Des Oyseaux. CHAPITRE I.

Premierement, je commenceray par l'Oyseau le plus beau, le plus rare, & plus petit qui soit, peut-estre, au monde qui est le Vicilin, ou Oyseau-mouche, que les Indiens appellent en leur langue Ressuscité. Cet oyseau, en corps, n'est pas plus gros qu'un grillon, il a le bec long & tres-delié, de la grosseur de la poincte d'une aiguille, & ses cuisses & ses pieds aussi menus que la ligne d'une escriture; l'on a autrefois pezé son nid avec les oyseaux, & trouvé qu'il ne pèze d'avantage de vingt-quatre grains, il se nourrit de la rosee & de l'odeur des fleurs sans se poser sur icelles, mais seulement en voltigeant per dessus. Sa plume est aussi déliee que duvet & est tres-plaisante & belle à voir pour la diversité de ses couleurs. Cet oyseau (à ce qu'on dit) se meurt, ou pour mieux dire s'endort, au mois d'Octobre, demeurant attaché à quelque petite branchette d'arbre par les pieds, & se réveille au mois d'Avril, que les fleurs sont en abondance, & quelques fois plus tard, & pour cette cause est appellé en langue Mexicaine, Ressuscité: Il en vient quantité en nostre jardin de Kebec, lors que les fleurs, & les poids y sont fleuris, & prenois plaisir de les y voir, mais ils vont si viste, que n'estoit qu'on en peut par fois approcher de fort prez, à peine les prendroit-on pour oyseaux, ains pour papillons; mais y prenant barde de prez, on les discerne & recognoist-on à leur bec, à leurs aisles, plumes, & à tout le reste de leur petit corps bien formé. Ils sont fort difficiles à prendre, à cause de leur petitesse, & pour n'avoir aucun repos: mais quand on les veut avoir, il se faut approcher des fleurs & se tenir coy, avec une longue poignee de verges, de laquelle il les faut frapper, si on peut, & c'est l'invention & la maniere la plus aysee pour les prendre. Nos Religieux en avoient un en vie, enfermé dans un coffre; mais il ne faisoit que bourdonner là dedans, & quelques jours apres il mourut n'y ayant moyen aucun de le pouvoir nourir ny conserver long-temps en vie.

Il venoit aussi quantité de Chardonnerets manger les semences & graines de nostre jardin, leur chant me sembloit plu doux & agreable que de ceux d'icy, & mesme leur plumage plus beau & beaucoup mieux doré, ce qui me donnoit la curiosité de les contempler souvent, & louer Dieu en leur beauté & doux ramage. Il y a une autre espece d'oyseau un peu plus gros qu'un Moyneau, qui a le plumage entierement blanc, & le chant duquel n'est point à mespriser, il se nourrist aussi en cage comme le Chardonneret. Les Gays que nous avons veus aux Hurons, qu'ils appellent Tintian, sont plus petits presque de la moitié, que ceux que nous avons par deçà, & d'un plumage aussi beaucoup plus beau.

Ils ont aussi des oyseaux de plumage entierement rouge ou incarnat, qu'ils appellent Stinondoa, & d'autres qui n'ont que le col & la teste rouge & incarnat, & tout le reste d'un tres-beau blanc & noir: ils sont de la grosseur d'un Merle, & se nomment Onaiera: un Sauvage m'en donna un en vie un peu avant que partir, mais il n'y a eu moyen de l'apporter icy, non plus que quatre autres d'une autre espece, & un peu plus grosset, lesquels avoient par tout sous le ventre, sous la gorge & sous les ailes, des Soleils bien faits de diverses couleurs, & le reste du corps estoit d'un jaune meslé de gris. J'eusse bien desiré d'en pouvoir apporter en vie par deçà, pour la beauté & rareté que j'y trouvois, mais il n'y avoit aucun moyen pour le tres penible & long chemin qu'il y a des Hurons en Canada, & de Canada en France. J'y vis aussi plusieurs autres especes d'oyseaux qu'il me semble n'avoir point veus ailleurs; mais comme je ne me suis point informé des noms, & que la chose en soy est d'assez petite consequence, je me contente d'admirer & louer Dieu, qu'en toute contrée il y a quelque chose de particulier qui ne se trouve point en d'autres.

Il y a encore quantité d'Aigles, qu'ils appellent en leur langue Sondaqua; elles font leurs nids ordinairement sur le bord des eaues, ou de quelque precipice, tout au coupeau des plus hauts arbres ou rochers: de sorte qu'elles sont fort difficiles à avoir & desnicher; nous en desnichasmes neantmoins plusieurs nids, mais nous n'y trouvasmes en aucun plus d'un ou deux Aiglons: j'en pensois nourrir quelques uns lors que nous estions sur le chemin des hurons à Kebec: mais tant pour estre trop lourds à porter, que pour ne pouvoir fournir au poisson qu'il leur falloit (n'ayant autre chose à leur donner) nous en fismes chaudiere, & les trouvasmes tres bons car ils estoient encores jeunes & tendres. Mes Sauvages me vouloient aussi desnicher des oyseaux de proye, qu'ils appellent Sethonat antaque, d'un nid qui estoit sur un grand arbre assez proche de la riviere, desquels ils faisoient grand estat, maos je les en remerciay, & ne voulus point qu'ils en prissent la peine; neantmoins je m'en suis repenty du depuis, car il pouvoit estre que ce fussent Vautours. En quelque contree, & particulierement du costé des Petuneux, il y a des Coqs, & poulles d'Inde, qu'ils appellent Ondectontaque, elles ne sont point domestiques, ains errantes & champestres. Le gendre du grand Capitaine de nostre bourg en poursuyvit une fort long-temps proche de nostre Cabane, mais il ne la peut attraper: car bien que ces poulles d'Inde soient lourdes & massives, elles volent & se sauvent neantmoins bien d'arbre en arbre, & par ce moyen evitent la flesche. Si les Sauvages se vouloient donner la peine d'en nourrir des jeunes ils les rendroient domestiques aussi bien qu'icy, comme aussi des Outardes ou Oyes sauvages, qu'ils appellent Ahonque, car il y en a quantité dans le pays: mais ils ne veulent nourrir que des Chiens, & par sois des jeunes Ours, desquels ils font des festins d'importance, car la chair en est fort bonne, & pour en cheoir les engraissent sans incommodité & danger d'avoir de leurs dents ou de leurs pattes, ils les enferment au milieu de leurs Cabanes, dans une petite tour ronde faite avec des peaux fichez en terre, & là leur donnent à manger des restes des Sagamitez.

En la saison les champs sont tous couverts de Grues ou Tochingo, qui viennent manger leurs bleds quant ils les sement, & quand ils sont prests à moissonner: de mesme en font les Outardes & les Corbeaux, qu'ils appellent Oraquan, ils nous en faisoient par-fois de grandes plaintes, & nous demandoient le moyen d'y remedier: mais c'estoit une chose bien difficile à faire: ils tuent de ces Grues & Outardes avec leurs flesches, mais ils rencontrent peu souvent, pource que si ces gros oyseaux n'ont pas les aisles rompues, ou ne sont frappez à la mort, ils emportent aysement la flesche dans la playe & guerissent avec le temps, ainsi que nos Religieux de Canada l'ont veu par experience d'une Grue prise à Kebec, qui avoit esté frappée d'une flesche Huronne trois cens lieuës au delà, & trouverent sur sa croupe la playe guerie, & le bout de la flesche avec la pierre enfermee dedans. Ils en prennent aussi quelque-fois avec des colets; mais pour des Corbeaux s'ils en tuent, ils n'en mangent point la chair bien que si j'eusse peu en attraper my-mesme, je n'eusse fait aucune difficulté d'en manger.

Ils ont des Perdrix blanches & grises, nommées Acoissan, & une infinité de Tourterelles, qu'ils appellent Orictey, qui se nourrissent en partie de glands, qu'elles avallent facilement entiers, & en partie d'autre chose. Il y a aussi quantité de Canards, appellez Taron, & de toutes autres sortes & especes de gibiers, que l'on a en Canada: mais pour des Cines, qu'ils appellent Hurhey, il y en a principalement vers les Epicerinys. Les Mousquites & Maringuins, que nous appellons icy coufins, & nos Hurons Yachiey, à cause que leur païs est découvert, & pour la pluspart deserté, il y en a peu par la champagne mais par les forests, principalement dans les Sapiniers, il y en en Esté presqu'autant qu'en la Province de Canada, engendrez de la pourriture & poussiere des bois tombez dés longtemps.

Nos Sauvages ont aussi assez souvent dans leur pays des oyseaux de proye, Aigles, Ducs, Faucons, Tiercelets, Espreviers & autres: mais ils n'ont l'usage ny l'industrie de les dresser, & par ainsi perdent beaucoup de bon gibier, n'ayans aucun moyen de l'avoir qu'avec l'arc ou la flesche. Mais la plus grande abondance se retrouve en certaines Isles dans la mer douce, où il y en a telle quantité; sçavoir, de Canards, Margaux, Roquettes, Outardes, Mauves, Cormorans, & autres que c'est chose merveilleuse.

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