De l'exercice des jeunes garçons & jeunes filles. CHAPITRE XIII.

L'Exercice ordinaire & journalier des jeunes garçons, n'est autre qu'è tirer de l'arc, à darder la flesche, qu'ils font bondir & glisser droict quelque peu par dessus le pavé; jouer avec des bastons courbez, qu'ils font couler par-dessus la neige, & crosser une bille de bois leger, comme l'on faict en nos quartiers, apprendre à jetter la fourchette avec quoy ils herponnent le poisson, & s'adonnent à autres petits jeux & exercices, puis se trouver à la Cabane aux heures des repas, ou bien quand ils ont faim. Que si une mere prie son fils d'aller à l'eau, au bois, ou de faire quelqu'autre semblable service du mesnage, il luy respond que c'est un ouvrage de fille, & n'en faict rien: que si par-fois nous obtenons d'eux & semblables services, c'estoit à condition qu'ils auroient tousjours entree en nostre Cabane, ou pour quelque espingle, plume, ou autre petite chose à se parer, dequoy ils estoient fort-contens, & nous aussi, pour ces petits & menus services que nous en recevions.

Il y en avoit pourtant de malicieux, qui se donnoient le plaisir de coupper la corde où suspendoit nostre porte en l'air, à la mode du pays, pour la faire tomber quand on l'ouvriroit, & puis apres le nioyent absolument, ou prenoient la fuite, aussi n'avouoient-ils jamais leurs fautes & malices (pour estre grands menteurs) qu'en lieu où ils n'en craignent aucun blasme ou reproche: car bien qu'ils soient Sauvages & incorrigibles, si sont-ils fort superbes & cupides d'honneur & ne veulent pas estre estimez malicieux ou meschans, quoy qu'ils le soient.

Nous avions commencé à leur apprendre & enseigner les lettres, mais comme ils sont libertins, & ne demandent qu'à jouer & se donner du bon temps, comme j'ay dict, ils oublioyent en trois jours, ce que nous leur avions appris en quatre, faute de continuer, & nous venir retrouver aux heures que nous leur avions ordonnées, & pour nous dire qu'ils avoient esté empeschez à jouer, ils en estoient quittes; aussi n'estoit-il pas encore à propos de les rudoyer ny reprendre autrement que doucement, & par une maniere affable les admonester de bien apprendre une science qui leur devoit tant profiter, & apporter du contentement le temps à venir.

De mesme que les petits garçons ont leur exercice particulier, & apprennent à tirer de l'arc les uns avec les autres, si tost qu'ils commencent à marcher, on met aussi un petit baston entre les mains des petites fillettes, en mesme temps qu'elles commencent de mettre un pied devant l'autre, pour les stiler, & apprendre de bonne heure à piler le bled, & estans grandelettes elles jouent aussi à divers petits jeux avec leurs compagnes, & parmy ces petits esbats, on les dresse encore doucement à de petits & menus services du mesnage, & aussi quelquesfois au mal qu'elles voyent devant leurs yeux, qui faict qu'estans grandes elles ne valent rien, pour la pluspart, & sont pires (peu exceptées) que les garçons mesmes, se vantans souvent du mal qui les devroit faire rougir; & c'est à qui fera plus d'amoureux, & si la mere n'en trouve pour soy, elle offre librement sa fille, & sa fille s'offre d'elle-mesme, & le mary offre aussi aucunes fois sa femme, si elle veut, pour quelque petit present & bagatelle, & y a des Maquereaux & meschans dans les bourgs & villages, qui ne s'adonnent à autre exercice qu'à presenter & conduire de ces bestes aux hommes qui en veulent. Je loue nostre Seigneur de ce qu'elles prenoient d'assez bonne part nos reprimandes, & qu'à la fin elle commençoient à avoir de la retenue, & quelque honte de leur dissolution, n'osans plus, que fort rarement, user de leurs impertinentes paroles en nostre presence; & admiroient, en approuvant l'honnesteté que leur disions estre aux filles de France, ce qui nous donnoit esperance d'un grand amendement, & changement de leur vie dans peu de temps: si les François qui estoient montez avec nous (pour la pluspart) ne leur eussent dit le contraire, pour pouvoir tousjours jouyr à coeur saoul, comme bestes brutes, de leurs charnelles voluptez, ausquelles ils se veautroient, jusques à avoir en plusieurs lieux des haras de garces, tellement que ceux qui nous devoient seconder à l'instruction & bon exemple de ce peuple, estoient ceux-là mesme qui alloient destruisans & empeschans le bien que nous establissions au salut de ces peuples, & à l'advancement de la gloire de Dieu. Je y en avait neantmoins quelques-uns de bons, honnestes & bien vivans, desquels nous estions fort contens & bien edifiez; comme au contraire nous estions scandalisez de ces autres brutaux, athees, & charnels, qui empeschoient la conversion & amendement de ce pauvre peuple.

L'un de nos François ayant esté à la traicte en une Nation du costé du Nord, tirant à la mine de Cuivre, environ cent lieuës de nous: il nous dit à son retour y avoir veu plusieurs filles, ausquelles on avoit couppé le bout du nés; selon la coustume de leur pays (bien opposite & contraire à celle de nos Hurons) pour avoir faict bresche à leur honneur, & nous asseura aussi qu'il avoit veu ces Sauvages faire quelque forme de priere avant que prendre leur repas: ce qui donna au Pere Nicolas & à moi, une grande envie d'y aller, si la necessité ne nous eust contraincts de retourner en la Province de Canada, & de là en France.

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