez, à cause, comme j'ay dit, que l'enfant succe ordinairement l'humeur & l'inclination de la nourrice avec le laict de sa mammelle.

Joint que comme dit le mesme Platon en son troisiesme livre des Loix, que jamais les enfans ne sont autant aimez des meres, comme quand elles les nourrissent de leurs propres mammelles, & que les peres les tiennent entre leurs bras, ce qui est vray semblable pour ce que la première amour en toutes choses est la plus vraye amour.

Plutarque au livre du régime des Princes dit que Thomiste sixiesme Roy des Lacedemoniens, mourant laissa deux enfans desquels le second herita au Royaume, pour ce que la Reyne l'avoit nourry, & non le premier à cause qu'une nourrice l'avoit alaicté nourry & eslevé. Et de ce demeura la coustume en la pluspart des Royaumes d'Asie, que l'enfant qui ne seroit alaicté des mammelles de sa propre mere, n'heritast aux biens de son propre pere.

Mais sans aller chercher des coustumes plus au loin: les anciennes femmes d'Allemagne sont louées par Tacite, d'autant que, chacune nourrissoit ses enfans de ses propres mammelles, & n'eussent voulu qu'une autre qu'elles les eust alaitez, comme il se pratique encor de present en la pluspart des pays circonvoisins, qui se liberent par ce moyen là, entre les autres inconveniens susdits de recevoir un enfant pour un autre, ce qui est quelquefois arrivé.

De cette loy se peuvent liberer sans scrupule les femmes ausquelles la nature n'a point donné assez de forces pour pouvoir supporter, & le jour & la nuict les importunitez d'un enfant criard, car alors selon Dieu on peut avoir recours à une nourrice, non à la premiere venue, mais à une sage & vertueuse, comme firent jadis deux certaines Dames bourgeoises, qui toutes deux firent choix d'une mesme nourrice, à laquelle elles donnerent à nourrir en divers temps, l'une deux filles, & l'autre deux garçons, laquelle nourrice, fit aprés le mariage entre ses quatre nourrissons qui se marièrent tous en un mesme jour, & fus prié du festin, où je n'allay point pour ce qu'ils estoient Huguenots. Mais on peut inferer que le mariage de ces quatre estoit un mariage bien fait, car ayans esté nourris d'une mesme mammelle ils pouvoient avoir succé une mesme humeur, ou du moins qu'il s'estoit attaché en leur nature je ne sçay quoy de fort approchant à la sagesse & modestie de leur mere de laict.

Nos Sauvagesses sans autre Loy que celle que la nature leur donne, d'aymer, nourrir, & eslever leurs enfans, puisque les animaux mesmes les plus feroces ont soin de leurs petits, les allaictent de leurs propres mammelles, & n'ayans l'usage ny la commodité de la bouillie elles leur baillent des mesmes viandes desquelles elles usent, après les avoir bien maschées, & ainsi peu à peu les eslevent. Que si la mere meurt avant que l'enfant soit sevré, le pere, ou à son deffaut une autre personne, fait bouillir du bled d'Inde dans un pot de terre, puis en tire l'eau, laquelle il prend peu à peu dans sa bouche & la joignant à celle de l'enfant luy fait avaller cette eau, qui luy sert de laict & de boullie, je l'ay veu ainsi practiquer à plusieurs, & particulièrement envers le petit de nostre Sauvagesse baptisée, duquel le pere avoit un soin si patticulier qu'il ne le negligeoit en rien; luy faisoit avaller luy mesme de cette eau, ou bouillon.

De la mesme invention se servent aussi les Sauvagesses pour nourrir les petits chiens que les mères ne peuvent engraisser, ce que je trouvois fort salle & vilain, d'ainsi joindre à leur bouche le museau des petits chiens, qui ne sont pas souvent fort nets.

En quelque Province de nostre Inde occidentale, on n'emmaillotte point les enfans, peur de les rendre courbez ou contrefaicts par cet empressement, ce seroit neantmoins les mettre en un grandissime peril, n'estoit qu'on les couche dans des lits suspendus en l'air, comme font nos Canadiens, d'où ils ne peuvent tomber, ny sortir.

Mais nos Huronnes qui n'ont point l'usage du berceau, ny de ces lits suspendus, emmaillottent leurs petits enfans durant le jour dans des peaux sur une petite planchette de bois de cedre blanc, d'environ deux pieds de longueur ou peu plus, & un bon pied de largeur, où il y a à quelqu'uns un petit airest, ou aiz plié en demv rond attaché au dessous des pieds de l'enfant, qu'ils appuyent contre le plancher de la cabane, ou bien elles, les portent promener avec icelles derrière leur dos, avec un collier ou cordelette qui leur pend sur le front. Elles les portent aussi quelquefois nuds hors du maillot dans leur robbe ceinte, pendus à la mammelle, ou derrière leur dos, presque debouts, la teste en dehors, qui regarde des yeux d'un costé & d'autre par dessus les espaules de celle qui le porte.

Lors que l'enfant est emmaillotté sur la petite planchette, ordinairement enjolivée de matachias & çhappelets de pourceleine, ils luy laissent unu ouverture devant sa nature, par ou il fais son eau, & si c'est une fille, ils y adjoustent une fueille de bled d'Inde renversée, qui sert à apporter l'eau dehors sans que l'enfant soit gasté de ses eauës, ny salle de ce costé là, laquelle invention est pratiquée par les Turcs mesmes, mais plus commodement, car je n'ay veu un modelle. Ils font un pertuis au berceau au dessous du siege de l'enfant qui est descouvert, & appliquent un tuyau courbé à la nature, lequel passans entre les jambes de l'enfant respond à ce trou du berceau, sous lequel ils tiennent un petit pot qui reçoit les excremens l'urine, & par ce moyen rend les enfans toujours nets & mieux sentans que ceux d'icy, d'où je conclus que pour ce regard on devroit les imiter, particulierement les pauvres gens qui ont faute de linges, d'estoffes & d'habits.

Les Sauvagesses comme elles n'ont jamais eu l'usage du linge, ny la methode d'en faire, encor qu'elles ayent du chanvre assez, ont trouvé l'invention d'un duvet fort doux de certains roseaux, sur lesquels elles couchent leurs enfans fort mollement, & les nettoyenr du mesme duvet, ou avec de la poudre de bois sec & pourry & la nuict venue, elles les couchent souvens tout nuds, entre le pere, & la mere, ou dans le sain de la mere mesme, enveloppé de sa robe pour le tenir plus chaudement, & n'en arrive, que tres-rarement d'accident.

Les Canadiens, & presque tous les peuples errants, se servent encore d'une pareille planchette pour coucher leurs enfans qu'ils appuyent contre quelque arbre ou l'attachent aux branches, mais encores dans des peaux sans planchette, à la manière qu'on accommode ceux de deça dans des langes, & en cet estat les posent de leur long doucement dans une peau suspendue en l'air, attachée par les quatre coins aux bois de la cabane, comme font les lits de roseau des Mattelots sous le tillac des Navires, & s'ils veulent bercer l'enfant, ils n'ont qu'à donner un branle à cette peau suspendue, laquelle se berce d'elle mesme.

Les Cimbres avoient accoustumé de mettre leurs enfans nouveaux naiz parmy les neiges, pour les endurcir au mal, & nos Gaulois au contraire les delicatent le plus qu'ils peuvent, pour les rendre fluets & mal sains de sorte que s'ils sentent un peu de vent, de chaud ou de froid plus qu'à l'ordinaire, tout est perdu, voyla un enfant malade, il faut le Médecin, il luy faut ouvrir la veine, cette viande ne luy est pas propre, gardez vous du bruit, & pour petit qu'il soit, on fait de son estomach une boutique d'Apothicaire, & d'où vient cela, c'est qu'ils sont trop mignardez, & nais de parens fluets, car on ne voit point tant d'infirmitez aux enfans villageois non plus qu'à ceux de nos Barbares qui n'y apportent point tant de façon. Bon Dieu que d'abus & de sottise il y a, parmy de certaines maisons des grands, vous diriez proprement à les voir faire, & à les entendre qu'ils ont un autre pere qu'Adam, qu'ils ne sont point de la mesme nature des autres hommes, & qu'ils auront un Paradis à part, ouy & tel qu'ils l'auront fabriqué par leurs oeuvres.

Nos Sauvagesses imitans les Cimbres eslevent leurs enfans le moins délicatement qu'il leur est possible, & les laissent non seulement trotter & courir nuds à quatre pieds, par les cabanes, sans ayde ny conduite de personne; mais estans grandelets ils se veautrent, courent, & se roullent dans les neiges, & parmy les plus grandes ardeurs de l'Esté, sans en recevoir aucune incommodité, dequoy je m'estonnois fort, & de ce que mettant quelquefois un petit morceau de sucre dans la bouche des petits enfans ils me suivoient à quatre pieds comme petites bestioles, dans les plus grandes rigueurs de la saison. Et de là vient qu'ils s'endurcissent tellement au mal, & à la peine, qu'estans devenus grands, vieils & chenus, ils restent toujours forts & robustes, sans ressentir presque aucune indisposition, & mesmes les femmes enceintes sont tellement fortes, qu'elles s'accouchent souvent d'elles mesmes, comme elles m'ont dit, & n'en gardent point la cabane pour la pluspart. J'en ay veu arriver de la forest, chargées d'un gros faisseau de bois, qui accouchoient dés aussi tost qu'elles estoient arrivées, puis au mesme instant sus pieds, à leur ordinaire exercice.

Et pour ce que les enfans d'un tel mariage ne se peuvent asseurer légitimes, ils ont cette coustume entr'eux, aussi bien qu'en plusieurs autres endroits des Indes Occidentales, que les enfans ne succedent point aux biens de leur pere; mais ils en font successeurs & heritiers, les enfans de leurs propres soeurs, lesquels, ils sont asseurez estre de leur sang & parentage, & par ainsi les hommes sont hors du hasard d'avoir pour héritiers les enfans d'autruy bien qu'ils fussent de leurs propres femmes.

En suitte de cela il y en a qui pourroient douter que les peres eussent de l'amitié pour leurs enfans, n'estans point asseurez qu'ils fussent de leur faict, ou non, mais je vous asseure encor une fois, qu'ils les tiennent si cher, & en font tant d'estat qu'ils ne les voyent pas à demy, leur donnent toute la liberté qu'ils veulent, & ne les reprennent pour faute aucune, car de chastiment il ne s'en parle point, c'est pourquoy il ne faut pas s'estonner si estans grands ils se portent facillement au vice puis que dans les familles Chrestiennes, & Religieuses, où la correction, & le chastiment manque à la jeunesse, on n'y voit que desordre, qu'ambition & presomption d'esprit, avec plus d'excez de beaucoup que dans les familles Sauvages les plus Barbares, & esloignées de la cognoissance de Dieu.

Il faut que je m'explique & dise, (pour ne condamner les innocens avec les coupables) que s'il y a un grand nombre d'enfans Sauvages mal sages, & vicieux, & sans le respect deu à leurs parens, il y en a un autre grand nombre, qui sont mieux. Car, outre qu'ils n'ont pas tant de legeretez pueriles, comme beaucoup d'enfans de par deça, ils sont douez d'une petites gravité si jolie, & d'une modestie naturelle si honneste, que cela les rends extremement agreables & amiables, de sorte que je prenois un singulier plaisir de leur enseigner les lettres, & de les instruire en la Loy de Dieu, selon qu'ils en estoient capables, aussi en avions nous tousjours plusieurs dans nostre cabane, où nous leur donnions facile accez, aux heures qui ne nous estoient point incommodes, & non sans quelque difficulté aux mauvais garçons, pour les obliger à imiter les bons.

Nous en avions pratiqué cinq ou six de tres jolys, beaux, & d'un fort bon esprit pour les amener en France, avec le consentement de leurs peres & meres, mais quand il fut question de partir, cet amour si tendre des meres, & le réciproque des enfans envers elles, tira tant de larmes des yeux des uns & des autres, qu'en fin elles esteignirent cette première devotion, par un ouy dire qu'on fouettoit, qu'on pendoit, & qu'on faisoit mourir les hommes entre les François, sans discerner l'innocent du coupable, doctrine qui leur avoit esté donnée par le Huron Savoignon, laquelle nous empescha du tout d'en pouvoir amener aucun quelque, promesse que leur fissions d'un bon traictement, & de les ramener en leur pays dans dix huict ou vingt Lunes, qui sont un an & demy de temps, car il ne se pouvoit à moins.

De l'instruction de la jeunesse & des exercices ordinaires des enfans. De la dissolution des François. Et d'une certaine Nation ou l'on couppe le né des filles mal vivantes.

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