CHAPITRE XXIII.

TOus les esprits des hommes ne vivent pas dans un mesme sentiment, ny dans une mesme pensée, car chacun à ses opinions particulières, d'où viennent nos difficultez, & les diverses disputes entre les hommes, mais le Sage cede tousjours à la raison, & le fol à son opinion, pour ce que l'opiniatreté ne vient que d'ignorance.

Sainct Augustin a dit parlant de la barbe de l'homme, qu'elle est une marque de force & de courage, & nos Sauvages tout, au contraire, tiennent avec le reste des peuples Americains qu'elle amoindrit, l'esprit, & rend la personne difforme & espouventable, comme je vous feray voir par quelques petits traicts familiers que j'ay appris & veus dans le pays.

Par ces opinions, ils ont la barbe & le poil tellement en horreur qu'ils n'en peuvent souffrir un seul petit brin aillieurs qu'à la teste, se l'arrachent & en ostent mesme la cause productive, de manière qu'on ne peut presque discerner le visage d'un homme d'avec celui d'une femme, & pensans faire injure à nos François desquels ils avoient assez mauvaise opinion à cause de leur barbe, ils les appelloient sascoinronte, qui est à dire barbu, tu es un barbu, & par ce moyen les obligeoient pour avoir paix, de se razer & se conformer aucunement à eux n leur poil & chevelure; comme ils l'estoient desjà aux habits & en la nudité pour la netteté.

Et non seulement ils avoient une si mauvaise opinion de la barbe & des barbus, mais ils nous vouloient mesme persuader d'arracher la nostre quoy que fort courte, & nous disoient que nous en serions de beaucoup plus beaux & aggreables en nostre conversation. Il arriva un jour qu'un Sauvage des plus laids d'entre les petuneux, voyant parler un de nos François avec sa grande barbe & ses moustaches mal relevées, plein d'estonnement & d'admiration se tournant à ses compagnons leur dit: voyez ce sale barbu, ce laid homme, est il possible; qu'aucune femme le voulut envisager de bon oeil, c'est un ours, & luy mesme estoit un vray masque; c'est pourquoy il avoit fort bonne grace de mespriser ce barbu & de l'appeller ours, luy qui estoit laid par despit.

Il arriva une histoire aussi plaisante au truchement des Ebicerinys nommé Jean Richer, lors qu'ils luy voulurent faire croire qu'il commencoit d'avoir de l'esprit. Il y avoit deux ans & plus, qu'il estoit dans leur païs & vivoit avec eux assez doucement en apprenant leur langue pour d'icelle servir les François à la traicte. A la vérité il y avoit assez bien profité & s'en servoit fort à propos & mesme d'un peu de la Huronne qu'il sçavoit passablement. Or ces Saunages, après luy avoir faict quelques reproches d'avoir quitté le mauvais païs de la France, pour venir habiter le leur beaucoup plus beau & meilleur, luy dirent; & bien, jusque à present tu as presque vescu en beste sans cognoissance & sans esprit, mais maintenant que tu commence à bien parler nostre langue, si tu n'avois point de barbe, tu aurois presque autant d'esprit qu'une telle nation, luy en nommant une qu'ils estimoient avoir beaucoup moins d'esprit qu'eux, & les François avoir encor moins d'esprit que cette nation là, tellement qu'il eut fallu à leur compte que ce truchement eut encor estudié pour le moins deux ou trois ans leur langue & n'avoir point du tout de barbe, pour y estre estimé homme d'esprit & de jugement; & voyla l'estime qu'il font de nos gens, par une seconde raison, du peu de vertu & de modestie qu'ils voyent en ceux qu'on envoye de delà, ausquels ils ne se fient que de bonne sorte, & pour le moindre suject leur disent l'injure ordinaire Téondion ou Tescaondion, c'est à dire tu n'as point d'esprit Atache, mal basty.

A nous autres Religieux, quelques mal advisez nous en disoient autant au commencement; mais à la fin ils nous eurent en meilleure estime, & nous disoient au contraire: Cachia atindion, vous avez grandement d'esprit: houandate daustan tchondion, & les Hurons n'en ont point; vous estes gens qui cognoissez les choses d'enhaut & surnaturelles & qui pouvez sçavoir les choses les plus cachées & secrettes, ce qu'ils disoient à cause de nos escritures, & que nous, leur enseignions des choses qu'ils avoient ignorées jusques alors, & n'avoient point ceste bonne opinion des autres François, ausquels ils preferoient la sagesse de leurs enfans, pour ce qu'ils ne leur disoient que des sotttizes.

Que si ces peuples Americains, qui sont presque la moitié de toute la terre habitable, ne portent point de barbe, il n'y a dequoy s'esmerveiller, puisque les anciens Romains mesmes, estimans que cela leur servoit d'empeschement, n'en ont point porté jusques à l'Empereur Adrien & selon quelque Autheur, jusques à François Marquis de Mantouë (qui mourut l'an 1519, père de Federic 5 qui fut crée Duc de Mantoue par Charles quint) fut le premier de tous les Princes d'Italie, qui nourrit tousjours une longue barbe. Ce qu'ils reputoient tellement à honneur, qu'un homme accusé de quelque crime n'avoit point ce privilege de faire razer son poil, comme se peut recueillir par le tesmoignage d'Aulus Gellius, parlant de Scipion, fils de Paul, & par les anciennes medailles des Romains & Gaulois, que nous voyons encores à present en plusieurs lieux.

C'est ce qui faict que beaucoup se sont autrefois estonnés & avec raison de ce que S. François (Italien de nation) estoit peint avec un peu de barbe, car ny Prestre, ny Moyne ny Religieux, ny mesme aucun Lay, nourrissoit sa barbe de ce temps là. Qui a faict penser ou que c'est une licence de peintre, ou que S. François fut portraict lors qu'il alloit ou revenoit d'Orient, comme nous lisons de S. Dominique, à cause que les Latins & Occidentaux, faisans le Voyage d'outre mer, entretenoient leur barbe longue, comme font encore de present nos Religieux, pour se conformer à la coustume du païs, auquel la barbe rare estoit honteuse, & appelloient les hommes de deçà eunuques, chastrés & effeminés, comme se lit dans les histoires de la guerre Saincte. Il ne faut donc point penser que S. François portast ordinairement barbe longue, cela estant tres-severement deffendu & puny par les saincts Canons. Je laisseray ce qui est de plus commun sur ceste matiere, me contentant d'un jugement de Gregoire 7 qui seoit l'an 1170. Lib. 8. Reg. Epist. 10 à Orsoc Gouverneur de Calaris Capitale du Royaume de Sardaigne. Nous ne voulons point que vostre prudence trouve mauvais de ce que nous avons contrainct Jacques vostre Archevesque de razer sa barbe, car telle est la coustume de la saincte Eglise Romaine pratiquée dés sa naissance, que tout le Clergé de l'Eglise Occidentale raze sa barbe, &c. Et ne faut point penser que sainct François eut voulu contrevenir au commandement de l'Eglise par quelque singularité ou vanité. De nostre memoire les souveraines Cours de Parlement, ont prononcé des Arrests tres-rigoureux contre toute sorte de personnes, qui ne razoient point leurs barbes, d'où reste encores le proverbe, Barba raza, respondebit curia.

Nos François qui ne demandoient qu'à rire & plaisanter, avoient fait entendre aux Huronnes, que les femmes de France avoient de la barbe, & leur avoient encore persuadé tout plain d'autres choses, que par honnesteté je n'escris point icy, de sorte qu'elles estoient fort desireuses d'en voir; mais les Hurons qui me ramenèrent en Canada, ayans veu Madamoiselle Champlain & y esté asseuré qu'elle estoit femme, ils furent destrompez, & recognurent qu'en effect on leur en avoit donné à garder.

De ces particularitez on peut inferer que nos Sauvages ne sont point velus, comme quelques uns pourroient penser. Cela appartient aux habitans des Isles Gorgades, d'où le Capitaine Hanno Cartaginois, rapporta deux peaux de femmes toutes velues, lesquelles il mit au temple de Juno par grande singularité, & ay ouy dire à une personne digne de foy, d'en avoir veu une toute pareille à Paris, qu'on y avoit apportée par grande rareté, & à une autre d'avoir veu une fille vivante toute couverte de poil comme une beste en une ville de France dont j'ay oublié le nom: mais bien davantage un de nos Religieux m'a asseuré d'avoir veu deux Sauvages en l'armée des Espagnols pendant la ligue, tellement velus du pied jusques à la teste, qu'on ne leur voyoit que e blanc des yeux. Ce sont des merveilles de la nature, qui ont donné l'opinion, à plusieurs que tous les Sauvages estoient velus, bien qu'ils le soient moins naturellement que les personnes de nostre Europe, entre lesquelles il s'en voit quantité qui ont l'estomach tout couvert de poils, ce que je n'ay point veu en aucun Sauvage.

Au mois d'Octobre de l'an 1633, je vis à Paris une fille du païs de Saxe, aagée d'environ quatre ans & demy, laquelle avoit une barbe blonde, fine presque comme soye, longue & large en arondissant comme celle d'un homme de 35 à 40 ans, & ce qui estoit encor fort admirable, il luy sortoit du dedans des deux oreilles deux grandes moustaches longues presque d'un pied, & au dessus des reins une autre plus courte, qui sembloit une queuë, qui fit penser à plusieurs qu'il y eut quelque chose du Satyre en cette fille; mais ils se trompoient, car hors-mis sa longue barbe & qu'elle estoit velue par tout le corps d'un poil blond semblable à celuy de la barbe, elle estoit fort aggreable tant en la disposition du corps, qu'en la gentillesse de son esprit, autant honneste, que jovialle & plaisante.

Si quelqu'un entroit dans la chambre pour la voir, en se promenant sur la table qui luy servoit de theatre, elle baisoit doucement sa main, leur presentoit & les saluoit de fort bonne grace en disant: bon jour mon pere, soyez le bien venu Monsieur, (car on luy avoit appris quelque petits mots François qu'elle prononçoit fort gentiment.) Lors que d'abord je la vy pour la première fois, il me sembloit voir en elles un vieillard du païs des pygmées, qu'on dit n'avoir qu'une coudée de hauteur au rapport de plusieurs historiens, car celle-cy n'en avoit guère davantage.

Or puis que j'ay icy entamé le discours des Pigmées, il semble que par bien-seance je sois comme obligé d'en dire ce que j'ay appris de divers Autheurs approuvez, pour aucunement satisfaire ceux qui sont encor en doute, sçavoir s'il y en a, ou non, car le nombre des Escrivains, qui ont escrit de ces Nains est si celebre & leurs raisons si probables, qu'elles persuadent un chacun à les croire. Or entre un tel nombre il me semble que le tesmoignage d'un S. Augustin nous doit suffire, sans parler de celuy des Autheurs prophanes & plus anciens, comme d'Aristote, voicy ces parolles. Les Grues (dit-il) viennent des campaignes Scythiques jusques aux paluds de l'Egypte superieure, d'où sort le Nil, auquel lieu l'on dit qu'elles font la guerre aux Pygmées.

Mela, parle aussi de ceste sorte de gens en ces termes Les Pygmées sont une certaine espece de genre humain, qui ont guerres contre les Grues pour les bleds semez, Pline encore faict souvent mention d'eux, car il dit, qu'ils ont habité en Scythie & en la ville de Geranie, & près de Thebaide, & au païs de Prasie, & lieux montaigneux, & après il escrit qu'ils habitent joignant les Palus d'où le Nil prend sa source, & voicy ce qu'il en dit encores. Aux confins d'Indie, qui sont les plus esloignez, & auprès du fleuve Ganges, & en l'extremité des montaignes, demeurent les Pygmées. Aule Gelle, en parle encore comme faict aussi Isidore, & chacun des Escrivains, les faict de la hauteur d'une coudée. Elian de mesme, disant que la nation des Pygmées a accoustumé d'avoir des Rois, & lors que les Rois leur vindrent à deffaillir, ils eurent une Reine, qu'ils appellerent Geraune, c'est à dire Grue en leur langue.

Ceux qui ont couru de nostre siecle toute la terre par leurs navigations, ont aussi rendu tesmoignage des Pygmées, qu'ils ont descouverts, car Anthoine Pigasera les découvrit entre les Moluques en l'Isle Arucheto, & outre il dit qu'ils habitent encores entre les mesmes Moluques en l'Isle Caphieos, Paul Joue confirme son dire asseurant qu'ils sont outre les Lapons grand babillards, tousjours en crainte & presque semblables aux Singes. Nous avons encores ce qu'en dit Oderic, qu'il vit des Pygmées aux Indes de la grandeur de trois paumes de la main, lesquels engendrent en l'aage de cinq ans, il dit en outre qu'il y en a de la mesme stature en l'Indie Orientale, non loin de Quinsay joignant Chile. Albert le Grand adjouste cecy: ces Pygmées que nous disons habiter prés du Nil, combattent perpetuellement contre les Grues, engendrent en l'aage de trois ans, & meurent à huict. J'ay leu dans quelque Autheur dont il ne me souvient pas du nom, d'un petit animal qui naist au matin, vieillit au midy, & meurt au soir.

Par ce moyen l'on doit adjouster foy à tant d'Autheurs celebres, qui traictent de ces Pygmées, lesquels font leur demeure en la Plage Australe, Orientale, & Aquilonaire: mais plus en l'Occidentale.

Auparavant que j'en eusse leu de si asseurez tesmoignages, je me doutois fort de la verité de la chose, & qu'il s'y trouvast des nations d'Hommes si petits, mais à present cela m'est assez facile à croire, veu mesme qu'entre les Europeans, il s'y engendre quelquefois de petits Nains que les Princes, entretiennent & nourrissent par admiration. Voicy ce que dit Nicephore d'un certain tout semblable aux Pygmées fort prudent & fort sage qui nasquit en Egypte sous l'Empire de Theodose, d'une si petite stature qu'elle est incroyable, car il estoit si petit, qu'il sembloit une perdrix: & c'estoit aussi un plaisant spectacle de le voir converser en la compagnie des hommes, & de le voir debattre, & gausser parmy eux. En fin cecy est admirable, qu'il estoit capable de prudence, aussi bien qu'un homme parfaict, & pourquoy ne le seroient pas de mesme les Pygmées, où la contrée & le climat, sinon la race, n'engendre que des Nains; Un homme petit peut avoir la mesme sagesse d'un geant, fut il de ceux desquels la S. Escriture faict souvent mention de leur forme, car au livre des Nombres il est dit que le reste des hommes sembloient sauterelles au respect d'eux. Et au mesme livre il est faict mention d'un Géant mémorable nommé Og, qui tirant son origine des Geants qui se servoit d'un lict de fer, lequel avoit neuf coudées en longueur, & quatre en largeur, ce que redit aussi Theodoret, & neantmoins personne n'oseroit soustenir que ce Géant, non plus que le Goliat, eut plus d'esprit que le petit David.

Mais voicy bien un autre prodige. Il me souvient qu'estant petit garçon, on m'envoyoit fort soigneusement à l'escole où nous avions entre nous autres petits escoliers de fort plaisans & serieux entretiens, car comme chacun apprenoit quelque chose à la maison, de son père ou en quelque bonne compagnie où la curiosité nous portoit, (car souvent la jeunesse, sans qu'on s'en donne de garde observe ce que les grands discourent) nous faisions nostre profit de tout & rapportions tous nos petits contes en nostre conseil-d'estat, composé de quatre où cinq petits garçons de nostre humeur, car la compagnie de tous ne nous agreoit pas, principallement des juristes, menteurs ou desbauchez.

Or vous pouvez croire que quoy que nous parlassions assez serieusement & non point en enfans de sept à huict ans, que nous occupions beaucoup de temps (aprés nos, leçons estudiée) à discourir des fables & des Romans, desquels les serviteurs nous entretenoient les soirs avant de nous coucher, mais sur tout nous entrions dans l'admiration, sur la pensée des jugemens de Dieu, qui nous venoit par la contemplation d'un grand jugement dépeint contre la muraille d'une Chappelle, duquel nous faisions reflexion sur les Infidelles & Sauvages, desquels j'appelle petits Maistres, certains escoliers sages, qui nous faisoient répéter, nos leçons, avant d'aller devant le grand Maistre.

Or ces Sauvages, qu'on nous faisoit perdus avec tous les mauvais Chrestiens, nous faisoient bien quelque compassion, mais les contes & le récit de leur forme & figure nous faisoient douter qu'ils fussent hommes comme nous, car on nous les figuroit generalement tous velus, comme beaucoup sont encore dans cette erreur là; non seulement les hommes sans lettres, mais plusieurs qui se croyent sages. On nous parloit aussi de cette sorte de gens que nous appellons Pygmées, desquels je viens de traicter, mais bien particulierement d'une autre espece du genre humain qui estoient sans testes ayans, les yeux & la bouche dans l'estomach, & d'autres qui n'avoient qu'un oeil posé sur le milieu du front, mais ceux qui nous sembloient les plus heureux & accommodez, estoient ceux qu'on nous disoit avoir l'un de leur pieds large comme un grand van à vaner, duquel ils se servoient pour se couvrir en temps de pluyes, qui par ce moyen en estoient garantis.

Depuis que j'ay esté grand je me suis ris de tous ces contes & croyances enfantines, & n'y ay adjousté de foy jusque à present, qu'en lisant j'ay trouvé que nous avions quelque raison, & que parmy nos fables il s'y trouvoit quelque verité, ou bien les Autheurs nous trompent aussi bien que nos petits Maistres. Strabon s'est mocqué autrefois de Megasthenes, par ce qu'il avoit escrit, qu'il y avoit des hommes differents de testes, de bouche, d'oreilles, de plante de pieds, & de tout le corps: toutesfois il est convaincu aysement par le nombre & authorité de ceux qui ont escrit de ces choses; mais afin de commencer par la teste, Mela nous escrit que les Blemiens n'en ont point, & que toutes les parties de leur visage sont en la poitrine, Solin nous apprend le mesme. On trouve (dit il) des hommes qui n'ont point de testes, & qui ont les yeux aux espaules, & auparavant ceux-cy, d'autres en escrit le mesme, qu'Aule Gelle récite.

Pline asseure le mesme en termes exprés & bien souvent disant: qu'ils n'ont point de teste ayant la bouche & les yeux en leur poictrine; & en autre part il dit que prés des Troglodites, il y en a qui n'en ont points ayant les yeux sur les espaules.

Il n'y a personne qui nous force à ceste croyance: neantmoins combien que S. Augustin die que nous ne sommes pas astraints de le croire, toutesfois il semble qu'il infere qu'il n'est pas impossible que cela soit, puisque mesmes au Sermon trente & septiesme qu'il addresse aux frères Hermites, il tesmoigne les avoir luy mesme veus, en ces termes: J'estois des-ja Evesque d'Hippone (dit il) lorsqu'accompagnez de certains serviteurs de Jesus-Christ, je m'en allay en Ethiopie, pour y prescher l'Evangile, où tous vismes plusieurs hommes, & plusieurs femmes, qui n'avoient point de testes, mais bien des yeux gros fichez en la poictrine; le reste de leurs membres estoient semblable aux nostres.

Reprenons nostre petite fille velue que je vis à Paris; car quelqu'un pourroit douter si elle estoit hermofrodite, ou artificiellement barbue & velue. Non, je dis qu'elle n'estoit point hermofrodite & n'avoit aucun artifice en son faict, car pour en oster l'opinion, on ne faisoit aucune difficulté de la faire voir à nud devant tout le monde, & puis son jeune aage demonstroit assez la merveille, & que naturellement elle estoit sortie du ventre de sa mere velue, comme un autre Esau.

D'où vient donc ce poil & cette barbe en un aage si tendre & extraordinaire je n'en sçaurois donner autre raison sinon, que cela peut venir de l'imagination & fantasie de la mere au temps de la conception, & que j'ay veu de mesme la fille d'une honneste damoiselle de la ville de Paris ressembler au pourtrait d'une Vierge devant laquelle elle souloit faire tous les jours ses prieres. Mais ce que j'ay trouvé de plus admirable est qu'un de nos amis ayant adverty sa femme, que s'il luy prenoit en fantasie de manger quelque chose qu'elle ne pût avoir, qu'elle ne portast point sa main en son visage, ains en quelque partie cachée, ce qu'elle fit, & en un mesme endroict son enfant fut marqué, comme elle nous a asseuré elle mesme, ce que je dis par charité & pour advertissement aux femmes de se resouvenir de cet advis remarquable, car toutes ne le sçavent, point, autrement on ne verroit pas tant de difformité au visage que plusieurs portent comme les indices de la foiblesse de leur mere. Les exemples en cette matiere ne sont que trop frequentes, il suffit qu'on se souvienne des moyens dont Jacob uza chez son beau pere Laban, pour avoir des Agneau tachetez, & que la femme sans son vouloir peut marquer en son fruict, quelque chose de son object ou de son imagination au temps de la conception.

Lycurgus souloit dire que les cheveux rendent ceux qui sont beaux, encores plus beaux, & ceux qui sont laids encores plus laids & espouventables à voir; c'est la perruque qui donnoit lustre à la rare beauté d'Absolon, comme les moustaches voltigeantes de nos Sauvagesses de l'Isle, aux traicts de leur visage assez bien faicts, si leur ame plus noble, n'estoit souillée par le peché & la corruption des moeurs vitiées; parmy toutes lesquelles non plus qu'entre les homme, il ne s'y voit aucune rousse ny blonde de cheveux, mais les ont tous noirs (excepté quelques unes qui les ont chastaignez) lesquels elles accommodent & ajancent diversement selon les nations, car entre toutes il y a de la differance aysée à cognoistre.

Les Canadiens & Montagnais tant hommes que femmes, portent tous longue chevelure qui leur bat sur les espaules & à costé des joues sans estre nouez ny attacchez & n'en couppent qu'un bien peu du devant, qui restent courts sur le front, comme les gaisettes des femmes mondaines, à cause que cela leur empescheroit la veuë en courant.

Les femmes & filles Algoumequines, my partissent leur longue chevelure en trois, les deux parts leur pendent de costé & d'autre sur les oreilles & à costé des joués, & l'autre partie est accommodée par derrière en tresse, en la forme d'un marteau pendant couché sur le dos, de la longueur d environ cinq quarts de pied. Mais les Huronnes & petuneuses ne font de tous leurs cheveux qu'une tresse accommodée de mesme celle des Algoumequines qui leur bat sur le dos, liez & agencez avec des lanières de peaux d'Eslans ou d autres animaux qu'ils ont à commoditez.

Pour les hommes ils portent deux grandes moustaches pendantes à costé des joues, & quelqu'uns n'en portent qu'une qu'ils tressent & cordellent quelquefois avec des plumes & i autres bagatelles qu'ils y entremeslent, le reste des cheveux est couppé court ou bien en compartimens & en telle autre manière qu'il leur plaist, estimant à beauté que le dessous de la couronné soit raz & couppé de prés, & mesme aux petits garçons le reste des cheveux, excepté les moustaches, à cause des petits vermiseaux.

Depuis nostre arrivée, plusieurs femmes prenoient plaisir de faire des tonsures & couronnes clericales à leurs enfans, pour les rendre semblables à nous, à ce qu'elles disoient, & les garçons mesmes s'en glorifioient en nous les monstrans; je pensé les en reprendre, mais je me retins comme n'y ayans point de mal en ceste imitation; au contraire un tesrnoignage d'amitié & d'estime. Il n'y a pas jusques à des vieillards mesmes qui en ont voulu porter, aucuns desquels estoient tellement curieux de parures, bien qu'ils eussent des-ja par maniere de dire, un pied dans la fosse, qu'ils se faisoient coupper les cheveux par petits compartimens & y accommoder des plumes & du duvet, comme les petits enfans.

Pour les cheveux ou poils levez des nations que nous avons au Su, ils entretiennent tous leurs cheveux sur le front fort droits & relevez, plus que n'estoient ceux que nos Damoiselles portoient anciennement, ils sont couppez de mesme, allans tousjours en diminuans & racourcissans de dessus le front jusques derriere de la teste.

De l'humeur, vertu, & inclination naturelle des Sauvages en general & de quelques exemples propres à ce sujet.

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