CHAPITRE XXVI.

AUx vieillards se trouve la sagesse, dit le Sage. Pline en une Epistre qu'il escrit à Fabate, rapporte que Pyrrhe Roy des Epiotes demanda à un Philosophe qu'il menoit avec luy, quelle estoit la meilleure cité du monde. Le Philosophe luy respondit, la meilleure cité du monde c'est Maserde, Sire, un lieu de deux cens feus en Achaye. Le Roy estonné de cette response luy en demanda la raison, & en quoy il recognoissoit tant d'excellence, & de prerogative en ce petit lieu, pour ce (dit le philosophe) que tous les murs de la ville sont battis de pierres noires, & tous ceux qui la gouvernent ont les testes blanches. Le Roy admirant sa responce conforme à tout ce qu'en a jamais tenu la sage antiquité, se teut & demeura satisfaict, çar il est tellement important & necessaire en tout estat, que les vieillards & hommes prudents en ayent la conduite & le gouvernement, que sans cet ordre on n'en peut esperer qu'un notable detriment, & en fin la ruyne totale.

Les siecles passez nous en fournissent une infinité d'exemples, & l'Escriture Saincte d'une signalée, advenue au commencement du regne de Roboam, fils de Salomon, lequel pour avoir suivy le conseil des jeunes, comme jeune qu'il estoit, autant d'esprit que d'années, perdit en un moment dix lignées qui se revolterent contre luy.

C'est pourquoy les anciens Romains, se sont rendus sages des fautes d'autruy, & prirent cette coustume des Lacedemoniens, & d'autres nations, entre lesquels il y avoit une loy imposée aux jeunes, d'honorer les anciens, & que les honorables vieillards, & non les autres, pouvoient avoir la charge de judicature, & le gouvernement de la Republique.

Nous lisons en l'Histoire que le R. P. Frere Alphonse de Benani des mineur Recollects a fait de la conversion du nouveau Royaume de Mexique, que le peuple appelle Moqui, voulant establir parmy eux un bon Capitaine, ils s'assemblerent tous au marché, & là ils garottent & lient tout nud à un pilier, celuy lequel ils pensent estre propre, & puis tous le fouettent avec des chardons, ou des espines picquantes, cela estant fait, ils l'entretiennent par des plaisantes farces, & des joyeuses faceties: & s'il se monstre Stoiquement insensible à tout, sans pleurer ny faire des laides mines ou grimaces pour l'un, & sans aucunement rire ou se resjouyr pour l'autre; alors ils le confirment, & asseurent pour preux & vaillant Capitaine, lequel avec les anciens s'assemblent lors qu'il est expedient, pour conférer & discerner des choses necessaires & convenables, lesquelles estant vuidées & determinées, le grand Capitaine sort luy mesme pour les declarer & publier au peuple, sans s'en attendre à personne.

Si entre nous en l'élection des juges, Chefs, & Superieurs, on faisoit de semblables espreuves je m'asseure qu'il n'y auroit pas tant de brigues à la poursuitte des charges que la seule vertu emporteroit le prix, Ô mon Dieu, nous ne sommes pas dans un siecle assez bon, car l'insolence & l'ambition de la jeunesse a prevalu par dessus la pieté des anciens, desquels ils font litière, & les tiennent en mespris, c'est à ceux là à qui le grand fainct Gregoire adresse ces paroles pour leur faire ressouvenir qu'estans hommes & fautifs comme les autres, ils ne doivent pas perdre le don d'humilité, & la prudence qui les doit regler, & apprendre la conduite de leurs sujets.

Les Superieurs, dit-il, ne doivent pas regarder à la puissance de leur dignité, ains l'e galler de la condition humaine qu'ils ont envers leurs sujets. Ils ne se doivent point réjouyr de se voir Supérieurs des hommes, trop bien de leur estre profitable, mais il advient souvent que celuy qui gouverne, s'oublie en son coeur à cause de sa preeminence, & voyant que tout passe par son commandement, & qu'il est promptement obey, & que tous les sujets louent le bien qu'il fait, & ne contredisent point le mal, (tant s'en faut, ils louent souvent ce qu'ils devroient blasmer) seduit par les choses qui luy sont inferieures, le coeur s'enfle par dessus soy, & se voyant appuyé par dehors de la faveur & applaudissement populaire, il demeure vuide de vertu, & s'oublie soy-mesme, prestant l'aureille aux flateries, & croit que cela est ainsi comme il l'entend par dehors, & non comme il est au dedans reellement & veritablement: c'est la cause pourquoy il mesprise ses inférieurs, & ne se souvient pas qu'ils luy sont egaux en la nature, & juge que sa vie vaut mieux que la leur, d'autant qu'il les surpasse eu puissance, & par ce qu'il peut le plus, il presume de sçavoir plus qu'eux tous.

Nos Capitaines Sauvages ont bien quelque espece de vanité semblable, mais elle est cachée au dedans, & ne l'osent faire paroistre au dehors peur de confusion. Ils ne font non plus de ces espreuves des Moqui, lors qu'ils admettent ou eslisent les Capitaines, & Chefs de leur Republique, mais ils ont ce soin qu'ils paroissent vertueux & vaillans, & qu'ils soient plustost vieux que de moyen aage, & n'en admettent jamais aucun jeune d'aage, dans leur conseil, ny pour la police, ny pour la guerre, qui ne soit vieil de l'esprit, & desquels, on ne puise esperer un bon conseil, une bonne conduite, & de bons effets, car comme disoit le Roy Cyrus, il n'appartient à nul de commander, s'il n'est meilleur que ceux à qui il commande.

Ils viennent ordinairement par succession ainsi que la Royauté par deça, ce qui s'entend si le fils d'un Capitaine ensuit la vertu du pere; car autrement ils font comme aux vieux siecles, lors que premièrement ces peuples esleurent des Roys; mais ces Capitaines n'ont point entr'eux autorité absolue, bien qu'on leur ait quelque respect & conduisent le peuple plustost par prières, exhortations & remontrances, qu'ils sçavent dextrement & rhetoriquement ajancer, que par rigueur de commandement, c'est pourquoy ils s'y exercent, & y apprennent leurs enfans, car qui harangue le mieux est le mieux obey.

La multitude des Loix dans un estat, n'est pas tousjours le meilleur, ny lors que delaissans les anciennes, on en fait souvent de nouvelles, c'est à dire que ee corps est bien malade, & prest de donner du né en terre. Lactence Firmian dit que la Republique des Sicioniens dura plus que celle des Grecs, & la cause fut pour ce qu'en sept cens & quarante ans, ils n'instituerent onques aucuns Edits nouveaux, & n'outrepasserent aucune de leurs Loix.

Nos Hurons ont bien peu de maximes, & si à mon advis, ils n'en eurent jamais d'avantage, sont tousjours dans leurs premieres & y peuvent perseverer jusques à la fin des siecles, si le Christianisme opposé à leurs tenebres n'a entrée chez eux, & en tel cas, il leur faudra changer de vie, de Loix, de maximes, qui sont pour la pluspart autant Sauvages que brutale & impertinentes.

1. Pour premiere maxime, ils tiennent de ne pardonner jamais, ny faire grace à aucun de leurs ennemis, que par de grands presens.

2. De desrober qui pourra, aux François, ou estrangers, pourveu qu'on n'y soit point apprehendé, autrement on vous fairoit trouver en homme de peu d'esprit.

3. Conviennent qu'il est loisible à un chacun de voir les filles & les femmes d'autruy indifferemment, sans violence toutefois, & au cas pareils les femmes, & filles, aller aux hommes, & garçons, sans pouvoir encourir blasme ou notte d'infamie.

4. Qu'on doit assister les malades, & ne souffrir de mandians, n'y aucun en disette sans luy faire part de ses biens.

5. De recevoir courtoisement les passans qui ne leur sont point ennemis, & de se rendre l'hospitalité reciproque.

6. D'avoir un grand soin des os des deffuncts, & de faire des presens pour le soulagement des ames en l'autre vie.

7. De n'entreprendre aucun voyage de long cours, sans en advertir les Chefs, & Capitaines, pour ne laisser les bourgs desgarnis de gens de guerre.

8. Qu'on puisse rompre un mariage quand les mariez ont rompu d'amitié, & que l'un des deux le desire ou procure.

9. Que personne ne s'impatiente ou fasche pour chose qui arrive, s'il ne veut estre estimé femme ou effeminé, sinon qu'il y allast de l'honneur des deffuncts qui ne se peuvent venger, ou tirer raison des offences.

Voyla tout ce qu'ils ont de plus recommandables en leurs maximes, & qu'ils observent avec plus d'affection & de soins; reste à deduire comme ils se gouvernent & comportent en leur conseil, qui est tel, que les anciens, et principaux de la ville ou du bourg, s'assemblent en un lieu avec le Capitaine où ils proposent & decident tout ce qui est des affaires de la communauté, non par commandement absolu, mais par supplications & remonstrances, & par la pluralité des voix, qu'ils colligent avec des petits fetus de joncs. Il me vient en resouvenir d'un beau traict que Varron raconte du Senat Romain, lequel a tousjours tenu en si grande veneration, la Religion que les faux Prestres leur enseignoient que toutefois & quantes qu'il s'assembloit, bien que ce fut pour affaires de grande importance, & qui requissent haste & diligence, la premiere chose qu'on y proposoit devant que decider desdites affaires, appartenoit à la religion, & veneration des Dieux; & voyla comme tous les Princes Chrestiens en devroient veritablement user dans leurs conseils, pour l'honneur & le respect qu'ils doivent au service nostre Dieu puis qu'ils se disent ses serviteurs; mais helas les maximes desquelles l'on se sert pour le jourd'huy sont bien différentes & contraires à celles du mesme Dieu: qui n'a plus de part dans le conseil des grands; où il n'est point invoqué.

Il y avoit à la ville de sainct Joseph le grand Capitaine de la Province des Ours, qu'ils appelloient Garihoua Andionxra pour le distinguer des ordinaires de guerre qu'ils appellent Garihoua doutagueta. Iceluy grand Capitaine de Province avoit encores d'autres Capitaines sous luy, tant de guerre, que de police, par tout les autres bourgs & villages de sa jurisdiction, lesquels en chose de consequence le mandoient & advertissoient pour le bien du public, ou de la Province: & en nostre bourg qui estoit le lieu de sa residence ordinaire, il y avoit encore trois autres Capitaines qui assistoient à tous les conseils avec les anciens du lieu, outre son Assesseur & Lieutenant, qui en son absence ou quand il n'y pouvoit vacquer, faisoit les cris & publications par la ville des choses necessaires & ordonnées. Et ce Garihoua Andionxra n'avoit pas si petite estime de luy-mesme, qu'il ne se voulut dire frère & cousin du Roy de France, & de mesme égalité, comme les deux doigts demonstratifs des mains qu'il nous monstroit joints ensemble, en nous faisant cette ridicule & inepte comparaison.

Or quand ils veulent tenir conseil, c'est ordinairement dans la cabane du Capitaine chef & principal du lieu, sinon que pour quelque autre raison particulière, il soit trouvé autrement expedient. Le cry & la publication du conseil ayant esté fait, on dispose dans la cabane, ou lieu ordonné, un grand feu, à l'entour duquel s'assisent sur les nattes, ou à platte terre, tous les Conseillers en suitte du grand Capitaine qui tient le premier rang, assis en tel endroit, que de sa place il peut voir tous ses Conseillers & assistans en face.

Les femmes & filles, ny les jeunes hommes n'y assistent point, si ce n'est en un conseil general, où les jeunes hommes, de 25 à 30 ans peuvent assister, ce qu'ils cognoissent par un cry particulier qui en est fait. Que si c'est un conseil secret, ou pour machiner quelque trahison ou surprise de guerre, ils le tiennent seulement la nuict, entre les principaux & plus discrets Conseillers, & n'en descouvrent rien que la chose projetée ne soit mise en effect, (s'ils peuvent) prenant pour prétexte de leurs assemblées de nuict, que c'est pour n'estre divertis par l'aspect d'aucune chose, & que le jour divertissoit leur esprit, par des objects, & par ainsi que l'on ne devoit s'estonner s'ils cherchoient l'obscurité pour voir clair à leurs affaires, plus difficiles à demesler pendant le jour.

Estans tous assemblez, & la cabane fermée, ils font tous une longue pose avant parler, pour ne se précipiter point, tenans cependant toujours leur calumet en bouche, puis le Capitaine commence à haranguer en terme & parole haute & intelligible, un assez long-temps, sur la matière qu'ils ont à traicter en ce Conseil: ayant finy son discours, ceux qui ont à dire quelque chose, les uns aprés les autres, sans bruit, sans s'interrompre, & en peu de mots, opinent & disent leurs advis, qui sont par aprés colligez avec des pailles, ou petits joncs, & là dessus est conclud ce qui est jugé expédient par la pluralité des voix, non criminellement, mais civilement, car je n'ay jamais veu condamner aucun à mort, à la peine corporelle, ny à aucun bannissement entre nos Hurons, comme il se fait quelquefois parmy les autres Nations Canadiennes.

Ils font des assemblées générales, sçavoir de regions loingtaines, d'où il vient chacun an un Ambassadeur de chaque Province, au lieu destiné pour l'assemblée, où il se fait de grands festins, & dances, & des presens mutuels qu'ils se font les uns aux autres, & parmy toutes ces caresses, ces resjouissances, & ces accolades, ils contractent amitié de nouveau, & advisent entr'eux du moyen de leur conservation, & par quelle manière ils pourront perdre, ruyner & exterminer tous leurs ennemis communs: tout estant faict, & les conclusions signées, non avec la plume, mais du doigt de leur fidelité, ils prennent congé les uns des autres, & s'en retournent chacun en leur païs, avec tout leur train & equipage, à la Lacedemonienne, le plus souvent un à un.

Peu s'en est fallu que je ne me sois oublié d'écrire icy un traict qui ne doit pas estre teu. La coustume que nous avons de faire lever la main à ceux de qui on exige une verité en justice, que nous appellons faire serment, est pratiquée parmy nos Canadiens & Montagnais, mais en une autre manière, car ils presentent à tenir une certaine chose qu'ils appellent Tustéheson; qui est une chaîne de rassades d'environ une brassée de longueur.

Celuy qui la presente à tenir (representant le juge) interroge la partie & luy demande; est-ce toy qui a faist telle chose, ou bien ne sçais tu point qui l'a faicte, l'autre est obligé en la prenant de dire verité, d'autant que par aprés venant à estre trouvé menteur, on ne faict plus estat de luy non plus que d'un faussaire, mais si celuy qui est apellé au serment se sent coulpable, alors ne voulant dire la vérité, il ne prend point aussi le Tusteheson, mais faict plusieurs circonlocutions pour s'exempter de la prendre & se liberer de tout soupçon.

On dit de mesme que les Turcs font rarement de faux sermens, tesmoin celuy qui ayant mis son argent dans un baston creuzé & voulant faire ferment par devant le juge, donna ce mesme baston à tenir à son Creancier qui estoit à son costé, auquel il dit, Monsieur je vous supplie de grâce, tenez ce baston que je fasse mon ferment & leve la main, lequel ayant achevé le Creancier tout estonné sçachant tres-bien qu'il n'avoit esté payé, jetta de colere le baston de son debteur si rudement contre terre que la fourbe en fut descouverte, car le baston se rompit & l'argent en sortit, qui fist cognoistre ce debteur trompeur & non point menteur.

Avant finir ce Chapitre, je vous feray voir par une disgrace qui nous pensa arriver, comme ils sçavent assez bien proceder en conseil & user de quelque manière de satisfaction envers ceux qui auroient esté offencez par aucun d'eux, si on leur en laisse le jugement. Un jour d'Hyver que beaucoup de Sauvages nous estoient venus voir en nostre cabane, selon leur coustume ordinaire, un d'entr'eux marry de n'y avoir place à son gré, vouloit insolemment debouter, un François de son lieu, si le Pere Joseph qui prit la parolle, ne l'eut prié de ne faire point de bruit, dequoy irrité le Sauvage sans autre replique prit lors un gros baston duquel il luy eut deschargé un grand coup sur la teste, si les François qui se trouverent là presens, ne l'en eussent, empesché & repoussé les autres jeunes hommes Hurons, qui sembloient des-ja vouloir estre de la partie contre nos François, par je ne sçay qu'elle envie qu'ils avoient conceue contre eux.

En ceste esmeute, je remarquay particulièrement, la confiance d'un jeune homme Huron, lequel se tint effrontement tout nud sans sourciller devant un François, qui luy tenoit un coustelas eslevé duquel il le vouloit frapper, & le Huron l'empecher, & en mesme temps luy sauter au collet, comme il n'eut pas manqué si je n'y fusse arrivé & fait retirer l'un & l'autre à l'edification de tous, car il y alloit d'un jeu qui n'estoit point à rire.

Des-ja ce mesme Huron s'estoit gourmé à coup de poings avec un nommé la Valée, mais un peu desavantageusement pour luy, car encor qu'il tint ce François par les moustaches, l'autre ne perdoit point temps & luy approchoit le poing si prés du né qu'il luy en fist sortir le sang, neantmoins jamais aucun de ses compagnons ne bougèrent pour l'assister, car ils ont cela de bon, qu'ils disent qu'un à un la partie est egale, & qu'autrement il y auroit de l'injustice.

Voyant tant de desordre & que tous les barbares sortoient des-ja du bourg, pour voir ce qui se passoit ou pour estre de la partie m'attachay des raquettes sous les pieds pour n'enfoncer dans les neiges, & prevenir le grand Capitaine Auoindaon & tous les vieillards, qui se mirent en peine pour nous & crioient par tout contre les Moyenti. Comment veut on tuer nos Nepveux, veut on faire mourir nos Capitaines, François, ennon, ennon Moyenti, non, non jeunes gens, il ne leur faut point faire de desplaisir, ils sont nos bons amys, & ceux qui monstrerent plus de ressentimens pour nous furent les principaux chefs, à sçavoir, Auoindaon, Onorotandi, Yocoisse, Ongyata & Onnenianetani, qui firent publier un conseil general à nostre requeste, pour le lendemain matin, où nous assistames le P. Nicolas & moy, avec tous les Hurons depuis l'aage de 29 à 30 ans, jusques à l'extreme vieillesse. Celuy qui avoit voulu donner le coup n'y assista point, non plus que le Pere Joseph, qui estoit resté à nostre cabane avec tous les François, crainte qu'on y allast faire quelque frasque ou ravage s'ils s'en feussent absentés, car il n'y a ny clefs ny serrures aux portes en tous ces païs là, ny fermeture suffisante qui en puisse deffendre la libre entrée à qui que ce soit.

Pour moy j'allois librement par tout solliciter les affaires des François, & empecher qu'on n'atentast plus sur la vie d'aucun de nous, & d'appaiser les Sauvages, mais j'admiré ce traict de bonté en eux, qu'au plus fort du debat, comme j'allois criant à nos François, (un peu trop eschauffez) de se retirer & ne blesser personne, il y en eut qui coururent aussi-tost au village, publians par tout Onianné Auiel, Onianné Auiel. Gabriel est bon, Gabriel est bon, tant ils sont amis des amateurs de la paix.

Le conseil assemblé, le grand Capitaine nous fit soir auprés de lui, puis ayant imposé silence, il s'addressa à nous & nous parla en sorte que toute l'assemblée le pû entendre. Mes Nepveux, à vostre requeste j'ay faict assembler ce conseil general, afin de vous estre faict droict sur les plaintes que vous m'avez faictes, de quelque malicieux qui vous ont voulu offencer, mais d'autant que ces gens icy sont ignorans du faict, proposez vous mesme vos plaintes & declarez hautement en leur presence ce qui est de vos griefs, & en quoy & comment vous avez esté offencez, & sur ce je bastiray ma harangue & vous ferons justice, car nous ne desirons pas qu'aucun vous fasse de desplaisir, mais au contraire que l'on vous rende tout le service que l'on pourra, pendant que nous aurons ce bien de jouir de vostre presence.

Nous ne fusmes pas peu estonnez d'abord de la prudence & sagesse de ce Capitaine, & comme il proceda en tout fort sagement jusqu'à la fin de sa conclusion, qui fut fort à nostre contentement & edification.

Nous proposames donc nos plaintes, & comme nous avions quitté un tres-bon païs & traversé tant de mers & de terres avec infinis dangers & mesaises, pour leur venir annoncer la parole de Dieu, le chemin du Ciel, & retirer leur ames de la domination de Loki, qui les entrainoit tous aprés leur mort dans un abisme de feu sousterrain, puis pour les rendre amis & comme parens des François qui les cherissoient, & neantmoins qu'il y en avoit entr'eux qui avoient voulu tuer nostre frere Joseph, particulierement un tel que nous nommasme.

Quoy leur dis-je, pour leur faire admirer la bonté & les richesses de la France, et leur oster l'opinion que les leurs ayent allechez les François, nous mangions de la graisse à plain soul, car c'est là leur plus friant morceau. Les outardes, les grues & les perdrix, nous estoient tellement communes, que cela ne nous estoit non plus espargné qu'à vous le bled d'Inde. Les pauvres mesmes ne veulent point manger de la chair de nos chiens. Nos maisons sont basties non d'escorces & de bois comme les vostres, mais de pierres & matériaux solides. Les champs sont tous semez de bon bled, de bonnes prunes & de racines excellentes, voudriez vous croire à present que nous soyons venus chercher à disner à vos portes, & que la necessité nous ait porté à un si miserable païs, desnué de toutes douceurs, comme vous advouez vous mesmes, puis que nous estions si fort à nostre ayse & que toutes choses nous venoient à souhait, ayez donc de l'amitié pour nous, puis que l'amour que nous avons eu pour vous, nous a faict quitter tant d'ayse & de contentement, & faict jeusner fort austerement en procurant le salut de vos ames.

Ayant fini, le Capitaine ranga un long temps sur nos plaintes, & leur remonstra l'excellence de nostre condition relevée entre celle des autres François, qu'ils estimoient moins que nous, (à cause qu'ils ne parloient point à Dieu disoient ils,) puis leur dit que ce jeune homme avoit eu grand tort d'avoir voulu tuer le Pere Joseph, que nous ne leur rendions aucun desplaisir, & qu'au contraire nous leur procurions du bien & de la consolation, pour cette vie & pour l'autre, en nous privant nous mesmes de nostre propre repos. Et bien dit-il, que voulez vous qu'ils fassent davantage pour vous, ils vous instruisent, ils enseignent vos enfans, ils parlent à Dieu pour nous, & nous traictent comme leurs parens, & pour recompense nous leur voulons rendre des desplaisirs? quoy la chose seroit elle raisonnable, non, il n'en sera pas ainsi.

Il leur remonstra de plus; que s'il estoit sçeu à Kebec, qu'ils nous eussent voulu mal traicter, que les François en pourroient avoir du ressentiment, & par ainsi qu'il falloit estouffer ce desordre & nous laisser vivre en paix & repos parmy eux. Et pour conclusion, ils nous prierent d'excuser la faute d'un particulier, lequel nous devions tenir seul avec eux, pour un chien, à la faute duquel les autres ne trempoient point, & nous dirent pour exemple que des-ja depuis peu, un des leurs avoit griesvement blessé un Algoumequin, en jouant avec luy, & qu'ils s'estoient accordez sans guerre, moyennant quelque petit present, & celuy là seul tenu pour un chien & meschant qui avoit faict le coup, & non les autres qui estoient bien marris d'un tel accident.

Ils nous firent aussi present de quelques sacs de bled d'Inde, que nous acceptames, & fumes au reste caressez de toute la compagnie, avec mille prières d'oublier tout le passé & demeurer bons amis comme auparavant; & nous conjurerent de plus, fort instamment d'assister tous les jours à leurs festins & banquets, ausquels ils nous feroient de bonnes sagamitez diversement préparées & que par cette hantize & familiere conversation qu'apportent les festins & repas, nous nous maintiendrions plus facilement dans l'intelligence & la bonne amitié, que se doivent parens & amys si proches, & que de verité ils nous trouvoient assez pauvrement accommodez & nourris dans nostre petite cabane, de laquelle ils eussent bien desiré nous retirer pour nous mettre mieux dans leur bourgade, où nous n'aurions autre soin que de prier Dieu, les instruire en nos sciences, & nous gouverner doucement avec eux, mais comme un continuel & assidu bruit de la mesnagerie n'estoit point compatible à nostre humeur non plus qu'à nostre condition, nous les remerciames de leur bonne volonté, fismes porter nostre maiz à nostre cabane & primes congé de la compagnie, fort satisfaicts les uns des autres.

De la guerre, des armes dont usent nos Hurons, & comme nous les empechames de sortir contre les Neutres des-ja tout prests de nous courir sus; avec une exemple d'Uladislas Roy de Hongrie pour la fidelité, &c.

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