CHAPITRE XXIV.

Toutes les oeuvres de Dieu sont admirables & telles qu'on n'y peut que changer ny desirer, de sorte qu'il nous, suffit de dire Dieu les a faictes, mais entre celles qui nous sont visibles, & que nous pouvons contempler des yeux du corps, je trouve que le visage de l'homme n'est point assez admiré. Il y a prés se six mil ans que le monde est creé & neantmoins entre tant de personnes que la femme à enfanté & que du depuis le Paradis, & l'Enfer ont partagez, deux ne se sont pas de tout point trouvez semblables.

Or de mesme que le visage de l'homme est divers, l'esprit, l'humeur, & le naturel en est différent, car si l'un est joyeux, l'autre est triste, si l'un a un bon entendement, l'autre en a peu ou point du tour; & personne néantmoins ne veut advouer son imperfection, car souvent les plus fols veulent estre estimez les plus sages, & les plus opiniatres prudents, mais prudence de beste.

Dans la face de l'homme comme, dans un miroir on juge souvent des pensées de l'esprit, mais l'action, & non le semblant nous faict cognoistre pour tels que nous sommes. Il y a diverses joyes comme il y a diverses sources d'où elles procedent, mais la meilleure de toutes est celle qui vient de la bonne conscience, comme la fausse & batarde, des plaisirs du sens & de la bonne opinion de soy-mesme.

Difficilement voit on jamais un esprit triste & chagrin acquerir le degré de perfection; mais seulement celuy qui a vraye compunction en son coeur, car l'esprit de Dieu ne se plaist qu'en un esprit doux et humble, & non point simulé ny arrogant.

Il ny a rien de plus aysé à conduire qu'une personne humble & de bon entendement, mais à contrepoil, il n'y a rien de plus difficile à diriger qu'un petit esprit, sombre, & qui comme une beste brutte ne suit que l'instinct de sa propre nature, pour laquelle il fait par tout choix de ce qui la peut davantage accommoder, sans vouloir entendre raison ny faire cas des remonstrances, insensible qu'il est aux affronts & à la honte, & cette humeur grossiere, rustique & incivile, est neantmoins aucunefois prise pour vertu & bonté par ceux qui ne sçavent discerner le naturel stupide & bas, d'avec la vraye vertu & sincerité de ceux qui ont tout un autre soin que de leur ventre.

Les climats ont neantmoins pour l'ordinaire un grand pouvoir sur nos humeurs, car autant qu'il y en a au monde, autant y voit on de sortes de moeurs, & de disparitez d'esprits, l'air estant divers en chaque climats. Ainsi voyons nous que les habitans de Suisses sont autres que ceux de l'Italie, & que l'air Septentrionnal estant froid & grossier, fait ordinairement les hommes moins polis & tardifs, où l'air meridionnal chaud & subtil, les subtilise, & les rend d'un esprit relevé & gentil quand au general, mais descendant au particulier, il y a des sages, & des moins advisez par tout.

Tous nos Sauvages, soit que cela vienne en partie du climat, ou autrement, ont l'esprit assez bon & capable de concevoir, & d'apprendre tout ce qu'on leur voudroit enseigner, & ne se conduisent que par la raison, à laquelle ils cedent facilement, & non à la passion, car, la violence n'a point de crédit chez eux. Je n'entends pas neantmoins les relever au dessus des esprits cultivez & civilisez, car je ne fais estat que de leur naturel simplement, comme gens qui ont esté de tout temps Payens, Barbares, & cruels à ceux qui les offencent.

En tant de Nations que nous avons veuës, toutes différentes en quelque chose l'une de l'autre soit pour le gouvernement, l'entretien, ou pour se vestir & accommoder de leurs parures, chacune Nation se croyant la plus sage & mieux advisée de toutes, car la voye du fol est tousjours droite devant ses yeux, dit le Sage. Et pour dire ce qu'il me semble de quelqu'uns, & lesquels sont les plus heureux, ou miserables: je tiens les Hurons, & autres peuples sedentaires, comme la noblesse du pays; car ils ont le port & le maintien vrayement noble n'ont autre exercice que la chasse, & la guerre, travaillent peu & ont tousjours dequoy vivre.

Les Algoumequins doivent tenir rang de bourgeois entre tous, entant qu'ils trafiquent fort, & comme de bons marchands entreprennent des voyages de longs cours, ils ont bien encore l'exercice de la chasse, & de la pesche, mais il faut qu'ils s'employent serieusement s'ils veulent disner, car leurs voyages, & leurs chasses ne leur en donnent pas toujours à suffisance, il faut donc qu'ils travaillent à la terre comme ils ont ja commencé, non par tout, mais en quelques endroits, & à la fin ils serons consolez & reduits à leur ayse.

Pour les Montagnais, Canadiens & autres peuples errants, nous les mettons au rang des villageois & du petit peuple, car ils sont en effet, les plus pauvres, miserables & necessiteux de tous, sont tres-peu en nombre, & comme gredins & vagabons, courent les champs & les forests à petites trouppes, pour trouver à manger, n'ont point de provisions, ny de lieu arresté, & meurent de faim pour la pluspart du temps, à cause qu'ils ne cultivent point les terres, & que comme nos gueux, s'ils ont dequoy un jour ils se donnent au coeur joye, pour mourir de faim l'autre.

Tous en general sont privez de la cognoissance du vray Dieu, travaillent pour le corps seul, & non pour se salut, & c'est en quoy ils sont principalement digne de compassion: car en vain travaille l'homme, s'il ne peine pour le Paradis. Sont tous d'un humeur assez joyeuse & contente, toutefois un peu Saturniens, serieux & graves, ennemis de legereté, comme de l'humeur noire & mélancolique, par une maxime qu'ils ont que la legereté d'esprit est le vray simbole de folie & d'inconstance, & que sous l'humeur triste & mélancolique est ordinairement la malice & desloyauté cachée, nous en avons l'exemple en la vie de Saul, l'esprit duquel estoit gouverné par le Diable au temps qu'il estoit sombre. Et c'estoit la raison pour laquelle un François n'osoit se promener seul à l'escart, ou dans le village, comme les hommes pensifs font quelquefois, pour ce qu'ils soupconnent dés aussitost qu'ils machinoient quelque trahison, ou pensoient à quelque malice contre eux.

Ne sçachant pas encore au commencement que je m'associay avec eux, qu'elle estoit l'humeur qui leur agreoit davantage, car comme dit l'Apostre, il se faut faire tout à tous pour les gaigner tous, la prudence m'obligea de leur faire voir plusieurs faces, & divers changemens d'humeurs & trouvay que celle qui portoit la douceur en la bouche, le contentement au coeur, & un maintien humblement grave & modeste, estoit celle de laquelle ils faisoient principalement estat.

Cesar se trouvant un jour en la compagnie de ses amis, où il se resjouissoit honnestement & franchement, d'avanture y arriva quelque bon compagnon, deliberé & joyeux, mais grand, gros & gras par despit: lors quelqu'un dit à Cesar, parlez plus bas, & vous gardez de cet homme qu'il ne juge mal de vous, & n'en murmure; Cesar dit alors doucement en riant: il ne faut point craindre ces gens là, mais gens maigres & tristes: & par signe il monstroit Brutus, & Cassius, hommes pleins de malices & cautelles.

Sans flatter le dé, nos Hurons ont quelque chose de louable par dessus nous, & s'ils estoient Chrestiens seroient meilleurs Chrestiens que nous, car ils possedent des vertus morales qui les font admirer, & suspendre à plusieurs leur condemnation, & non celle des Heretiques qui ont refusé la grace, Moyse & les Prophetes, & les Sauvages non.

Ils sont si attrempez & retenus que lors que vous leur parlez, ils vous escoutent, & vous donnent tout le temps que vous desirez, sans vous interrompre, ny parler que vous n'ayez finy, ils parlent fort posement, commme se voulans bien faire entendre, & s'arrestent aussi tost en songeans une grande espace de temps, peur de se mesprendre, ou qu'on n'aye bien conceu leur dire, puis reprennent leur parole. Cette modestie est cause qu'ils appellent nos François femmes, & les Montagnais oyes babillardes, lors que trop precipitez & bouillans en leurs actions, ils parlent tous à la fois, & s'interrompent l'un l'autre comme femmes, ce qui n'est que trop ordinaire, estant tres-veritable ce que disoit Salomon l'Hebrieu, que le Sage à la langue dans le coeur: mais que celuy qui est fol & furieux a son coeur en sa langue.

Ils craignent le deshonneur & le reproche qu'ils evitent autant qu'ils peuvent, & sont excitez à bien faire par l'honneur & la louange, d'autant qu'entr'eux est toujours honoré, & s'acquiert du renom, celuy qui a fait quelque bel exploit, ou exercé quelque acte de vertu heroïque.

Un coeur bien assis, & une ame bien logée, est tousjours liberale & pleine de charité, donne librement & gayement de ce qui est à son pouvoir, ne laisse point languir le souffreteux, assiste les indigens, & ne veut avoir de biens que pour en faire part aux pauvres: au contraire des avares & mesquins, qui ne veulent que pour eux mesmes, suent de detresse quand il leur faut faire du bien, & sont tousjours dans les plaintes, ô mon Dieu cela se voit mesmes dans les maisons des plus riches eslevez de la fortune, où rarement on trouve de la charité.

Les Sauvages selon leur pauvreté, sont louables en cette vertu, laquelle ils exercent indifferemment envers, tous ceux qui ne leur sont point ennemis, car ils se visitent les uns les autres, ils se font des presents mutuels & ne refusent jamais rien au pauvre; ny au malade qui leur demandent, s'ils ont moyen de leur satisfaire & subvenir, & ce qui en est un evident tesmoignage est comme j'ay dit ailleurs qu'ils n'ont aucuns pauvres mendiants parmy eux, & envoyent de leurs biens jusques dans la maison des necessiteux malades, vefves & orphelins, sans leur en faire jamais de reproches, n'y aux passans lesquels ils logent librement, aussi long temps qu'ils veulent, & ne leur en demandent aucune recompense, & si nous leur donnions quelquefois un petit present pour ce regard, cela venoit de nostre mouvement, & non de leur importunité.

Et pour monstrer leur galantise, ils ne marchandent point volontiers, & se contentent de ce qu'on leur baille honnestement & raisonnablement, blasmans les façons de faire de nos marchands, qui barguignent une heure pour un castor, c'est pourquoy ils se rient d'eux quand ils les ont trompez, & ne se fachent point quand ils y sont attrapez.

Si dans un grand nombre il se trouve quelque particulier Sauvage avare, & qui refuse d'ayder au necessiteux, ayant moyen de luy bien faire, il en est fort blâmé, mais il ne s'y en voit aucun de si impitoyable & cruel, que le riche bourgeois de Paris, duquel un homme digne de foy m'a eu parlé sans me le nommer, car je n'ay pas desiré sçavoir le nom d'un si vilain barbare, lequel ayant des rentes à milliers vivoit dans un si grand espargne & si echarsement, que peur de donner un sol à un pauvre il serroit luy mesme son bois & n'avoit autre service que celuy qu'il se rendoit. Mais le principal traict de sa villenie, fut que sa soeur luy ayant demandé quelques confitures pour remettre deux pauvres malades en appétit, il luy respondit (Arabe qu'il estoit) qu'ils mangeassent du pain bis & que l'appetit leur reviendroit, voyla une rudesse & barbarie que je n'ay point veu aux barbares mesmes & qui peut estre accomparée à celle du mauvais riche.

La clemence & mansuetude, est une vertu propre & naturelle des vrays Princes, sans laquelle ils sont tyrans & non Princes, pour ce que Dieu ne les a establis que pour la conservation & le soulagement de leurs peuples, & non pour les opprimer & destruire. L'Empereur Trajan a esté grandement loué par Helie Spartain, d'autant qu'estant à cheval pour aller à la guerre, mist pied en terre, seulement pour ouyr la plainte que luy faisoit une pauvre femme. Nos Sauvages l'ont bien envers tous ceux qui ont recours à eux pourveu qu'ils ne leur soient point ennemis, mais en souverain degré envers les malades, & personnes affligées. Ils usent aussi d'une manière de clemence à l'endroit des femmes & petits enfans de leurs ennemis qu'ils prennent en guerre, ausquels ils sauvent ordinairement la vie bien qu'ils demeurent leurs prisonniers pour servir, mais c'est avec la mesme condition des libres, & par ainsi ils sont comme en leurs propres, maisons, sinon qu'ils ne voyent pont leurs parens, ausquels ils ont fort peu d'attache.

Socrates estant un jour en sa maison, luy furent presentez des choux d'un sien amy Philosophe, qu'il receut de fort bonne grace, honorant le donneur au don, mais sa femme poussée d'envie & précipitée de sa colere maligne, les luy arracha des mains & les foulla aus pieds, sans que le bon Socrates luy dit autre chose sinon: ma femme, en me privant de ma part des choux tu t'es privée de la tienne, & puis se teut pendant que sa femme fulminant de rage de ne l'avoir pû colerer, luy jetta de la chambre haute un plein pot d'eau sur la teste comme il pensoit sortir, mais pour cela sa patience ne fust point esbranlée, car eslevant les yeux en haut vers la chambre, il dit seulement: je sçavois bien qu'aprés la tempeste viendroit la pluye, & puis passa outre son chemin.

La patience est une belle vertu & si elle n'est pas tousjours vertu, il n'y a qu'à la bien prendre qu'elle nous acquiert du merite. Le grand contemplatif Taulere parlant de luy mesme, disoit: je ne suis non plus humble que je suis patient, ny patient que je suis humble, aussi est il vray que celuy qui est humble est necessairement patient, & ne se colere que pour la justice, faschez vous & ne m'offencez point, dit l'Escriture. La patience de nos Sauvages, est tres admirable & edificative en toutes sortes d'occasions, de maladies, de peines ou de travail, pas un mot pour se plaindre, pas un mouvement d'impatience, tout est calme chez eux, & ne s'y entend aucun murmure non à la maniere de certains Philosophes anciens, qui souffroient bien l'injure exterieurement & interieurement en recherchoient l'honneur, mais pour le seul respect de la vertu.

Mettant l'humilité à part, je dis derechef que leur patience surpasse de beaucoup la notre, & qu'ils ont un pouvoir fort absolu sur leurs passions naturelles qu'ils maistrisent & dominent puissamment, comme on peut remarquer en leur çonversation & dans des occasions, qui feroient suer les plus hardis & Constans d'entre nous, car toute leur plus grande impatience gist en un petit souris avec un petit ho, ho, ho; mais il ne s'en faut point estonner ny perdre courage en nos infirmitez, puisqu'ils n'ont point de demons qui les provoque en d'autre mal, qu'à se maintenir dans l'infidelité, comme les heretiques, dans leur heresie, suffit au diable qu'on soit à luy.

Les Sauvages qui me semblent les plus honnestes & mieux appris de toute ceste grande estendue du Canada, sont à mon advis, ceux de la contrée de Miskou, car pour si peu que je les aye conversé; je recognu facilement qu'ils tenoient quelque chose de poly, mais entre tous, le Sauvage du bon Pere Sebastien Recollect Aquitanois, qui mourut de faim avec plusieurs barbares, vers un lieu appellé de sainct Jean, pendant un hyver que nous demeurions aux Hurons, environ quatre cens, lieuës de luy, lequel ne sentoit nullement son Sauvage en ses moeurs & façons de faire, ains son homme sage, grave, doux, & bien appris, n'approuvant nullement la legereté & inconstance qu'il voyoit en plusieurs de nos hommes, lesquels il reprenoit doucement en son licence & sa retenue, aussi estoit il un des principaux Capitaines & Chefs du païs.

Des vices & imperfections des sauvages & comme ils ont recours aux Magiciens pour recouvrer les choses perdues.

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