CHAPITRE X.

DElivrez de ces importuns picoureurs, nous doublâmes le pas pour arriver d'heure à Kebec, où nous primes terre avec nos sept ou huict canots, aprés avoir esté Saluez du fort à deux vollées de canon, & des sieurs de Caën & de Champlain d'une honneste réception à nostre débarquement, tous devancez par le bon P. Joseph, qui nous attendoit au port impatiens de ne nous voir assez-tost.

Nous fumes de compagnie dans l'habitation, où nous receumes la collation pendant laquelle je les entretins de mon voyage & de nostre gouvernement au païs des Hurons. Aprés quoy je fus voir cabaner mes hommes, puis nous partimes le P. Joseph & moy pour nostre petit Convent, où je trouvay tous nos confrères en bonne santé Dieu mercy, desquels, aprés l'action de graces rendue à nostre Seigneur, je receu la charité & bon accueil que ma foiblesse & lassitude pouvoit esperer d'eux, car j'estois autant debile qu'amaigry & bruslé des ardeurs du Soleil, tousjours gay & contant en mon ame par la divine providence qui me conserva dans cette humeur, pour ce que je peinois & travaillois pour luy & à cause de luy, du moins me sembloit il en avoir le desir & la volonté.

Apres avoir eu quelque jours de repos & de recollection intérieure je fis mes petits apprets pour mon retour aux Hurons, car mes Sauvages avoient achevé leur traicte, mais comme tout fut prest & que je pensay partir il me fut delivré lettres & obédience de nostre R.P. Provincial par lesquelles il me donnoit ordre de m'embarquer au plus prochain voyage pour France demeurer de communauté en nostre Convent de Paris, où il desiroit se servir de moy, dont voicy le contenu de la lettre.

MOn tres-cher Frere, salut en J. C. J'ay receu les vostres avec joye & contentement de vostre heureuse arrivée dans ces terres Canadiennes, d'où vous avez passé à celles des Hurons pour y employer vostre zele & la bonne volonté qu'avez, pour le salut des mescroyans, je prie le mesme Dieu qui vous a presté son Ange pour vous y conduire, qu'il vous en ramene au plustost en pleine santé. J'ay affaire de vostre presence par deça, c'est pourquoy je vous envoys one obedience en vertu de laquelle je vous commande de revenir au plus prochain voyage qu'il vous sera possible; non que je doute de vostre obeissance, mais afin que personne ne pense de vous empecher. Je vous attendray donc en nostre Convent de Paris où je feray prier nostre Seigneur, pour vous qui suis aprés m'estre recommandé à vos sainctes prieres.

Mon tres-cher Frere,

A Paris ce 9 Mars 1625.

Vostre affectionnez serviteur

en J.C.

Frere Polycarpe du

Fay Provincial.

Il me fallut donc changer de batterie & laisser Dieu pour Dieu par l'obeissance, puis que sa divine Majesté en avoit ainsi ordonné, car je ne pu recevoir aucune raison pour bonne de celles qu'on m'alleguoit de ne m'en retourner point, & d'envoyer mes excuses par escrit, veu la necessité & la croyance qu'on avoit de moy dans le païs; pour ce qu'une simple obeissance estoit plus conforme à mon humeur, que tout le bien que j'eusse pu esperer, par mon travail au salut & conversion de ce peuple sans icelle.

En delaissant la nouvelle France, je perdis aussi l'occasion d'un voyage de trois Lunes de chemin au delà des Hurons, tirant au Su, que j'avois promis avec mes Sauvages, si tost que nous eussions esté de retour dans le païs, pendant que le Pere Nicolas eut esté decouvrir quelque autre Nation du costé du Nord. Mais Dieu admirable en toutes choses, sans la permission duquel une seule fueille d'arbre ne peut tomber, a voulu que la chose soit autrement arrivée.

Prenant congé de mes pauvres Sauvages affligez de mon départ, je taschay de les consoler au mieux que je pû, & leur donnay esperance de les revoir l'année suivante, & que le voyage que je devois faire en France, n'estoie d'aucun mescontentement que j'eu d'eux, ny pour envie que j'eusse de les abandonner mais pour quelque autre affaire particulière qui redonneroit à leur contentement & profit.

Ils furent fort ayses lorsque je leur promis de supplier les Capitaines François de bastir une maison au dessous du saut sainct Louys, pour leur abreger le chemin de la traicte & les mettre à couvert de ce costé là de leurs ennemis, qui sont tousjours aux aguets pour les surprendre au passage, & effect ce leur est une grandissime peine de faire tous les ans tant de chemin & courir tant de risques pour si peu de marchandises qu'ils remportent de Kebec, laquelle leur peut estre ostée avec la vie par les Hiroquois, c'est pourquoy je dis derechef qu'il seroit necessaire de bastir une habitation au saut sainct Louys, pour la commodité des uns & des autres, des Sauvages & des François.

Ils me prierent de me resouvenir de mes promesses, & que puis que je ne pouvois estre diverty de ce voyage, qu'au moins je me rendisse à Kebec dans 10 ou 12 Lunes, & qu'ils ne manqueroient pas de s'y rendre, pour me reconduire en leur païs, comme ils firent à la verité l'année d'aprés, ainsi qu'il me fut mandé par nos Religieux de Kebec, mais l'obedience de nos Supérieurs qui m'employoit à autre chose à Paris, ne me permit pas d'y retourner, comme l'eusse bien desiré & tenu à faveur singuliere, principalement pour baptizer mon grand oncle Auiondaon & beaucoup d'autres Sauvages Hurons, qui m'en avoient tant de fois supplié, lesquels je remettois de jour à autre pour les mieux sonder, ne pensant pas que nostre Seigneur me deut si tost tirer de là, & ramener en France.

Avant mon depart nous les conduisimes dans nostre Convent, leur fismes festin, d'une plaine chaudière de poix assaisonnée d'un peu de lard, & les caressames à nostre possible, dequoy ils se sentoient grandement honorez, mais bien davantage lors qu'aprés le repas nous leur donnames à chacun un petit present, & au Capitaine du canot un grand chat pour porter en son païs, present qui luy agréa tellement pour estre un animal incognu en tout le Canada, qu'il ne sçavoit assez nous en remercier à son gré, voyla comme les choses rares sont estimées par tout, encores qu'en soy, elles soient de peu de valeur.

Ce bon Capitaine estimoit en ce chat un esprit raisonnable, voyoit que l'appellant, il venoit & se jouoit à qui le caressoit, il conjectura de là qu'il entendoit parfaitement bien le François & comprenoit tout ce qu'on luy disoit, aprés avoir bien admiré cet animal, il nous pria de luy dire qu'il se laissast emporter en sa Province & qu'il l'aymeroit comme son fils. O Gabriel qu'il aura bien dequoy faire bonne chère chez moy, disoit le bon homme, tu dis qu'il aime fort les souris & nous en avons en quantité, qu'il vienne donc librement à nous, ce disant, il pensa embrasser ce chat que nous tenions auprès de nous, mais ce meschant animal qui ne se cognoissoit point en ses caresses, luy jetta aussitost les ongles & luy fist lascher prise plus viste qu'il ne l'avoit approché.

Ho,ho,ho, dit le bonhomme, est ce comme il en use ongaron, otiscohat, il est rude, il est meschant, parle à luy. A la fin l'ayant mis à toute peine dans une petite caisse d'escorce, il l'emporta entre ses bras dans son canot & luy donnoit à manger par un petit trou du pain qu'on luy avoit donné à nostre Convent, mais ce fust bien la pitié lors que luy pensant donner un peu de sagamité, il s'eschappa & prit l'essort sur un arbre d'où ils ne le purent jamais ravoir, & de le rappeler il n'y avoit personne à la maison, il n'entendoit point le Huron, ny les Hurons la maniere de le rappeller en François, & par ainsi ils furent contraints de luy tourner le dos & le laisser sur l'arbre bien marry d'avoir fait une telle perte & le chat bien en peine qui le nourriroit.

La naifveté de ce bon homme estoit encore considérable en ce qu'il croyoit le mesme entendement & la mesme raison estre au reste des animaux de l'habitation, comme au flux & reflus de la mer, qu'il croyoit par cet effect estre animée, entendre & avoir une ame capable du vouloir ou non vouloir, comme une personne raisonnable, & là dessus je brise par cest à Dieu que je fais à nostre pauvre Canada, lequel je ne quitte qu'avec un extreme regret & desplaisir de n'y avoir achevé le bien encommencé, & veu le Christianisme que j'avois esperé.

O mon Dieu! je vous recommande & remets entre les mains ce pauvre peuple que nous aviez commis. Vous ne m'avez pas jugé capable de vous y servir plus long-temps Seigneur, puis que si-tost m'en avez retiré, & avez commandé à l'Ange tutelaire du païs, de ne point debatre de mon retour avec celuy de la France, où il faut que l'accomplisse vos divines volontés. Ce n'est point à moy de penetrer dans vos secrets divins, mais d'admirer & adorer vostre divine providence & vos jugemens souverains. Au moins ô mon Dieu, ayez pour aggreable ma bonne volonté & l'affection que m'aviez donnée de vous servir en la conversion des Hurons & d'y endurer la mort mesme pour l'amour de vous si telle eut esté vostre divine volonté, puis que tout ce que je puis est d'advouer mon impuissance & mes demerites. Et me prosternant aux pieds de vostre divine Majesté, Vous supplier me donner vostre benediction avant que je m'embarque, avec celle de vostre Pere celeste & du S. Esprit, qui vit & regne au siecle des siecles Amen.

Nous primes congé de nos pauvres Freres & leur dimes à Dieu, non sans un extreme regret de nous separer, car la moisson qui se voyoit preste à cueillir avoit plustost besoin de nouveaux ouvriers, que d'en diminuer d'utils comme le P. Irenée, car pour moy je ne servois que de nombre.

Nous entrames dans nostre Chapelle pour offrir nos larmes & nos voeux à nostre Seigneur, puis d'un mesme pas ayans pris congé des François, & de mes pauvres Sauvages ausquels nous consignasmes ce peu de commoditez que nous envoyons au bon P Nicolas, nous nous embarquames le dit Père & moy pour Tadoussac, d'où nous partimes dans le grand Navire pour Gaspay, où nous sejournames quelque jours; pendant lesquels nous apprimes de quelque pescheurs de molues, que les Anglois nous attendoient à la manche, avec deux grands vaisseaux de guerre pour nous prendre au destroit.

C'estoit là une nouvelle mauvaise à gens mal armez, & encore moins hardis contre des Navires armez, nous qui n'estions que marchands. On tint conseil de guerre pour adviser à ce qu'on avoit à faire, & fut jugé expédient d'attendre l'escorte des trois autres Navires de la flotte qui se chargeoient de molues, avec lesquels nous fismes voile, & donnâmes en vain la chasse à un Pirate Rochelois, qui nous estoit venu recognoistre, passant au travers de nostre armée.

A la verité la faute que fit nostre avant-garde, le corps d'armée, & l'arriere-garde à la poursuitte de ce Pirate, me fist bien croire que nous n'estions pas gens pour attaquer, & que c'estoit assez de nous deffendre. Et puis c'estoit un plaisir d'entendre auparavant nos guerriers de vouloir aller attaquer unze Navires basques vers Miscou, & de là s'aller saisir des Navires Espagnols le long des Isles Assores. Dieu sçait quelle prouesse nous eussions faite, n'ayans pu prendre un forban de 60 tonneaux, qui nous estoit venu braver jusques chez nous.

Approchans de la Manche, l'on jetta la sonde & ayant trouvé fond à 90 brasses, le Pilote Cananée eut ordre d'aller à Bordeaux avec une patache de 50 tonneaux, laquelle fut prise des Turcs le long de la coste de Bretagne, & les hommes fais esclaves comme j'ay dit au Chapitre 4 du premier livre.

Deux ou trois jours aprés il s'esleva une brume si obscure & favorable pour nous, qu'ayans à cause d'icelle, perdu nostre route, donné jusques dans la terre d'Angleterre vers le cap appelle Tourbery, nous esquivames par ce moyen la rencontre de ces Pirates Anglois, naturellement ennemis des François.

Nous voyla donc asseurez de ce costé là, tous en rendent graces à Dieu, & prient pour le bon succés du voyage, car jusques à ce que l'on soit à terre il ne se faut vanter de rien, je loue en cela ce qu'on m'a dit des Espagnols, qu'ils ne mettent jamais aucun Navire en mer pour des voyages de long cours, qu'il n'y ait tousjours quelque bons Peres, ou Religieux dedans, car quand ils ny serviroient d'autre chose que d'empescher les mauvais discours, ce seroit tousjours beaucoup. Je diray ce mot à la louange des Mariniers qui nous ont conduits qu'à la reserve de quelque parpaillots, tout le reste nous a fort edifié jusques aux Chefs, desquels si les discours n'ont pas tousjours esté serieux & necessaires, ils ont esté indifferents, & non impertinents, comme vous pourrez remarquer au Chapitre suivant, aprés que je vous auray asseuré que le sceau de R. P. Commissaire de cette mission du Canada (que j'ay oublié de mettre en son lieu) porte un sainct Louys Roy de France, & un fainct François, le champ tout parsemé de lys, autour il y a escrit, Sigillum R. P. Comissary Fratrum Minorum Recollectorum Canadinsium.

De divers entretiens de nos Mariniers pendant nostre traverse.

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