CHAPITRE XXIX.

J'Ay faict mention au Chapitre precedent, mais fort succinctement, de la manière que sont amenez & receus entre les Montagnais, leurs prisonniers de guerre, dont ils sont en quelque chose differents des autres nations qui ne donnent point tant de part aux femmes en leurs victoires, estans d'ailleurs assez satisfaictes au repos de leur mesnages & à la douceur, à quoy il semble que nos Huronnes soient enclinés & moins interessées en ces actions de guerre que les errantes.

Nostre Frere Gervais m'a appris, que comme il fut envoyé par le R. P. Joseph le Caron Supérieur de nostre Convent de Kebec dans une barque, avec le R. P. Lallemand Jesuite, pour les trois Rivieres, à dessein d'apprendre des Hurons (qui s'y devoient trouver) des nouvelles de nostre Pere Joseph de la Roche, qui estoit dans leur pais, & d'y monter s'il eust esté necessaire pour son secours. Estans là arriverent sur le soir trois canots de jeunes Montagnais, volontiers qui malgré leurs parens & Capitaines estoient partis pour la guerre contre les Hiroquois, pour y mourir, ou pour en ramener des prisonniers, comme ils firent.

Il dit qu'ils venoient chantans tout de bout dans leurs canots, comme personnes fort contantes & joyeuses & que de loin qu'on les apperceut & qu'on pû discerner leur chant & leur posture, on jugea à leur mine, qu'ils venoient de le guerre, & qu'asseurement, ils avoient autant de prionniers, comme ils repetoient de sons à la fin de chacun couplet de leur chanson la sillabe ho, ce qui fut trouvé véritable, car ils la repetoient deux fois, aussi avoient ils deux prisonniers.

Ils en font de mesme quand ils ne rapportent ue les testes de leurs ennemis, ou leurs perruques escorchées, lesquelles ils attachent chacune au bout d'un long bois, arrangez sur le devant de leurs canots, pour faire voir leur prouesse & la victoire obtenue sur leurs ennemis à ceux qui leur doivent une honorable reception pour ces exploicts.

Le bon Frere Gervais, desireux de voir ces prisonniers de plus prés & sonder si pourroit obtenir leur delivrance, se fist conduire à terre avec le R. P. Lallemand, & de là entrèrent dans les cabanes, pour voir ces pauvres prisonniers, qu'ils trouverent chez un Sauvage, nommé Mecabo ou Martin par les François, qui nous estoit grand amy.

Son gendre appellé Napagabiscou, & par les François Trigatin, fils d'un père nommé Neptegaté, c'est à dire homme qui n'a qu'une jambe, non qu'il fut boiteux, mais estoit son nom de naissance. Ce Napagabiscou estoit Capitaine des sept autres barbares, qui l'avoient accompagné à la guerre centre les Hiroquois, d'où ils avoient amenez ses deux prisonniers, lesquels ils avoient surpris occupés à la pesche du Castor en une Riviere autour de leur village ou bourgade.

Ces pauvres esclaves, l'un aagé d'environ 25 ans, & l'autre de 15 à seize, estoient assis à platte terre proche de ce Capitaine Napagabiscou, festinans en compagnie de plusieurs autres Sauvages, d'une pleine chaudière de pois cuits, & de la chair d'Eslan, avec la mesme gayeté & liberté que les autres, du moins en faisoient ils le semblant, pour n'estre estimez poltrons ou avoir peur des tourmens, desquels ils avoient des-ja eu le premier appareil, capable de pouvoir tirer des larmes de personnes moins constantes, car pour moindre mal, nous crions bien à l'ayde.

Le bon Frere dit, qu'on leur avoit des-ja arraché les ongles de tous les doigts des mains, puis bruslé le dessus avec de la cendre chaude, ordinairement meslée de sable bruslant, pour en estancher le sang. L'un d'eux avoit aussi esté tres-bien battu par une femme Montagnaise, qui luy mordit le bras, dont elle mangea une grande piece, disant: que c'estoit en vengeance de la mort de son fils, qui avoit esté pris & mangé en leur païs.

Ils avoient aussi esté tres-bien battus en les prenais & part les chemins dont ils estoient presque tout brisez de coups, particulierement le plus jeune, qui ne pouvoit quasi marcher d'un coup de massue qu'il avoit receu sur les reins, sans que cela l'empechast de la mine gaye & joyeuse, & de chanter avec son compagnon, mille brocards & imprecations à l'encontre de Napagabiscou, & de toutes les Nations Montagnaises,& Algomequines, qui ne se faschoient nullement d'entendre un si fascheux ramage, telle estans leur coustume, qui seroit meritoire si elle estoit observée pour Dieu, ou à cause de Dieu, mais le malheur est qu'il n'y a rien que la seule vanité qui les porte d'estre estimé inesbranlable pour les injures, & pleins de courage dans les tourmens.

Il y a une autre raison qui ayde encore à leur constance & fermeté, c'est qu'en faisant voir un si grand mespris des injures & des tourmens, ils croyent intimider ceux qui leur font souffrir; & que si facillement ils n'oseront plus aller à là guerre contre une Nation si belliqueuse & constante, & que ce sera assez pour eux de se tenir doresnavant sur leur garde, peur qu'on ne vienne venger sur leurs testes, la mort de ces pauvres patiens, & que s'ils se monstroient timides & effeminez, ou pleuroient pour les tourmens, on retourneroit librement en leur pays pour attraper de ses femmes, ainsi appellent ils les hommes impatiens & sans courage.

Le festin estant finy, l'on les mena en une autre grande cabane, où quantité de jeunes filles, & garçons se trouverent pour la dance qu'ils firent à leur mode, dont les deux prisonniers estoient au milieu qui leur servoient de chantres pendant que les autres dançoient autour d'eux, si eschauffez qu'ils suoient de toutes parts.

Leurs postures & leurs grimasses sembloient de Demons. Ils frappoient du tallon en terre de telle force que le bruit en retentissoit par tout, car c'est leur mode de se demener fort, particulierement les jeunes hommes, qui n'avoient pour tout habit qu'un petit brayer devant leur nature.

Les filles estoient un peu plus decemment couvertes, & plus modestes en leurs actions, car en dançans elles avoient les yeux baissez, & les deux bras le long de leurs cuisses estendus, comme est leur coustume, & non point des Huronnes. Je m'oubliois de parler des violons ou instrumens musicaux, au son desquels, & des chansons des deux chantres, tout le bransle alloit, & se remuoit à la cadence, c'estoit une grande escaille de tortuë, & une façon de tambour de la grandeur d'un tambour de basque, composé d'un cercle large de trois ou quatre doigts, & de deux peaux roidement estenduës de part & d'autre, dans quoy estoient des grains de bled d'Inde, ou petits caillous pour faire plus de bruit: le diamettre des plus grands tambours est de deux palmes ou environ, ils le nomment en Montagnais Chichigouan; ils ne le battent pas comme on faict par deça mais ils le tournent & remuent, pour faire bruire les caillous qui sont dedans, & en frappent la terre tantost du bord, tantost quasi du plat, pendant que tout le monde dance.

Voyla tout ce qui est des instrumens musicaux du pays, sinon qu'il se trouva quelques petits garçons assis au milieu de la dance auprés des prisonniers, qui frappoient avec des petits bastons sur des escuelles d'escorces à la cadance des autres instrumens pour servir de basses. Mais quand aux chansons elles estoient de divers airs, & au bout de chacun les chantres crioient tousjours, ho, ho, ho, & les danceurs, hé, hé, hé, & quelquesfois ché, ché, ché. Et puis tous ensemble à la fin de chaque chanson la voix, ho, ho, coué, coué, roulloit tousjours.

Nostre bon Frere Gervais ayant veu toutes ces ceremonies, fut à la fin contrainct sorti de la cabane avant que tout fut achevé, tant pour l'excessive chaleur, que pour la quantité de poudre qui lui offusquoit les yeux.

Le Magicien ou principal Jongleur qu'ils appellent Manitousiou, nom commun à tous leurs Sorciers, fut à la fin fort bien recompensé de plusieurs des danceurs qui luy donnerent, qui un castor, qui une peur de loutre, une robe de chien, de laquelle il fit grand estat, puis une de castors, & une autre d'ours dans l'excellence, voyla comme il fut grandement bien sallarié & payé, jusques à la valeur de six ou sept robes de castors, qui vaudroient en France plus de quatre-vingts escus, au prix que l'on les y achepte.

Tout cecy n'est pas la fin des mysteres de nos pauvres prisonniers, ils ont encores bien des tours à faire avant que de voir la fin de leur tragedie, les barbares ne sont pas si fort empressez que de vouloir vuider si tost une affaire où ils trouvent tant soit peu de recreation, ou sujet de festiner, le ris, & la cuisine leur est trop recommandable, & la punition de leurs ennemis trop precieuse pour en demeurer là, & s'arrester à si beau jeu, il faut que la feste soit faict entière, & que chacun reste content, qui n'est jamais pendant qu'il y a de quoy, j'en parle comme sçavant, & non pas à la maniere d'un certain Baron, lequel en voulant donner à garder à tout plein de personnes de qualité, avec lesquels nous disnions de compagnie chez son Rapporteur, car comme on fut à la fin du second, il commença à discourir, d'un prétendu voyage qu'il avoit fait parmy les Sauvages du Canada, (nottez il n'y avoit jamais esté) & entre autre chose il s'estendit fort sur la deduction d'un festin que les Barbares luy firent (à son dire) à l'entrée du pays, je le laissay dans ses gayes humeurs jusques à la fin que je luy demanday, Monsieur ou ses pauvres Sauvages avoient ils emprunté la vaisselle, à cela point de response, mon pauvre Gentilhomme demeura muet, & confessa qu'il ne me croyoit, pas si prés.

La dance finie, l'on mena les prisonniers à la cabane de Napagabiscou, ou estoit preparé le souper que Macabo son beau pere luy vouloit faire pour son heureux retour, F. Gervais qui se trouva là present en fut prié, & ne s'en pû excuser, pour ce que comme ce bon Macabo l'aymoit comme son petit fils (ainsi l'appelloit-il) c'eust esté l'offencer que de l'éconduire, car ces bonnes gens là ne considerent pas le degoust que l'on a de leurs sauces, il faut tout prendre en gré, & tesmoigner le mieux que l'on peut, qu'on est fort leur obligé, d'avoir part à leur bonne chère, & à leur amitié, en vérité plus sincere que celle de la pluspart des Chrestiens, ausquels il n'y a à present, que tromperie, mensonge, & dissimulation, jusques aux maisons qui semblent les plus sainctes, cela n'est que trop averé & cognu, au grand regret de tous les gens de bien, & des ames vrayement devotes & candides.

Ce festin estoit composé d'un reste de chair d'eslan de son Hyver passé, moisie & seiche comme du bresil, qu'on mit dans la chaudière sans la laver ny nettoyer, avec des oeufs de canars si vieux & pourris que les petits y estoient tout formez, & partant fort mauvais. On y adjousta encore des poissons entiers sans estre habillez, puis des pois, des prunes, & du bled d'Inde, qu'on fit bouillir dans une grande chaudiere, brouillé & remué le tout ensemble avec un grand aviron.

Je vous laisse à penser quel goust, & quelle couleur pouvoit avoir ce beau potage, & s'il fut pas necessaire à ce Bon Religieux de se surmonter soy mesme pour gouster d'une telle viande, de laquelle il mangea neantmoins un peu, pour ne pouvoir plus. Apres quoy il pria pour la delivrance des prisonniers qu'il voyoit fort jeunes & affamez, sans qu'ils tesmoignassent aucun ressentiment de leur capture, non plus que s'ils eussent esté en pleine liberté. Et pour ce remonstra à tous les Sauvages là assemblez, que puis que ces pauvres Hiroquois ne leur avoient faict aucun desplaisir, il n'estoit pas raisonnable de les faire mourir ny traicter comme ennemis, veu mesme leur jeunesse, & qu'ils avoient esté pris en peschant, & non point en combatant.

A cela ils luy respondirent qu'il ny avoit ny paix ny tresve entr'eux, & les Hiroquois, mais une guerre continuelle, qui leur permettoit d'user de toutes sortes de rigueurs à l'endroit de ceux qu'ils pouvoient attraper, & qu'au cas pareil les Hiroquois usoient des mesmes cruautez envers ceux de leur Nation qu'ils pouvoient prendre, & partant qu'il ne seroit pas raisonnable de laisser aller ces deux prionniers sans chastiment, qui portast moins que la mort, sinon qu'ils voulussent passer pour gens effeminez, & de peu de courage, qui ne sçavoient chastier leurs ennemis, & ainsi furent condamnez ces deux pauvres prisonniers à mourir devant toutes les Nations assemblées pour la traite, sans que les prieres de nostre Frère peussent rien obtenir pour eux qu'une prolongation de quelques jours, que le sieur de Champlain, avec le reste des Capitaines Montagnais devoient se rendre à la traite.

Le lendemain du festin, nous prismes le devant, & fismes voiles pour le Cap de Victoire, dit le bon Frère Gervais, & ne leur fut possible de passer l'entrée du lac sainct Pierre, à cause d'un vent contraire jusques au jour suivant qu'ils furent jusques au milieu avec un vent assez favorable, mais qui changea soudain en un contraire, qui les obligea de ranger la terre, & mouiller l'anchre le travers d'une petite rivière qui vient du costé du Sud, où desja estoient à l'abry plusieurs canots Sauvages attendans le beau temps pour le mesme voyage.

Le vent s'estant changé en un favorable, nos gens leverent l'anchre, partirent sur les deux heures après minuit, & advancerent jusques au bout du lac, & le lendemain matin apres un petit different survenu entre les mariniers pour le chemin, à cause qu'il y a plusieurs petites Isles entrecouppées de diverses petites rivieres qui entrent dans le lac, & rendent le pays beau à merveille, ils arriverent à la traite, sur le bord du grand fleuve devant la riviere des Ignierhonons, où quantité de Barbares estoient desja cabanez attendans nos Montagnais des trois rivieres, avec les Hurons qui n'estoient point encores descendus.

Sur le soir du mesme jour, les prisonniers arriverent lesquels furent gardez, liez & garottez, l'espace de deux où trois jours dans la cabane de leur hoste, pendant lequel temps le sieur Champlain arriva de Kebec, dans le canot du Capitaine Mahican-Atic, avec son frère, & deux autres Capitaines dans un autre canot. Tous les François, & plusieurs Sauvages se resjouyrent fort de leur venue, sous l'esperance qu'ils pourroient obtenir la delivrance des prisonniers, laquelle le Frère Gervais n'avoit pû obtenir, mais il s'y presenta tant d'obstacles, qu'après que ledit sieur de Champlain eut bien debatu pour ce bon oeuvre, un Capitaine Algoumequin mesprisant ses conseils, luy dit: Tu veux que l'on delivre ces gens là qui sont nos ennemis, & je ne le veux pas moy qui suis Capitaine, il y a trop long temps que je mange maigre, je veux manger gras, particulièrement, de la chair des Hiroquois, de laquelle j'ay grande envie & partant deporte toy de tes poursuittes, & nous laisse faire justice de nos ennemis, car nous ne nous meslons point de tes affaires.

Puis sur le soir un Capitaine Montagnais nommé Chimeouriniou autrement par les François le meurtrier, couppa les cordes aux deux prisonniers, pensant les faire evader, mais il ne pu. On ne sçait par quel instinct, ny quel sujet le mouvoit à ce faire, sinon qu'il eut mieux aymé leur donner liberté, qu'ayant eu la peine de les amener, un autre eut la gloire de les delivrer, car ils sont sur tout ambitieux d'honneur, & envieux qu'un autre leur empiète. Le sieur de Champlain resta fort mescontant de cette action du Montagnais & avec raison, car il avoit un tres-bon dessein en la poursuite de cette delivrance pour laquelle il estoit venu exprés de Kebec, pour ce que comme il est croyable, il n'y avoit pas plus beau moyen pour traiter de paix avec les Hiroquois qu'en delivrant leurs prisonniers par le moyen des François.

Ce que consideré par plusieurs Capitaines Sauvages, ils tindrent divers conseils, où assisterent tousjours le sieur de Champlain, & quelqu'uns des principaux François, où aprés plusieurs contestations il fut resolu que l'un des deux prisonniers seroit renvoyé en son pays accompagné de deux Montagnais, & de quelques François, si aucun se presentoit, pour traitter de paix, par le moyen de ce prisonnier, pendant que l'autre demeureroit pour ostage jusque à leur retour à Kebec.

Cet arrest consola merveilleusement tous les Sauvages portez à la paix, & en remerciement le sieur de Champlain, advouant qu'il estoit un grand Capitaine, digne de sa charge & de son bon jugement, marris que depuis vingt Hyvers qu'il hantoit avec eux, il ne s'estoit point estudié à leur langue pour pouvoir jouyr de ses conseils, & se communiquer avec eux par soy mesme, & non par Truchemens, qui souvent ne rapportent pas fidellement les choses qu'on leur dit, ou par ignorance, ou par mespris, qui est une chose fort dangereuse, & de laquelle on en a souvent veu arriver de grands accidens. J'ay dit vingt Hyvers pour vingt années, c'est la façon de parler des Montagnais, lesquels voulans dire, quel aage as tu, disent combien d'Hyvers as tu passé, de mesme au lieu que nous dirions deux jours, trois jours, ils, disent deux nuicts, trois nuicts, comptans par les nuicts au lieu que nous comptons par les jours.

Sur l'esperance d'une paix prochaine que nos Sauvages se promettoienr de cest Ambassade, ils ordonnerent des dances, des festins, & divers petits jeus, en quoy ils se firent admirer par les François qui y prenoient un singulier plaisir, nommément la jeunesse. Mais comme on estoit occupé à ces esbats voicy arriver une double chalouppe de Gaspey conduitte par des François qui donnerent advis au sieur de Champlain, de l'arrivée du sieur du Pont, & de son petit fils le sieur Desmarets à Kebec, mais que le Navire du R. P. Noirot Jesuite ne paroissoit point, & faisoit douter de quelque naufrage, ou mauvaise rencontre, neantmoins qu'il leur estoit arrivé des vivres deschargez à Gaspey, & qu'il estoit necessaire que le R. Pere Lallemant descendit à Kebec, pour les envoyer querir au plustost.

A ces nouvelles on advisa d'envoyer promptement les prisonniers Hiroquois, le Capitaine Ckimeouriniou, un autre Montagnais, nommé par les François Maistre Simon, un Hiroquois de Nation, lequel ayant esté pris fort jeune, donné à une femme vefve qui l'adopta pour son fils, est toujours demeuré depuis en leur pays, & affectionné à ce party. Ils demanderent d'estre assistés de quelques François, par une prudence politique, que s'il venoit faute d'eux, & des François, tous les autres François fussent obligez par honneur de se joindre à eux, & prendre vengeance de leurs hommes contre les Hiroquois en quoy ils se pouvoient tromper, car on n'est pas si eschauffez icy que de prendre part dans les interests de ces pauvres gens, sinon par ceremonie, ou pour quelque profit.

Le Frere Gervais m'a dit qu'il eut bien desiré d'y aller, & se fut volontiers offert s'il eut esté en lieu pour en avoir l'obedience, & par permission du R. Père Joseph, mais qu'en estant trop esloigné, il luy en resta seulement le desir & la bonne volonté d'y aller hasarder sa vie pour Dieu, & y cognoistre le pays.

Plusieurs François s'offrirent bien d'y aller, mais avec des conditions si desadvantageuses qu'on les esconduit tous, excepté un nommé Pierre Magnan, lequel, prodigue de sa vie contre l'advis de ses amis se mist en chemin avec le prisonnier, & les trois Montagnais moyennant douze escus qu'on luy devoit donner à son retour, avec tout le profit de ses castors, qui estoit assez peu pour un si périlleux voyage, qui en effet leur fut funeste & malheureux, car ils y furent tous quatre miserablement, condamnez à mourir, puis mangez par les Hiroquois.

Le François estant d'accord pour son voyage, Chimeouriniou se disposa aussi avec les autres pour partir, & asseura le sieur de Champlain, & tous les autres François, & Barbares, que assurement ils reviendroient dans vingt nuicts, & que s'ils en tardoient plus de vingt cinq, seroit signe qu'ils seroient arrestez ou morts, ou tombez malades en chemin puis partirent le jour de la saincte Magdelene pour le pays des Hiroquois, & le Reverend Pere Lallemant, avec le sieur de Champlain pour leur retour à Kebec, pendant que le Frère Gervais resta encore à la traite pour un temps.

De la creance, Religion, ou superstitions des Hurons, du Createur, & de sa mere grand. Des ames des deffuncts, & des presens, & aumosnes qu'ils font à leur intention. De certains esprits ausquels ils ont recours, & des ames des chiens, & choses inanimées.

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