CHAPITRE XXXVIII.

SI nos Freres qui sont à present devant Dieu, & ceux qui restent en tres grand nombre dans toutes les parties de la terre habitable, estoient blasmable en quelque chose, ce seroit pour avoir esté trop retenus, & n'avoir descrites leurs sainctes actions & les grands fruicts qu'ils ont faits, & font actuellement en l'Eglise de nostre Seigneur, qui eussent servy pour nostre exemple & edification; mais comme leur sentiment a esté bon & ne cherchent que l'honneur & la gloire de Dieu, ils se contentent de bien faire sans se soucier des vaines louanges du monde, de maniere que si nous sçavons quelque chose d'eux, ça esté plustost, par autruy que par eux mesmes, car ils ne se sont jamais amusez à faire des Relacions annuelles, qui ne sont pour l'ordinaire que redites, & un desguisement de Rhetoriciens, autant plein de fueilles que de fruicts.

Nos pauvres Religieux ont esté en effet des ames choisies de Dieu pour le salut des peuples ont peu parlé, moins escrit, & beaucoup operé, car le vray serviteur de Dieu, en operant, patissant, & souffrant, non plus qu'en jouissant n'a que la seule voix de l'agneau à l'imitation du vray agneau J.-Christ, ouy & non. Leur vie & leurs actions sont vrayement admirables, & comme parfun très odoriferant devant Dieu, mais la recompence qu'ils en attendent est au delà de tout espoir humain, puis qu'un Dieu si bon ne peut petitement remunerer, donnant dés ce monde le centuple, & aprés la mort, la vie eternelle. La vertu porte tousjours son prix, & n'y a rien qui gaigne tant les coeurs que la douceur, & le bon exemple, & particulierement entre les Infidelles le mespris de l'honneur, & des richesses qu'ils admirent entre toutes les actions de vertu plus difficiles, pour ce que naturellement l'homme est porté d'en avoir, & de fuyr la disette, & le mespris le plus qu'il peut, & il est vraysemblable que cette pauvreté volontaire & le mespris de l'honneur & des richesses de la terre, est un tres-puissant moyen pour terrasser Satan, & luy faire lascher prise des ames qu'il traine dans la perdition, & c'est en cette vertu principalement, que nos Saincts Freres se sont faits admirer entre tous les Religieux qui ont passé depuis eux en ces terres Infidelles pour les acquerir à Dieu.

Plusieurs s'estoient imaginez que le monde se convertissoit plustost par la science des Doctes, que la bonne vie des simples, & c'est en quoy ils se sont trompez, car encor bien que l'un & l'autre soit necessaire, de peu sert le discours docte & eloquent sans l'exemple de vertu. Nostre Seraphique P. S. François souloit dire aux Predicateurs de son ordre qui sembloient avoir quelque vanité de leur science & du sujet de leur Predication: Ne vous enflez point Prédicateurs, de ce que le monde se convertit à Dieu par vos predications, car mes simples Frères convertissent auffi par leurs prieres & bon exemple, qui est la Prédication que principalement je desire & souhaite à tous mes Freres.

Il appelloit simples Freres ceux qui par humilité refusans la Prestrise, desiroient estre Freres Layz, qu'il appelloit par excellence les Chevaliers de sa table ronde, & les meres de la S. Religion, qu'il caressoit & embrassoit amoureusement & paternellement d'autant plus volontiers qu'il sçavoit le dire de David estre véritable, qu'il vaut beaucoup mieux estre le plus petit en la maison de Dieu que le plus grand en la maison des pecheurs, car la Prestrise est un estat qui requiert une si grande perfection, que sainct François par humilité ne l'a jamais voulu estre, & ses premiers compagnons, qui estoient tous gentils-hommes & lettrez n'aspirerent au Sacerdoce, ains choisirent estre freres Laiz par humilité comme ont eu faits beaucoup d'autres saincts personnage, qui s'en jugeoient indignes, tellement qu'au siecle d'or de nostre sacré ordre, à peine se trouvoit il des Religieux qui voulussent estre Prestres, & ce grand Anacorette Pacomius ayant jusques au nombre de 1400 Religieux en son Monastere, ne voulut jamais permettre qu'aucun fut in sacris, pour maintenir l'humilité en sa maison, & eviter le mespris de ceux qui se picquent de vanité, car un Prestre d'un village voisin, leur venoit à administrer les Sacremens.

Ils ne sont ainsi nommez freres Layz que pour les distinguer des freres du Choeur, car au reste ils sont vrayement Ecclesiastiques & de mesme profession & egalité en nostre Religion que les Religieux du Choeur, ils portent aussi ou peuvent porter, comme eux Ordonnances & Offices de nostre Custodie de Lorraine enjoignoient, une petite couronne clericale conformement à la volonté du Pape, qui en fist porter aux premiers compagnons de sainct François, & estoient indifferemment esleus Superieurs, Commissaires, Provinciaux, Gardiens & Vicaires, comme il s'est pratiqué en plusieurs lieux, & mesme de nostre temps nous avons veu Gardien de nostre Convent de Verdun un vénérable P. Daniel, frere Lay, à laquelle charge il est mort, chargé de gloire & de mérite.

Il y a quelques années, que demeurant, de communauté en nostre Convent de S. Germain en Laye, un jeune Religieux Dominicain actuellement venant de la grand ville de Goa, capitale des Indes Orientales, qu'il avoit demeuré l'espace de dix année consecutives, nous dit que nos freres y sont tellement reverés pour leur vertu & egalement tous les Religieux des autres Ordres, qui sont dans les païs Indiens, que sans offencer aucun autre Religieux de nostre Europe, il n'avoit rien veu de pareil en toute la France, en Italie, ny par toutes les Espagnes.

Et veritablement je dois croire que ce bon Religieux parloit du fond de son ame & disoit verité, car bien qu'il fut actuellement retournant d'un si long & penible voyage, qui luy auroit pû causer de la distraction, il estoit neantmoins si retenu eu ses parolles, si modeste en ses actions, & si mortifié de la veue, qu'à peine levoit il les yeux en nous parlant. Il estoit neantmoins François de nation, lequel s'estant transporté en Espagne, fut faict page d'un Seigneur du païs, qui s'embarqua pour Goa, d'où le Viceroy pour sa Majesté Catholique, l'envoya depuis Ambassadeur vers le Roy de la grand Chine, qui le logea l'espace de six sepmaines dans l'un des plus beaux departemens de son Palais Royal, d'où il alla de là passer par la Perse. L'Ambassade finie, & l'Ambassadeur estant de retour à Goa, ce bon page faisant fruict de son voyage & de tant de merveilles, grandeurs & richesses qu'il y avoit vuës, comme les images & l'ombre des beautez du Ciel, prit resolution de quitter le monde & prendre le party de Dieu en l'Ordre S. Dominique, où il a acquis les vertus & les graces necessaires à un bon Religieux.

Je m'informé de luy des principales raretez du Royaume de la Chine, de cette grande muraille qui separe cet Estat de celuy des Tartares, sur laquelle il avoit marché quelque temps. De ce grand, riche & admirable Palais Royal. Des salles lambrissées de plaques d'or massif, couvertes & enrichies d'escarboucles & de diverses pierres precieuses, dans lesquelles l'Ambassadeur son maistre avoit esté receu. Des boulles d'or massif eslevées pour embellissement sur des colomnes, & par dessus les coins & saillies des architectures, & de tous, les pais par où il avoit passé, & trouvay ses responces conformes à tout ce que j'en ay pû apprendre dans l'histoire, & quelque chose de plus que les autres Autheurs, n'avoient point remarquées.

Ma curiosité me porta encores de m'enquerir du Royaume de Calicut, qu'il me dit estre voisin de celuy de Goa, mais commandé par un Roy idolatre, & que ce qu'il avoit le plus admiré estoit le nombre presque infiny de diamans & autres pierres precieuses desquelles brilloient toutes les niches & places où estoient posées leurs idole, & luy reprochoient comme gens terrestre & grossiers, que le Dieu des Chrestiens de l'Europe estoit un Dieu bien pauvre & necessiteux puis que son peuple & ses gens estoient contraincts de passer les mers jusques dans les dernieres extremités de la terre pour avoir de l'or & des pierreries, desquelles leurs Dieux avoient en abondance & de tous biens, comme en effect c'est un tres-riche païs.

Ce ne sont pas seulement les idoles de Calicut & les peuples idolatres, qui en sont enrichis jusques dans un furieux excés, mais mesmes les peuples des Royaumes convertis & particulierement les dames de Goa quoy que Chrestiennes, en portent jusques sur leurs petits patins enchassées en des lames d'or, les oreillettes brillantes, leur pendent sur les espaules, qu'elles ont simplement couvertes jusques à la ceinture d'une fine chemise de cotton, qui debat avec la blancheur de leur chair, & la Thiarre de pierreries que les grandes Dames ont sur la teste leur semble donner grâce avec leur petite jupe volante de fine soye, & dans toutes ces mignardises & parmy tous ses puissans attrais, encore y voit on reluire de la vertu & plus de pudeur que l'on ne s'imagineroit pas, qui est neantmoins chose rare & bien difficile en une femme, qui veut estre estimée belle, & faict ce qu'elle peut pour sembler l'estre, il est vray qu'elles ont un advantage du climat, que les porte naturellement dans l'honnesteté, voyent de la devotion & une grande modestie aux courtisans, jusques au Viceroy mesme, qui faict souvent ses devotions dans nostre Convent, où sa pieté & les diverses mortifications, que nos freres exercent tous les Vendredys l'attirent, & puis l'amour qu'elles ont pour l'honneur & la bonne renommée, les tient en bride, mais tousjours y a il du hasard pour elles ou pour autruy.

Ce n'est pas seulement dans les Indes, que la vertu & la pauvreté Evangelique des Freres Mineurs a esté admirée & bien receuë d'un chacun, mais par tous les autres endroits du monde où ils ont habité. Jacques de Vitriac Cardinal, dit, que au Levant les Sarrazins admiroient leur perfection & humilité, & pour ce leur pourvoyent librement de vivres & logemens & qu'il avoit veu nostre Seraphique Pere sainct François prescher avec un tel zele & ferveur au Soldan d'Egypte, que le renvoyant de crainte de tumulte & souslevement de son peuple, îl luy avoit dit, prie pour moy afin qu'il plaise à Dieu me reveler la loy & la foy qui luy est plus agreable, tellement que ce S. Pere esbranla merveilleusement l'esprit & la constance de ce grand Prince, lequel se fut deslors converty, sans ceste damnable maxime d'estat, qui luy fist préférer la terre au Ciel; & l'enfer au Paradis, par une crainte de souslever son peuple & perdre son Empire, comme si Dieu ne protegeoit point les Princes & les Roys, qui le recognoissent & embrassent son party. Véritablement il est bien difficile & non point impossible, que les grands se sauvent, pour ce qu'ils se flattent eux mesmes & veulent estre flattez, & estre estimez Savans, lors que bien souvent ils irritent Dieu, & font desesperer un peuple.

Ce S. Pere eut douze compagnons qui le suivirent de prés, qui sont les douze premiers Martirs de l'Ordre que l'Eglise a canonisé; Le Pape Gregoire IX qui canoniza S. François, dans la certitude qu'il eut du grand fruict que faisoient nos Freres, leur donna pouvoir de prescher & confesser par tout le monde, où ils se sont depuis espandus, comme il appert par une Epistre d'Alexandre 4, qui siegeoit l'an 1254, 28 ans aprés la mort de S. François que j'ay inserée icy pour vostre edification, Alexandre &c. A nos fils & bien aymés les Freres Mineurs, voyageant aux terres des Sarrazins, Payens, Grecs, Bulgares, Cumanes, Ethyopiens, Syriens, Hyberiens, Alains, Garites, Gots, Rutheniens, Jacobites, Nubians, Nestoriens, Georgiens, Armeniens, Indiens, Mossellaniques, Tartares, Hongrois, de la haute & basse Hongrie, Chrestiens captifs entre les Turcs, & autres nations infidelles du Levant, ou quelque autre part qu'ils soient, salut & Apostolique benediction. Ceste lettre est capable d'annoblir pour jamais l'essence de cet Ordre, & r'allumer dans les coeurs de ses professeurs un vehement amour de l'amour de Dieu & du prochain car 1. on void nos Freres semés aux principales parties du monde, Europe, Asie & Afrique, 2. Ils font espandus par toutes les Provinces & nations plus esloignées, plus Sauvages & Barbares de la terre. 3. Ils entreprennent la conversion de toute sorte d'Infidelles, Schismatiques, Idolatres, Payens, Mahometans, Heretiques, Sarrazins, Turcs, & Juifs, qui est tout le plus grand service qu'on peut rendre à Dieu en ce monde icy.

Environ l'an 1271 fut envoyé és Grece & Tartarie Hierosme d'Ascoli, depuis General, Cardinal, & Pape Nicolas IV, par le Pape Grégoire X, qui mesnagea si bien & si heureusement la reconciliation de l'Eglise Grecque avec la Latine, qu'il amena au Concile General de Lyon, l'Empereur des Grecs, & quarante Princes, qui se vinrent prosterner aux pieds de sa Saincteté, & luy protesterent toute sorte d'obeyssance. Les Ambassadeurs des Tartares, conduits par le mesme furent Baptisez fort solemnellement à la grande Esglise avec un honneur incroyable des Freres Mineurs, occasion pourquoy plusieurs Religieux de cet ordre y furent prescher & enseigner la Foy & la Religion Chrestienne, & derechef Benoist XI, l'an 1341, envoya deux freres Mineurs pour ses Legats, pour restablir la Foy, & eurent permission de l'Empereur d'y prescher l'Evangile, qui profita estrangement.

L'an 1289, Frere Raimond Geoffroy, Provincial esleu General, fut prié par le Roy d'Armenie d'envoyer des Frères Mineurs pour les instruire en la Foy. Il y en depeicha six qui publierent l'Evangile avec un admirable succez, desquels Frere Pierre de Tolentin y receut la couronne du Martyre.

1322. En la ville de Thamné de l'Inde Orientale, furent martyrisez, quatre Religieux passans de Thauris à Carhai, puis à Olmus, de là ils s'embarquerent pour aller à Tharnné, distant trois mois de navigation de Thauris, où ils baptizerent grand nombre de ces Infidels. L'un deux nommé frere Jacques fut exposé par d'eux fois au feu sans brusler Dieu le conservant miraculeusement aussi bien que les trois enfans dans la fournaise de Babylone. Et les habitans du pays prenant de la terre où ont esté martyrisez ces Saincts & la trempant dans l'eauë, & la beuvant se sont guéris miraculeusement de leurs maladies.

1332. A la requeste de Zacharie Archevesque de sainct Thadée en la grande Armenie obeyssant au Pape, le General de l'Ordre envoya grand nombre de Religieux d'Aquitaine & Provence pour la conversion de ses peuples. Le Pere Arnaut demeurant avec Imperatrice Latina de la maison de Savoye, convertit son mary, qui obtint du Pape Jean XXII, des Religieux pour la conversion de ses peuples.

1336. A la requeste de Robert, Roy de Sicile frere de S. Louys Evesque de Tholose, le Turc octroya aux Religieux de sainct François, le mont de Syon, le S. Sepulchre de nostre Seigneur & Bethleem, où estoit autrefois le devot Monastere de Paule & Eustachium, que les Recollects possedent à present avec Nazaret. Le mont Liban, ou ils ont edifié plusieurs Convents depuis deux ans, en ont un en Galata lez Constantinople, avec une residence, & un autre des Conventuels, & en beaucoup d'autres lieux sur les terres des Turcs, où ils souffrent souvent de grandes persecutions, comme nous font foy les lettres que nous en recevons de nos Freres.

1340. Le Chapitre General envoya des Religieux en Sclavonie, & au Royaume de Bosna infectez d'heresie, & y firent, tel fruict qu'après la conversion de ces peuples, ils y bastirent sept Custodies de Convents. Ce fut la mesme année que F. Gentil fut martyrisé preschant en Perse, lequel auparavant estant en Babylone, ne pouvant apprendre la langue Arabique, resolu de s'en retourner en son pays, il rencontra un Ange en chemin qui la luy enseigna miraculeusement, ayant depuis heureusement presché en cette langue là.

1341. L'Empereur des Tartares duquel nous avons parlé, fist bastir, quoy que Payen un Convent aux freres Mineurs en la ville d'Amalech, & appelloit F. François d'Alexandrie son pere, qui l'avoit divinement guery d'une fistule, & luy bailla son fils pour estre catechizé & baptizé.

1342. F. Paschal ayant appris la langue Carmanique, de laquelle on use par tout l'Empire des Tartares, des Perses, Chaldeens, Medes, & Carhai; voyagea & prescha jusques à la ville de Burgaut & Amalech, qui sont aux derniers confins des Perses & Tartares, où aprés plusieurs travaux il fut martyrisé: deux autres le furent encor preschant à Valnacastre & Livonie par le commandement du Duc Idolatre.

Et pour ne parler que des plus insignes missions, Urbain V, 1370; envoya 60 Religieux de sainct François sous la conduite de Frère Guillaume du Prat, qu'il fist Evesque & son Legat au Royaume de Carhai, au mesme au Frere Jean de Naples prescha la Foy au Roy de Gaza où il fut mis à mort aussi bien que quatre autres en Bulgarie par la faction des Grecs.

Voicy derechef un solemnel Ambassade d'Eugène quatriesme, qui depute F. Albert de Sartian, insigne Predicateur, & grand homme d'affaires avec 40 Religieux au Preste-jan, duquel il obtient pouvoir d'aller par tout son Empire, & l'an 1439, il retourna à Florence où se tenoit le Concile General, ayant amené avec soy R.P. en Dieu F. André Abbé du Monastere sainct Anthoine, Legat & Commissaire du Preste-jan, qui desiroit recevoir instruction, & rendre obeyssance à l'Eglise Romaine. Il fut receu avec toute sorte de magniscence & joye, & enseigné en la Foy & doctrine orthodoxe. Au mesme temps F. Jean de Capistran Vicaire General de l'Ordre estant allé en Levant pour là Reformation des Convents de l'Ordre, y amena les Ambassadeurs Arméniens, & depuis fut Legat en Lombardie, où il ramena le Duc de Milan qui favorisoit le Concile de Basle. Martin V le fit Inquisiteur General du sainct Office par toute la Chrestienté où il se trouvoit. Eugene 4 luy confirma cette dignité, & le fit son legat contre les Juifs, Payens & Heretiques, & convertit un jour à Rome 40 Juifs avec le Prince de la Synagogue nommé Sagelas, lequel il rendit muet & vaincu en dispute publique, & refusa, plusieurs Eveschez pour estre plus libre à prescher, à la requeste de l'Empereur Frederic, de l'Archiduc d'Austriche, d'Eneas Sylvius Evesque de Sienne Legat du sainct Siege, depuis Pape Pie Second, Nicolas V l'envoya en Hongrie & Allemagne, où il avoit acquis une si grande créance qu'Eneas Sylvius en dit ses mots: Frere Jean est un homme de Dieu, les peuples d'Allemagne le tiennent comme un Prophete, il a le pouvoir, s'il vouloit au moindre signe de la main, d'eslever une grande multitude; il se trouva avec un Crucifix en main à la bataille que les Chrestiens gaignerent en Hongrie contre Mahomet second, qui avoit tout fraischement envahy l'Empire de Constantinople, & se promettoit là conqueste de toute la Chrestienté, mais, ce serviteur de Jesus-Christ anima tellement par ses prédications les Chrestiens, qu'ils furent victorieux, ce que tesmoignent Nicolas Calcondile, Grec, & le livre Fasciculus temporum, autheurs qui vivoient au mesme temps.

Ce sainct personnage estoit receu en toutes les villes avec un applaudissement & joye incroyable, le peuple luy alloit au devant, il estoit receu avec le son des cloches, conduit en la grande Eglise, où l'on entonnoit le Cantique Te Deum Laudamus, avec la musique & les orgues, chacun admirant sa doctrine, & ses miracles, il baptisa en la Russie & Valachie plus de dix mille ames, chose incroyable par une seule predication, mais accompagnée de l'esprit de Dieu, à Gabrie en Pologne six vingts jeunes hommes estudians dirent à Dieu au monde pour endosser l'habit de Religion, desquels cent se firent Religieux de S. François; il fit brusler six chartées d'instrumens à jouer, & six cens, d'attifez & vains ornemens des femmes, lequels servent de prise au diable pour decevoir & perdre les ames.

Le Pape Calixte III, rapporta la victoire des Chrestiens sur les Turcs assiegeant Bellegrade l'an 1456, aux prières de ce grand serviteur de Dieu, en laquelle il n'y eut jamais que soixante Chrestiens de tués, & y demeura bien, deux cents quarante mille Turcs, avec 160 pieces de canon qui furent prises. Il mourut la mesme année le 13 Octobre aagé de soixante dix ans quatre mois, desquels il en avoit passé 40 & six mois en la vie Religieuse. Le Souverain, Pontife Calixte III pleura amerement sa mort & permit dés lors d'exposer son image, en publique, & faire l'office d'un sainct Confesseur, & Docteur en l'Evesché de Sulmona, d'où il estoit natif: & depuis ayant operé quantité de miracles, Grégoire XV, dernièrement decedé le déclara solemnellement bien heureux, avec permission de celebrer sa feste & son office en tout l'ordre S. François.

Le Bien heureux frere Jacques de la Marque l'an 1490, convertit à la Foy le Royaume de Bosna; dans lequel y avoit plusieurs Payens. Il prescha douze ans entiers par les commandemens d'Eugène IV, Nicolas V, & Calixte III en la Hongrie, Sclavonie, Dalmatie, Pologne, Albanie, Prusse, Dannemarc, & haute Allemagne, & fit un tel progrez, & profit qu'il baptiza plus de deux cents mille ames, soient Payens convertis, ou Schismatiques reunis à l'Eglise: suivant laquelle ils n'avoient pas esté deuement baptisez, manquant quelque chose d'essentiel au Baptesme. Il prescha 40 ans durant avec une infinité de miracles, mourut aagé de 90 ans, dont il en avoit vescu 61 en Religion, avec une rigueur & austerité incroyable. Sixte IV, à qui il avoit prophetizé qu'il seroit General, Cardinal, & puis Pape, commanda qu'on mit son image en l'Eglise pour y estre venerée, son manteau au Convent de Montbrandon où il prit l'habit, chasse les Diables encor à present, & sa corde & son habit font le mesme au Convent de nostre Dame la neufve à Naples où il est enterré.

Des deux Indes Orientales & Occidentales, & des conversions admirables que les Freres Mineurs y ont operé, & comme dés l'an 1622, ils avoient dans la seule Mexique plus ce cinq cens Convents en 22 Provinces.

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