OS Sauvages, & generalement tous les peuples des Indes Occidentales, ont de tout temps l'usage des dances; mais ils l'ont à quatre fins: ou pour agréer à leurs Demons, qu'ils pensent leur faire du bien, ou pour faire feste à quelqu'un, ou pour se resjouyr de quelque signalee victoire, ou pour prevenir & guerir les maladies & infirmitez qui leur arrivent.
Lors qu'ils se doit faire quelques dances, nuds, ou couvert de leurs brayers, selon qu'aura songé le malade, ou ordonné le Medecin, ou les Capitaines du lieu; le cry se faict par toutes les rues de la ville ou du village, advertissant & invitant les jeunes gent de s'y porter au bout & heure ordonnez; le mieux marachié & paré qu'il leur sera possible, ou en la maniere qu'il aura esté ordonné, & qu'ils prennent courage, que c'est pour une telle intention, nommant le sujet de la dance: ceux des villages circonvoysins ont le mesme advertissement, et sont aussi priez de s'y trouver, comme ils font à la volonté d'un chacun: car l'on n'y contraint personne.
Cependant on dispose une des plus grandes Cabanes du lieu, & là estans tous arrivez, ceux qui ne sont là que pour estre spectateurs, comme les vieillards, les vieilles femmes & les enfans se tiennent assis sur les nattes contre les establies, & les autres au-dessus, du long de la Cabane, puis deux Capitaines estans debout, chacun une Tortue en la main (de celles qui servent à chanter & souffler les malades) chantent ainsi au milieu de la dance, une chanson, à laquelle ils accordent le son de leur Tortue; puis estant finie ils font tous une grande acclamation disans, Hé é é é, puis en recommencent une autre, ou repetent la mesme, jusques au nombre de reprises qui auront esté ordonnees, & n'y a que ces deux Capitaines qui chantent, tout le reste dit seulement, Het, het, het, comme quelqu'un qui aspire avec vehemence: & puis tousjours à la fin de chaque chanson une haute & longue acclamation, disans H é é é é.
Toutes ces dances se font en rond, du moins en ovalle, selon la longueur & largeur des Cabanes; mais les danseurs ne se tiennent point par la main comme par deçà, ains ils sont tous les poings fermez: les filles les tiennent l'un sur l'autre, esloignez de leur estomach, & les hommes les tiennent aussi fermez, eslevez en l'air, & de toute autre façon, en la maniere d'un homme qui menace, avec mouvement & du corps & des pieds, levans l'un & puis l'autre, desquels ils frappent contre terre à la cadence des chansons, & s'eslevans comme en demy-sauts, & les filles branslans tout le corps, & les pieds de mesmes, se retournent au de quatre ou cinq petit pas, vers celuy ou celle que les suit, pour luy faire la reverence d'un hochement de teste. Et ceux ou celles qui se démeinent le mieux, y font plus à propos toutes les petites chimagrees, sont estimez entr'eux les meilleurs danceurs, c'est pourquoy ils ne s'y espargnent pas.
Ces dances durent ordinairement une, deux, & trois apres-disnees, & pour n'y recevoir d'empeschement à y bien faire leur devoir, quoy que ce soit au plus fort de l'hyver, ils n'y portent jamais autres vestemens ou couvertures que leurs brayers, pour couvrir leur nudité, si ainsi il est permis, comme il l'est ordinairement, sinon que pour quelqu'autre sujet il soit ordonné de les mettre bas, n'oublians neantmoins jamais leurs colliers, oreillettes & brasselets, & de se peinturer parfois comme au cas pareil les homme se parent de colliers, plumes peintures & autres fatras, dont j'en ay veu estre accommodez en Mascarades ou Caresme-prenans, ayans une peau d'Ours qui leur couvroit tout le corps, les oreilles dressees au bout de la teste, & la face couverte, excepté les yeux, & ceux-cy ne servoient que de portiers ou bouffons, & ne se mesloient dans la dance que par intervalle, à cause qu'ils estoient destinez à autre chose. Je vis un jour un de ces boufons entrer processionnellement dans la Cabane où se devoit faire la dance, avec tous ceux qui estoient de la feste, lequel portant sur ses espaules un grand chien lié & garrotté par les pattes & le museau, le prit par les deux jambes de derriere au milieu de la Cabane; & le rua contre terre par plusieurs fois, jusqu'à que qu'estant mort il le fist prendre par un autre, qui l'alla apprester dans une autre Cabane pour le festin, à l'issue de la dance.
Si la dance est ordonnee pour un malade, à la troisiesme ou derniere apres-disnee, s'ils est trouvé expedient, ou ordonne par le Loki, elle y est portee, & en l'une des reprises du tour de chanson on la porte, on la seconde on la faict un peu marcher & dancer, la soustenant sous les bras: & à la troisiesme, si la force luy peut permettre, ils la font un peu dancer d'elle-mesme, sans ayde de personne, luy cirant cependant toujours a pleine teste, Etsagone outschonne, achieteq anatetsence; c'est à dire: prend courage femme, & tu seras demain guerie, & apres les dances finies ceux qui sont destinés pour le festin y vont, & les autres s'en retournent en leurs maisons.
Il se fit un jour une dance de tous les jeunes hommes, femmes & filles toutes nues en la presence d'une malade, à laquelle il fallut (traict que je ne sçay comment excuser, ou passer sous silence) qu'un de ces jeunes hommes luy pissait dans la bouche, & qu'elle avallaist & beust cette eau, ce qu'elle fit avec un grand courage, esperant en recevoir guerison: car elle mesme desira que le tout se fit de la sorte, pour accomplir & ne rien obmettre du songe qu'elle en avoit eu: que si pendant leur songe ou resverie il leur vient encore en la pensee qu'il faut qu'on leur fasse present D'un chien noir ou blanc, ou d'un grand poisson pour festiner, ou bien de quelque chose à autre usage, à mesme temps le cry en est faict par toute la ville, afin que si quelqu'un a une telle chose qu'on specifie, qu'il en fasse present à une telle malade, pour le recouvrement de sa santé: ils sont si secourables qu'ils ne manquent point de la trouver, bien que la chose soit de valeur ou d'importance entr'eux; aymans mieux souffrir & avoir disette des choses que de manquer au besoin à un malade; & pour exemple, le Pere Joseph avoit donné un chat à un grand Capitaine: comme un present tres-rare (car ils n'ont point de ces animaux). Il arriva qu'une malade songea que si on luy avoit donné ce chat qu'elle seroit bien-tost guerie. Ce Capitaine en fut adverty, qui aussi tost luy envoya son chat bien qu'il l'aymast grandement, & sa fille encore plus, laquelle se voyant privée de cet animal, qu'elle aymoit passionnément, en tombe malade, & meurt de regret, ne pouvant vaincre & surmonter son affection, bien qu'elle ne voulust manquer au secours & ayde de son prochain. Trouvons beaucoup de Chrestiens qui vueillent ainsi s'incommoder pour le service des autres, & nous en louerons Dieu.
Pour recouvrer nostre dé à coudre, qui nous avoit esté desrobé par un jeune garçon, qui depuis le donna à une fille, je fus au lieu où se passoient les dances, & ne manquay point de l'y remarquer, & le r'avoir de la fille qui l'avoit pendu à sa ceinture, avec ses autres matachias, & en attendant l'issue de la dance, je me fis repeter par un Sauvage une des chansons qui s'y disoient, dont en voicy une partie que j'ay icy escrite.
Ongyata euhaha ho ho ho ho ho,
Eguyotonuhaton on on on on on
Eyontata eientet onnet onnet onnet
Eyoniara eientet à à àonnet, onnet, onnet,
Ho ho!
Ayant descrit ce petit eschantillon d'une chanson Huronne, j'ay creu qu'il ne seroit pas mal à propos de descrire encore icy une partie de quelque chanson, qui se disoit un jour en la Cabane du grand Sagamo des Souriquois, à la louange du Diable, qui leur avoit indiqué de la chasse, ainsi que nous apprist un François qui s'en dist tesmoin auriculaire, & commence ainsi.
Jaloet ho ho jé hé ha ha haloet ho ho hé, ce qu'ils chante par plusieurs fois: le chant est sur ces notes:
Re fa sol sol re sol sol fa fa re re sol sol fa fa.
Une chanson finie, ils font tous une grande exclamation, disans hé. Puis recommencent une autre chanson, disans:
Egrigna han, egrigna hé hé hu hu ho ho ho, egrigna hau hau hau.
Le chant de celle-cy estoit: Fa fa fa; sol sol, fa fa, re re, sol sol, fa fa fa, re, fa fa, sol sol fa.
Ayans faict l'exclamation accoustumee, ils en commencerent une autre qui chantoit:
Tameia alleluia, tameia à dou-meni, hau hau, hé hé: Le chant en estoit: Sol sol sol; fafa, re re re, fa sol fa sol fa fa, rere.
Les Brasiliens en leurs Sabats, font aussi de bons accords, comme: Hé hé hé hé hé hé hé hé hé hé, avec cette note, fa fa sol fa fa, sol sol sol sol sol. Et cela faict s'escrioyent d'une façon & hurlement espouventable l'espace d'un quart d'heure, & sautoient en l'air avec violence, jusqu'à en escumer par la bouche, puis recommencerent la musique disans: Heu heüraüye heura heüraüye heüra heüraoutek. La note est: Fa mi re sol sol sol fa mi re mi re mi ut re.
Dans le pays de nos Hurons, il se faict aussi des assemblees de toutes les filles d'un bourg aupres d'une malade, tant à sa priere, suyvant la resverie ou le songe qu'elle en aura euë, que par l'ordonnance de Loki, pour sa santé & guerison. Les filles ainsi assemblees, on leur demande à toutes, les unes apres les autres, celuy qu'elles veulent des jeunes hommes du bourg pour dormir avec elles la nuict prochaine: elles en nomment chacune un, qui sont aussi-tost advertis par les Maistres de la ceremonie, lesquels viennent tous au soir en la presence de la malade, dormir chacun avec celle qui l'a choysi, d'un bout à l'autre de la Cabane, & passent ainsi toute la nuict pendant que deux Capitaines aux deux bouts du logis chantent & sonnent de leur Tortue du soir au lendemain matin, que la ceremonie cesse. Dieu vueille abolir une si damnable & mal-heureuse ceremonie, avec toutes celles qui sont de mesme aloy, & que les François qui les fomentent par leurs mauvais exemples, ouvrent les yeux de leur esprit pour voir ce compte tres-estroict qu'ils en rendront un jour devant Dieu.