CHAPITRE XXX.

ENcor que Ciceron aye dit, parlant de la nature des Dieux, qu'il n'y a gent si sauvage, si brutale, ny si barbare, qui ne soit imbue de quelque opinion d'iceux, & n'aye ce sentiment naturel d'une nature superieure à celle de l'homme, qui le porte à quelque forme d'adoration de Religion, & de culte intérieur, ou extérieur pour en tesmoigner les recognoissances. Neantmoins nos Hurons, & Canadiens, semblent n'en avoir aucune pratique ny l'exercice, que nous ayons pû descouvrir, car encor bien qu'ils advouent un premier principe & Créateur de toutes choses, & par consequent une Divinité, avec le reste des Nations, si est ce qu'ils ne le prient d'aucune chose, & vivent presque en bestes, sans adoration, sans Religion & sans vaine superstition sous l'ombre d'icelle.

De Temples ny de Prestres, ils ne s'en parle point entr'eux nom plus que d'aucunes prières publiques ny communes, & s'ils en ont quelqu'unes à faire, ou des Sacrifices, ce n'est pas à cette premiere cause, ou premier principe qu'ils les adressent, mais à de certains esprits puissans qu'ils logent en des lieux particuliers, ausquels ils ont recours, comme je vous diray cy aprés.

Pour des Diables & malins esprits, ils en croyent des nombres infinis, & les redoutent fort, car il leurs attribuent la cause principale de toutes leur maladies & infirmitez, qui faict que quand dans un village, il y a nombre de malades, ils ordonnent des bruits & tintamarres pour les en dechasser, croyans que ces bruits sont capables d'espouventer les Demons, comme ils feroient une troupe d'oyseaux ou des petits enfans.

Ils n'ont ny Dimanches, ny Festes, sinon celles qu'ils ordonnent, pour quelque ceremonie car ils estiment tous les jours égaux, & aussi solemnels les uns comme les autres, & ne font non plus distinction de sepmaines, mais seulement de mois, par les Lunes, des quatre, saisons de l'année, & des années entières.

Or comme il y a diverses Nations, & Provinces de Barbares, Sauvages, aussi y a il diversité de ceremonies, d'opinions, & de croyance Saincte, car n'estans pas esclairez de la lumière de la foy, & de la cognoissance entière du vray Dieu; dans leurs tenebres chacun se forge des observations, des ceremonies, & une Divinité, ou Createur à sa poste, auquel neantmoins ils n'attribuent point une puissance absolue sur toutes choses, comme nous faisons au vray Dieu, car leur en parlant ils le confessoient plus grand seigneur que leur Yoscaha, qu'ils croyent vivre presque dans la mesme infirmité des autres hommes, bien qu'eternel.

Les Indiens de diverses Provinces plus meridionnales de nostre mesme Amérique, firent jadis eslection de leurs Dieux, avec quelque consideration, tenant pour Deitez les choses dont ils recevoient quelque profit, tels qu'estoient ceux qui adoroient la terre, & l'appelloient leur bonne mere, à cause qu'elle leur donnoit ses fruicts; les autres l'air, pour ce disoient ils, qu'il faisoit vivre les hommes par le moyen de la respiration; les autres le feu, à cause qu'il leur servoit à se chauffer, & à leur apprester à manger; les autres le mouton, pour le grand nombre de trouppeaux qu'ils nourrissoient en leurs pasturages; les autres le Maiz, ou leur bled d'Inde, pour ce qu'ils en faisoient du pain; Et les autres toutes les sortes de légumes & de fruicts que leur pays produisoit.

Mais à le prendre en general, ils recognoissent la mer pour la plus puissante de toutes les Deitez; & l'appelloient leur mère. Voyla comme tous ces Payens & Barbares parmy leur Deitez, en ont tousjours recognu quelqu'une de plus grande puissance, dont la mesme chose se recognoist entre nos peuples Hurons, bien qu'ils ne les adorent avec des ceremonies si particulieres des anciens Payens.

Ceux qui habitent vers Miskou, & le Port Royal, au rapport du sieur Lescot, croyent en certain esprits, qu'ils appellent Cudouagni, & disent qu'il parle souvent à eux, & leur dit le temps qu'il doit faire; Ils disent que quand il se courrousse contr'eux, il leur jette de la pouciere aux yeux. Ils croyent aussi quand ils trespassent, qu'ils vont és Estoilles puis vont en de beaux champs verts, pleins de beaux arbres, fleurs & fruicts tres-somptueux & delicats.

Pour les Souriquois, peuples errants, leur creances est que veritablement il y a un Dieu qui a tout creé, & disent qu'après qu'il eut fait toutes choses, qu'il prit quantité de flesches & les mit en terre, d'où sortirent hommes & femmes, qui ont multiplié au monde jusques à present. Ensuitte de quoy il demanda à un Sagamo s'il ne croyoit point, qu'il y eut un autre qu'un seul Dieu, il respondit qu'ils croyoient un seul Dieu, un fils, une mere, & le Soleil, qui estoient quatre, neantmoins que Dieu estoit par dessus tous; mais que le fils estoit bon & le Soleil, à cause du bien qu'ils en recevoient: mais la Mere ne valait rieu & les mangeoit, & que le Pere qui est Dieu, n'estoit pas trop bon par les raisons que je diray cy aprés.

Puis dit; anciennement il y eut cinq hommes, qui s'en allèrent vers le Soleil couchant, lesquels renconterent Dieu, qui leur demanda: où allez vous; ils respondirent, nous allons chercher nostre vie. Dieu leur dit: vous la trouverez icy, ils passerent plus outre sans faire estat de ce que Dieu leur avoit dit, lequel prit une pierre & en toucha deux qui furent transmuez en pierres. Et il demanda derechef aux trois autres: où allez vous: & ils respondirent comme à la première fois: & Dieu leur dit derechef: ne passez plus outre vous la trouverez icy: & voyans qu'il ne leur venoit rien ils passerent outre; & Dieu prit deux bastons desquels il toucha les deux premiers, qui furent transmuez en bastons & le cinquième s'arresta ne voulant passer plus outre. Et Dieu luy demanda derechef: où vas tu? je vay chercher ma vie, demeure, & tu la trouveras: il s'arresta sans passer plus, outre. Et Dieu luy donna de la viande & en mangea. Aprés avoir faict bonne chère, il retourna avec les autres Sauvages, & leur raconta tout ce que dessus.

Ce Sagamo fist encore ce plaisant discours à ce François. Qu'une autre fois il y avoit un homme qui avoit quantité de tabac, & que Dieu dit à cet homme & luy demanda où estoit son petunoir, l'homme le prit & le donna à Dieu qui petuna beaucoup, & aprés avoir bien petuné il le rompit en plusieurs pièces: & l'homme luy demanda: pourquoi as tu rompu mon petunoir, & tu vois bien que je n'en ay point d'autre: & Dieu en prit un qu'il avoit & le luy donna luy disant: en voyla un que je te donne, porte le à ton grand Sagamo, qu'il le garde, & s'il le garde bien, il ne manquera point de chose quelconque ny tous ses compagnons: cet homme prit le petunoir qu'il donna à son grand Sagamo, & durant tout le temps qu'il l'eut, les Sauvages ne manquerent de rien du monde: mais que du depuis le dit Sagamo avoit perdu ce petunoir, qui est l'occasion de la grande famine qu'ils ont quelquefois parmy eux. Voilà pourquoy ils disent que Dieu n'est pas trop bon, ayant fondé toute leur abondance sur un Calumet de terre fragile, & que les pouvans secourir il les laissoit souffrir au delà de toutes les autres nations.

La croyance en general de nos Hurons (bien que tres-mal entendue par eux mesmes & en parlent fort diversement,) est que le Créateur; qui a faict tout ce monde, s'appelle Yoscaha, & en Canadien Atahocan ou Attaouacan, lequel a encore sa mère grand, nommée Eataentsic: leur dire qu'il n'y a point d'apparence, qu'un Dieu qui a esté de toute eternité, aye une mere grand & que cela se contrarie, ils demeurent sans replique, comme à tout le reste de leur créance. Ils disent qu'ils demeurent fort loin, n'en ayans neantmoins autre certitude ou cognoissance que la tradition qu'ils tiennent de pere en fils, & le récit qu'ils allèguent leur en avoir esté faict par un Attiuoindaron, qui leur a donné à entendre l'avoir veu & les vestiges de ses pieds imprimées sur un rocher au bord d'une riviere qui avoisine sa demeure, & que sa maison ou cabane est faicte au model des leurs, y ayant abondance de bled & de toute autre chose necessaire à l'entretien de la vie humaine. Que Eataentsic & luy sement du bled travaillent, boivent, mangent, dorment, & sont lascifs comme les autres; bref ils les figurent tous tels qu'ils sont eux mesmes.

Que tous les animaux de la terre sont à eux & comme leurs domestiques. Que Youskeha, est tres-bon & donne accroissement à tout, & que tout ce qu'il faict est bien faict, & nous donne le beau temps & toute autre chose bonne & prospere. Mais à l'opposite que sa mère grand est meschante, & gaste souvent tout ce que son petit fils a faict de bien.

D'autres disent, que cette Eataentsie est tombée du Ciel, où il y a des habitans comme icy, & que quand elle tomba elle estoit enceinte. Qu'elle a faict la terre & les hommes & qu'avec son petit Fils Youskeha, elle gouverne le monde. Que Youskeha, a soin des vivans & des choses qui concernent la vie, & par consequent ils disent qu'il est bon. Eataentsic a soin des ames, & parce qu'ils croyent qu'elle faict mourir les hommes, ils disent qu'elle est meschante & non pas pour donner le mauvais temps, comme disent d'autres, ou pour bouleverser tout ce que son petit Fils fait de bien. Voilà comme ils ne s'accordent pas en leur pensée.

Un jour discourant en la presence des Sauvages de ce Dieu terrestre, pour leur donner une meilleure croyance & leur faire voir leur absurdité. Entre autre chose je leur dis, que puis que ce Dieu n'estoit point dans le Paradis, demeuroit sur la terre & ne s'estoit pû liberer des necessitez du corps, qu'il falloit par consequent & necessairement, qu'il fut mortel & qu'en fin après estre bien Vieil il mourut & fut enterré comme nous autres, & de plus que je desirois fort sçavoir le lieu qu'il avoit esleu pour sa sepulture, afin de luy pouvoir rendre les derniers devoirs au cas qu'il mourut pendant nostre sejour en leur païs. Ils furent un long-temps à songer avant que de me vouloir respondre, se doutant bien que je les voulois surprendre, & que difficilement se pourroient ils developper de ce piege sans y engager leur honneur, qu'ils desiroient honnestement & prudemment sauver. Un jeune homme de la bande, plus hardy que les autres, après un long silence entreprit la dispute & dit: que ce Dieu Youscaha avoit esté avant cest Univers, lequel il avoit créé & tout ce qui estoit en iceluy, & que bien qu'il vieillisse comme tout ce qui est de ce monde y est suject, qu'il ne perdoit point son estre & sa puissance, & que quand il estoit bien vieil, il avoit le pouvoir de se rajeunir tout à un instant & se transformer en un jeune homme de vingt-cinq à trente ans, & par ainsi qu'il ne mourroit jamais & demeuroit immortel bien qu'il fut un peu suject aux necessitez corporelles, comme le reste des hommes.

En suitte je leur demanday, quel service ils luy rendoient & quelle forme de prière ils luy offroient estant leur Créateur & bienfaicteur. A cela point de responce, sinon qu'il n'avoit que faire de rien, & qu'il estoit trop esloigné pour luy pouvoir parler ou le prier de quelque chose.

Pourquoy donc usez vous de prières, & offrez vous des presens à de certains espris que vous dites resider en des rivieres & rochers, & en plusieurs autres choses matérielles & sans sentiment, pour ce, dit-il que non seulement les hommes & les autres animaux ont l'ame immortelle, mais aussi toutes les choses materielles & sans sentiment entre lesquelles il y en a qui ont de certains esprits particuliers fort puissans, qui peuvent beaucoup pour nostre consolation si nous les en requerons en la presence des choses qu'ils habitent, car bien qu'ils n'apparoissent point à nos yeux ils ne laissent pas d'opérer & nous faire souvent ressentir les effects de leur puissance, en exauçant nos prieres. Que si nous en prions d'absens, comme lors que nous peschons les poissons dans nos cabanes, les rets ou l'esprit des fillets le rapportent aux poissons, qu'ils prient de donner dans nos pièges, ou d'esquiver la main de ceux qui jettent de leurs os au feu, de manière que si nos Predicateurs sont excellens Orateurs, nous sommes asseurez d'en avoir à force, ou rien du tout si on a jetté de leurs os au feu, ou commis quelque autre insolence en la presence des filets, folie aussi grande que celle des Montagnais, qui n'ozent respandre à terre le pur sang d'un castor, croyans que s'ils l'avoient faict ils n'en pourroient plus prendre.

Pour revenir à nostre dispute du vieil Youscaha rajeuny, ils ne sceurent à la fin plus que répondre, & se confesserent vaincus ignorans le vray Dieu & Createur de toutes choses dont les uns se retirerent de honte, & d'autres qui s'estoient embrouillez se tindrent au tacet, qui nous fit cognoistre qu'en effect, il ne recognoissent & n'adorent aucune vraye Divinité, ny Dieu celeste ou terrestre, duquel ils puissent rendre quelque raison, & que nous puissions sçavoir, car encore bien qu'ils tiennent tous en general Youskeha, pour le premier principe & Créateur de tout l'Univers avec Eataentsic, si est-ce qu'ils ne luy offrent aucunes prières offrandes ny sacrifices comme à Dieu, & quelqu'uns d'entr'eux le tiennent fort impuissant, au regard de nostre Dieu, duquel ils admirent les oeuvres.

Ils ont bien quelque respect particulier à ces démons ou esprits qu'ils appellent Oki, mais c'est en la mesme manière que nous avons le nom d'Ange, distinguant le bon du mauvais, car autant est abominable l'un, comme l'autre est venerable. Aussi ont ils le bon & le mauvais. Oki, tellement qu'en prononçant ce mot Oki ou Ondaxi, sans adjonction, quoy qu'ordinairement il soit pris en mauvaise part, il peut signifier un grand Ange, un Prophete ou une Divinité, aussi bien qu'un grand diable, un Medecin, ou un esprit furieux & possedé.

Ils nous y appelloient aussi quelquesfois, pour ce que nous leur enseignions des choses qui surpassoient leur capacité & les faisoient entrer en admiration, qui estoit chose aysée veu leur ignorance.

Ils croyent qu'en effect il y a de certains esprits qui dominent en un lieu, & d'autres en un autre, les uns aux rivieres, les autres aux rochers, aux arbres, au feu & en plusieurs autres choies matérielles, ausquels ils attribuent diverses puissances & authorités, les uns sur les voyages, les traites & commerces, les autres à la pesche, à la guerre, aux festins, és maladies & en plusieurs autres affaires & négoces.

Ils leur offrent par fois du petun, & quelque sortes de prières & ceremonies ridicules, pour obtenir d'eux ce qu'ils desirent, mais le plus souvent sans profit; il n'y a que les démons qui ne soient pas les bien-venus chez eux, lesquels ils chassent de leur village à force de bruits, pour ce qu'ils leur causent toutes leurs maladies à ce qu'ils disent. Et en effect mon grand oncle Auoindaon estant tombé malade me prioit de fort bonne grâce de ne permettre pas que le demon le fist mourir.

Ils m'ont monstré plusieurs puissans rochers sur le chemin de Kebec, ausquels ils croyent presider quelque esprit, & entre les autres ils m'en monstrerent un à quelque cent cinquante lieuës de là, qui avoit comme une teste & les deux bras eslevez en haut, & au ventre ou milieu de ce grand rocher il y avoit une profonde caverne de tres-difficile accés. Ils me vouloient persuader & faire croire à toute force avec eux, que ce rocher avoit esté autrefois homme mortel comme nous, & qu'eslevant les bras & les mains en haut, il s'estoit metamorphosé en ceste pierre & devenu à succession de temps un si puissant rocher, lequel ils ont en veneration & luy offrent du petun en passant par devant avec leurs canots, non toutes les fois, mais quand ils doutent que leur voyage doive reussir; & luy offrant ce petun qu'ils jettent dans l'eau contre la roche mesme, ils luy disent; tien prend courage & fay que nous ayons bon voyage, avec quelques autres paroles que je n'entends point, & le Truchement Bruslé duquel nous avons parlé au Chapitre precedent nous dit (à sa confusion) d'avoir faict une fois pareille offrande avec eux (dequoy nous le tançames fort) & que son voyage luy fut plus profitable qu'aucuns autres qu'il ait jamais faict en tous ces païs là.

C'est ainsi que le diable les amuse, les maintient & les conserve dans ses filets & en des superstitions estranges, leur prestans ayde & faveur (comme à gens abandonnez de Dieu,) selon la croyance qu'ils luy ont en cecy, comme aux autres ceremonies & sorcelleries, que leur Oki observe & leur faict observer pour la guerison de leurs maladies & autres necessitez.

Ils croyent l'immortalité de l'ame, avec tous les autres peuples Sauvages, sans faire distinction du bon ou du mauvais, de gloire ou de chastiment, & que partant de ce corps mortel, elle s'en va droicte du costé du Soleil couchant, se resjouir & dancer en la presence d'Yoscaha, & de sa mere grand Eataentsic, par la route des estoilles, qu'ils appellent Atisxein andahatey, & les Montagnais Tohipai meskenau, le chemin des ames, & nous la voye lactée ou l'escharpe estoilée, & les simples gens le chemin de sainct Jacques. Ils disent que les ames des chiens & des autres animaux y vont aussi par le costé du Soleil levant, à ce que disent les Montagnais, qui croyent aller apres leur mort en un certain heur où elles n'ont aucune necessité. Je demanday à nos Hurons, quelle estoit la nature de ames des chiens, & si elle estoit autre que celles des hommes, ils me dirent que ouy & me monstrant certaines estoilles proches voisines de la voye Lactée, ils me dirent que c'estoit là le chemin qu'elles avoient, lequel ils appellent Gaguenon anda hatey le chemin des chiens, c'est à dire que les ames des chiens vont encore servir les ames de leurs Maistres en l'autre vie, ou du moins qu'elles demeurent avec les ames des autres animaux, dans ce beau païs d'Yoscaha, ou elles se rangent toutes, lequel païs n'est habité, que des ames des animaux raisonnables & irraisonnables, & de celles des haches, cousteaux, chaudieres & autres choses qui ont esté offertes aux deffuncts, ou qui sont usées, consommées ou pourries, sans qui s'y mesle aucune chose qui n'ayt premierement gousté de la mort ou de l'aneantissement, c'estoit leur ordinaire responce, lors que nous leur disions que les souris mangeaient l'huyle et la galette, & la rouille, & pourriture le reste des instrumens, qu'ils enfermoient avec les morts dans le tombeau.

Ils croyent de plus, que les ames en l'autre vie bien qu'immortelles, ont encores les mesmes necessitez du boire & du manger, de se vestir, chasser & pescher, qu'elles avoient lors qu'elles estoient encores revestues de ce corps mortel & que les ames des hommes vont à la chasse des ames des animaux, avec les ames de leurs armes & outils, sans qu'ils puissent donner raison de tant de sottizes, ni si les ames des castors & eslans qu'ils tuent à la chasse pour leur nourriture, ont encore une deuxiesme ame, ou si elles engendrent pour conserver leur espece, car on ne peut esperer beaucoup de raison de gens nais & nourris dans l'ignorance grossiere du Paganisme, si premierement elles n'ont esté instruictes en l'escole de Jesus Christ, & aux sciences qui nous sont necessaires, c'est pourquoy il en faut avoir compassion, & se dire que si nous fussions naiz de mesmes parens barbares, nous serions de mesme eux & peut estre encore pis.

Nous leur parlions souvent du Paradis & comme la demeure des bien heureux estoit dans le Ciel avec Dieu, où ils n'ont aucune necessité & vivent tousjours contans. Ils trouvoient cela fort bien & nous en demandoient le chemin, mais ils abhorroient celuy de l'enfer, remply de diables, de feu & de meschans.

J'ay trouvé excellent que dans toutes leurs superstitions & soins qu'ils ont des trespassez, ils ne sacrifient aucune personne, comme souloient jadis faire les peuples du Peru en la mort de leur Roy & de leurs Caciques, qui estoient leur souverain Prestre, & aussi pour la guerison des malades & le bon succez de leurs entreprises, car lors que le Roy Guaynacapa mourut, il y eut mille; personnes de sa maison qui furent tuez & ensevelis avec luy pour le servir en l'autre vie: & la raison pourquoy ils enterroient ainsi leurs familles & leurs richesses avec eux, estoit pource qu'il leur sembloit quelquefois voir ceux qui estoient morts aller par leurs possessions, estans parez de ce qu'ils avoient emporté avec eux, & accompagnez de leur familles à raison dequoy se persuadans qu'en l'autre vie on a besoin de service, d'or, d'argent, & de vivres, ils les en pourvoyoient le mieux qu'ils pouvoient, comme font nos Hurons les leurs de ce qu'ils peuvent.

Il me vient de resouvenir que lors que je parlois au commencement à nos Hurons, de la demeure de Dieu, du Ciel, du Paradis, où selon l'Apostre l'oeil n'a point veu, ny l'entendement humain ne sçauroit comprendre les biens que Dieu a préparé à ceux qui l'ayment, ils me respondoient qu'il ne pouvoit faire beau au lieu d'où la neige, la gresle & la pluye venoient, s'imaginans que tout cela venoit du Paradis, tant ils estoient mauvais Astrologues, mais comme je ne sçavois pas moy mesme comme toutes ces influences se forment en l'air, pour n'avoir jamais estudié en aucune de ces sciences, je me servis d'un livre que je portois tousjours avec moy, pour leur donner à entendre, aydé du Truchement, & leur dis: premierement, que le Paradis la demeure des bien heureux, faisoit l'unziesme Ciel & qu'au dessous d'iceluy il y en avoit dix autres.

Que le tonnerre estoit un esclat d'une exalaison enfermée entre des nuées froides, sortant avec effort, pour fuyr son contraire (ce n'est donc point un oyseau comme ils pensent.) Que l'esclair, est une exalaison enflammée, provenante de la rencontre & conflis des nuées, & la foudre une exalaison pareille à l'esclair, à sçavoir; toute flamboyante, faisant bresche à la nuée, avec un tres-soudain & grand effort, & a cecy par dessus l'esclair, qu'elle descend jusqu'icy bas.

Mais quant aux nuées, je leur en dis en begayant, tousjours assisté du Truchement ce que mon livre portoit, qu'elles estoient un ramas & assemblage de plusieurs vapeurs extraictes de l'eau, & ce en la moienne région de l'air; & que la pluye estoit une effusion d'eau tombant ça bas, provenant de la dissolution des nuées par la chaleur du Soleil, ou par le choc qu'elles font l'une contre l'autre par l'impetuosité des vens.

Ils me demanderent en suitte bien quasi aussi ignorant qu'eux mesmes, car à peine ay je sçeu decliner mon nom, en quelque mois que j'ay esté sous un Maistre, pour ce que la liberté m'estoit; plus chere que la science & mon propre contentement assez innocent, que tout le Latin & l'eloquence d'un Ciceron. O mon Dieu que la jeunesse est mauvais juge de son bien. Je leur dis que mon livre m'enseignoit que la neige estoie une impression aqueuse, engendrée de nuées gelées par le froid, laquelle venant à se dissoudre, tomboit à floccons jusqu'icy bas, & que la gresle n'estoit autre chose qu'une pluye congelée en l'air à mesure qu'elle descouloit de la nuée. Voyez si mon livre dit vray, & ne m'interrogé point là dessus, car comme je vous ay dit, je n'ay jamais rien sçeu, sinon qu'il vaut mieux cognoistre un Jesus-Christ & ignorer toutes choses, que de sçavoir toutes choses & ignorer Jesus Christ.

Pour la quantité de la terre considerée en son globe, on la tient de tour, 11259 lieuës Françoises. Et par ainsi estant comparée au Ciel des estoiles fixes, elle n'est qu'un point, & comme un grain de Coriandre environné d'un cerne distant dix mille pas esgalement de luy, qui est à dire, que la terre est merveilleusement petite, encore qu'elle nous semble grande, & que les Roys & les Princes qui ne sont que des petites fourmis au regard de Dieu, ont grand tort d'entreprendre guerre & mettre en hasard leur propre salut, pour si petite chose qu'ils ne peuvent à peine posseder, que la mort ne les engloutisse.

Je passe les bornes d'un homme sans estude, mais il faut que je die encore cecy, que j'ay tasché faire savoir à mes Hurons, que la Lune est estimée quarante fois plus petite que le globe de la terre, & en est esloignée de octante mille deux cens treize lieuës. Mais relevons nostre ton plus haut et portons nostre pensée jusques à ce beau Soleil, qui nous esclaire & ravit nostre consideration, jusques à l'estimer quelque chose de divin, j'entends les payens & nous trouverons si les livres ne nous trompent, qu'il est 166 fois plus grand, que le globe de la terre, par ainsi le Soleil est prés de sept mille fois plus grand que la Lune. Et par opinion on tient aussi que le Soleil estant monté au plus haut point est dix huict fois plus loin de la terre que la Lune. Et pour le comble de son honneur on l'appelle le Roy des estoilles fixes & errantes, estant le plus grand de tous les corps celestes le plus lumineux & chaleureux sans comparaison, & après cela je n'ay plus de louange à luy donner, sinon qu'il est la figure & l'ombre de nostre vray Soleil de justice, Jesus qui faict du bien aux bons & aux mauvais, sans distinction du fidel ou de l'infidel, mais bien heureux celuy qui a tousjours son coeur & sa pensée en luy.

De la créance & vaines opinions des Montagnais de diverses deitez. De la creation du monde, & du flux & reflux de la mer.

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