LE grand Philosophe Platon cogonoissant le dommage que le vin apporte à l'homme, disoit qu'en partie les dieux l'avoient envoyé cà-bas pour faire punition des hommes, & prendre vengeance de leurs offences, les faisans (apres qu'ils sont yvres) tuer & occire l'un l'autre.
Quand quelqu'un de nos Hurons veut faire festin à ses amys, il les envoye inviter de bonne heure, comme l'on faict icy; mais personne ne s'excuse entr'eux, & tel sort d'un festin, qui du mesme pas s'en va à un autre; car ils rendroient un affront d'estre esconduits, s'il n'y avoit excuse vrayement legitime. Le monde estant invité, on met la chaudiere sur le feu, grande oou petite, selon le nombre des personnes qu'on doit avoir: tout estant cuit & prest à dresser, on va diligemment advertir ses gens de venir, leur disans à leur mode, Saconcheta, Saconcheta, c'est à dire, venez au festin, venez au festin (qui est un mot qui ne derive point pourtant du mot de festin, car Agochin, entr'eux, veud dire festin) lesquels s'y en vont à mesme temps, & y portent gravement chacun devant soy en leurs deux mains, leur escuelles & la cueillier dedans: que si c'estoient Algoumequins qui fissent le festin, les Hurons y porteroient chacun un peu de farine dans leurs escuelles, à raison que ces Aquaniaqués en sont pauvres & disetteux. Entrans dans la Cabane, chacun s'assied sur les Nattes de costé & d'autres de la Cabane, les hommes au haut bout, & les femmes & enfans plus bas tout de suite. Estans entrez on dit les mots, apres lesquels il n'est loisible à personne d'y plus entrer; fust-il un des conviez ou non, ayans opinion que cela apportereoit mal-heur, ou empescheroit l'effect du festin, lequel est tousjours faict à quelque intention bonne ou mauvaise.
Les mots du festin sont, Nequarré la chaudiere est cuite (prononcez hautement & distinctement par le Maistre du festin, ou par un autre deputé par luy) tout le monde respond: Ho, & frappent du poing contreterre; Gaoninon Youry, il y a un chien de cuit: si c'est du cerf, ils disent Sconoton Youry, & ainsi des autres viandes, nommant l'espece ou les choses qui sont dans la chaudiere, les unes apres les autres, & tous respondent Ho à chaque chose, puis frappent & donnent du poing contre terre, comme demonstrans & approuvans la valeur d'un tel festin: cela estant dicte, ceux qui doivent servir, vont de rang en rang prendre les escuelles d'un chacun, & les emplissent de brouet avec leurs grandes cueilliers, & recommencent & continuent tousjours à remplir, tant que la chaudiere soit vuide, il faut aussi que chacun mange ce qu'on luy donne, & s'il ne le peut, pour estre trop soul, il faut qu'il se rachete de quelque petit present envers le Maistre du festin, & avec cela il faut qu'il fasse achever de vuider son escuelle par un autre; tellement qu'il s'y en trouve qui ont le ventre si plein, qu'il ne peuvent presque plus respirer.
Apres que tout est faict, chacun se retire sans boire; car on n'en presente jamais si on n'en demande particulierement, ce qui arrive fort rarement; aussi ne mangent-ils rien de trop salé ou espicé, qui les pust provoquer à boire de l'eau, qu'ils ont pour toute boisson, ce qui est un grand bien pour eviter les dissolutions noises & querelles que le vin, ou autre boisson yvrante leur pourroit causer, comme à beaucoup de nos buveurs & yvrongnes: car ils ont cela par-dessus eux, qu'ils sont plus retenus & graves, avec un peu de superbe pourtant, vont aux festins d'un pas modeste, & representans des Magistrats, s'y comportent avec la mesme modestie & silence, & s'en retournent en leurs maisons & cabanes avec la mesme sagesse: de maniere que vous diriez voir en ces Messieurs là, les vieillards de l'ancienne Lacedemone, allans à leur brouet.
Ils font quelquefois des festins où l'on ne prend rien que du petun, avec leur pippe ou calumet, qu'ils appellent Anondahoin: & en d'autres où l'on ne mange rien que du pain ou fouasse pour tout mets, & pour l'ordinaire ce sont festins de songerie, ou qui ont esté ordonnez par le Medecin; les songes, resveries & ordonnances duquel sont tellement bien observees, qu'ils n'en obmettroient pas un seul iota: qu'ils n'en fassent toutes les façons, pour l'opinion & croyance qu'ils y ont. Aucunes fois il faut que tous ceux qui sont au festin soient à plusieurs pas l'un de l'autre, sans s'entre-toucher. Autres fois quand les festinez sortent, l'adieu & remerciement qu'ils doivent faire, est une laide grimace au Maistre du festin, ou au malade, à l'intention duquel, le festin aura esté faict. A d'autres, il ne leur est permis de lascher du vent 24 heures, dans lequel temps s'ils faisoient au contraire, ils se persuaderoient qu'ils mourroient, tant ils sont ridicules & superstitieux à leurs songes; quoy qu'ils mangent de l'Andataroni, c'est à dire fouasse ou galette, qui sont choses fort venteuses. Quelquesfois il faut qu'apres qu'ils sont bien saoulx, & ont le ventre bien plein, qu'ils rende gorge, & revomissent aupres d'eux tout ce qu'ils ont mangé, ce qu'ils font facilement. Ils en font de tant d'autres sortes & de si impertinents, que cela seroit ennuyeux à lire, & trop-long à escrire; c'est pourquoy je m'en deporte, & me contente de ce que j'en ay escrit, pour contenter aucunement les plus curieux des ceremonies estrangeres.
De quelque animal que se fasse le festin, la teste entiere est tousjours donnee & presentee au principal Capitaine, ou à un autre des plus vaillans de la trouppe, à la volonté du Maistre de festin, pour tesmoigner que la vaillance & la vertu sont en estime; comme nous remarquons chez Homere aux festins des Heros, qu'on leur envoyoit quelque piece de boeuf pour honorer leur vertu, ce qui semble estre un tesmoignage tiré de la Nature, puisque ce que nous trouvons avoir esté pratiqué és festins solennels des Grecs, peuples polis, se rencontre en ces Sauvages, par l'inclination de la Nature, sans cette politesse.
Pour les autres conviez, qui sont de moindre consideration, si la beste est grosse, comme d'un Ours, d'un Eslan, d'un Esturgeon, ou bien de quelque homme de leurs ennemis, chacun a un morceau du corps, & le reste est demincé dans le brouet pour le rendre meilleur. C'est aussi la coustume que celuy qui faict le festin ne mange point pendant iceluy; ains petune, chante, ou entretient la compagnie de quelques discours: J'y en ay veu quelques-uns manger, contre leur coustume, mais pas souvent.
Et pour dresser la jeunesse à l'exercice des armes, & les rendre recommandables par le courage & la prouesse qu'ils estiment grandement, ils ont accoustumé de faire des festins de guerre, & de resjouyssance, ausquels les vieillards mesmes, & les jeunes hommes à leur exemple, les uns apres les autres, ayans une hache en main, ou quelqu'autre instrument de guerre, font des merveilles de s'escrimer & combattre d'un bout à l'autre de la place où se faict le festin, comme si en effect ils estoient aux prises avec l'ennemy: & pour s'exciter & esmouvoir encore d'avantage à cet exercice, fair voir que dans l'occasion ils ne manqueroient pas de courage; ils chantent d'un ton menaçant & furieux, des injures, imprecations & menaces contre leurs ennemis, & se promettent une entiere victoire sur eux. Si c'est un festin de victoire & de resjouyssance, ils chantent d'un ton plus doux & agreable, les louanges de leurs braves Capitaines qui ont bien tué de leurs ennemis, puis se rassoient, & un autre prend la place, jusqu'à la fin du festin.