CHAPITRE IX.

NOus avons cy devant fait mention de plusieurs cheutes d'eau, & de quantité de sauts très-dangereux, mais en comparaison de tous ceux-là, celuy de la chaudiere, que nous trouvames demie heure de chemin après celuy de la montagne est le plus admirable, & le plus perilleux de tous: Car, outre le grand bruit que cause sa cheute de plus de sept ou huict brasses de haut entre des rochers, qui se fait entendre de plus de deux lieuës loin, il est large d'un grand quart de lieuë, traversé de quantité de petites Isles, qui ne sont que rochers aspres & difficiles, couverts en partie de meschants petits bois, le tout entrecoupé de concavitez & precipices, que ces bouillons & cheutes ont fait à succession temps, & particulierement à un certain endroict où l'eau tombe de telle impetuosité sur un rocher au milieu de la riviere, qu'il s'y est cavé un large & profond bassin; si bien que l'eau courant là dedans circulairement y faict de tres-violans & puissans bouillons, qui envoyent en l'air de telles fumées du poudrin de l'eau, qu'elles obscurcissent par tout l'air où elles passent.

Il y a encore un autre semblable bassin, ou chaudiere plus à l'autre bord de la riviere, presque aussi large, impetueux & furieux que le premier, & de mesme, rend ses eauës en des grands précipices, & cheutes de plusieurs toises de haut. Les Montagnais, & Canadiens, à raison de ces deux grandes concavitez qui bouillonnent, & rendent ces grandes fumées, ont donné à ce saut le nom Asticou, & les Hurons, Anoö, qui veut dire chaudière en l'une, & en l'autre langue.

Or commme je m'amusois à contempler toutes ces cheutes & precipices pendant, que mes Sauvages deschargeoient le canot, & portoient les pacquets au delà du saut, je me prins garde que ces rochers, où je marchois sembloient tous couverts de petits limas de pierre, & n'en peux donner autre raison, sinon que c'est, ou de la nature de la pierre mesme, ou que le poudrin de l'eau qui donne jusques là dessus, peut avoir causé tous ces effects, ou comme il y a quelque apparence, qu'une quantité de limas estans venus là mourir, (comme cette infinie multitude de papillons que je vis noyez dans la riviere) se soient convertis en pierre, par le continuel arrousement de la fraicheur, ou froideur de ce poudrin, & ce qui m'en donne quelque croyance est d'avoir veu & manié autrefois des poires, & un morceau de pain convertis en pierre ce qui ne se peut neantmoins qu'avec une grande longueur de temps, & en des lieux particulieres & fraiz, comme sont les quarrieres, où les poires, & le pain avoient esté metamorphosez, au rapport du Matematicien du Roy, qui me les fit voir environ l'an 1604.

Ce fut aussi en ces contrées où je trouvay des plantes de lys incarnats, ils n'avoient que deux fleurs au coupeau de chacune tige, mais elles estoient ravissantes, de plus curieux que moy en eussent apporté en France, mais je me contentay de louer Dieu en les admirans, & de les laisser pour l'amour du mesme Dieu.

Mes Sauvages arrivans à ce saut, me firent point les ceremonies ordinaires, ou, pour avoir trop de haste, ou à raison que je les avois reprist de semblables superstitions, lesquelles sont telles, selon que nous l'avons appris du sieur de Champlain. Apres que les Hurons, & Sauvages ont porté tous leurs pacquets, & les canots au bas du saut, ils s'assemblent en un lieu, où un d'entr'eux avec un plat de bois, va faire la queste, & chacun d'eux met dans ce plat un morceau de petun. La queste faite, le plat est mis au milieu de la troupe, & tous dancent à l'entour en chantans à leur mode; puis un des Capitaines fait une harangue, remonstrant que des long-temps ils ont accoustumé de faire une telle offrande, & que par ce moyen ils sont garantis de leurs ennemis, qui les attendent souvent au passage, & qu'autrement il leur arriveroit du desplaisir.

Cela fait je harangueur prend le plat, & va jetter le petun au milieu de la chaudière, du dessus les rochers, puis tous d'une voix, font un grand cry & acclamation, en finissant la ceremonie.

A une petite lieue de là, nous passames à main droite devant un autre saut, ou cheute d'eau admirable, d'une riviere qui vient du costé du Su, laquelle, tombe d'une telle impetuosité de 20 ou 25 brasses de haut dans la riviere où nous estions, qu'elle fait deux arcades, qui ont de largeur prés de deux ou trois cens pas. Les jeunes hommes Sauvages se donnent quelquefois le plaisir de passer avec leurs canots par dessous la plus large, & ne se mouillent que du poudrin de l'eau, mais je vous asseure qu'ils font en cela un acte de grand folie & temerité, pour le danger qu'il y a assez eminent: & puis à quel propos s'exposer sans profit dans un sujet qui leur peut causer un juste repentir, & attirer sur eux la risée & moquerie de tous les autres.

Autrefois les Hiroquois venoient jusques là surprendre nos Hurons, allans à la traite, mais à present ils ont comme, desisté d'y plus aller, jusques en l'an 1632 qu'ils firent des courses jusques à Kebec, pensans surprendre de nos François, & Montagnais au despourveu, & l'année suivante le second jour de Juin, furent aux trois rivieres, où ils tuerent deux François à coups de haches, & en blesserent cinq autres à coups de fleches dont l'un mourut bientost aprés. Ils eurent bien la hardiesse d'aborder encore la chalouppe avec leurs canots, & sans qu'un François les coucha en joue avec son harquebuze, où il ny avoit ny balle, ny poudre, il est croyable que pas un n'en fut eschappé, & qu'ils se fussent rendus maistres de la chalouppe, & de tout l'equipage des François.

Le sieur Goua qui commandoit à la barque à demye lieue de là, ayant ouy les cris du combat, despescha aussi-tost une chalouppe au secours, & luy mesme suivit aprés avec sa barque, mais trop tard, car quand ils arriverent là, les Hiroquois avoient desja fait leur coup, & faisoient leur retraite, dedans les bois, où aucun François n'eust ozé les suivre pour aucun commandement de leur Chef, s'excusant sur le danger trop eminent, & par ainsi ces Hiroquois nous ayans bravé & battus jusques dans nos terres, s'en retournerent glorieux avec les testes des meurtris.

On peut admirer en cecy la hardiesse de ces Sauvages, d'avoir ozé, sans crainte des espées ny des mousquets, traverser tant de pays, & de forests, & attaquer de nos François és contrées de l'habitation, sans que jamais on en aye pû tirer de revanche, & puis il y en a qui veulent dire qu'ayans leur harquebuze chargée, ils tiendraient teste à dix Sauvages, ce seroit bien assez à deux bien deliberez, car ils sont prompts de l'oeil & du pied pour s'esquiver, & grandement adroits de l'arc pour vous tirer, & puis gard les surprises.

Mes Hurons à tout evenement se tindrent tousjours sur leur garde, peur de surprise, & s'allerent cabaner hors du danger, & comme nous souffrimes les grandes ardeurs du Soleil pendant le jour, il nous fallut de mesme endurer les orages, les grands bruits du tonnere, & les pluyes continuelles pendant la nuict, jusques au lendemain matin qu'elle nous perça jusques aux os.

Qui fut alors bien empesché de sa contenance ce fut moy, car je ne sçavois mesme comment me gouverner dans nostre habit trempé, qui m'estoit fort lourd, & froid sur les espaules où il fut deux jours à seicher, dont je m'estonne que je n'en tombé malade, mais Dieu tres-bon me fortifioit tousjours au plus fort de mes peines & labeurs.

Un surcroy d'affliction nous arriva dans nos incommoditez de deux Algoumequins, lesquels nous estans venus voir aprés la pluye passée, nous firent croire du moins à mes gens, que la flotte Françoise estoit perie en mer, & que c'estoit perdre temps de vouloir passer outre, mes Hurons furent vivement touchez de cette mauvaise nouvelle & moy d'abord avec eux, mais ayant un peu ruminé à par moy & consideré ce qui en pouvoit estre, je me doutay incontinant de la malice des Algoumequins, qui avoient controuvé ce mensonge pour nous faire rebrousser chemin & en suitte persuader à tous nos Hurons de n'aller point à la traicte, pour en avoir eux mesmes tout le profit, ce que je fis sçavoir à mes gens qui reprirent courage, & continuerent leur voyage, avec esperance de bon succés.

De là nous allames cabaner à la petite Nation que nos Hurons appellent Quieunontateronons, ou nous eumes à peine pris terre, & dressé nostre cabane, que les députez du village nous vindrent visiter, & supplierent nos gens d'essuyer les larmes de 15 ou 20 pauvres femmes vefves, qui avoient perdu leur marys l'Hyver passé; les uns par la faim, & les autres de diverses maladies.

Voyant mes hommes un peu trop retenus à faire plaisir à ces estrangers, je les priay de ne les point esconduire & que tout ne consistoit qu'à quelque petit present qu'il falloit faire à ces pauvres vefves, comme il se pratiquoit mesme entr'eux pour semblables occasions. Ils en firent en effect leur petit devoir & leur donnerent une quantité de bled d'Inde, & de farine qui les resjouyt fort & en sus moy mesme bien ayse, tant elles me faisoient compassion & puis c'est une Nation si honneste, douce & accommodante d'humeur, que je m'en trouvay fort edifié, & satisfaict.

Ce fut icy où je trouvay dans les bois, à un petit quart de lieuë du village, ce pauvre Sauvage malade, enfermé dans une cabane ronde, couché de son long auprès d'un petit feu, duquel j'ay faict mention cy-devant au chapitre des malades.

Me promenant par le village de cabane en cabane pour mon divertissement, un jeune garçon me fit present d'un petit rat musqué, pour lequel je luy donnay en eschange un autre petit present duquel il fist autant d'estat, que moy de ce petit animal.

Le Truchement Bruslé, qui s'estoit là venu cabaner avec nous, traicta un chien, duquel nous fismes festin le lendemain matin en compagnie de quelque François, puis nous partimes encores dans de nouveaux, doutes de la perte des Navires de France, que les Algoumequins nous asseuroient indubitable, comme en effet il y avoit pour lors, quelque apparence, en ce qu'ils tardoient à venir beaucoup plus qu'à l'ordinaire, je tenois neantmoins tousjours bonne mine à mes gens & les asseurois; du contraire peur qu'ils s'en retournassent, comme ils en faisoient souvent le semblant.

Passans au saut S. Louys, long d'une bonne lieue & tres-furieux en plusieurs endroits, mes Sauvages ne voulurent pas tousjours tenir la terre, comme on a accoustumé, mais aux endroits moins dangereux, ils remettoient leur canot dans l'eau, où nostre Seigneur me preserva d'un precipice & cheute d'eau, où je m'en allois tomber infailliblement: car comme mes Sauvages en des eaux basses conduisoient le canot à la main, estant moy seul dedans, pour ce que je ne les pouvois suivre dans les eaux à cause de mon habit, ny par terre où les rives estoient trop hautes & embarassées de bois & de rochers, la violence du courant leur ayant faict echapper des mains, je me jettay fort à propos (aydé de Dieu), sur un petit rocher en passant, puis en mesme temps le canot tomba par une cheute d'eau dans un precipice, parmy les bouillons & les rochers d'où ils le retirerent fort blessé avec la longue corde que (prevoyans le danger) ils y avoient attachée, & après ils le racommoderent avec des pièces d'escorces qu'ils cherchèrent dans le bois & me vindrent requerir sur mon rocher.

Depuis nous souffrimes encores plusieurs petites disgraces & des coups d'eau dans nostre canot, avec des grandes, hautes & perilleuses elevations, qui faisoient dancer, hausser & baisser nostre vaisseau d'une merveilleuse façon, pendant que je m'y tenois couché & racourcy, pour ne point empecher mes Sauvages de bien gouverner, & voir de quel bord ils devoient prendre.

De là nous allames cabaner assez incommodement dans une sapiniere au pied dudit saut, d'où nous partimes le lendemain matin, encore tout mouillez & cotinuames nostre chemin entre deux Isles, par le lac dans lequel se descharge ledit saut, & de ce lac par la riviere des prairies autrement des Algoumequins, d'où il y a jusqu'au lac des Bisserinys, plus de 80 saut à passer tant grands que petits, dont les uns sont tres-dangereux principalement à descendre, car à monter cela ne se peut sinon à bien peu par le moyen d'une corde, attachée au canot.

Nous avions esté fort mal couchez la nuict passée, mais nous ne fumes pas mieux la suivante, car il nous la fallut passer à deux lieuës du Cap de victoire, sous un arbre bien peu à couverts des pluyes, qui durerent jusques au lendemain matin, que nous nous rendimes audit Cap, où des-ja estoit arrivé depuis deux jours le truchement Bruslé, avec deux ou trois canots Hurons, duquel j'appris la deffence que les Montagnais & Algoumequins leur avoient faites de passer outre, voulans à toute force qu'ils attendissent là avec eux, les barques de la traicte, & qu'ayans pensé leur resister ils s'estoient mis en hazard d'estre tous assommez, particulierement luy Truchement Bruslé, qui en avoit esté pour son sac à petun, & craignoit encore un autre plus mauvais party, s'y on n'y apportoit quelque remede.

Je trouvay ce procédé fort mauvais & en fis quelque reproches à ces mutins qui me dirent pour excuses que si personne ne descendoit, les barques seroient contrainctes de les venir trouver là, sans avoir la peine de trainer leurs femmes & leurs enfans jusques à Kebec où il n'y avoit dequoy disner pour eux. Je leur dis que j'y avois necessairement affaire, & que je desirois d'y descendre & que pour eux qu'ils en fissent comme ils voudroient, cette resolution ne les contenta pas beaucoup, neantmoins ils ne voulurent pas me violenter comme ils avoient faict le Truchement, mais ils trouverent une autre invention plus favorable pour intimider nos Hurons & tirer d'eux quelque petit present.

Ils firent donc semer un faux bruit qu'ils venoient de recevoir vingt colliers de pourceleines des Ignierhonons (ennemis mortels des Hurons) & à la charge de les envoyer advertir à l'instant de l'arrivée desdits Hurons, pour les venir tous mettre à mort, & qu'en bref ils seroient icy.

Nos gens vainement espouventez de cette mauvaise nouvelle, tindrent conseil là dessus, un peu à l'écart dans le bois où je fus appellé avec le Truchement qui estoit d'aussi légère croyance qu'eux, & pour conclusion ils se cottizerent tous, qui de rets, qui de petun, bled, farine Se autres choses, qu'ils donnerent aux Capitaines des Montagnais & Algoumequins, pour estre protegez contre leurs ennemis. Il n'y eut que mes Sauvages qui ne donnerenr rien, car m'ayant demandé d'y contribuer, je leur dis que je ne fournissois rien pour authoriser un mensonge, & qu'asseurement les Canadiens avoient inventé cette fourbe pour avoir part à leur commoditez & les empescher de descendre, comme il estoit vrays.

Mais puis que nous sommes à parler des presens des Sauvages, avant que passer outre, nous en dirons les particularitez, & d'où ils tirent principalement ceux qu'ils font en commun, afin qu'un chacun sçache qu'ils ne sont pas tout à fait denuez de police.

En toutes les villes, bourgs & villages de nos Hurons, ils font un certain amas de colliers de pourceleine, rassades, haches, cousteaux, & generalement de tout ce qu'ils gaignent & obtiennent pour le publique, soit à la guerre, traicté de paix, rachapt de prisonniers, peages des Nations qui passent sur leurs terres, & par toute autre voye & maniere d'où ils ont accousturmé tirer quelque profit.

Or est-il que toutes ces choses sont mises, & deposées entre les mains & en la garde de l'un des Capitaines du lieu, à ce destiné, comme Thresorier de la République: & lors qu'il est question de faire quelque present pour le bien & salut commun de tous, ou pour s'exempter de guerre, pour la paix, ou pour autre service qui concerne le publique, ils assemblent le conseil auquel, après avoir deduit la necessité urgente qui les oblige de puiser dans le thresor, & arresté le nombre & les qualités des marchandises qui en doivent estre tirées, on advise le Thresorier de fouiller dans les coffres de l'espargne, & d'en apporter tout ce qui a esté ordonné, & s'il se trouve espuisé de finances, pour lors chacun se cottise librement de ce qu'il peut, & sans violence aucune donne de ses moyens selon sa commodité & bonne volonté; jusques à la concurrence des choses necessaires & Ordonnées, qui ne manquent point d'estre trouvées.

Pour suivre le dessein que j'avois de partir du Cap de victoire pour Kebec, nonobstant la contradiction de nos Algoumequins & Montagnais, je fis jetter nostre canot en l'eau dés le lendemain de grand matin que tout le monde dormoit encore, & n'esveillay que le Truchement pour me suivre, comme il fist au mesme instant, & fismes telle diligence, favorisez du courant de l'eau, que nous fismes 24 lieues ce jour là, nonobstant quelques heures de pluyes & cabanames au lieu qu'on dit estre le milieu du chemin de Kebec au Cap de victoire, où nous trouvames une barque à laquelle on nous donna la collation, puis des poix & des prunes, pour faire chaudière entre nos Sauvages, lesquels d'ayse, me dirent alors que j'estois un vray Capitaine, & qu'ils ne s'estoient point trompez en la croyance qu'ils en avoient tousjours eue, veu la reverence & le respect que me portoient tous les François, & les presens qu'ils m'avoient faits, qui estoient ces poix & ces pruneaux, desquels ils firent bonne expedition à l'heure du souper, ou plustost disner, car nous n'avions encore beu ny mangé de tout le jour, tant nous avions peur que les Canadiens nous suivissent à mauvais dessein, pour avoir passé contre leur volonté.

Je diray que le respect que les François nous ont quelquesfois tesmoigné en la presence des Sauvages, nous a de beaucoup servy & donné de l'authorité envers ces barbares qui sçavent faire estat de ceux que les François honorent lequel honneur redonne au mérite des mesmes François.

Le lendemain dés le grand matin, nous partismes de là, & en peu d'heures trouvasmes une autre barque, qui n'avoit encore levé l'anchre faute d'un vent favorable, & aprés y avoir salué celuy qui y commandait, avec le reste de l'equipage & fait un peu de collation, nous passames outre en diligence, pour pouvoir arriver à Kebec ce jour là mesme, comme nous fismes avec la grace du bon Dieu.

Sur l'heure du midy mes Sauvages cacherent sous du sable un peu de bled d'Inde à l'ordinaire, & firent festin de farine cuite, arrousée, de suif d'eslan: mais j'en mangeay tres-peu pour lors, (sous l'esperance de mieux au soir:) car comme je ressentois des-ja l'air de Kebec, ces viandes incipides & de mauvais goust, ne me sembloient si bonnes qu'auparavant, particulierement ce suif fondu, qui sembloit proprement à celuy de nos chandelles fondues, lequel seroit là mangé en guyse d'huyle ou de beure frais, & eussions esté trop heureux d'en avoir quelquefois pour nostre pauvre potage, au païs des Hurons où aucune douceur ne nous envisageoit sinon le contentement de l'esprit.

A une bonne lieuë ou deux de Kebec, nous passames assez proche d'un village de Montagnais, dressé sur le bord de la riviere, dans une sapiniere, le Capitaine duquel avec plusieurs autres de sa bande, nous vindrent à la rencontre dans un canot, & vouloient à toute force contraindre mes Sauvages de leur donner une partie de leur bled & farine, comme estant deu (disoient ils) à leur Capitaine pour le passage & entrée dans leurs terres; mais les François qui là avoient esté envoyez exprès dans une chalouppe pour empescher ces insolences, leur firent lascher prise, & nous donnerent liberté, tellement que mes gens n'en furent de rien incommodez que du reste de nostre sagamité du disner, laquelle ces Montagnais mangèrent à pleine main toute froide, sans autre ceremonie, & la trouverent tres-bonne, comme n'en ayans pas souvent de telles.

De nostre arrivée à Kebec, & du mécontentement des Sauvages que je les devois quitter, leur fismes festin & donnames un chat pour leur pays. Et puis je m'embarquay pour la France.

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