CHAPITRE XXVII.

L'Homme de bien ne cherche, point la guerre, si ce n'est pour venger l'injure faicte à Dieu, ou pour deffendre les oppressez, contre les Tyrans, autrement, ô mal heur du siecle, à quel propos tenir soldat sur campagne & voir ruyner le pupil & le paysan, dont les acclamations vont jusques au Ciel, implorans ses foudres contre les meschans, & ceux qui ne peuvent vivre sans trouble.

L'Empereur Marc Aurelle, devisant un jour avec son amy Corneille des effects d'une gendarmerie, pour bien conduite & disciplinée qu'elle puisse estre, disoit: mais avec ressentiment, qu'il ne sçavoit quelle plus grande guerre les Princes pourroient avoir, que de tenir en leurs Royaumes gens de guerre, si la necessité ne les presoit de se deffendre, pour ce que selon que nous montre l'experience ceux-cy sont devant Dieu fort coulpables, aux Princes importuns, & aux peuples ennuyeux: de maniere qu'ils vivent au dommage de tous, & sans profit d'aucun.

C'est pourquoy Scipion l'Africain avoit raison de dire, que toutes les choses devoient estre essayées en guerre devant que de mettre les mains aux armes: & à la verité il n'y a plus grande victoire que celle qu'on gaigne sans effusion de sang, & sans soldats en Campagne, car l'amy, aussi bien que l'ennemy, ruine tousjours le bon homme aussi bien que le païs.

Mais c'est bien le mal-heur lors que l'on entreprend guerre injuste, car outre ces incommoditez & les maledictions des peuples, l'offence de Dieu y est si grande, que tost ou tard on en est puny en ce monde ou en l'autre; & fausser sa foy donnée à ses ennemis, est le comble du boisseau qui attire l'ire, & la juste vengeance de Dieu sur nos testes, comme l'exemple d'Uladislas Roy de Hongrie nous en sert de preuve. Car ce Roy ayant en l'année mil quatre cens quarante trois, du temps d'Eugene quatriesme gaigné une signalée victoire contre Amurat second, Empereur des Turcs, & du depuis faict treves avec luy pour dix années.

L'an suivant à la suasion du Legat du Pape nommé Julian, il faussa sa foy & luy declara la guerre. Amurat contrainct de se deffendre vint avec une armée de soixante mille hommes. La bataille le donne, où du commencement les Chrestiens eurent de l'avantage, une partie des Turcs tuez sur la place, une autre partie mise en desroute. Ce que voyant Amurat il tire de son seing une coppie de l'accord faict entre luy & Uladislas, & levant les yeux au Ciel, & tenant ce papier en main commença, à se plaindre de la perfidie du Roy & des Chrestiens en ces parolles.

Voyla, ô Jesus-Christ, l'accord que les Chrestiens ont passé avec moy, qu'ils ont juré sur tes sainctes Evangiles d'observer inviolablement, cependant aujourd'huy meschans & perfides qu'ils sont, ils faussent leur foy & renoncent perfidement à l'honneur qu'ils doivent à leur Dieu. C'est pourquoy si tu es Dieu comme ils disent, venge tes injures & les miennes, & leur faisant payer la peine de leur perfidie & de la foy par eux violée, fais toy recognoistre juste à ceux qui n'ont pas encores la cognoissance de ton nom.

A peine avoit il achevé ceste prière, qu'incontinent voilà la chance tournée. Les Turcs reçoivent nouvelles forces, une grande boucherie se faict des Chrestiens, le Roy Vladislas tué, & le Legat du Pape, qui avoit esté Autheur & conseiller de rompre la treve: tant Dieu a en horreur la perfidie & veut que l'on garde la foy donnée.

Aussi les Payens mesmes en cela se sont monstrez beaucoup, plus Religieux que les Chrestiens. Plutarque en la vie de Curtius Camillus & de Pirrhus Roy des Epirotes, en rapporte deux belles exemples, qui devroient estre imitées par ceux lesquels ambitieux d'honneur, comme de posseder le bien d'autruy, n'obtiennent aucune victoire que par mauvais moyens ou en faussant leur foy, ou en s'aquerant des thraitres, & puis il faudra mourir & abandonner tout.

La première histoire est, que Camillus ayant esté esleu Tribun militaire avec cinq autres, pour faire la guerre aux Faliques, incontinent avec l'armée Romaine entra dedans ce païs, où il alla mettre le siege devant la ville des Faleriens, qui estoit bien fortifiée & pourveuë de toutes choses requises & necessaires à la guerre; sçachant très bien que ce n'estoit pas entreprise legere que de la prendre, ne qui se peust exécuter en peu de temps, mais voulant comment que ce fust tenir ses citoyens occupez à quelque chose, & les divertir, afin que, par estre trop de sejour en leurs maisons, ils n'eussent loisir de vacquer à seditions & dissensions civiles: car les Romains usoient sagement de ce remede là, tournans au dehors, comme bons medecins, les humeurs, qui estoient pour troubler le repos de leur chose publique.

Mais les Faleriens se confians en l'assiette de leur ville, qui estoit forte de tous costez, faisoient si peu de conte d'estre assiegez, que ceux qui n'estoient pas à la garde des murailles se pourmenoyent en robes sans armes; par la ville, & alloient leurs enfans à l'escole, le Maistre de laquelle les menoit ordinairement hors de la ville se promener, jouer & exerciter au long des murailles, car ils avoient un commun Maistre d'escole pour toute la ville, comment encores ont les Grecs, voulans que leurs enfans dés le commencement, s'accoustument à estre nourris en compagnie, qu'ils conversent tousjours ensemble.

Ce Maistre donc espiant l'occasion de faire un mauvais tour aux Faleriens, menoit tous les jours leur enfans à l'esbat hors de la ville, non gueres loin des murailles du commencement, & puis les remenoit dedans, après qu'ils s'estoient esbatus & exercitez. Depuis qu'il les y eut menez une fois, il les tira de jour en jour un peu plus loin, pour les accoustumer à s'asseurer, en leur donnant à entendre qu'il n'y avoit point de danger, jusques à ce qu'un jour à la fin ayant tous les enfans de la ville avec foy, il donna jusques dedans le guet du camp des Romains, ausquels il livra tous ses escoliers, & leur dit qu'ils le menassent devant leur Capitaine general, ce qui fut faict: & quand il fut devant Camillus, il se prit à dire qu'il estoit Maistre & precepteur de ces enfans, mais, neantmoins qu'il avoit eu plus cher acquerir sa bonne grace, que de faire ce que le devoir de ces tiltres là luy commandoit: au moyen dequoy il luy venoit rendre la ville, en luy livrant ces enfans entre ses mains.

Camillus ayant ouy ces paroles, trouva l'acte bien malheureux & meschant, & dit à ceux qui estoient autour de luy, que la guerre estoit bien chose mauvaise, & où il se faisoit beaucoup de violences & d'outrages, toutesfois qu'encore y avoit il entre gens de bien quelque loix & quelque droits de la guerre, & qu'on ne devoit point tant chercher ne pourchasser la victoire, que l'on ne fuit les obligations d'en estre tenu à si maudits & si damnables moiens, & qu'il falloit qu'un grand Capitaine fist la guerre se confiant en sa propre vertu, non point en la meschanceté d'autruy.

Si commanda à ses gens qu'ils deschirassent les habillemens de ce mauvais homme en luy liant les deux mains par derriere & qu'ils donnassent des verges & des escorgées aux enfans, afin qu'ils remenassent le maistre qui les avoit ainsi trahis en le fouettant, jusques dedans la ville.

Or si-tost que les Faleriens eurent entendu la nouvelle, comme ce Maistre d'escole les avoit trahis, toute la ville en mena tres-grand dueil, ainsi qu'on peut estimer en si griefve perte, & s'en coururent hommes & femmes, pesle mesle sur les murailles & aux portes de la ville, sans sçavoir qu'ils faisoient, tant ils estoient troublés. Estans là, ils apperceurent leurs enfans qui ramenoient leur Maistre nud & lié en le fouetant, & appellant Camillus; leur Pere, leur Dieu & leur Sauveur: de manière que non seulement les peres & meres des enfans, mais aussi tous autres citoyens generalement conceurent en eux mesmes une grande admiration & singuliere affection envers la preud'hommie, bonté, & justice de Camillus, tellement que sur l'heure mesme ils assemblerent conseil, auquel il fut resolu qu'on luy envoyeroit promptement des Ambassadeurs pour se remettre eux & leurs biens du tout à sa discretion.

Si cette action de Camillus & des Romains est honorable, moins ne le fut celle du Conseil Fabricius, auquel comme il estoit en son camp estant venu un homme qui luy apportoit une missive escrite de la main du Médecin de Pyrrhus, par laquelle ce Medecin offroit de faire mourir son Maistre par poison moiennant qu'on luy promist une recompense condigne, pour avoir terminé une fascheuse guerre sans danger.

Fabricius detestant la meschanceté & perfidie de ce Médecin, escrivit une lettre à Pyrrhus en ces termes, Tu as faict mal-heureuse eslection d'amis aussi bien que d'ennemis, ainsi que tu pourras cognoistre en lisant la lettre qui nous a esté escrite par un de tes gens: pour ce que tu fais la guerre à hommes justes & gens de bien, & te fie à des desloiaux & meschans; de quoy nous t'avons bien voulu avertir, non-pour te faire plaisir, mais de peur que l'accident de ta mort, ne nous fasse calomnier, & que ton estime que nous ayons chercbé de terminer cette guerre par un tour de trahison, comme si nous n'en peussions venir à bout par vertu.

Pyrrhus ayant leu cette lettre, & averé le contenu en icelle, chastia le Medecin ainsi qu'il avoit merité, & pour loyer de ceste descouverture envoya à Fabricius & aux Romains leurs prisonniers sans payer rançon.

Nos Sauvages bien que brutaux & enclins à la vengeance ne faussent jamais leur parole donnée publiquement, & moins trahissent ils leurs freres ny leur patrie pour chose qui puisse arriver, au contraire ils tiennent à gloire de lui estre fidelle, il n'y a qu'entre nous autres Chrestiens où ce mal-heur arrive, ô mon Dieu où en sommes nous! faut il que ceux qui ne vous cognoissent point soient plus gens de bien que nous, & qu'ils soient un jour nos Juges devant vous, Seigneur, qui rejetterez les enfans du Royaume, pour y colloquer les enfans perdus, horrible eschange de l'honneur d'icy bas en une espouventable confusion de démons, l'éternel mespris & l'humiliation des meschans.

Neantmoins nos pauvres Hurons pour bien enclins qu'ils soient (fors qu'à la reconciliation) n'ont encor pû comprendre la doctrine de cest admirable Prince de paix Marc Aurelle, car n'y ayant point de desordre parmy leur gendarmerie, où chacun vit de ce qu'il porte sur ses espaules, comme je diray plus amplement cy-aprés, ils n'en peuvent recevoir aucune incommodité, & partant continuent leur guerre contre leurs ennemis, non pour en posseder les terres, ny pour les rendre tributaires & sujects à leur estat, mais pour les exterminer & ruyner totalement: de maniere, qu'ils tiennent plus à gloire d'avoir tué un de leurs ennemis, que d'avoir gaigné cent lieues de païs, & si toutes ces guerres ne sont fondées pour la plus part que sur un appetit de vengeance, pour quelque petit tort ou desplaisir qui n'est pas souvent grand chose, mais leur grande union, & l'amour reciproque, qu'ils se portent les uns aux autres, faict qu'ils embrassent volontiers en general, le faict & cause d'un particulier offencé par un estranger.

Mais si l'un d'entr'eux a offencé, tué, ou blessé un de leur mesme nation, il en est quitte pour un present, & n'y a point de bannissement ny chastiment corporel, pour ce qu'ils ne les ont point en usage envers ceux de leur propre nation, si les parens du blessé ou decedé, n'en prennent eux mesmes la vengeance, ce qui arrive fort peu souvent, car ils se font rarement injure, & du tort les uns aux autres. Mais si l'offencé est de nation étrangère, alors il y a indubitablement guerre declarée entre les deux nations, si celle de l'homme coulpable ne se rachepte promptement par des grands presens, qu'ils exige du peuple, si les tresors publiques sont epuisez, pour la partie offencée: & par ainsi il arrive le plus souvent que par la faute d'un seul, deux peuples entiers se font cruellement la guerre, & vivent tousjours dans une continuelle crainte d'estre surpris l'un de l'autre, particulierement sur les frontieres où les femmes mesmes n'ozent cultiver les terres, ny faire les bleds, qu'elles n'ayent tousjours auprés d'elles, des hommes armez, pour les conserver & deffendre de quelque mauvaise avenue.

Quand ils veulent faire la guerre, soit offensive ou deffensive, ce seront deux ou trois des anciens ou vaillans Capitaines, qui en entreprendront la conduite pour cette fois, et vont de village en village, faire entendre leur volonté, donnant des presens à ceux des dits villages, pour les induire à leur octroyer l'ayde & le secours qu'ils leur demandent, & par ainsi sont comme Generaux d'armées.

Il vint en notre bourg un grand vieillard fort dispos & robuste, lequel je crû estre de la mesme qualité, car il alloit de cabane en cabane parler aux Capitaines, & à la jeunesse, qu'il portoit à une guerre malheureuse, contre la nation des Attinoindarons, dequoy nous le tançames fort, & dissuadames le peuple d'y entendre, à sa confusion, & au grand contentement de tous les amateurs de la paix, car en effet il n'y a point d'apparence de rompre avec une Nation si puissante, sans se mettre au hasard d'en estre totallement ruyné, & puis l'esperance d'y advancer la gloire de Dieu s'en alloit totalement perdue par cette guerre, avec ce peu de bien que nous y avions commencé.

Ces Capitaines ou Generaux d'armes ont le pouvoir, non seulement de designer les lieux, de donner quartier & de renger les bataillons, mais aussi de commander aux assauts, & disposer des prisonniers, & de toute autre chose de plus grande consequence. Il est vray qu'ils ne sont pas tousjours bien obeis de leurs soldats, entant qu'eux mesmes manquent souvent dans la bonne conduite, & celuy qui conduit mal est souvent mal suivy. Car la fidelle obeyssance des sujets despend de la suffisance de bien commander du bon Prince, disoit Theopompus Roy de Sparte.

Pendant que nous estions là, le temps d'aller en guerre contre les Hiroquois estant arrivé un jeune homme de sainct Joseph; desireux d'honneur & de reputation, voulut luy seul en faire le festin, & deffrayer pour un jour entier, tous ses compagnons, ce qui luy fut de grand coust & despence aussi en fut il grandement estimé: car ce festin estoit de six grandes chaudieres pleine de bled d'Inde concassé, avec quantité de grands poissons boucanez, sans les farines, & les huiles pour faire la sauce.

On mit les chaudières sur le feu dés avant jour, dans l'une des plus grandes cabanes du bourg, puis le Conseil estant achevé, & les resolutions de guerre prises, tous entrèrent au festin, pendant lequel, ils firent les uns après les autres, les mesmes exercices militaires, qu'ils ont accoustumé aux festins de guerre. Les chaudieres nettes, & les complimens & remerciemens rendus, partirent pour le rendez-vous de toute l'armée assigné sur la frontière, d'où ils se rendirent sur les terres ennemies, ausquelles ils prindrent environ soixante prisonniers, la pluspart desquels furent tuez sur les lieux & les autres amenez pour faite mourir aux Hurons par le feu, puis mangez, en leur assemblée sinon quelque membres qui furent distribuez à des particuliers pour leurs malades.

Leurs guerres ne sont proprement que des surprises & déceptions, plustost que des batailles & combats, ou siege de villes, non par couardise & faute de courage, car ils se trouvent souvent aux prises avec l'ennemy, mais pour attraper quelqu'un mort, ou vif, sans exception d'aage ou de sexte, pour les conduire en triomphe en leur pays.

Tous les ans au renouveau & pendant tout l'Esté que les fueilles couvrent les arbres, cinq ou six cens jeunes hommes Hurons ou plus, s'en vont avec cet ordre, s'espandre dans le pays des Hiroquois, se departent cinq ou six en un endroit, cinq ou six en un autre, & se couchent le ventre; contre terre par les champs & les forests, & à costé des grands chemins & lieux passans, & la nuict venue ils rodent par tout jusques dans les villes, bourgs, & villages pour attraper quelqu'un de leurs ennemis, lesquels ils emmenent en leur pays, pour les faire passer par les tourmens ordinaires, sinon aprés les avoir tuez à coups de fleches ou de masse, ils en emportent les testes, ou la peau des testes escorchées avec la chevelure, qu'ils appellent Onontsira, lesquelles les femmes, passent pour les conserver, & en faire des trophées & banderoles, en temps de guerre, ou les attachent au haut de leurs murailles ou pallissades au bout d'une longue perche.

Il y a d'autres Nations en nostre Amerique qui avoient accoustumé d'escorcher ceux qu'ils prenoient à la guerre, & de remplir de cendres leurs peaux, qu'ils appendoient à leurs places publiques, comme autant de trophées, & de monumens de leurs beaux faits. Il y en avoit neantmoins plusieurs d'entr'eux qui employoient ces peaux à d'autres usages, & en faisoient des tambours, disans que ces caisses quand on venoit à les batre, avoient une secrette vertu de mettre en fuitte leurs ennemis. Tous les Hurons Se Algomequins croyoient la mesme vertu en nostre beau chasuble, mais ils n'en peurent venir à l'espreuve, car il nous faisoit besoin, & puis c'estoient toute folles opinions pardonnables à ces pauvres gens là, & non à un Chrestien qui y adhereroit.

Quand ils veulent tenir la campagne, & aller en pays d'ennemis, ils ne meinent jamais autres pourvoyeurs ny viandiers qu'eux mesmes, chargez chacun d'un plein sac de farine qu'ils appellent Eschionque, accommodez derriere leur dos, avec des lanieres ou cordelettes, qu'ils appellent Acharo, de sorte que ce paquet les incommode de fort peu, & puis c'est la charge d'Esope, qui va tousjours en diminuant à mesure qu'ils s'arrestent pour les repas.

De fouller le bon homme il ne s'en parle point, non plus que d'en tirer la piece, car ils vivent & logent tousjours en pleine campagne & au fond des bois où ils prennent leur refection qui est aysée, car cette farine se mange aussi bien crue que cuite, seiche que mouillée, d'eau tiede ou froide, à la volonté d'un chacun, sans qu'il soit besoin de feu, ny d'autre sauce que l'appetit.

Ils mesnagent tellement ce petit sac, qu'il leur dure jusques à leur retour, qui est environ six sepmaines ou deux mois de temps; car après ils viennent se rafraichir au pays, finissent la guerre pour ce coup, ou s'y en retournent encores avec d'autres provisions.

Que si les Chrestiens usoient de telle sobrieté & temperance, ils pourraient aysement entretenir de tres-puissantes armées avec peu de fraiz, & faire la guerre avec advantage, aux ennemis de Dieu, & du nom Chrestien, sans fouller les peuples, ny ruyner e pays, & puis Dieu n'y seroit point tant offencé, comme il est à present par la pluspart de nos soldats François, qui vivent avec une telle licence chez les paysans, & par tout ailleurs où ils mettent le pied, qu'on en abhorre la veuë, & fait fuyr un chacun l'esclat de leur insolence.

Ces pauvres Sauvages (à nostre confusion) se comportent ainsi modestement en guerre, sans incommoder personne, & s'entretiennent de leur propre & particulier moyen, sans autre gage ou esperance de recompence, que du seul honneur & louange qu'ils estiment plus que tout l'or du monde ou l'on ne fait îcy estat que de l'argent, autrement point de service.

Ils n'ont pour toutes armes que la masse, l'arc & les fleches, lesquelles ils empannent de plumes d'aigles, comme les meilleures de toutes, & à faute d'icelles ils y en accomodent d'autres. Ils y appliquent aussi fort proprement des pierres tranchantes collées au bois avec une colle de poisson très-forte, & de ces flèches ils en emplissent leur carquois, qui est fait d'une peau de chien passée, qu'ils portent en escharpe sur leur dos. Ils portent aussi de certaines armures & cuirasse qu'ils appellent Aquientor pour arrester le coup de la flesche: car elles sont faites à l'espreuve de ces pierres aiguës, & non toutefois de nos fers de Kebec, quand la flèche qui en est accommodée sort d'un bras roide & puissant, comme est celuy d'un Sauvage.

Ces cuirasses sont faites avec des baguettes blanches couppées de mesures, & serrées les unes contre les autres, tissuës & entrelassées de cordellettes fort durement & proprement. Ils se servent aussi d'une rondache ou bouclier fait d'un cuir bouilly fort dure, & d'autres faits de planches de bois de cedre, fort grands, larges & légers, qui leur couvrent presque tout le corps. Il me souvient qu'estant à la bourgade de sainct Nicolas, autrement de Toenchain, je vis arriver plusieurs jeunes hommes d'une guerre estrangere qui me monstrerent une assez grande piece d'un bouclier de leurs ennemis, qui sembloit de l'yvoire, je ne pû comprendre ny conjecturer de quel animal ce pouvoit estre, mais que ce fut d'yvoire, ou d'une coquille polie de quelque grande tortue, elle estoit pour resister à quelque fleche que ce fut, & à l'espée, & le poignard.

Ils ont diverses enseignes ou drapeaux faicts (pour le moins ceux que j'ay veus) d'un morceau d'escorce rond, attaché au bout d'une longue baguette, comme une cornette de cavalerie, sur lequel sont depeintes les armoiries de leur ville ou Province.

Ce sont les principales armes dont nos Hurons se servent ordinairement, & principalement de l'arc & la fleche, de laquelle ils se servent avec tant de dexterité, qu'ils ne manquent guere de donner où ils visent: & tirent si legerement & habilement, que comme ils disent eux mesmes, ils ont plustost decoché dix flèches que nos meilleurs arquebusiers ne sçauroient avoir deschargé deux coups leur harquebuze, & s'en est trouvé de si hardis de defier en pleine campagne, un François avec son harquebuze, disans qu'ils sçauroient bien exquiver son coup, & ne le point faillir de leur fleche.

Depuis qu'on a eu porté des lames d'espées en Canada, les Montagnais, & autres peuples errants, ont trouvé l'invention de les emmancher en de longs bois comme demyes piques, qu'ils sçavent roidement elancer à la chasse contre l'eslan, & à la guerre contre leurs ennemis.

Comme on a de coustume sur mer, pour signe de guerre, ou de chastiment, mettre dehors en evidence le pavillon rouge: Aussi nos Sauvages, non seulement és jours solemnels & de resjouissances, mais principalement quand ils vont à la guerre, ils portent autour de leur teste, pour la pluspart, de certains pennaches en couronnes; & d'autres en moustaches, faits de long poils d'eslan, peints d'un rouge cramoisy beau par excellence, & collez, ou autrement attachez à une bande de cuir large de trois doigts, & longue assez pour entourer la teste.

Nostre chasuble à dire la saincte Messe, leur agreoit fort, & l'eussent bien desiré traicter de nous, pour le porter en guerre en guise d'enseigne, ou pour mettre au haut de leurs murailles, attachée à une longue perche, afin d'espouventer leurs ennemis, disoient-ils, mais ce n'estoit pas chose à leur usage, ny qui deut estre ainsi prophanée. Les Algomequins de l'Isle nous avoient fait la mesme prière au Cap de Massacre, ayant desja à ce sujet amassé sur le commun, environ quatre-vingts castors: car ils le trouvoient non seulement très beau, pour estre d'un excellent damas incarnat, enrichy d'un passement d'or (digne present de la Reyne, qui nous l'avoit donné avant partir de France) mais aussi pour la croyance qu'ils avoient qu'il leur causeroit du bon heur, & de la prosperité en toutes leurs deliberations & entreprises de guerre.

Quant la guerre est declarée en un pays, & qu'on doute des forces de l'ennemy, à tout evenement, on se fortifie par tout avec l'ordre que le Conseil y donne. Les habitans destruisent tous les bourgs, villes, & villages frontiers, incapables d'arrester l'ennemy, ou de pouvoir estre suffisamment fortifiés pour soustenir un siege, & chacun se range dans les lieux fortifiez de sa jurisdiction, où ils bastissent de nouvelles cabanes pour leur demeure, à ce aydez des habitans du lieu; qui leur font la courtoisie avec affection.

Les Capitaines à ce aydez de leurs officiers & gens du Conseil, travaillent, continuellement à ce qui est de leur conservation & fortification, à ce que par leur faute ou negligence ils ne soient surpris de l'ennemy, font balayer & nettoyer les suyes & araignées des cabanes, de peur du feu que l'ennemy y pourroit jetter, par de certains artifices qu'ils ont appris de je ne sçay qu'elle autre Nation que l'on m'a autrefois nommée, & qui s'est eschappée de ma mémoire.

Ils font porter sur les guarites, des pierres, & de l'eau pour s'en servir dans l'occasion, & crainte de tout perdre si la forteresse venoit à estre prise d'assaut, ou que le feu s'y prit, plusieurs font des trous en terre, dans lesquels ils enferment ce qu'ils ont de meilleur, & le couvrent si proprement de la mesme terre, que le lieu ne peut estre recognu que de ceux là mesme qui y ont travaillé.

Un bon Capitaine n'a pas seulement soin du dedans, mais aussi du dehors, & manquer dans la prevoyance est tout perdre, peur de quelque camisade, les Chefs envoyent par tout des espions & coureurs, pour descouvrir & observer l'ennemy, & posent leurs sentinelles selon la necessité, pendant que d'autres exhortent & encouragent le reste des gens de guerre, à faire des armes, & de se tenir prests pour vaillamment & genereusement combattre, resister & se deffendre si l'ennemy vient à paroistre.

Le mesme ordre s'observe en toutes les autres villes & forteresses du pays, jusques à ce qu'ils voyent l'ennemy attaché à quelqu'une, & pour lors la nuict venue à petit bruit, une quantité de soldats de tous les villages voisins, vont au secours, & s'enferment au dedans de celle qui est assiegée, la deffendent font des sorties, dressent des embusches, s'attachent aux escarmouches, & combattent de toute leur puissance, pour le salut de la patrie, surmonter l'ennemy & le deffaire du tout s'ils peuvent.

Pendant que nous estions au village de S. Joseph, nous vismes faire toutes les diligences susdites, tant en fortification des places, apprests des armes, assemblées des gens de guerre, provision de vivres, qu'en toute autre chose necessaire pour soustenir une grande guerre qui leur alloit tomber sur les bras, de la part des Attiuoindarons, si le bon Dieu n'eust diverty cet orage, & empesché ce malheur qui alloit menaçant nostre bourg d'un premier choc, lequel à cette occasion fut mis en estat de deffence en ruynant les cabanes escartées, qu'on rebastit dans le fort réduit en forme ronde, & en lieu assez fort d'assiette de tous costez.

Mais pour ce que nous ne voulumes pas quitter nostre ancienne cabane pour nous placer dans la ville, les Sauvages nous advertissoient de nous donner sur nos gardes à quoy nous ne manquions pas, car il ne faut point tenter Dieu, & négliger ses asseurances, c'est pourquoy nous barricadions nostre porte toutes les nuicts, avec des grosses busches de bois posées les unes sur les autres, avec deux paulx derrière piquez en terre, & n'ouvrions point à heure indue à qui que ce fut, sinon aux François.

Or pour ce que la guerre n'est en rien bonne, si elle n'est pour le soustien de la foy, & que les Neutres qui pouvoient faire jusques à cinq ou six mille hommes n'estoient que trop fort pour deux mille hommes que nos Hurons peuvent faire au plus, nous fusmes les intercesseurs de la paix, comme j'ay dit ailleurs, & donnames nos raisons, lesquelles nous acquirent quelque chose sur leur esprit, & la promesse qu'ils se tiendroient en paix, &, ne penseroient plus à la guerre, si les Neutres ne les y obligeoient, & que ce en quoy ils avoient auparavant fondé l'esperance de leur salut estoit en nostre grand esprit, & au secours que quelques François mal avisez, leur avoient fait esperer de Kebec: Outre une tres-bonne invention qu'ils avoient conceue en leur esprit, par le moyen de laquelle ils esperoient tirer un grand secours de la Nation du Feu, ennemis jurez des Neutres.

L'invention estoit telle, qu'au plustost ils s'efforceroient de prendre quelqu'un de leurs ennemis, ausquels ils couperoient la gorge, & que du sang de cet ennemy, ils en barbouilleroient la face, & tout le corps de trois, ou quatre d'entr'eux, lesquels ainsi ensanglantez seroient par aprés envoyez en Ambassade à cette Nation de Feu, pour obtenir d'eux quelque secours & assistance à l'encontre de si puissans ennemis, & que pour plus facilement les esmouvoir à leur donner ce secours, ils leur monstreroient leur face, & tout leur corps desja teints & ensanglantez du sang mesme de leurs ennemis communs.

J'admiray l'invention & l'esprit de ce bon Capitaine Auoandaon qui m'en fit le recit, mais pour cela, la paix valloit mieux que la guerre, & que demeurassions amis de tous pour les gaigner tous, dequoy furent fort contans la pluspart des hommes, & generallement toutes les femmes, lesquelles nous en parloient en particulier, & nous prioient d'y tenir la main, c'est ce qui nous fit croire qu'elles ont peu de voix en chapitre, & qu'il ne leur est pas permis de parler librement des choses qui concernent le fait des hommes.

Des prisonniers de guerre lesquels ils mangent en festin aprés les avoir faict cruellement mourir & du Truchement Bruslé, delivré miraculeusement de la main des Hiroquois, par la vertu d'un Agnus Dei.

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