Du pays des Hurons, & de leur villes, villages & cabanes. CHAPITRE VI.

MAIS, pour parler en general du pays des Hurons, de sa situation, des moeurs de ses habitans, & de leurs principales ceremonies & façons de faire. Disons premierement, qu'il est situé sous la hauteur de quarante-quatre degrez & demy de latitude, & deux cens trente lieuës de longitude à l'Occident, & dix de latitude, pays fort deserté; beau & agreable, & traversé de ruisseaux qui se desgorgent dedans le grand lac. On n'y voit point une face si dense de grands rochers & montagnes steriles, comme on voit en beaucoup d'autres endroicts és contrees Canadiennes & Algoumequines.

Le pays est plein de belles collines, campagnes, & de tres-belles & grandes prairies, qui portent quantité de bon foin, qui ne sert qu'à y mettre le feu par plaisir, quant il est sec: & en plusieurs endroits il y a quantité de froment sauvage, qui a l'espic comme seigle, & le grain comme de l'avoine: j'y fus trompé, pensant au commencement que j'en vis, que ce fussent champs qui eussent esté ensemencez de bon grain: je fus de mesme trompé aux pois sauvages, où il y en a en divers endroicts aussi espais, comme s'ils y avoient esté semez & cultivez: & pour monstrer la bonté de la terre, un Sauvage de Toenchen ayant planté un peu de pois qu'il avoit apportez de la traicte, rendirent leurs fruicts deux fois plus gros qu'à l'ordinaire, dequoy je m'estonnay, n'en ayant point veu de si gros, ny en France, ny en Canada.

Il y a de belles forests, peuplees de gros Chesnes, Fouteaux, Herables, Cedres, Sapins, Ifs & autres sortes de bois beaucoup plus beaux, sans comparaison, qu'aux autres Provinces de Canada que nous ayons veuës: aussi le pays est-il plus chaud & plus beau, & plus grasses & meilleures sont les terres, que plus on advance tirant au Su: car du costé du Nord les terres y sont plus pierreuses & sablonneuses, ainsi que je vis allant sur la mer douce, pour la pesche du grand poisson.

Il y a plusieurs contrees ou provinces au pays de nos Hurons qui portent divers noms, aussi bien que les diverses provinces de France: car celle où commandoit le grand Capitaine Attyonta, s'appelle Henayonon, celle d'Entauaque s'appelle Atigagnongueha, et la Nation des Ours, qui est celle où nous demeurions, sous le grand Capitaine Auoindaon, s'appelle Attingyahointan, & en ceste estendue de pays, il y a environ vingt-cinq tant villes que villages, dont une partie ne sont point clos ny fermez, & les autres sont fortifiez de fortes pallissades de bois à triples rangs entre-lassez les uns dans les autres, & redoublez par dedans de grandes & grosses escorces, à la hauteur de huict à neuf pieds, & par dessous il y a de grands arbres: puis au dessus de ces pallissades il y a des galleries ou guerittes, qu'il appellent Ondaqua, qu'ils garnissent de pierres en temps de guerre, pour ruer sur l'ennemy, & d'eau pour esteindre le feu qu'on pourroit appliquer contre leurs pallissades: nos Hurons y montent par une eschelle assez mal-façonnee & difficile, & deffendent leurs rempars avec beaucoup de courage & d'industrie.

Ces vingt-cinq villes & villages peuvent estre peuplez de deux ou trois mille hommes de guerre, au plus, sans y comprendre le commun, qui peut faire ne nombre environ trente ou quarante mille ames en tout. La principale ville avoit autre fois deux cens grandes Cabanes pleines chacune de quantité de mesnages; mais depuis peu, à raison que les bois leur manquoient, & que les terres commençoient à s'amaigrir, elle est diminuee de grandeur, separee en deux, & bastie en un autre lieu plus commode.

Leurs villes frontieres & plus proches des ennemis, sont tousjours les mieux fortifiées, tant en leurs enceintes & murailles, hautes de deux lances ou environ, & les portes & entrées qui ferment à barres, par lesquelles on est contrainct de passer de costé, & non de plein saut, qu'en l'assiette des lieux qu'ils sçavent assez bien choisir, & adviser que ce soit joignant quelque bon ruisseau, en lieu un peu eslevé, & environné d'un fossé naturel, s'il se peut, & que l'enceinte & les murailles soient basties en rond & la ville bien ramassée, laissans neantmoins une grande espace vuide entre les Cabanes & les murailles, pour pouvoir mieux combattre & se deffendre contre les ennemis qui les attaqueroient sans laisser de faire des sorties aux occasions.

Il y a de certaines contrees où ils changent leurs villes & villages, de dix, quinze ou trente ans, plus ou moins, & le font seulement lors qu'ils se trouvent trop esloignez des bois, qu'il faut qu'ils portent sur leur dos, attaché & lié avec un collier, qui prent & tient sur le front, mais en hyver ils ont accoustumé de faire de certaines traisnes, qu'ils appellent Arocha, faicte de longues planchette de bois de Cedre blanc, sur lesquelles ils mettent leur charge, & ayans des raquettes attachees sous leurs pieds, traisnent leur fardeau par-dessus les neiges, sans aucune difficulté. Ils changent leur ville ou village, lors que par succession de temps les terres sont tellement fatiguees, qu'elles ne peuvent plus porter leur bled avec la perfection ordinaire, faute de fumier, & pour ne sçavoir cultiver la terre, ny semer dans d'autres lieux, que dans les trous ordinaires.

Leurs Cabanes, qu'ils appellent Ganonchia, sont faicte, comme j'ay dict, en façon de tonnelles ou berceaux de jardins, couvertes d'escorces d'arbres, de la longueur de 25 à 30 toises, plus ou moins (car elles ne sont pas toutes egales en longueur) et six de large, laissans par le milieu une allee de 10 à 12 pieds de large, qui va d'un bout à l'autre; aux deux costez il y a une maniere d'establie de la hauteur de quatre ou cinq pieds, qui prend d'un bout de la Cabane à l'autre, où ils couchent en esté, pour éviter l'importunité des puces, dont ils ont grande quantité, tant à cause de leurs chiens qui leur en fournissent à bon escient, que pour l'eau que les enfans y font, & en hyver ils couchent en bas sur des nattes proches du feu, pour estre plus chaudement & sont arrangez les uns proches des autres, les enfans au lieu plus chaud & eminent, pour l'ordinaire, & les pere & mere apres, & n'y a point d'entre-deux ou de separation, ny de pied, ny de chevet, non plus en haut qu'en bas, & ne font autre chose pour dormir, que de se coucher en la mesme place où ils sont assis, & s'affubler la teste avec leur robe, sans autre couverture ny lict.

Ils emplissent de bois sec, pour brusler en hyver, tout le dessous de ces establies, qu'ils appellent Gayihagneu &Eindichaguet: mais pour les gros troncs ou tisons appelles Aneintuny, qui servent à entretenir le feu, eslevez un peu en haut par un des bouts, ils en font des piles devant leurs cabanes, ou les serrent au dedans des porches, qu'ils appellent Aque. Toutes les femmes s'aydent à faire cette provision de bois, qui se faict dés le mois de Mars, & d'Avrie, & avec cet ordre en peu de jours chaque mesnage est fourny de ce qui luy est necessaire.

Ils ne se servent que de tres-bon bois, aymant mieux l'aller chercher bien loin, que d'en prendre de vert, ou qui fasse fumée; c'est pourquoy ils entretiennent tousjours un feu clair avec peu de bois que s'ils ne rencontrent point d'arbres bien secs, ils en abbattent de ceux qui ont des branches seiches, lesquelles ils mettent par esclats, & couppent d'une égale longueur, comme les corrays de Paris. Ils ne se servent point du fagotage, non plus que du tronc des plus gros arbres qu'ils abbattent; car ils les laissent là pourir sur la terre, pource qu'ils n'ont point de scie pour les scier, ny l'industrie de les mettre en pieces qu'ils ne soient secs & pourris. Pour nous qui n'y prenions pas garde de si pres, nous nous contentions de celuy qui estoit plus proche de nostre Cabane, pour n'employer tout nostre temps à cette occupation.

En une Cabane il y a plusieurs feux, & à chaque feu il y a deux mesnages, l'un d'un costé, l'autre de l'autre, & telle Cabane aura jusqu'à huict, dix ou douze feux, qui font 24 mesnages, & les autres moins selon qu'elles sont longues ou petites, & où il fume à bon escient, qui faict que plusieurs en reçoivent de tres-grandes incommoditez aux yeux, n'y ayant fenestre ny aucune ouverture, que celle qui est au dessus de leur Cabane, par où la fumee sort. Aux deux bouts il y a à chacun un porche, & ces porches leur servent principalement à mettre leurs grandes cuves ou tonnes d'escorces dans quoy ils serrent leur bled d'Inde, apres qu'il est bien sec & esgrené. Au milieu de leur logement il y a deux grosses perches suspendues, qu'ils appellent Oaayonta où ils pendent leur cramaliere, & mettent leurs habits, vivres & autres choses, de peur des souris, & pour tenir les choses seichement: Mais pour le poisson duquel ils font provision pour leur hyver, apres qu'il est boucané, ils le serrent en des tonneaux d'escorce, qu'ils appellent Acha, excepté Leinchataon, qui est un poisson qu'ils n'esventrent point, & lequel ils pendent au haut de leur Cabane, attaché avec des cordelettes, pour ce qu'enfermé en quelque tonneau il sentiroit trop mauvais, & se pourriroit incontinent.

Crainte du feu, auquel ils sont assez sujets, ils serrent souvent en des tonneaux ce qu'ils ont de plus precieux, & les enterrent en des fosses profondes qu'ils font dans leurs Cabanes, puis les couvrent de la mesme terre, & cela les conserve non seulement du feu, mais aussi de la main des larrons, pour n'avoir autre coffre ny armoire en tout leur mesnage, que ces petits tonneaux. Il set vray qu'ils se font peu souvent du tort les uns aux autres, mais encore s'y en trouve-t'il par-fois de meschans, qui leur font du desplaisir quand il ne pensent estre descouverts, & que ce soit principalement quelque chose à manger.

Share on Twitter Share on Facebook