CHAPITRE XXXVII

VErs la my Mars de l'an 1618: Les Sauvages qui avoient hiverné és environs de l'habitation, commencerent à s'approcher d'icelle à cause des neiges qui se fondoient, comme les rivieres, les glaces qui se détachoient par tout des bords, qui rendoient la navigation perilleuse, c'est ce qui les fit passer, & advancer peur de plus grandes incommoditez. Le sauvage Mecabau, autrement appellé pat les François Martin, que j'ay autrefois fort cogneu comme bon amy, & pour ses petites reverances qu'il vouloit faire à la Françoise, se cabana assez proche de nostre Convent, d'où il venoit souvent visiter nos Religieux & les RR. PP. Jesuites qui estoient fort ayse de sa compagnie, car par le moyen de son entretien on apprenoit tousjours quelque chose de la langue. Or il advint que le R.P. Masse Jesuite (encor nouveau dans la langue,) luy voulans dire quelque chose en Montagnais, luy dit tout autrement de sa pensée, certains mots qui signifioient, donne moy ton ame, aussi bien mourras tu bien-tost: ce qui estonna fort le Sauvage, qui luy repartit, comment le sçay-tu, ce que n'entendant pas le Pere Masse il continua sa première pointe, qui fascha à la fin aucunement le Sauvage & le porta à luy dire leur diction ordinaire, tu n'as point d'esprit, puis feignit s'en aller mescontant, ce qu'apercevant le R.P. Masse, changea de discours & luy fist present d'une escuellée de poix, qu'il accepta volontiers & l'emporta à sa cabane, d'où il revint à nostre Convent, pendant que ses enfans les firent cuire dans un chaudron sur le feu.

Estant chez nous il s'adressa au P. Joseph & luy conta le pourparler qu'il avoit eu avec le R. P. Masse, luy disant, mon fils (car ainsi appelloit il le Pere Joseph,) je viens de voir le P. Masse, je croy qu'il est plus vieux que moy & si n'a point d'esprit, car il m'a demandé par plusieurs fois mon ame, & me pronostique que je mourray bien-tost, & me semble neantmoins que je mange encore bien, & que j'ay de fort bonnes jambes, & d'où viendroit donc que je mourusse si-tost, sinon que luy mesme me voulut faire mourir. Le Pere Joseph luy dit, tu monstre bien toy mesme que tu as bien peu d'esprit d'avoir si mauvaise opinion de personnes qui te cherissent egalement comme nous, tu dis vray, dit-il, car il m'à donné une escuellée de poix que j'ay donnée à cuire à ma cabane pour mes enfans & pour moy, & ayant sçeu du Père Joseph, que le Pere Masse ne l'avoit interrogé que pour s'instruire de la langue, qu'il n'entendoit pas encore, il s'en retourna à sa cabane pour manger de ses poix, qu'il trouva amers comme aloës, & n'y pû apporter remède.

Or pour ce que le mal heur de l'histoire ou plustost bon heur, puis qu'elle luy causa son salut, vint de la salleté dont ils usent à l'aprest de leurs viandes; il faut que je vous die qu'ils ne nettoyent rien de ce qu'ils mettent au pot, s'ils ont un gros poisson ou un morceau de viande à couper ils mettent gentiment le pied dessus, & le coupent pour la chaudière, sans rien laver fut il fort salle, moisi où pourry, comme j'ay dit ailleurs. Ils en firent de mesme des poix du Pere Masse, tords au possible, d'alun, de noix de galle & de couperose, qui par mesgard s'estoient meslez parmy d'une composition d'ancre, mais qui rendirent les poix si extremement noirs & mauvais, qu'il fut impossible d'en pouvoir manger, ny le pere ny les enfans, ny mesme les chiens, dont un mourut pour en avoir mangé d'un reste que le pere avoit jetté en terre, & luy mesme en fut extremement malade, pour y avoir gousté, & ses enfans encor plus, de quoy il s'alla plaindre au Père Joseph, luy disant: mon fils, il est vray que le Pere Masse n'a point d'esprit de m'avoir voulu faire mourir, il m'a demandé mon ame, c'est à dire qu'il desiroit que je mourusse, dont je m'estonne d'autant plus que je ne luy ay jamais faict de desplaisir. Il m'a donné des poix qui ne valent rien & nous ont rendus, moy & mes enfans jusques à l'extremité, j'y ay mis de la viande, pour en oster le mauvais goust, & ils n'en ont pas esté meilleurs, j'ay tout jetté aux chiens dont l'un en est des-ja mort & ne sçay que deviendront les autres, voy donc mon fils le mal que l'on nous veut, & y apporte du remede.

Le Pere Joseph bien estonné du discours de ce barbare; tascha de le consoler au mieux qu'il peut, & partit en mesme temps pour aller trouver le Pere Masse, auquel il conta l'effect des poix, qui fut bien esbahy ce fut le bon Pere, car il croyoit avoir faict une oeuvre de grande charité en faisant ce present, mais ayant mené le Pere Joseph au baril où il les avoit pris, il s'y trouva tant de drogues, que l'on ne douta plus de la malignité des poix & fut contrainct d'advouer, que le mal en venoit de là, mais pour ce qui estoit d'avoir demandé l'ame de ce pauvre homme, c'est à dire sa mort, le bon Pere asseura, comme il est tres-certain, qu'il ne pensoit pas luy tenir ce langage là & que cela luy devoit estre pardonné, comme n'estant pas encor assez instruict en leur langue. Je peux souvent manquer & dire une chose pour une autre en ces commencemens, dit-il au Pere Joseph, & partant, je vous supplie d'appaiser ce barbare & considerer que ce que je me hazarde de leur parler n'est que pour les instruire en m'apprenant tousjours ce qui ne se peut faire sans faute.

Le Pere Joseph ayant sçeu comme la chose s'estoit passée, retourna à son Sauvage, lequel il pria de croire que le tout s'estoit faict sans dessein de l'offencer, & qu'au contraire le Pere Masse l'aymoit tendrement comme son frere, & bien marry de ce mal heureux accidens qu'il eut voulu rachepter pour beaucoup, s'il eut esté à son pouvoir, mais que la faute estant faicte il la devoit pardonner quand bien il y auroit eu de la négligence du Pere à nettoyer ces poix. Le barbare luy repartit que c'estoient toutes excuses & qu'il l'avoit voulu asseurement faire mourir, & pour chose qu'on luy pû dire du contraire ou de luy pû jamais oster cela de l'esprit, & coëffé de ceste mauvaise opinion, il partit pour les Montagnais, vers les quartiers du cap de tourmente, où à peine fut il arrivé qu'il tomba griefvement malade, ce qui le contraignit d'avoir recours aux François, qui se trouverent là pour en recevoir quelque soulagement ou remede à son mal, mais pour soin qu'on en prit on ne le pû guerir ny remettre en santé. Le sieur Foucher qui estoit là Capitaine, luy fist donner du vin d'Espagne & de l'eau de vie pour le remettre en force, & voir si ces remedes extraordinaires luy serviroient mieux que d'autres drogues plus ordinaires, mais rien ne le pû soulager, dequoy ces bons François estoient for marris, pour l'avoir tousjours veu fort affectionné à leur endroit.

A la fin ce bon homme, qui conservoit en son coeur le desir d'estre Chrestien depuis un long-temps sans l'avoir absolument declaré le manifesta lors, & dit qu'il vouloit aller retrouver le Pere Joseph pour estre baptizé, & pour ce les pria de luy prester un canot, ce que fist le sieur Foucher aprés l'avoir supplié de demeurer là à cause de sa grande foiblesse, & pour les glaces, qui pourroient offencer son canot des ja fort depery & le perdre en suitte, mais cette priere fut inutile.

Car il avoit une telle apprehension de mourir sans avoir receu le baptesme, que la mesme apprehension estoit capable de l'envoyer au tombeau, si on ne lui eut donné contentement. Il s'embarqua donc avec ses deux fils, l'un aagé de 17 à 18 ans, & l'autre de 12 à 13, & arriverent tout d'une Marée proche de Kebec, en un endroit où la riviere portoit, & là ils deschargerent leur pere sur la glace, puis ayans caché leur canot dans les bois; l'un deux vint en nostre Convent advertir que leur père se mouroit, & supplioit le Pere Joseph de l'aller baptizer auparavant, d'autant qu'il le desiroit à toute instance. Ce qu'entendant le Pere Joseph plein de zele, prist un peu de vin pour le malade, & s'en alla promptement au devant de luy qu'il trouva en devoir de se faire trainer vers nostre Convent par l'un de ses fils. Sitost qu'il apperceut le P. Joseph, il luy cria de loin, mon fils je te viens voir pour estre baptisé, car je croy que je m'en vay mourir, tu m'as tousjours promis que tu me baptizerois si je tombois malade, et tu vois l'estat auquel je suis à present comme d'un homme qui n'a presque plus de vie.

Le Pere Joseph attendry des paroles de ce pauvre vieillard, lui dit: Mon Pere je suis marry de ta maladie, & me resjouy fort de ton bon desir, sçache que je ferai pour toy tout ce qu'il me sera possible, & te nourrirai comme l'un de mes freres; mais pour ce qui est du sainct Baptesme, comme la chose est en soi de grande importance il faut aussi y apporter une grande disposition, & me promettre qu'au cas que Dieu te rende la santé, que tu ne retourneras plus à ton ancienne vie passée, & te feras plus amplement instruire pour vivre à l'advenir en homme de bien, & bon Chrestien, ce qu'il promit.

Alors ledit Pere faisant office de charité & d'hospitalité, le prist par la main, & l'ayda à conduire en nostre Convent, où on lui disposa un grabat dans l'une des chambres, plus commode & y fut traicté & pensé par nos Religieux au mieux qu'il leur fut possible, pendant cinq jours que la fievre continue luy dura avec des convulsion fort estranges. Le Chirurgien des François le vint voir, & luy fist aussi tout ce qu'il pû, mais comme ces gens là ne se gouvernent pas à nostre mode, l'on avoit beaucoup de peine autour de luy, & s'il vouloit qu'il y eut tousjours quelque Religieux peur de mourir sans le Baptesme qu'on differoit luy donner pretextant l'apparence d'une prochaine guerison, qui trompa nos frères.

J'ay admiré la ferveur & devotion de ce bonhomme pendant sa maladie, car de nos Religieux m'ont asseuré qu'il proferoit tous les jours plus de cent fois les saincts noms de Jesus Maria, & demandoit continuellement d'estre enrollé soubs l'estendart des enfans de Dieu jusques à un certain jour qu'il dit au P. Joseph, Mon fils je pense que tu me veux laisser mourir sans Baptesme, & as oublié la promesse que tu m'avois faicte de me baptizer quand j'y serois disposé, quelle plus grande disposition desire-tu de moy, que de faire tout ce que tu veux, & croire tout ce que tu crois, dans laquelle croyance je veux vivre & mourir. Mon mal se rangrege prend garde à moy, & que par ta faute je ne sois privé du Paradis, pour ce que tes remises me mettent dans un hazard de perdition.

Là dessus le Père luy dit qu'asseurement il le baptizeroit avant mourir, & qu'il n'eust point de crainte, & que ce qui l'avoit obligé à ces remises estoit outre l'esperance de sa guerison, qu'il vint avec le temps à retourner à ses superstitions, & oublier le devoir de Chrestien, comme il est facile à ceux qui ne seroient pas deuëment instruicts vivans parmy vous autres. A quoy le Sauvage repartit, Mon fils, il est vray qu'il est bien difficile de pouvoir vivre parmy nous en bon Chrestien, veu que les François mesme qui y viennent hyverner ny vivent point comme vous, mais sçache que tu ne seras pas en peine de m'y voir plus, car je me meurs & n'en peu plus, une chose ay je encore à te prier de me faire enterrer dans ton cimetiere auprés de Monsieur Hebert, car je ne veux pas estre mis avec ceux de ma Nation, quoy que je les ayme bien, mais estant baptizé il me semble que je dois estre mis avec ceux qui le sont, mes enfans n'en seront point faschés, d'autant que je leur diray en leur faisant sçavoir ma derniere volonté, de laquelle je croy qu'ils feront estat.

Le Pere le voyant perseverer dans une si ferme resolution de son salut, luy accorda sa demande, & le baptisa pendant une convulsion qui luy arriva tost après, laquelle fut telle qu'il eut opinion qu'elle l'emporteroit: Neantmoins il revint à soy, & ayant demandé le Baptesme, il luy fut dit qu'il venoit d'estre baptizé, ce que tous luy tesmoignerent, & mesme l'un de ses enfans qui estoit là present, dequoy il se monstra tres-satisfaict par ces paroles, disant, Jesus Maria, je suis bien content, & ne me soucie plus de mourir puis que je suis Chrestien, & puis disoit par fois Jesus prend moy à present, ce qui donnoit de la devotion aux plus indevots mesmes qui admiroient ces paroles.

Peu de temps après arriverent trois Sauvages, Napagabiscou son gendre, un de leur Médecin, avec un autre de leurs amis. Sitost qu'ils furent entrez le Médecin demanda au malade combien de jours il y avoit qu'il estoit dans ces langueurs, l'autre luy respondit quatre, puis le Medecin le prenant par la main la regarda, & die qu'il cognoissoit par icelle qu'un homme luy avoit donné le coup de la morts mais que s'il vouloit permettre qu'il le chantast, qu'il le rendroit bien tost guery, ce que le malade ne voulut permettre disant qu'estant à present baptizé cela ne se devoit plus faire, ce que luy confirma, Napagabiscou son gendre aussi Chrestien, & le loua de s'estre fait baptizer, & de ne souffrir plus ces importuns chanteurs qui ne clabaudent que pour leurs interests.

Neantmoins le malade fut porté de curiosité de sçavoir du Médecin comment il cognoissoit qu'un homme le faisoit mourir, confessant qu'on luy avoit donné à manger quelque chose qui ne valoit rien, nottez sans nommer le P. Masse, car nos Religieux luy avoient deffendu, le Medecin dit qu'il le voyoit fort bien en sa main. On luy demande de quelle Nation estoit celuy qui avoit donné le mal: il repart des Etechemins (qui est une Nation du costé du Sud de l'habitation & assez esloigné dans les terres.) On l'interroge comment cela s'estoit pu faire, puis qu'il y avoit plus de deux ans qu'on n'en avoit veu aucun en ces quartiers. Il dit qu'il estoit venu la nuict, & qu'ayanr trouvé Mecabau endormy qu'il luy avoit mis une pierre dans le corps, laquelle luy causoit ce mal, & le feroit mourir si on ne luy ostoit à force de souffler. Cela appresta un peu à rire à nos Religieux, qui luy dirent qu'il estoit un manifeste trompeur & ne sçavoit ce qu'il vouloit dire.

Mais comme il vit qu'on donnoit à manger à ce malade, il changea de notte, & dit à nostre Frere Gervais qui en estoit l'infirmier, ne vois-tu pas bien que tu n'as point d'esprit de donner à manger à cet homme qui n'a point d'appetit, & que quand on est malade on ne sçauroit manger, & qu'il faut attendre que l'on soit guery & en appetit, je ne sçay si ce Médecin avoit appris les maximes des Egytiens & des ltaliens, qui donnent aux malades, le pain & les viandes à l'once, mais il estoit un peu bien rigide, ce qui me faict derechef deplorer la misere de leurs pauvres malades, qui meurent souvent faute d'un peu de douceurs pour les remettre en appétit.

J'ay dit en quelque endroit que la vengeance & le soupçon en cas de maladie est fort naturelle, & attachée de pere en fils à nos Sauvages. Mecabau qui ne pouvoit oublier ses poix en conta l'histoire (à nostre insceu) au Médecin, & à son compagnon, qui en furent fort scandalisez, & sortirent de nostre Convent tout en cholere pour l'aller dire à leurs femmes, lesquelles en conceurent une telle aversion contre les RR. PP. Jesuites, qu'elles dépescherent en mesme temps un canot à Tadoussac, & un autre aux trois rivieres pour en donner advis à tous ceux de leur Nation, qu'elles conjurerent de se donner de garde puis que desja ils avoient faict mourir, le pauvre Mecabau. Qui fut bien estonné, ce furent nos pauvres Religieux, qui eurent aussi tost advis de ce mauvais trafic. Ils en tancerent fort ce nouveau baptizé, & le reprirent de n'avoir encore quitté cette mauvaise opinion, comme ils l'en avoient desja par plusieurs fois prié. Que faut-il donc que je fasse, leur dit-il, est il pas vray qu'ils m'ont donné des poix qui ne valoient rien, dont je suis malade & prest à mourir pour en avoir mangé. On luy dit que sa maladie ne venoit pas de là, & que c'estoit pour avoir trop travaillé & estre trop vieux. Il est vray, dit il, que je suis bien vieux, & que je ne puis pas toujours vivre, mais qu'est-il donc question de faire pour vous contenter, il faut dit le Pere Joseph que tu efface de ton esprit toutes les mauvaises pensées que tu as contre les Peres Jesuites, & que tu renvoye querir ces deux de ta Nation, à qui tu les as dites pour leur tesmoigner du contraire, ce qu'il promit, mais avec bien de la peine, car il ne vouloit pas se desdire.

Les hommes estans arrivez, il les pria de ne point croire ce qu'il leur avoit dit des Peres Jesuites, & qu'ils estoient de bonnes personnes, partant qu'ils renvoyassent à Tadoussac, & aux trois rivieres dire la mesme chose, ce qu'ils promirent moyennant quelque petit present, car entr'eux comme en Turquie les presens ont un grand pouvoir. Le gendre estant de retour, le malade luy dit qu'il se sentoit bien mal, & qu'il leur vouloit dire ses dernières volontés, & partant que l'on fit venir sa femme & ses enfans, ce qui fut promptement executé, estant arrivez, il les fist mettre autour de luy, & se tournant vers son gendre, luy dit, Napagabiscou tu es mon gendre que j'ay tousjours fort aymé dés que tu estois petit garçon, & pour cela je t'ay donné ma fille que tu as aussi tousjours aimé, tu n'as guere disputé avec elle, car elle t'ayme bien aussi, deffuncte ma femme qui estoit sa mere, m'aymoit bien aussi, & moy elle. C'est pourquoy je vous recommande de vous bien aymer, cela n'est pas bien quand on querelle l'un contre l'autre, car personne n'en peut estre edifié ny content. Aime bien auffi tes enfans, tes frères & tes soeurs qui sont mes enfans, aussi ta belle mère, qui est à present ma femme, quand ils auront necessité ne les abandonne point, donne leur tousjours de la chair & du poisson quand tu en auras.

Ne sois point querelleur avec les autres, ny porteur de mauvaises nouvelles, & pour ce faire ne hante point ton oncle Carominisit, car c'est un querelleur, ne va point en sa cabane, ny avec ceux qui font comme luy. Mais ayme les François & va tousjours avec eux, particulierement avec le Père Joseph, & ceux qui sont habillez comme luy, car tu es baptisé aussi bien, que moy. Il faut que tu les aymes plus que les autres puis qu'ils t'ont baptisez, quand tu auras de la viande, & du poisson, tu leur en donneras, & ne les abandonneras point. Ayme aussi les Pères Jesuites, & oubly ce que je t'en ay dit. Ayme aussi Monsieur du Pont, Monsieur de Champlain, Madame Hebert, & son gendre, & tous les autres François qui seront bons, & ne va point avec les meschans. Ne te fasche point quand je seray mort, il nous faut tous mourir & partir de ce pays icy, & ne sçavons quand. A quoy respondit le gendre, je feray tout ce que tu m'as dit mon pere, & puis se teut, car ils n'ont pas grand responce.

Puis le malade s'adressant à ses enfans qui estoient là pleurants, dit à son fils aisné: Matchonnon (ainsi s'appelloit-il) sois tousjours bon garçon, & ayme bien tes freres, & tes soeurs, ne sois point paresseux, car tu es bon chasseur, & bon pescheur, & ne sois point aussi quereleur, demeure avec ton beau frere, & toy & tous tes freres & soeurs, vivez bien en paix, ne va point à la cabane de ton oncle Carommisit, car c'est un quereleur. Si tu veux demeurer avec le Pere Joseph je le veux bien, il te baptisera, & tous tes frères, & croy ce qu'il dira, mais pourtant ne va point en France, car peut estre que tu y mourois, que tes frères n'y aillent point aussi. Pour demeurer icy avec luy je le veux bien. Je luy ay promis ton petit frere Chippe Abenau, s'il le veut avoir donne luy, mais qu'il n'aille point en France, comme je vien de dire.

Voicy comme il luy enseigne de prendre une fille honneste. Quand tu te marieras prens une fille qui ne soit point paresseuse ny coureuse, ayme la bien, & tes enfans, n'en prens point d'autres de son vivant, ne te fasche point contre elle, ne la chasse point, ayme tousjours tous les François, & les assiste de chair, & de poisson quand tu en auras, & de l'anguille au temps de la pesche, que tu donneras au Pere Joseph, & à ses Freres, afin qu'ils n'ayent point de faim. Ne te fasche point quand je seray mort. Le Pere Joseph me donnera un drap pour m'ensevelir, & m'enterrerai auprès de Monsieur Hebert, ne t'en fasche point. A tout cela le fils luy respondit de mesme que le gendre, mon pere je feray tout ce que tu m'as dit, & le mettent en effet, car ils ont en grande veneration les dernières paroles de leur pere & mere, plus que toutes les autres qu'ils leur ont dites de leur vivant, en quoy ils sont imitez de tous les bons Chrestiens, pour ce que les dernieres paroles sont ordinairement les plus energiques & salutaires.

Le pauvre Mecabau fit la mesme exhortation à tous ses autres enfans, les uns après les autres, par lesquelles il leur recommandoit particulierement la paix & l'amitié, qui estoit tout ce que sainct Jean recommanda à ses Disciples avant sa mort, disant qu'en ce seul, commandement de s'aymer l'un l'autre, ils accompliroient toute la Loy. Puis s'adressant au Pere Joseph, & à tous ses Religieux il luy dit: Pere Joseph mon fils, je te remercie de ce que tu m'as Baptisé, & m'as souvent donné à manger, & à tous mes enfans, ayme les auffi comme tu m'as aymé je t'en prie. Quand ils auront faim donne leur à manger, & si tu n'y es pas, tu diras à tes frères qu'ils leur en donnent. Je t'ay tousjours bien aimé, voyla pourquoy je te donne mon petit garçon Chappe Abenau, ayme le, & tous mes enfans, baptise les, mais je te prie qu'ils n'aillent point en France, tu as bien entendu tout ce que je leur ay dit, je veux qu'ils le facent, & se tournant vers Frere Gervais, il luy dit, Frère Gervais ayme bien aussi mes enfans, si tu veux aller Hyverner, pour apprendre la langue, va demeurer avec eux, ils auront soin de toy. Quand le Pere Joseph sera mort tu diras à tes autres Freres qui viendront, qu'ils ayment bien mes enfans.

Lors le Pere Joseph dit, je suis bien edifié de tes paroles, par lesquelles tu montre que tu as de l'amitié, & de l'esprit, mais je suis estonné que tu deffends à tes enfans d'aller en France, où, il y faict si beau vivre, je te promets bien que je les aymeray, & assisteray, de tout mon pouvoir, mais pour le petit Chippe Abenau que tu m'as donné, je serois bien ayse de le conduire en France, avec le petit Louys fils de Choumin, à quoy il ne voulut jamais consentir, à cause qu'il y en estoit mort quelqu'uns de leur Nation. Puis il faict son Testament, en recommandant à ses enfans d'aymer aussi leur belle mère, qui ne s'estoit pû la trouver; & comme il estoit de son naturel fort jovial, levant les yeux, ça dit-il, ou est la mort elle ne vient point.

Mais on luy dit aprés, Mecabau, vous avez eu raison d'exhorter vos enfans, & de mespriser la mort, vous sentant bien avec Dieu; neantmoins il y a encore une chose que vous avez oublié, de leur enjoindre payer à Monsieur Corneille ce que luy devez, (c'estoit le Commis de la traite) car on doit payer ses créanciers, comme nous vous avons dit, ou donner charge qu'il se fasse payer. Vous n'avez point d'esprit, respondit-il, ne sçavez vous pas bien qu'il a tant gaigné avec moy, & que je luy ay tant donné de testes, & de langues d'eslan, & des anguilles à foison, lors que je faisois la pesche, c'est au moins qu'il me donne ce que je luy dois, si je retourne en convalessence je le payeray, mais si je meurs je ne tueray plus de castors pour luy satisfaire, & n'entend point laisser debtes à mes enfans, & comme on luy eut dit qu'il n'y avoit que 20 castors à payer, ce n'est pas beaucoup, dit-il, c'est pourquoy il luy sera plus facile de me les quitter, car il est assez riche, & nous pauvres.

Le lendemain matin sa femme le vint voir, faschée de ce qu'il vouloit estre enterré à nostre Cimetiere, & pria ses enfans de le mener à sa cabane, pour estre enterré avec ceux de sa Nation, car elle ne pouvoit souffrir pour la mesme raison qu'il mourut en nostre maison, ce bon homme refusoit fort & ferme de sortir, car il n'osoit desobliger nos Religieux, qui le prioient de demeurer, mais à la fin il fut tellement, persuadé qu'il fut contraint de se laisser conduire à sa cabane, disant qu'on luy avoit asseuré qu'il n'importoit où l'on mourut pourveu que l'ame fut sauvée, & ainsi partit nostre malade conduit sur une trame par sa petite fille.

Nos Religieux neantmoins ne l'abandonnèrent point, car ils l'alloient souvent voir pour l'exhorter à la perseverance, mais, comme il arriva que le Pirotois, & plusieurs de ses amis l'allerent visiter pour le divertir par quelque chanterie, le malade leur souffrit, & chanta avec eux, non à dessein de guarison, mais pour leur complaire, ce que sçachant les François, firent courre le bruit qu'il estoit retourné à ses superstitions passées, en quoy ils se trompoient, car à ce faux bruit le Pere Joseph y fut qui le trouva tousjours dans sa première devotion, & n'avoit chanté, que pour complaire aux autres, car, l'ayant interrogé il protesta qu'il vouloit vivre & mourir en bon Chrestien, & dans nostre croyance comme il avoit promis au Sainct Baptesme. On luy oyoit aussi souvent dire ces mots, Jesus Maria, Chouetimit egoke sadguitan, qui signifie en François, Jesus Maria ayez pitié de moy & je vous aymeray.

Et comme la maladie s'alloit rengregeant il perdit peu à peu la parole, & mourut en nostre Seigneur pour vivre en Paradis, comme pieusement nous pouvons croire. Il fut ensevely dans le drap que nos Religieux luy avoient donné, puis enterré au Cimetière de ceux de sa Nation, proche le jardin qu'on appelle du Pere Denys, pour le contentement de ses parens, qui autrement n'eussent point vescu en paix.

Des Missions & fruicts des Freres Mineurs en toutes les principales parties du monde, & d'un Religieux Dominicain, venant actuellement de la grande ville de Goa, capitale des Indes Orientales.

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