SCÈNE XVI

LES PRÉCÉDENTS ; HERMANN, ensuite UNE VOIX dans la tour.

HERMANN.

Silence ! horribles hurlements !… C’est le hibou qui pousse ses cris sinistres !… Minuit sonne dans le village… Bien ! tout dort… Le remords seul veille… et la vengeance. (Il s’approche de la tour et frappe.) Viens, homme de douleur !… Habitant de la tour, ton repas est prêt.

MOOR, frémissant.

Qu’entends-je ?

UNE VOIX, sortant de la tour.

Qui frappe ? Est-ce toi, Hermann, mon corbeau ?

HERMANN.

Oui, c’est moi Hermann, ton corbeau. Viens à la grille et mange… Tes camarades de nuit, les hiboux, hurlent d’horribles chants. Tu manges avec appétit, vieillard.

LA VOIX.

J’avais bien faim… Je te remercie, envoyeur de corbeaux, pour ce pain envoyé dans le désert. Et comment va ma chère enfant, Hermann ?

HERMANN.

Paix !… Écoute… On dirait des gens qui ronflent !… N’entends-tu rien ?

LA VOIX.

Comment ? Entends-tu quelque chose ?

HERMANN.

C’est le sifflement du vent au travers des fentes de la tour. Une musique de nuit qui vous fait claquer les dents et bleuir les ongles… Écoute ! écoute !… Il me semble toujours entendre ronfler. Tu as de la compagnie, vieillard !… Hou ! hou ! hou !

LA VOIX.

Vois-tu quelque chose ?

HERMANN.

Adieu ! Adieu !… quel affreux désert !… Redescends dans ton souterrain… Ton sauveur est près, ton vengeur… (Il veut fuir.)

MOOR, s’approchant avec horreur.

Reste !…

HERMANN, poussant un cri effrayé.

Qui est là ?…

MOOR.

Arrête… parle… qui es-tu ? que viens-tu faire ici ? parle !

HERMANN, s’avançant.

C’est un des espions de François… c’est certain… Je ne crains plus rien. (Mettant l épée à la main). Défends-toi, lâche ! Tu as un homme devant toi.

MOOR, lui faisant sauter au loin son épée.

C’est une réponse que je veux. À quoi bon ce jeu de scélérat ?… Tu parlais de vengeance… C’est à moi seul dans ce monde qu’appartient la vengeance… Qui ose attenter à mes droits ?

HERMANN, effrayé et reculant.

Par le ciel ! celui-là n’est pas né d’une femme !… Il a un coup de poignet qui vous énerve comme la mort.

LA VOIX.

Hélas ! Hermann, est-ce toi qui parles ?… À qui parles-tu, Hermann ?

MOOR.

Encore là-bas. Que se passe-t-il ici ? (Courant vers la tour). Quelque abominable secret est caché dans la tour… Avec cette épée, je le découvrirai.

HERMANN, tremblant.

Terrible étranger, serais-tu par hasard le lutin de ce désert ?… Ne serais-tu pas un des sbires de l’obscure déesse qui font patrouille dans ce bas monde, et passent en revue les naissances de minuit ?… Oh ! s’il est vrai, sois le bien venu près de cette affreuse tour.

MOOR.

Tu l’as deviné, voyageur nocturne. Ange exterminateur est mon nom ; j’ai des os et des membres comme toi. Est-ce un infortuné que les hommes ont jeté dans les fers ? Je les briserai… Ô voix ! fais-toi donc entendre encore !… Où est la porte ?

HERMANN.

Belzébuth forcerait plus aisément les portes du ciel que toi celle-ci. Retire-toi, homme fort ; l’esprit des scélérats surpasse le sens des hommes. (Il touche la tour de son épée.)

MOOR.

Mais non pas l’esprit des voleurs. (Il tire quelque passe-partout de sa poche.) Ô Dieu ! je te remercie de m’avoir mis à leur tête !… Ces clefs-là se rient de la prudence des enfers. (Avec une de ses clefs il ouvre la porte. Il sort de la tour un vieillard décharné comme un squelette. Moor recule d’horreur.)À part. – Effroyable illusion ! Mon père !

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