CHAPITRE II

AU commencement que les François allerent en Canada, ils y trouverent tant d'oyseaux de toutes especes, & si faciles à prendre, que celuy ne le croiroit qui ne l'auroit veu, ils les assommoient à coups de bastons sur les arbres, comme j'ay veu faire à des Sauvages dans les Isles de la mer douce au delà des Hurons, où nous estions cabanez pour la pesche; & les perdrix estoient si peu battues, qu'elles se laissoient mettre le lasset au col, attaché au bout d'une baguette. Quand on alloit giboyer le chasseur estoit asseuré de rapporter autant d'oyseaux qu'il en pourroit porter, car ils n'estoient pas encores faits à nos arquebuzes, comme ils sont à present que ces foudres les ont esclaircis & un peu advisés. Il y en reste tousjours neantmoins une si grande quantité en quelques Isles, qu'elle semble egaler le sable de terre, & qui servoient d'une douce manne aux Sauvages, s'ils avoient nos inventions & nos armes, mais ils ont peu d'industrie pour les attraper, & par ainsi en jouissent de peu & en nourrissent encore moins, car comme j'ay dit, ils n'ont d'animaux domestiques, que des chiens, & au plus quelques ours ou quelque aigles.

Entre tous les oyseaux que j'ay veu dans le païs, il me semble que le plus beau, le plus ravissant & le plus petit qui soit peut estre au monde, est le Vicilin, ou oyseau mousche que les indiens appellent en leur langue ressuscité. Cet Oyseau, en corps, n'est pas plus gros qu'un grillon, il a le bec long & tres-delié, de la grosseur de la pointe d'une aiguille, & ses cuisses & ses pieds aussi menus que la ligne d'une escriture. L'on a autrefois pesé son nid avec les oyseaux & trouvé qu'il ne peze davantage de 24 grains, il se nourrit de la rosée du Ciel, & de l'odeur des fleurs qu'il succe sans se poser sur icelles, mais seulement en voltigeant par dessus. Sa plume est aussi deliée que duvet, & est tres plaisante & belle à voir pour la diversité de ses couleurs.

Cet oyseau (à ce qu'on dit) le meurt ou pour mieux dire s'endort au mois d'Octobre, demeurrant attaché quelque petite branchette d'arbre par les pieds, & se resveille au mois d'Avril, que les fleurs sont en abondance, & quelquefois plus tard, & pour cette cause est appellé en langue Mexicaine, ressuscité. Il en vient quantité en nostre jardin de Kebec, lors que les fleurs & les poix y sont fleuris, & prenois plaisir de les y voir, mais ils sont si petits que n'estoit qu'on en peut approcher de fort prés, à peine les prendroit on pour oyseaux, ains pour papillons: on les discerne & recognoist à leur long bec, à leurs aisles, plumes, & à tout le reste de leur petit corps bien formé.

Ils sont fort difficiles à prendre, à cause de leur petitesse, & qu'ils ne se donnent aucun repos, sinon qu'ils se soustiennent quelquefois un peu en l'air becquetant une fleur. Quand on les veut avoir il se faut approcher des fleurs & se tenir coy, avec une longue poignée de verges en main, de laquelle il les faut frapper si on peut & c'est l'invention & la manière la plus aysée pour les prendre. Nos Religieux en avoient un en vie, enfermé dans un coffre & attaché à un filet, mais il ne faisoit que bruire, & se tourmenter là dedans; bien qu'il eut des fleurs & confitures à manger, & au bout de quelques jours il mourut, car il n'y a moyen aucun d'en pouvoir nourrir ny conserver long-temps en vie, autrement nous en eussions apporté pour nos amis.

Il venoit aussi quantité de chardonnerets, manger les semences & graines de nostre jardin, leur chant me sembloit plus doux & aggreable que ceux d'icy, & mesme leur plumage, plus beau & beaucoup mieux doré, mais ils sont difficiles à prendre, car leur ayant tendu quelque piege, je n'en pû attraper aucun, comme j'esperois pour France.

Il y a une autre espece d'oyseau un peu plus gros qu'un Moyneau, qui a le plumage entierement blanc comme albatre, il se nourrit aussi en cage comme le chardonneret, mais son ramage n'en est pas si aggreable, bien qu'il ne soit pas à mespriser.

Les Gays que nous avons veus aux Hurons, lesquels ils appellent Tintian, sont pus petits presque de la moitié, que ceux que nous avons par deça, & d'un plumage plus diversifié, ce qui les rend fort gentils & aggreables, mais qui ne s'accommoderoient pas bien à nostre climat.

Ils ont aussi des oyseaux qu'ils appellent Stinondoa, environ de la grosseur d'une tourterelle; qui ont leurs plumes entièrement rouges où incarnates, on les pourroit prendre pour petits perroquets, s'ils en avoient le bec, car tous les perroquets ne sont point verts, ny jaunes, ny blancs, j'en ay veu de plumage rouge, & quelques autres tirans sur le bleu ou violet, également gentils & de mesme nature des communs. On donna à nos Religieux de Kebec un Stinondoa, qui n'estoit guère plus gros qu'un moyneau, mais un peu plus long, lequel pour estre trop gras ils ne purent nourrir, non plus que moy un autre oyseau que les Hurons m'avoient donné, il avoit la teste & le col rouge, les aisles noires, & tout le reste du corps blanc comme neige.

Ils m'en avoient aussi donné quatre d'une autre espece, gros comme tourterelles; lesquels avoient par tout sous le ventre, sous la gorge, & sous les aisles, des Soleils bien faicts de diverses couleurs, & le reste du corps estoit d'un jaune meslé de gris: desquels les Sauvages font un tel estat, que quelqu'uns d'eux en conservent les peaux comme d'autres especes rares. J'eusse bien desiré d'en pouvoir apporter en vie par deça, pour la beauté & rareté que j'y trouvois mais il n'y avoit aucun moyen, pour le tres-penible & long chemin, qu'il y a des Hurons en Canada, & de Canada en France.

L'Aigle que nos Hurons appellent Sondaqua, est un animal genereux, & comme le roy entre tous les autres oyseaux; mais royauté tyrannique, car avec ce qu'elle leur commande, elle leur faict une guerre immortelle, & les devore; comme les plumes d'une Aigle morte le tesmoignent, en ce que si l'on mesle avec elles des plumes d'autres oyseaux, elles les devorent & consomment, ainsi que dit Pline. C'est une chose qu'aucun ne sçavoit exprimer que les plumes usent de la mesme tyrannie dont l'oyseau usoit: sinon que Dieu nous voulut faire voir, qu'il fait dangereux vivre sous un Prince sanguinaire, & qui a des Ministres que surchargent ses peuples.

Il y a quantité d'Aigles au païs des Algoumequins, comme plus montagneux & froids que celuy de nos Hurons, lesquelles font leurs nids sur le bord des eaux ou de quelque precipice, tout au coupeau des plus hauts arbres & rochers: de maniere qu'elles sont fort difficilles à desnicher: nous en denischasmes neantmoins plusieurs nids à nostre retour, auxquels nous ne trouvasmes en aucun plus d'un ou deux Aiglons, que nous mangeames aprés que je fus las de les porter, & les trouvasmes tres-bonnes, car elles estoient encores jeunes & tendres. Elles ont une proprieté que se cognoissant estre estroites, & qu'elles font leurs oeufs avec difficulté, elles cherchent une pierre nommée aerites, autrement pierre aquilin, qu'elles apportent en leur nid pour se rendre plus larges; & pour pondre plus aysement, laquelle est pour le jour d'huy en usage, chez plusieurs dames d'Italie & de France, pour soulager leur enfantement.

Il est une fois arrivé qu'un de nos Religieux, estant allé seul dans les bois environ une lieue de nostre Convent de Kebec, une tres-grande Aigle ou peut-estre un Griffon, vint pour s'abbatre sur luy de telle furie, que ca pauvre Religieux s'estant promptement terré dans un gros buisson le ventre contre terre, cet oyseau ne pouvant avoir sa proye, débattit long-temps des aisles par dessus ce buisson & puis fut contrainct de s'en aller, dequoy le Religieux rendit graces à Dieu.

Il ne faut point que je passe aussi sous silence, (puis que je suis dans le suject) une belle propriété entre toutes, que les Naturalistes attribuent à l'Aigle, pour ce peut estre que quelqu'un en pourra faire son profit, comme font les vieux pécheurs & ceux qui frequentent peu le Sacrement de la penitence, necessaire pour renouveller sa vie. Ils nous apprennent donc, qu'estant chargée de vieillesse, & ne pouvans supporter la grosseur de son bec crochu (comme celuy du perroquet) qui l'empesche de manger; & la pesanteur de ses vieilles plumes, qui ne luy peuvent plus permettre de voler, haut, ressentant aussi beaucoup d'incommoditez, à cause de la debilité de sa veue, qui fait qu'elle ne peut plus fixement regarder le Soleil, comme elle souloit: elle se jette dedans une claire fontaine, qu'elle cherche pour ce sujet; elle rompt son bec crochu à quelque dure pierre: elle despouille ses vieilles plumes; & par tels moyens elle renouvelle si bien sa jeunesse & ses forces que changeant de bec, de plumes & de veue, elle commence à manger, voler aussi haut, & contempler aussi fixement les rayons du Soleil, qu'elle faisoit en sa pristine jeunesse. O pauvres pecheurs enviellis dans le peché, faictes icy votre application, & imittez l'Aigle en vous revestans du nouvel Adam.

Mes Sauvages me vouloient aussi desnicher des oyseaux de proye, qu'ils appellent Ahouatantaque, d'un nid qui estoit sur un grand arbre assez proche de la riviere, desquels ils faisoient grand estat, mais je les en remerciay, & ne voulût point qu'ils en prissent la peine, neantmoins je m'en suis repenty du depuis, car il pouvoit estre que ce fussent Vautours, desquels la peau est excellente pour un estomach refroidy.

En quelque contrée, & particulierement du costé des petuneux, il y a des poulles d'inde, qu'ils nomment Ondettontaque, lesquelles sont champestres & non domestiques, car les Sauvages comme j'ay dit, ne nourrissent que des chiens, & presque point d'autres bestes. Le gendre du grand Capitaine de nostre bourg, en poursuivit une fort long-temps és environs de nostre cabane, mais il ne la peut tirer, pour ce qu'encor bien qu'elle fut lourde & massive, si est-ce qu'elle gaigna d'arbre en arbre & par ce moyen evita la flesche.

Je ne m'estonne point, si tant d'Autheurs escrivent que les Gruës font la guerre aux pigmées, qui sont petits hommes de la hauteur d'une coudée, residans vers la source du Nil, puis qu'il y en a de si grande & forte, que sans baston, un homme parfaict ne la sçauroit surmonter. Au mois d'Avril quand on seme les bleds & en Septembre quand ils sont meurs, les champs de nos Hurons en sont presque tous couverts, ils leur tendent des collets, mais ils y en prennent peu souvent & n'en tuent guere davantage avec la flesche, car ces animmaux sont de bon guet, & s'ils ne sont frapppés mortellement ou qu'ils n'ayent les aisles rompues, ils emportent facilement la flesche dans la playe, qui se guerit avec le temps, ainsi que nos Religieux du Canada l'ont veu par experience d'une Gruë prise à Kebec, qui avoit esté frappée d'une flesche Huronne, 300 lieuës au delà, & trouverent sur sa crope la playe guerie, & le bout de la flesche avec sa pierre enfermée dedans. Nos François en tuent aussi avec leurs arquebuses, plus que les Sauvages avec leurs flesches, mais je vous asseure qu'il y en a qui se sont souvent trouvez bien empeschez de combattre celles qui se sentant frappées tiroient droit à leurs hommes pour les defigurer, sinon elles courent de la vitesse de l'homme.

Il y a aussi un tres-grand nombre d'outardes & d'oyes blanches, & grises nommées Ahonque, par tout le païs du Canada, qui font le mesme détriment des Grues dans les bleds de nos Hurons, ausquelles on fait de mesme la guerre, mais elles ont bien peu de deffence.

Je me suis estonné que nos Hurons ne mangent point du corbeau, qu'ils nomment oraquan, desquels je n'eusse fait aucune difficulté de manger si j'en eusse pû attraper, car il n'y a rien de salle en ces païs là qui en doive donner horreur. Au contraire ils ne bougent presque des bleds, qu'ils grattent comme poulles; dequoy ils nous en faisoient souvent de grandes plaintes, & demandoient le moyen de les en chasser, mais il eut esté bien difficile sans une continuelle guette.

Tout de mesme que le corbeau qui au commencement est blanc, & puis prend la couleur noire. Les poussins du cygne se font noirs, & aprés deviennent blancs. Nos Hurons les appellent Horhey, mais il s'en trouve peu dans leur païs, c'est principalement vers les Ebicerinys; où il s'en voit plus grande quantité dans les terres & en Canada en quelque lacs.

Il y a presque par tout des perdrix blanches & grises nommées Acoissan, qui ont leur retraite dans les sapinieres & une infinie multitude de tourterelles, qu'ils appellent Orittey, lesquelles se nourissent en partie de glands, qu'elles avallent facilement entiers. Au commencement elles estoient si sottes, quelles se laissoient abbatre à coups de pierres ou de gaules de dessus les arbres, mais à present elles sont un peu plus advisées.

Il seroit bien difficile & non necessaire, de descrire de toutes les especes d'oyseaux, qui sont dans l'estendue de ces larges Provinces, ce peu que j'en ay descrit peut suffire, pour faire voir que le Ciel a là ses habitans, pour louer Dieu aussi bien que nous en avons icy, & que par tout retentissent les louanges du Créateur. Qui a encor peuplé le païs de nos Sauvages de plusieurs oyseaux de proye, de ducs, faucons, tiercelets, espreviers & autres: mais sur tout de bons gibiers, comme canards de plusieurs especes, margaux, roquettes, outardes, mauves, cormorans, & autres.

Des animaux terrestres, qui se trouvent communement en Canada; & de ceux qu'on y a faict passer d'icy.

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