C'Est une vérité cogneuë de tous, & des Infideles mesmes (disoit un sage des Garamantes au Grand Roy Alexandre) Que la perfection des hommes ne consiste point à voir beaucoup, ny à sçavoir beaucoup; mais en accomplissant le vouloir & bon plaisir de Dieu. Cette pensee a repu longtemps mon esprit en suspens à sçavoir, si je devois demeurer dans le silence, ou agreer à tant d'ames religieuses & seculieres, qui me sollicitoient de mettre au jour, & faire voir au public, le narré du voyage que j'ay fait dans le pays des Hurons; pource que de moy-mesme je ne m'y pouvois resoudre. Mais enfin, apres avoir consideré de plus pres le bien qui en pouvoit reussir à la gloire de Dieu, & au salut du prochain, avec la licence de mes Supérieurs j'ay mis la main à la plume, & décrit dans cet' Histoire & Voyage des Hurons, tout ce qui se peut dire du pays & de ses habitants. La lecture duquel sera d'autant plus agreable à toutes conditions de personnes, que ce livre est parsemé de diversité de choses les unes belles & remarquables en un peuple Barbare & Sauvage, & les autres brutales et inhumaines à des creatures qui doivent avoir de la raison & recongnoistre un Dieu qui les a mis en ce monde, pour jouyr apres d'un Paradis. Quelqu'un me pourra dire que je devois me servir du stile du temps, ou d'une bonne plume, pour polir & enrichir mes memoires, & leur donner jour au travers de toutes les difficultez que les esprits envieux (aujourd'huy trop frequens) me pourroient objecter & en effet, j'en ay eu la pensee, non pour m'attribuer le merite & la science d'autruy; mais pour contenter les plus curieux & difficiles dans les entretiens du temps. Au contraire, j'ay esté conseillé de suyvre plustost la naïfveté & simplicité de mon stile ordinaire, (lequel agréera tousjours d'avantage aux personnes vertueuses & de merite) que de m'amuser à la recherche d'un discours poly et fardé, qui auroit voilé ma face, & obscurcy la candeur & sincerité de mon Histoire, qui ne doit avoir rien de vain ny de superflu.
Je m'arreste icy tout court, je demeure icy en silence, & preste mon oreille patiente aux advertissements salutaires de quelques zelans, que me diront que j'ay employé & ma plume & mon temps, dans un sujet qui ne ravist pas les ames comme un autre sainct Paul, jusqu'au troisiesme Ciel. Il est vray, j'advouë mon manquement & mon démerite; mais je diray pourtant, & avec verité, que les bonnes ames y trouveront dequoy s'edifier, & louer Dieu qui nous a fait naistre dans un pays Chrestien, où son sainct nom est recogneu & adoré, au prix de tant d'Infideles qui vivent & meurent privez de sa cognoissance & se son Paradis. Les plus curieux aussi, & les moins devots, qui n'ont autre sentiment que de se divertir, & d'apprendre dans l'Histoire l'humeur, le gouvernement, & les diverses actions & ceremonies d'un peuple Barbare, y trouveront aussi dequoy se contenter & satisfaire, & peut-étre leur salut, par la reflection qu'ils feront eux-mesme.
De mesme, ceux qui poussez d'un sainct mouvement desireront aller dans le pays pour la conversion des Sauvages, ou pour s'y habituer & vivre Chrestiennement, y apprendront aussi quels seront les pays ou ils auront à demeurer, & les peuples avec lesquels ils auront à traiter, & ce qui leur sera besoin dans le pays, pour s'en munir avant que de se mettre en chemin. Puis nostre Dictionaire leur apprendra d'abord toutes les choses principales & necessaires qu'ils auront à dire aux Hurons, & aux autres Provinces & Nations, chez lesquels cette langue est en usage, comme Petuneux, à la Nation Neutre, à la Province de Feu, à celle des Puants, à la Nation des Bois, à celle de la Mine de cuyvre, aux Yroquois, à la Province des Cheveux Relevez, & à plusieurs autres. Puis en celle des Sorciers, de ceux de l'Isle, de la petite Nation & des Algoumequins, qui la sçavent en partie, pour la necessité qu'ils en ont, lors qu'ils voyagent, ou qu'ils ont à traiter avec quelques personnes de nos Provinces Huronnes & Sedentaires.
Je responds à vostre pensee, que le Christianisme est bien peu advancé dans le pays, nonobstant nos travaux, le soin & la diligence que les Recollets y ont apporté, bien loin des dix millions d'ames que nos Religieux ont baptizé à succession de temps dans les Indes Orientales, & Occidentales, depuis que le bien-heureux Frere Martin de Valence, & les compagnons Recollets y eurent mis le pied, & fait les premiers la planche à tous nos autres Freres, qui y ont à present un grand nombre de Provinces, remplies de Couvents, & en suitte à tous les Religieux des autres Ordres, qui y ont esté depuis.
C'est nostre regret & nostre desplaisir de n'y avoir pas esté secondez, & que les choses n'y ont pas si heureusement advancé, comme nos esperances nous promettoient, foiblement fondees sur des Colonies de bons & vertueux François qu'on y devoit establir, sans lesquelles on n'y advancera jamais gueres la gloire de Dieu & le Christianisme n'y sera jamais bien fondé. C'est mon sentiment & celuy de tous les gens de bien non seulement; mais de tous ceux qui se gouvernent tant soit peu avec la lumiere de la raison.
Excuse, si le peu de temps que j'ay eu de composer & dresser mes Memoires & mon Dictionaire (apres la resolution prise de les mettre en lumiere) y a fait escouler quelques legeres fautes ou redites: car y travaillant avec un esprit preoccupé de plusieurs autres charges & commissions, il ne me souvenoit pas souvent en un temps, ce que j'avois composé & escrit en un autre. Ce sont fautes qui portent le pardon qu'elles esperent de vostre charité, de laquelle j'implore aussi les prieres, à ce que Dieu m'exempte icy de peché, & me donne son Paradis en l'autre.