De la naissance, nourriture & amour que les Sauvages ont envers leurs enfans. CHAPITRE XII.

NOnobstant que les femmes se donnent carriere avec d'autres qu'avec leurs marys, & les marys avec d'autres qu'avec leurs femmes, si est-ce qu'ils ayment tous grandement leurs enfans, gardans cette Loy que la Nature a entee és coeurs de tous les animaux, d'en avoir le soin. Or ce qui faict qu'ils ayment leurs enfans plus qu'on ne faict par deçà (quoy que vicieux & sans respect) c'est qu'ils sont le support des peres en leur vieillesse; soit pour les ayder à vivre, ou bien pour les deffendre de leurs ennemis, & la Nature conserve en eux son droict tout entier pour ce regard: à cause de quoy ce qu'ils souhaittent le plus, c'est d'avoir nombre d'enfans, pour estre tant plus forts, & asseurez de support au temps de la vieillesse, & neantmoins les femmes n'y sont pas si fecondes que par deçà: peut-estre tant à cause de leur lubricité, que du choix de tant d'hommes.

La femme estant accouchee, suyvant la coustume du pays, elle perce les oreilles de son enfant avec une aleine, ou un os de poisson, puis y met un tuyau de plume, ou autre chose, pour entretenir le trou, & y prendre par apres les patinotres de Pourceleine, ou autres bagatelles, & pareillement à son col quelque peint qu'il soit. Il y en a aussi qui leur font encore avaler de la graisse ou de l'huile, si tost qu'ils sont sortis du ventre de leur mere: je ne sçay à quel dessein ny pourquoy, sinon que le Diable (singe des oeuvres de Dieu) leur ait voulu donner cette invention, pour contre-faire en quelque chose le sainct Baptesme, ou quelqu'autre Sacrement de l'Eglise.

Pour l'imposition des noms, ils les donnent par tradition, c'est à dire, qu'ils ont des noms en grande quantité, lesquels ils choisissent & imposent à leurs enfans: aucuns noms sont san significations, & les autres avec signification: comme Yacoissé, le vent, Ongyata, signifie la gorge, Tochingo, grue, Sondaqua, aigle, Scouta, la teste, Tattya, le ventre, Taïhy, un arbre, &c. J'en ay veu un qui s'appelloit Joseph, mais je n'ay pû sçavoir qui luy avoit imposé ce nom là, & peut-estre que parmy un si grand nombre de noms qu'ils ont, il s'y en peut trouver quelques-uns approchans des nostres.

Les anciennes femmes d'Allemaigne sont louees par Tacite, d'autant que chacune nourrissoit ses enfans de ses propres mamelles, & n'eussent voulu qu'une autre qu'elles les eust allaictez. Nos Sauvagesses, avec leurs propres mamelles, allaictent & nourrissent aussi les leurs, & n'ayans point l'usage ny la commodité de la bouillie, elles leur baillent encore des mesmes viandes desquelles elles usent, apres les avoir bien maschees, & ainsi peu à peu les eslevent. Que si la mere vient à mourir avant que l'enfant soit sevré, le pere prend de l'eau, dans laquelle aura tres-bien bouilly du bled d'Inde, & en emplit sa bouche, & joignant celle de l'enfant contre la sienne, lui faict recevoir & avaler cette eauë, & c'est pour suppleer au desfaut de la mammelle & de la bouillie, ainsi que j'ay veu pratiquer au mary de nostre Sauvagesse baptizee. De la mesme invention se servent aussi les Sauvagesses, pour nourir les petits chiens, que les chiennes leur donnent, ce que je trouvois fort maussade & vilain, de joindre ainsi à leur bouche le museau des petits chiens, qui ne sont pas souvent trop nets.

Durant le jour ils emmaillotent leurs enfans sur une petite planchette de bois, où il y a à quelques-unes un arrest ou petit aiz plié en demi-rond au dessous des pieds, & la dressent debout contre le plancher de la Cabane, s'ils ne les portent promener avec cette planchette derriere leur dos, attachée avec un collier qui leur prend sur le front, ou que hors du maillot ils ne les portent enfermez dans leur robe ceintes devant eux, ou derriere leur dos presque tous droits, la teste de l'enfant dehors, qui regarde d'un costé & d'autre par dessus les espaules de celle qui le porte.

L'enfant estant emmaillotté sur cette planchette, ordinairement enjolivée de petits Matachias & Chappelets de Pourceleine, ils luy laissent une couverture devant la nature, par où il faict son eau, & si c'est une fille, ils y adjoustent une feuille de bled d'Inde renversee, qui sert à porter l'eau dehors, sans que l'enfant soit gasté de ses eauës, & au lieu de lange (car ils n'en ont point) ils mettent sous-eux du duvet fort doux de certain roseaux, sur lesquels ils sont couchez fort mollement, & les nettoyent du mesme duvet; & la nuict ils les couchent souvent tous nuds entre le pere & la mere, sans qu'il en arrive, que tres-rarement, d'accident. J'ay veu en d'autres Nations, que pour bercer & faire dormir l'enfant, ils le mettent toue emmaillotté dans une peau, qui est suspendue en l'air par les quatre coins, aux bois & perches de la Cabane, à la façon que sont les licts de reseau des Matelots sous le Tillac des navires, & voulans bercer l'enfant ils n'ont que fois à autres à donner un bransle à cette peau ainsi suspendue.

Les cimbres mettoient leurs enfans nouveaux naiz parmy les neiges, pour les endurcir au mal, nos Sauvages n'en font pas moins; car ils les laissent non seulement nuds parmy les Cabanes; mais mesmes grandelets ils se veautrent, courent & se jouent dans les neiges, & parmy les plus grandes ardeurs de l'esté sans en recevoir aucune incommodité, comme j'ay veu en plusieurs, admirant que ces petits corps tendrelest puissent supporter (sans en estre malades) tant de froid & tant de chaud, selon le temps & la saison. Et de là vient qu'ils s'endurcissent tellement au mal & à la peint, qu'estans devenus grands, vieils & chenus, ils restent tousjours forts & robustes, & ne ressentent presque aucune incommodité ny indisposition, & mesmes les femmes enceintes sont tellement fortes, qu'elles s'accouchent d'elles-mesmes, & n'en gardent point la chambre pour la pluspart. J'en ay veu arriver de la forest, chargees d'un gros faisseau de bois, qui accouchoient aussi-tost qu'elles estoient arrivées, puis au mesme instant sus pieds, à leur ordinaire exercice.

Et pource que les enfans d'un tel mariage ne se peuvent asseurer legitimes, ils ont cette coustume entr'eux, aussi bien qu'en plusieurs autres endroicts des Indes Occidentales, que les enfans ne succedent pas aux biens de leur pere; ains ils font successeur & heritiers les enfans de leurs propre soeur, & desquels ils sont asseurez estre de leur sang & parentage, & neantmoins encore les ayment-ils grandement, nonobstant le doute qu'ils soient à eux, & que ce soient de tres-mauvais enfants pour la pluspart, & qu'ils leur portent fort peu de respect, & gueres plus d'obeysance; car le mal-heur est en ces pays là, qu'il n'y a point de respect des jeunes aux vieils, ny d'obeyssance des enfans envers les peres & meres, aussi n'y a-il point de chastiment pour faute aucune; c'est pourquoy tout le monde y vit en liberté, & chacun faict comme il l'entend, & les peres & meres, faute de chastier leurs enfans, sont souvent contraincts souffrir d'estre injuriez d'eux, & par-fois battus & esventez au nez. Chose trop indigne, & qui ne sent rien moins que la beste brute; le mauvais exemple, & la mauvaise nourriture, sans chastiment & correction, est cause de tout ce desordre.

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