CHAPITRE XXII.

TOutes les Nations & peuples Indiens, & Sauvages que nous avons veus en nostre voyage, sont presque tous de couleur brune, olivatre ou bazanné (excepté les dents qu'ils ont merveilleusement blanches) non qu'ils naissent tels, mais cela vient de la nudité, de l'ardeur du Soleil qui leur donne à plomb sur le dos, & des diverses graisses, huyles, & peintures, desquelles ils se frottent & peignent souvent tout le corps, comme nous voyons en France à ceux qui se font appeller Egyptiens ou Bohemiens, lesquels changent leur couleur blanche en brune, & olivastre, par le moyen des huyles desquelles ils se frottent le corps pour sembler Egyptien, bien qu'ils soient François, & n'ayent ressenty aune chaleur que celle d'icy, ny habité autre climat que celuy de la France.

Cette couleur pourtant ne diminue en rien de leur beauté naturelle des traicts de leur visage, ny de la juste proportion de leurs corps, qui ne cedent en rien à ceux d'icy, car ils sont tous generalement bien formez & proportionnez sans difformité aucune, marchent, droit avec un maintien grave & modeste, sans estre aucunement courbé, bossu, vouté, boiteux, borgnes, ou aveugles, d'où vous voyez d'aussi beaux enfans, & des personnes d'aussi bonne grâce qu'il y en sçauroit avoir en France, entre lesquels je n'y ay jamais veu autre deffaut, qu'un Honqueronon borgne encor par accident, & un bon vieillard Huron, qui pour estre tombé du haut d'une cabane en bas s'estoit faict boiteux.

Ils sont de mesme grandeur & hauteur que par deçà, tous dispos, gays, & alaigres, jeunes & vieux, ne sont point valetudinaires comme la pluspart de nous autres, ny sujet à la goutte, comme beaucoup de personnes trop à leur ayse, il n'y a pas mesme de ces gros ventrus pleins d'humeurs & de graisses, que nous avons icy, car ils ne sont ny trop gras ny trop maigres, aussi n'ont ils pas trop dequoy s'engraisser, & c'est ce qui les maintient en santé, & exempts de beaucoup de maladies, ausquelles nous sommes sujets par trop faire bonne chere, car comme dit Aristote; il n'y a rien qui conserve mieux la santé de l'homme que la sobrieté, laquelle ils observent mieux que nos gens, sans soucy, & moins que nos avares, tenans le milieu entre les deux.

L'une des raisons principales pour laquelle nos Sauvages n'ont rien de difforme en leurs corps, vient de ce qu'ils ne sont point violentez ou contraincts, comme les mignons & muguettes de par deçà, par des habits trop estroicts qui forcent leur naturelle disposition, & la raison en est tres-bonne, d'autant que par cet empressement d'habits pour sembler linges & bien faites, les femmes qui en usent de la sorte sont pour la pluspart contrefaictes, bossues, voutées, & ridées, encore qu'il n'apparoisse point au dehors, lesquelles si elles estoient veues en cette difformité par les Sauvages, ils auroient dequoy rire & se mocquer de nous, eux qui n'ont accoustumé de voir les choses que dans le naturel non violenté.

Il faut advouer pourtant que ces affiquets mondains, ces gorges descouvertes, & ces estoffes ravissantes, quelque difformité qu'elles couvrent sont des pièges bien plus pesans, & desquels le Diable tire un bien plus grand advantage que de la nudité de nos Sauvagesses, qui porte je ne sçay quoy de desplaisant à la veuë de ceux qui sont tant soit peu chaste, car il n'y a que les mal sages qui s'y meslent.

Or laissons à part les difformitez qui viennent par accident, & disons qu'il est vray semblable que les femmes, entre les Chrestiens, engendrent plus de monstres, & d'enfans marquez & contrefaicts, que ne font les femmes Sauvagesses de nostre Canada, & me semble que cela arrrive plus ordinairement à celles qui font les mignardes, & delicates, & qui ont le loisir d'entretenir leurs pensées, qu'à celles qui ont moins de loisir, car n'ayans point d'occupations serieuses, il faut de necessité qu'elles donnent lieu à une partie de leurs folles imaginations & fantasies, ce que ne font point les villageoises, non plus que les femmes douées d'un esprit masle & resolu qui occupent le temps: J'en pourrois rapporter icy une infinité d'exemples, & des choses mesmes que j'ay veues de mes yeux, sî le sujet le meriroit, ou que la chose fut tirée en doute, mais comme le cas est assez commun, & que l'on voit en beaucoup de lieux des personnes ayans de ses marques sur leurs corps, ou au visage, qui une folle, qui une levre de lievre; une prune, une tache de vin, & je n'en diray pas davantage, sinon de vous asseurer que j'ay veu deux enfans jumeaux n'avoir qu'un dos, ou plustost avoir les deux dos collez ensembles, & les autres parties du corps parfaites en chacune d'elles.

Au mois d'Octobre dernier je vis à Paris au bout du pont neuf, un jeune garçon de Gennes, aagé de seize ans, en avoir un autre qui luy sortoit du milieu du ventre, à une cuisse prés, qui luy restoit dedans le corps, & n'en sembloit guere incommodé, sinon un peu à la pesanteur du fardeau qui luy pendoit. Au mesme mois d'Octobre dernier le 20, il nasquit à Londres capitale d'Angleterre, une fille monstrueuse ayant deux testes, & deux visages bien formez, quatre bras, deux cuisses, deux jambes, & deux pieds, avec une forme de queuë, & ayant esté ouverte aprés sa mort en la presence du Roy d'Angleterre, il luy fut trouvé deux coeurs. Ces deux ou trois exemples doivent suffire pour confirmation des choses que j'ay dictes, car ce ne seroit jamais fait, qui voudroit s'amuser à discourir des misères dont la nature est souvent vitiée par nos pechez, ou ceux de nos parens, desquels les enfans portant souvent la peine, ou en leur esprit, ou en leurs membres. Je les puniray jusques à la troisiesme, & quatriesme generation, dit Dieu aux sainctes lettres.

Les jeunes femmes, & filles sont grandement curieuses d'huyler leurs cheveux, & de se peindre & parer le corps avec divers petits fatras, pour sembler belles aux assemblées, & aux dances, où elles paroissent tousjours avec tous leurs atours. Si elles ont des matachias & pourceleines elles ne les oublient point, non plus que les rassades, patinotres, & autres bagatelles que les François leur traictent, & desquelles elles font estat, comme nous de l'or & des pierreries.

Leurs vignols & pourceleines sont diversement enfilées, les unes en colliers larges de trois ou quatre doigts, comme une sangle de cheval qui en auroit ses fisselles toutes enfilées & accommodées, & ces colliers ont environ trois pieds & demy de tour ou plus, qu'elles mettent en quantité à leur col, selon leur moyen & richesse, puis d'autres enfilées comme nos chaînes & chapelets de divers longueurs pour pendre de mesme à leur col, & aussi à leurs oreilles. Elles en font encores d'autres de vignol gros comme noix, assez mal arondis (à cause de leur dureté) qu'elles attachent sur les deux hanches, & viennent par devant arrangées de haut en bas par dessus leurs cuisses & brayers. Il y en a de celles qui portent encores des brasselets de pourceleine aux bras, & de grandes plaques accommodées de mesme par devant leur estomach, & d'autres par derrière en rond & en quarré comme une carde à carder la laine, attachées à leurs tresses de cheveux: quelqu'unes d'entr'elles ont aussi des chaînes, ceintures & des brasselets faits de poil de porc epic, taints en rouge cramoisy & fort proprement tissues, les uns larges comme une sangle, & les autres comme une grosse gance, & cette teinture est si vive, & tient de telle sorte qu'elle fait honte à l'escarlate.

Pour les jeunes hommes ils ont la mesme curiosité de s'embellir & farder comme les filles. Ils huylent leurs cheveux, & y appliquent des plumes & du duvet fort joliement, & au lieu de collet de fine toille, ils se font des petites fraizes du mesme duvet, qu'ils mettent autour de leur col, fort proprement arrangez. Il y en a qui pour braverie, portent de grandes peaux de serpens sur le front en guyse de fronteaux, qui leur pendent par derrière une grande aulne de Paris de chacun costé.

Ils se peindent aussi le corps & la face de diverses couleurs, de vert, de jaune, de noir, rouge, & violet qui sont leurs couleurs les plus communes. Vous leur voyez quelquefois la face toute bigarée, de rouge, de de vert, quelquefois ils n'en peignent qu'un costé, depuis le sommet de la teste jusques au col, il y en a de si industrieux qu'ils se figurent toute la face, & le corps devant & derriere, de passements tirez au naturel, & des compartimens avec diverses figures d'animaux assez bien faites pour des personnes, qui n'ont pas appris l'art de la peinture.

Mais ce que je trouvois de plus estrange, & d'une folie plus eminente, estoit de ceux qui pour estre estimez courageux, & redoutables à leurs ennemys, prenoient un os d'oyseau où de poisson qu'ils affiloient comme rasoirs, avec lesquels ils se gravoient & figuroient le corps, mais à diverses reprises, comme l'on faict icy une paire d'armes avec le burin. En quoy ils monstroient un courage, & patience admirable au delà du commun des hommes, non qu'ils ne ressentissent bien le mal, car ils ne sont pas insensibles, mais pour les voir immobiles & muets en un si furieux chatouillement, puis on essuyoit le sang qui leur decouloit de ces incisions, lesquelles ils frottoient incontinent aprés avec quelque couleur noire en poudre, qui s'insinuoit dedans les cicatrices, si que les figures qu'ils ont gravées leur demeurent sur le corps pour tousjours, sans que jamais on les puisse effacer, non plus que les marques qu'ont au bras les Pelerins qui reviennent de Hierusalem.

Tous n'en veulent pas neantmoins souffrir la peine, aussi n'en sont ils pas tous accommodez, mais les Sauvages qui s'y plaisent d'avantage sont les petuneux, lesquels ont pour la pluspart, le corps ainsi figuré, ce qui les rends effroyables & hideux, à ceux qui n'ont pas accoustumé de voir de tels masques, car ils me sembloient à moy mesme en les regardans l'image de quelque Demon avec lesquels je ne me trouvois pas trop asseuré au commencement, & guere plus à la fin.

Il y a des femmes, & filles, mais peu qui souffrent ces incisions, dont, j'en ay veu quelqu'unes qui estoient figurées jusques par dessus les yeux & tout cela pour sembler autant valeureuses que belles, & redoutables. J'ay veu des Sauvages d'une certaine Nation; avoir tous le milieu des narrines percées, ausquelles pendoient des patinotres bleues assez grosses, qui leur battoient la levre d'enhaut, attachées à des petites cordelettes ou filets.

Et comme ils ne portent rien sur leur corps que pour ornement, ou pour se deffendre du froid, nos Sauvages croyoient au commencement que nous portassions nos Chapelets à la ceinture pour embellissement, comme ils font leurs pourceleines, mais en comparaison ils en faisoient fort peu d'estat, disans: qu'ils n'estoient que de bois, & que leur pourceleine qu'ils appellent Onocoirota estoit de grande valeur, pour la petite teste de mort qui y estoit attachée, beaucoup la croyoient avoir esté d'un enfant vivant, mais je les ostay incontinent de cette pensée, & la volonté aux femmes de vouloir emprunter nostre manteau, & nostre capuce, pour aller en festin, & voir les nouvelles mariées, car elles m'en importunoient fort, & se fussent carrées avec cela comme fort parées & gentilles.

Pour nos sandales ou femelles de bois, je leur permetrois bien à tous d'y mettre le pied, & les esprouver, mais à condition de me les rapporter incontinent peur de les perdre. Ils me disoient prou, Auiel Saracogna, Gabriel fais moy des souliers, car ils appelloient nos sandales souliers, mais je n'estois pas en lieu pour leur en pouvoir faire, & d'y mettre la main eux mesmes, outre qu'ils sont trop paresseux d'apprendre, ils n'avoient pas les outils propres, non plus que moy, qui me servois d'un seul meschant petit outil pour les miennes, & au lieu de cloux (car il ne s'en trouve pas dans le pays) nous nous servions de cordelettes passées par des petits trous pour attacher nos cuirs.

Comme les Sauvages accommodent leur chevelure. De la barbe & de l'opinion qu'ils ont qu'elle amoindrit l'esprit. Comme sainct François n'en a point porté. Des Pygmées & d'une fille velue & ayant barbe.

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