VENONS aux Animaux terrestres, & disons que la terre & le pays de nos Hurons n'en manque non plus que l'air & les rivieres d'oyseaux & de poissons. Ils ont trois sortes de Renards, tous differens en poil & en couleur, & non en finesse & cautelle: car ils ont la mesme nature, malice & finesse que les nostres de deçà: car comme on dict communement, pour passer la mer on change bien de pays, mais non pas d'humeur.
L'espece la plus rare & la plus prisee des trois, sont ceux qu'ils appellent Hahyuha, lesquels ont tous le poil noir comme gey, & pour cette cause grandement estimé, jusqu'à valoir plusieurs centaines d'escus la piece. La seconde espece la plus estimée apres, sont ceux qu'ils appellent Tsinantontonq, lesquels ont une barre ou lisiere de poil noir, qui leur prend le long du dos, & passe par dessous le ventre, large de quatre doigts ou environ, le reste est aucunement roux. La troisiesme espece sont les communs, appellez Andasatey, ceux cy sont presque de la grosseur & du poil des nostres, sinon que la peu semble mieux fournie, & le poil un peu moins doux.
Ils ont aussi trois sortes & especes d'Escureux différends, & tous trois plus beaux & plus petits que les nostres. Les plus estimez sont les Escureux volans, nommez Sahonesquanta, qui ont la couleur cendree, la teste un peu grosse, & sont munis d'une panne qui leur prend des deux costez d'une patte de derriere & celle de devan, lesquelles ils estendent quand ils veulent voler; car ils volent aysement sur les arbres, & de lieu en lieu assez loin, c'est pourquoy ils sont appellez Escureux volans. Les Hurons nous en firent present d'une nichee de trois qui estoient tres beaux & dignes d'estre presentez à quelque personne de merite, si nous eussions esté en lieu: mais nous en estions trop esloignez. La seconde espece qu'ils appellent Ohthoin, & nous Suisses, à cause de la beauté & diversité de leur poil, sont ceux qui sont rayéz & barrez depuis le devant jusques au derriere d'une barre ou raye blanche, puis d'une rousse, grise & noirastre tout à l'entour du corps, ce qui les rends tres-beaux: mais ils mordent comme perdus, s'ils ne sont apprivoysez, ou que l'on ne s'en donne de garde. La troisiesme espece, sont ceux qui sont presque du poil & de la couleur des nostres, qu'ils appellent Aroussen, & n'y a presque autre difference, sinon qu'ils sont plus petits.
Losrque j'estois cabané avec mes Sauvages dans une Isle de la mer douce pour la pesche, j'y vis grand nombre de ces meschans animaux guerroyer la nuict, & le jour la seicherie du poisson: j'en eus plusieurs de ceux que mes Sauvages tuerent avec la flesche, & en pris un Suisse dans un tronc d'arbre tombé, qui s'y estoit caché. Ils ont en plusieurs endroits des Lapins & Levraux: qu'ils appellent Qüeutonmalisia, ils en prennent aucunes fois avec des colets, mais rarement, pour ce que les cordelettes n'estans ny bonnes ny assez fortes, ils les rompent & coupent aysement quand ils s'y trouvent attrapez.
Les Loups cerviers, nommez Toutsitsauté, en quelque Nation sont assez frequents: mais les Loups communs, qu'ils appellent Anayisqua sont assez rares, aussi en estiment ils grandement la peau, comme aussi celle d'une espece de Leopard, ou Chat sauvage, qu'ils appellent Tiron, (Il y a un pays en cette grande estendue de Provinces, que nous surnommons la Nation du Chat, j'ay opinion que ce nom leur a esté donné à cause de ces Chats sauvages, petits Loups ou Leopards qui se retrouvent dans leurs pays) desquelles ils font des robbes ou couvertures, qu'ils parsement & embellissent de quantité de queues d'animaux, cousues tout à l'entour des bords, & par dessus le dos. Ces Chats sauvages ne sont gueres plus grands qu'un grand Renard; mais ils ont le poil du tout semblable à celuy d'un grand Loup: de sorte qu'un morceau de cette peau, avec un autre morceau de celle d'un Loup, sont presque sans distinction, & y fut trompé au choix.
Ils ont une autre espece d'animaux nommez Otay, grands comme petits Lapins, & d'un poil tres-noir, & si doux, poly & beau, qu'il semble de la panne. Ils font grand estat de ces peaux, desquelles ils font des robes, & à l'entour ils arrangent toutes les testes & les queues. Les enfans du Diable, que les Hurons appellent Scangaresse, et les Canadiens Habougi manitou, sont environ de la grandeur d'un Renard, la teste moins aiguë, & la peau couverte d'un gros poil de Loup, rude & enfumé: Ils sont tres-malicieux, d'un laid regard, & de fort mauvaise odeur. Ils jettent aussi (à ce qu'on dit) parmy leurs excrements, des petits serpents longs & déliez, lesquels ne vivent neantmoins gueres long temps.
Les Eslans ou Orignats sont frequens en la Province de Canada, & fort rares à celle des Hurons, d'autant que ces animaux se tiennent & retirent ordinairement dans les pays plus froids & remplis de montagnes aussi bien que les Ours blancs, qu'on dict habiter l'Isle d'Anticosti, proche l'emboucheure de la grand' riviere sainct Laurens; les hurons appellent ces Eslans Sontayeinta, & les Caribou Ausquoy, desquels les Sauvages nous donnerent un pied, qui est creux & si leger de la corne, & faict de telle façon, qu'on peut aysement croire ce qu'on dict de cet animal, qu'il marche sur les neiges sans enfoncer.
Pour l'Eslan, c'est l'animal le plus haut qui soit, apres le Chameau: car il est plus haut que le Cheval. L'on en nourrissoit un jeune dans le fort de Kebec, à dessein de l'amener en France, mais on ne peut le guerir de la blesseure des chiens, & mourut quelque temps âpres. Il a le poil ordinairement griffon, & quelques fois fauve, long quasi comme les doigts de la main. Sa teste est fort longue, & porte son bois double comme le Cerf, mais large, & fait comme celuy d'un Dain, & long de trois pieds. Le pied en est fourchu comme celui du Cerf, mais beaucoup plus plantureux: la chair en est courue & fort delicate, il paist aux prairies, & vit aussi des tendres pointes des arbres. C'est la plus abondante Manne des Canadiens, apres le poisson, de laquelle ils nous faisoient quelques fois part.
Les Ours & les Martes sont assez communs par le pays mais les cerfs, qu'ils appellent Scotioton, sont en plus grande abondance dans la Province de Attinoindarons qu'en aucune autre; mais ils sont un peu plus petits que les nostres de deçà, & en quelques contrees il se trouve des Dains, Buffles (car quelques-uns de nos Religieux y en ont veu des peaux) & plusieurs autres especes d'animaux que nous avons icy d'autres qui nous sont incogneus.
Les chiens du pays hurlent plustost qu'ils n'abbayent, & ont tous les oreilles droictes comme Renards; mais au reste, tous semblables aux matins de mediocre grandeur de nos villageois. Ils servent en guise de Moutons, pour estre mangez en festin, ils arrestent l'Eslan & descouvrent le giste de la beste, & de fort petite despence à leur maistre: mais ils donnent fort la chasse aux volailles de Kebec quand les Sauvages y arrivent; c'est pourquoy on s'en donne garde. Je me suis trouvé diverses fois à des festins de Chiens, j'advoue veritablement que du commencement cela me faisoit horreur; mais je n'en eus pas mangé deux fois que j'en trouvay la chair bonne, & de goust un peu approchant à celle du porc, aussi ne vivent-ils pour le plus ordinaire, que des salletez qu'ils trouvent par les rues & par les chemins: ils mettent aussi fort souvent leur museau aigu dans le pot & la Sagamité des Sauvages; mais ils ne l'en estiment pas moins nette, non plus que pour y mettre le reste du potage des enfans: ce qui est neantmoins fort desgoutant à ceux qui ne sont accoustumez à ces salletez.
Nostre Pere Joseph le Caron m'a raconté dans le pays, qu'hyvernant avec les Montagnets, ils trouverent dans le creux d'un tres-gros arbre, un Ours avec ses deux petits, couchez sur quatre ou cinq petites branches de Cedre, environnez de tous costez de tres-hautes neiges sans avoir rien à manger, & sans aucune apparence qu'ils fussent sortis de là pour aller chercher de la provision, depuis trois mois & plus, que la terre estoit par tout couverte de ces hautes neiges: celà m'a fait croire avec luy, ou que la provision de ces animaux estoit faillie depuis peu, ou que Dieu, qui a soin & nourrit les petits Corbeaux delaissez, n'abandonne point de sa divine providence, ces pauvres animaux dans la necessité. Ils les tuerent sans difficulté, comme ne pouvans s'echapper, & en firent festin, & pareillement de plusieurs Porc-espics, qu'ils prindrent, en cherchans l'Eslan & le Cerf: pour l'Eslan il est assez commun, comme j'ay dit: mais le Cerf y est un peu plus rare, & difficile à prendre, pour la legereté de ses pieds: neantmoins les Neutres avec leurs petites Raquettes attachées sous leur pieds, courent sur les neiges avec la mesme vistesse des Cerfs, & en prennent en quantité, lesquels ils font boucaner entiers, apres estre esventrez, & n'en vuident aucunement la fumee des entrailles, lesquelles ils mangent boucanees & cuites, avec le reste de la chair, ce qui faisoit un peu estonner nos François, qui n'estoient pas encore accoustumez à ces incivilitez; mais il falloit s'accoustumer à manger de tout, ou bien mourir de faim.
Il y a au pays de nos Hurons une espece de grosses Souris, qu'ils appellent Tachro, une fois plus grosses que les souris communes, & moins grosses que les Rats. Je n'en ay point veu ailleurs de pareilles, ils les mangent sans horreur; mais je n'en voulus point manger du tout, bien que j'en visse manger à mes Confreres, de celles que nous prenions la nuict sous des pieges de nostre Cabane, nous ne les pouvions neantmoins autrement discerner d'avec les communes qu'à la grosseur: nous en prenions peu souvent, mais jamais des Rats, c'est pourquoy je ne sçay s'ils en ont, ouy bien des Souris communes à milliers.
S'ils ont des Souris sans nombre, je peux dire qu'ils ont des Puces à l'infiny, qu'ils appellent Toubauc; & particulierement pendant l'Esté, desquelles ils sont fort tourmentez; car outre que l'urine qu'ils tombent en leurs Cabanes en engendre, ils ont une quantité de Chiens qui leur en fournissent à bon escient, & n'y a autre remede que la patience & les armes ordinaires. Pour les pouls, qu'ils nomment Tsinoy, tant ceux qu'ils ont en leurs fourrures ou habits, que ceux que les enfans ont à leurs testes: les femmes les mangent & croquent entre leurs dents comme perles, elles ont l'invention d'avoir d'avoir ceux qui sont dans leurs peaux & fourrures en cette sorte. Elles fichent en terre deux bastons de costé & d'autres devant le feu, puis y estendent leurs peaux: le costé qui n'a point de poil est devant le feu, & l'autre en dehors. La vermine sentant le chaud sort du fond du poil, & se tient à l'extremité d'iceluy, fuyant la chaleur, & alors les sauvagesses les prennent sa peint, & puis les mangent, mais ils en ont fort peu en comparaison des puces; aussi n'en peuvent ils gueres avoir, puis qu'ils ont si peu d'habits, & le corps & les cheveux si souvent peints & huilez d'huile & de graisse.