Exercice ordinaire des hommes & des femmes. CHAPITRE VII.

LE bon legislateur des Atheniens, Solon, fit une Loy, dont Amasis, Roy d'Egypte, avoit esté jadis Autheur: Que chacun monstre tous les ans d'où il vit, par devant le Magistrat, autrement à faute de ce faire qu'il soit puny de mort. L'occupation de nos Sauvages est la pesche, la chasse, & la guerre; aller à la traicte, faire des Cabanes & Canots, où les outils propres à cela. Le reste du temps ils le passent en oysiveté, à jouer, dormir, chanter, dancer, petuner, ou aller en festins & ne veulent s'entremettre d'aucun autre ouvrage qui soit du devoir de la femme, sans grande necessité.

L'exercice du jeu est tellement frequent & coustumier entr'eux, qu'ils y employent beaucoup de temps, & par-fois tant les hommes que les femmes, jouent tout ce qu'elles ont, & perdent aussi gayement & patiemment, quand la chanse ne leur en faict point, que s'ils n'avoient rien perdu, & en ay veus en retourner en leur village tous nuds, & chantans, apres avoir tout laissé au nostre, & est arrivé une fois entre les autres, qu'un Canadien perdit & sa femme & ses enfans au jeu contre un François, qui luy furent neantmoins rendus par apres volontairement.

Les hommes ne s'addonnent pas seulement au jeu de paille, nommé Aescaya, qui sont trois ou quatre cens de petits joncs blancs egalement couppez, de la grandeur d'un pied ou environ: mais aussi à plusieurs autres sortes de jeu; comme de prendre une grande escuelles de bois, & dans icelle avoir cinq ou six noyaux ou petites boulettes un peu plattes, de la grosseur du bout du petit doigt, & peintes de noir d'un costé, & blanche & jaune de l'autre: & estans tous assis à terre en rond, à leur accoustumée, prennent tour à tour, selon qu'il escher, cette escuelle, avec les deux mains, qu'ils eslevent un peu de terre, & à mesme temps l'y reposent, & frappent un peu rudement, de sorte que ces boulettes sont contraintes de se retourner & sauter, & voyent comme au jeu des dez, de quel costé elles se reposent, & si elles font pour eux, pendant que celui qui tient l'escuelle la frappe, & regarde à son jeu, il dit continuellement: & sans intermission, Tet, tet, tet, tet, pensant que cela excite & faict bon jeu pour luy. Mais le jeu des femmes & filles, auquel s'entretiennent aussi par-fois des hommes & garçons avec elles est particulierement avec cinq ou six noyaux, comme ceux de nos abricots, noirs d'un costé, lesquels elles prennent avec la main, comme on faict les dez, puis les jettent un peu en haut, & estans tombez sur un cuir, ou peau estendue contre terre exprez, elles voyent ce qui faict pour elles, & continuent à qui gaignera les coliers, oreillettes ou autres bagatelles qu'elles ont, & non jamais aucune monnoye; car ils n'en ont nulle cognoissance ny usage; ains mettent, donnent & eschangent une chose pour une autre, en tout le pays de nos Sauvages.

Je ne puis obmettre aussi qu'ils pratiquent en quelques-uns de leurs villages, ce que nous appellons en France porter les mommons: car ils deffient & invitent les autres villes & villages de les venir voir, jouer avec, & gaigner leurs ustencilles, s'il escher, & cependant les festins ne manquent point: car pour la moindre occasion la chaudiere est tousjours preste, & particulierement en hyver, qui est le temps auquel principalement ils se festinent les uns les autres. Ils ayment la peinture, & y reussissent assez industrieusement, pour des personnes qui n'y ont point d'art ny d'instrumens propres, & font neantmoins des representations d'hommes, d'animaux, d'oyseaux & autres grotesques; tant en relief de pierres, bois & autres semblables matieres, qu'en platte peinturé sur leurs corps, qu'ils font non pour idolatrer, mais pour se contenter la veuë, embellir leurs Calumets & Petunoirs, & pour orner le devant de leurs Cabanes.

Pendant l'hyver, du filet que les femmes & filles ont filé, ils font des rets & fillets à pescher & prendre le poisson en esté, & mesme en hyver sous la glace à la ligne, ou à la seine, par le moyen des trous qu'ils y font en plusieurs endroits. Ils font aussi des flesches avec le cousteau fort droicte & longues, & n'ayans point de cousteaux, ils se servent de pierres trenchantes, & les empennent de plumes de queuës & d'aisles d'Aigles, par ce qu'icelles sont fermes & se portent bien en l'air: La poincte avec une colle forte de poisson ils y accommodent une pierre aceree, ou un os, ou des fers, que les François leur traictent. Ils font aussi des masses de bois pour la guerre, & des pavois qui couvrent presque tout le corps, & avec des boyaux ils font des cordes d'arcs & des raquettes, pour aller sur la neige, au bois & à la chasse.

Ils font aussi des voyages par terre, aussi bien que par mer, & les rivieres, & entreprendront (chose incroyable) d'aller dix, vingt, trente & quarante lieuës par les bois, sans porter aucun vivres sinon du petun & un fuzil, avec l'arc au poing, & le carquois sur le dos. S'ils sont pressez de la soif, & qu'ils n'ayent point d'eau, ils ont l'industrie de succer les arbres, particulierement les Fouteaux, d'où distile une douce & fort agreable liqueur, comme nous faisions aussi, au temps que les arbres estoient en seve. Mais lors qu'ils entreprennent des voyages en pays lointain, ils ne les font point pour l'ordinaire inconsiderement, & sans en avoir eu la permission des Chefs, lesquels en un conseil particulier ont accoustumé d'ordonner tous les ans, la quantité des hommes qui doivent partir de chaque ville ou village, pour ne les laisser desgarnis de gens de guerre, & quiconque voudroit partir autrement, le pourroit faire à toute rigueur; mais il seroit blasmé, & estimé fol & imprudent.

J'ay veu plusieurs Sauvages des villages circonvoysins, venir à Quieunonascayan, demander congé à Onoyotandi, frere du grand Capitaine Auoindaon, pour avoir la permission d'aller au Saguenay: car il se disoit Maistre & Superieur des chemins & rivieres qui y conduisent, s'entend jusques hors le pays des Hurons. De mesme il falloit avoir la permission d'Auoindaon pour aller à Kebec, & comme chacun entend d'estre maistre en son pays, aussi ne laissent-ils passer aucun d'une autre Nation Sauvage par leur pays, pour aller à la traicte, sans estre recogneus & gratifiez de quelque present: ce qui se faict sans difficulté, autrement on leur pourroit donner de l'empeschement, & faire du desplaisir.

Sur l'hyver, lors que le poisson se retire sentant le froid, les Sauvages errans, comme sont les Canadiens, Algoumequins & autres, quittent les rives de la mer & des rivieres, & se cabanent dans les bois, là où ils sçavent qu'il y a de la proye. Pour nos Hurons, Honqueronons & peuples Sedentaires, ils ne quittent point leurs Cabanes, & ne transportent point leurs villes & villages, que (pour les raisons & causes que j'ay deduite ci-dessus au Chapitre sixiesme).

Lors qu'ils ont faim ils consultent l'Oracle, & apres ils s'en vont l'arc en main, & le carquois sur le dos, la part que leur Oki leur a indiqué, ou ailleurs où ils pensent ne point perdre leur temps. Ils ont des chiens qui les suyvent, & nonobstant qu'ils ne jappent point; toutesfois ils sçavent fort bien descouvrir le giste de la beste qu'ils cherchent, laquelle estant trouvee ils la poursuyvent courageusement, & ne l'abandonnent jamais qu'ils ne l'aye terrasse, & enfin l'ayant navree à mort ils la font tant harceler par leurs chiens, qu'il faut qu'elle tombe. Lors ils luy ouvrent le ventre, baillent la curee aux chiens, festinent, & emportent le reste. Que si la beste, pressee de trop prés, rencontre une riviere, la mer ou un lac, elle s'eslance librement dedans: mais nos Sauvages agiles & dispos sont aussi tost apres avec leurs Canots, s'il s'y en trouve, & puis luy donnent le coup de la mort.

Leurs Canots sont de 8 à 9 pas de long & environ un pas, ou pas & demy de largeur par le milieu, & vont en diminuant par les deux bouts, comme la navette d'un Tessier, & ceux-là sont des plus grands qu'ils fassent; car ils en ont encore d'autres plus petits, desquels ils se servent selon l'occasion & la difficulté des voyages qu'ils ont à faire. Ils sont fort sujets à tourner, si on ne les sçait bien gouverner, comme estans faits d'escorce de Bouleau, renforcés par le dedans de petits cercles de Cedre blanc, bien proprement arrangez, & sont si léger qu'un homme en porte aysement un sur sa teste, ou sur son espaule, chacun peut porter la pesanteur d'une pippe, & plus ou moins, selon qu'il est grand. On faict aussi d'ordinaire par chacun jour, quant l'on est pressé, 25 ou 30 lieuës dans lesdicts Canots, pourveu qu'il n'y ait point de saut à passer, & qu'on aille au gré du vent & de l'eau: car ils vont d'une vitesse & legereté si grande, que je m'en estonnois, & ne pense pas que la poste peust aller plus viste, quand ils sont conduits par de bons Nageurs.

De mesme que les hommes ont leur exercice particulier, & sçavent ce qui est du devoir de l'homme, les femmes & filles aussi se maintiennent dans leur condition & font paisiblement leurs petits ouvrages, & les oeuvres serviles: elles travaillent ordinairement plus que les hommes, encore qu'elles n' y soient point forcees ny contraintes. Elles ont le soin de la cuisine & du mesnage, de semer & cueillir les bleds, faire les farines, accommoder le chanvre & les escorces, & de faire la provision de bois necessaire. E pour ce qu'il leur reste encore beaucoup de temps à perdre, elles l'employent à jouer, aller aux dances, & festins, à deviser & passer le temps, & faire tout ainsi comme il leur plaist du temps qu'elles ont de bon, qui n'est pas petit, veu mesmes qu'elles ne sont admises en plusieurs de leurs festins, ny en aucun ce leurs conseils, ny à faire leurs Cabanes & Canots, entre nos Hurons.

Elles ont l'invention de filer le chanvre sur leur cuisse, n'ayans pas l'usage de la quenouille & du fuseau, & de ce filet les hommes en lassent leurs rets & filets, comme j'ay dit. Elles pilent aussi le bled pour la cuisine, & en font rostir dans les cendres chaudes, puis en tirent la farine pour leurs marys, qui vont l'esté trafiquer en d'autres Nations esloignées. Elles font de la poterie, particulierement des pots tous ronds, sans ances & sans pieds, dans quoy elles font cuire leurs viandes, chair ou poisson. Quand l'hyver vient, elles font des nattes de joncs, dont elles garnissent les portes de leurs Cabanes, & en font d'autres pour s'asseoir dessus, le tout fait proprement. Les femmes des Cheveux Relevez mesmes, baillent des couleurs aux joncs, & font des compartimens d'ouvrages avec telle mesure qu'il n'y a que redire. Elles couroyent & addoucissent les peaux de Castor & d'Eslan, & autres, aussi bien que nous sçaurions faire icy, dequoy elles font leurs manteaux ou couvertures, & y peignent des passements & bigarures, qui ont fort bonne grace.

Elles font semblablement des paniers de jonc, & d'autres avec des escorces de Bouleaux pour mettre des fezoles, du bled & des pois, qu'ils appellent Acointa, de la chair, du poisson, & autres petites provisions: elles font aussi comme une espece de gibesiere de cuir, ou sac à petun, sur lesquels elles font des ouvrages dignes d'admiration, avec du poil de porc-espic, coloré de rouge, noir, blanc & bleu, qui sont les couleurs qu'elles sont si vives, que les nostres ne semblent point en approcher. Elle s'exercent aussi à faire des escuelles d'escorces, pour boire & manger, & mettre leurs viandes & menestres. De plus, les escharpes, carquans, & brasselets qu'elles & leurs hommes portent, sont de leur ouvrages: & nonobstant qu'elles ayent beaucoup plus d'occupation que les hommes lesquels tranchent du Gentil-homme entr'eux, & ne pensent qu'à la chasse, à la pesche ou à la guerre, encore ayment-elles communément leurs marys plus que ne font pas celles de deça: & s'ils estoient Chrestiens ce seroient des familles avec lesquelles Dieu se plairoit & demeureroit.

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