CHAPITRE I.

N dit que la consideration fait les Sages, & les Saincts, & nous esleve jusques à pouvoir connoistre Dieu, & nous-mesmes, mais nostre negligence & peu de soin nous entretient souvent dans l'ignorance. C'est une chose merveilleuse que Salomon aye cognu jusques à la vertu de l'ysope, & nostre premier Pere jusques au moindre des animaux ausquels il a imposé les noms, & que nous qui devrions estre tout confit en cognoissance, ignorons encores les choses plus communes de la divine providence à nostre endroict. Qui ne voit les continuels miracles de Dieu, en la nourriture & aliment des hommes de tout cet univers, je ne sçay si je me trompe, mais je croy que n'estoit le miracle qu'il ne se trouveroit pas à chacun, deux gerbes de bled aprés la moisson, & cependant tout le monde vit.

Laissons à discourir des hautes sciences aux Doctes, & dans nostre simplicité ordinaire, voyons un peu ce qui se passe à Paris, & dans les grandes villes peuplées, & vous verrez (chose admirable) qu'il n'y a journées qu'il ne s'y consomme plus de boeufs, & de moutons, d'oyseaux, & de poissons, avec toutes autres sortes d'animaux de poils, & de plumes, qu'il ny pourroit avoir d'animaux nuisibles en route une Province, & pourtant il y en a tousjours de reste pour le lendemain. C'est la providence divine qui a esté en cela, fort sage, ayant fait que tous les animaux pour eux & de bon manger, soyent grandement feconds, afin que par estre souvent mangez, ils ne deffaillissent ainsi que bestes nuisibles & malfaisantes, lesquelles sont d'elles-mesmes peu lignageres. Partant le lievre est fort fecond, & seul de toutes les bestes de venaison, surcharge sa portée, à cause que l'homme, bestes, & oyseaux le poursuivent à mort. Pareillement le haze des connils se trouve si pleine de lapins, que les uns sont encor sans poil, les autres sont un peu plus formez, & les autres sortent du ventre. Entrons dans les colombiers & nous, chargeons de pigeonneaux, dans un mois d'icy nous y trouverons encores autant, de mesme des molues, & harangs (chose prodigieuse) desquels on fait de si furieuses pesches tous les ans, & si on n'en sçauroit espuiser la mer, ny les rivieres de toutes autres especes de poissons, non plus que l'air & la terre, & des oyseaux, & bestes de bon manger, dequoy nous devons grandement louer le Createur, & faire icy une bonne meditation, puis que nous voyons mesme les bestes & animaux nuisibles estre en moindre nombre, & moins lignageres que ceux qui servent à la vie & nourriture de l'homme, comme est de la lyonne qui est la plus forte & la plus hardie de routes les autres bestes, laquelle selon les Egyptiens, ne porte qu'une fois en sa vie, & un seul faon seulement, mais bien davantage on nous asseure que le lyon n'a point de sentiment, & mourroit de faim si la divine providence ne l'avoit pourveu d'un petit compagnon ressemblant au chat que les Italiens appellent Gati. Ce petit animal esvente la proye, estant descouverte il court, & glapit pour advertissement au lyon, lequel le suit jusques à la veue de la beste qu'il va estrangler, & en fait part à son bien-facteur, car entre tous les animaux le lyon est recognoissant.

Certes il y en a qui se plaisent bien en la jouissance de toutes ces choses, mais, ils en recognoissent mal celuy qui leur a donné, d'où il advient qu'ils en usent comme bestes sans eslever leur pensée à Dieu, qui a creé tout ce qui est de ce monde pour le service, & la gloire de l'homme, comme l'homme pour sa gloire & son service. Mais comme nous nous sommes rendus rebelles à Dieu par le peché, le mesme peché a rendu les bestes rebelles à l'homme, qu'elles offencent comme nous offençons Dieu.

Plusieurs grands saincts ont néantmoins commandé aux plus feroces & cruelles, & ont esté obeys, comme un sainct François qui deffendit à un loup enragé de plus faire de mal, & se rendit doux comme un agneau, mais ce sont graces qui n'appartiennent qu'à ceux qui ont la mesme innocence de nostre premier Pere avant son peché, & ne devons en traitter les animaux plus cruellement, puis que leur cruauté n'a pris naissance que de nos pechez.

Je ne sçay dans quelle cognoissance plusieurs Nations Payennes n'ont pas voulu nuyre aux animaux, & se sont abstenus, mesmes d'en manger, peur de nuire à ceux qui ne les offençoient pas; mais ce sont simplicitez Payennes, lesquelles on n'est point obligé d'ensuivre, sinon en la compassion envers icelles pour s'apprendre à l'estre envers les hommes. Les Atheniens mesmes ne faisoient point mourir les mulets qui avoient long-temps servy à leur Republique, & donnoient liberté à leur vieillesse de paistre & se nourrir où elle pourroit sans qu'il fut permis à aucun de leur nuyre ou offencer.

Il y a une sorte de gens qui habitent une Province du grand Mogor qu'on appelle Bayennes, lesquels ne mangent d'aucune chose qui aye eu vie, & bien qu'ils adorent en chaque famille, les uns des arbres, les autres des oyseaux, & autres bestes; ils ont tous en singuliere vénération la vache, laquelle ils mettent chacun en la meilleure chambre de leur logis comme une Deesse, de laquelle ils boivent le laict, & le pissat, avec de son beure fondu, & n'en mangent point la chair. Et quand on leur demande pourquoy, puis qu'ils en boivent bien le laict qui en provient, ils respondent que nous beuvons bien le laict de nostre mere, & n'en mangeons point la chair.

Mais l'excellence & la rareté de leur humeur est, qu'ils ne peuvent voir faire de mal à une beste, quel qu'elle soit, ny à un rat mesme, lequel s'il s'approche d'eux lors qu'ils mangent, ils le caressent & luy donnent à manger, & hayssent fort les Chrestiens, d'autant qu'ils font du mal aux bestes sur lesquels ils deschargent souvent leurs passions, & la furie de leur humeur cholerique. Ils ont un hospital (chose admirable) pour penser & guerir les bestes malades, où il y a des Medecins & Chirurgiens entretenus, qui en ont le soin jusques à entiere guerison, puis les rendent à ceux à qui elles appartiennent.

Voicy un autre traict de leur douceur envers icelles, qui me fait resouvenir de celle de nostre Pere sainct François, lequel donna son manteau à un paysan pour sauver la vie à deux agnelets qu'il portoit vendre ne pouvans souffrir qu'on les egorgeast à cause du vray Agneau Jesus. Il y a une si grande quantité d'oyzeaux dans cette Province Bayennes qu'ils vous crevent presque les yeux (comme j'ay dit de l'isle aux oyseaux) aussi ne s'envollent ils point pour lesdits Bayennes. Quelqu'un d'eux ayans veu un François nommé le sieur Charles Fournier (qui est celuy mesme duquel j'ay appris cecy) tirer aux oyseaux, il en fut fort mal satisfait & en rachepta de luy deux de fort blessez qu'il fit mettre dans un trou de muraille avec de l'eau; & du ris, & commanda à l'un de ses esclaves d'y passer la nuict pour y prendre garde jusques au lendemain matin qu'il les fist porter à l'hospital. Il vouloit aussi donner au dit sieur Fournier 50 Mamodis (c'est une piece d'argent qui vaut dix sols) de son arquebuze afin qu'il n'en tuat plus, asseurent que c'est un malheur de faire du mal aux bestes, ne nous en faisant point.

Je ne suis pas Payen & ne voudroit pas ensuivre les actions des Payens, mais je suis d'avec eux de ne faire de mal à aucune creature, sinon aux venimeuses & à celles qui nous attaquent, contre lesquelles il se faut deffendre, autrement il faut estre humain envers elles, pour s'accoustumer à l'estre envers les hommes, car qui ne se peut commander en une passion, s'emporte facilement en une autre.

Je me suis quelquefois rencontré avec un fort honneste homme Egyptien de nation & natif du grand Caire; & comme il est homme qui a grandement voyagé par toutes les terres du grand Seigneur, il m'a raconté diverses fois comme ceux de son païs prennent les Cocodrilles qui habitent le Nil, lesquels autrefois ils tenoient, pour des dieux ou pour monstrer la puissance des dieux à cause de leurs forces qui gist principalement à la queuë, laquelle ils adoroient, enfermée dans une cage de fer, & donnoient à manger à cet animal, comme à une beste divine & representant, ou estant la Déité mesme. Il y avoit mesme des particuliers qui en nourrissoient de jeunes dans leur maisons & leur donnoient toute liberté à ce qui n'en prit pas bien à un certain Egyptien, lequel en ayant eslevé une en son logis luy devora son fils & puis s'enfuit un jour que le pere estoit absent, tant il fait dangereux domestiquer un animal naturellement cruel & ennemy de l'homme.

Le chasseur armé d'un habit de maille de fer, qui luy couvre tout le corps, fait une fosse profonde & estroitte comme un petit puits, dans lequel il se met jusques au col environné de mousses & fueillages pour n'estre apperceu, puis il enferme sa teste dans l'escorce d'un gros fruict ressemblant au melon, que les Égyptiens sement en quantité par les champs, & dans ceste escorce il y fait deux trous comme un masque pour voir & n'estre veu, ayant au préalable attaché à un long chable, qui tient par un bout à un tour ou moulinet à bras, ne chaine de fer, au bout de laquelle est attaché à de gros harpons & crochets, quelque chien mort ou autre charogne qui sert d'amorce à l'animal.

Le cocodrille sortant de l'eau pour chercher sa nourriture, ne se donne pas garde du piège ny de l'homme caché, & rodant ça & là en rugissant, trouve en fin l'amorce qu'il avalle avidemment, puis se retire dans le Nil, pendant que le chasseur luy file sa corde, jusques au point qui le tient arresté au molinet, qui fait par ceste violence prendre ferme aux crampons & crochets avallez dans le corps de ceste beste. Cela estant fait le chasseur sort de sa fosse oste son melon, & crie par tout à l'ayde aux laboureurs des champs, qui vont à son secours & tournent tous ensemblement le moulinet, qui fait approcher la beste comme un cabestran les anchres de la mer, estant là traîné la gueule beante & eslevée, le chasseur luy saute sur le dos, & luy fait passer un fer par la gueule, comme un mors à cheval, qui luy revient prendre par derrière la teste où il est attaché avec des vis, & serré de si prés que l'animal ne peut offencer de sa dent, il n'y a plus que sa rude queue à craindre, de laquelle ils se donnent de garde, comme d'un dangereux coup, qui ne guerit point, car ceste rude peau est dure au possible. Et en ceste equipage le conduisent au grand Caire attaché à la queue d'un chameau, pour estre veu, ou pour estre vendu.

Pour le cheval marin, (desquels j'ay veu une furieuse teste) il gaste tous leurs bleds, & se prend de mesme que nous prenons icy les loups dans les louvieres, il apprehende tellement le feu, qu'à la seule veue d'iceluy, il s'enfuit comme fait aussi le Lyon, ainsi que j'ay veu quelque part, de ceux que les estrangers nous ameinent.

J'ay appris d'un Religieux nommé frere Ange Deluan pour lors nostre compagnon, qu'estant en terre saincte en l'an 1626 quelqu'uns de nos freres, desirans passer de l'Egypte, par les deserts pour la Palestine se servirent de l'occasion d'une Caravanne, qui alloit aux Saincts lieux. Mais comme ils furent un soir campez & assis auprés d'un bon feu, ils entendirent japper le Gati, qui leur fust un asseuré signal du voisinage de quelque Lyon, qui parut incontinent aprés & les regarda fixement un assez long-temps, assis sur son derrière sans ozer neantmoins les approcher, car les hommes s'estoient munis de leurs armes & chargé leurs arquebuzes, ce que voyant le petit compagnon tourne bride & le Lyon après sans qu'aucun tirast sur eux, pour nous apprendre que nous ne devons pas mespriser les petits & que si quelqu'un ne nous peut nuyre, il nous peut assister au besoin & empescher qu'on ne nous nuyse par leur advertissement.

Des oyseaux plus communs du Canada.

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