« Eh bien ! n’y pensons plus ; salut à la Sagesse
« Qui créa l’univers ; salut, enchanteresse.
« Ô nature ! ô ma mère ! architecte des lieux
« Où s’avance le Rhin, ton fils majestueux !
« De ta fécondité combien on voit de gages !
« C’est là que, varié par mille et mille images,
« S’offre aux regards d’Harold un spectacle divin ;
« Le feuillage, le fruit, le rocher, le ravin,
« Le pampre qui verdit sur ces hautes collines,
« Et les vieux châteaux forts, imposantes ruines
« Où brillaient autrefois les armes des barons,
« Dont le lierre et la mousse ont caché les blasons.
Lord Byron. Childe-Harold.
Lorsque Arthur Philipson eut quitté son père pour monter dans la barque qui le conduirait de l’autre côté du Rhin, il ne prit que peu de précautions pour pouvoir fournir à ses propres besoins pendant une séparation dont il calculait que la durée ne serait pas bien longue. Un peu de linge et quelques pièces d’or furent tout ce qu’il crut nécessaire d’emporter avec lui, et il laissa le reste des bagages et de l’argent avec le mulet, supposant que son père en aurait besoin pour soutenir son rôle de marchand anglais. La barque de pêcheur à bord de laquelle il se trouvait avec son cheval et sa petite valise dressa son mât sur-le-champ, étendit sa voile, l’attacha à la vergue, et soutenue contre la violence du courant par la force du vent, traversa le fleuve en ligne oblique, se dirigeant vers Kirch-Hoff, qui, comme nous l’avons déjà dit, est situé un peu plus bas que la chapelle de Hanz. La traversée fut si favorable que la barque toucha l’autre rive au bout de quelques minutes, et avant de la quitter, Arthur, dont les yeux et les pensées se portaient vers la rive gauche, vit son père sortir de la chapelle du Bac, accompagné de deux hommes à cheval, qu’il supposa être le guide Barthélemi et quelque voyageur que le hasard lui avait fait rencontrer. Ces deux individus étaient le prêtre de Saint-Paul et un novice, comme nos lecteurs en ont été informés.
Il ne put s’empêcher de penser que cette augmentation de compagnie devait ajouter à la sûreté de son père, car il n’était pas probable que Philipson eût souffert qu’on lui donnât malgré lui un compagnon de voyage ; et s’il l’avait choisi lui-même, et que ce fût un traître, sa présence pouvait être une protection contre lui. Dans tous les cas, il avait à se réjouir d’avoir vu son père partir en sûreté d’un endroit où ils avaient lieu de craindre que quelque danger ne l’attendît. Il résolut donc de ne pas s’arrêter à Kirch-Hoff, et de continuer à presser son voyage dans la direction de Strasbourg, jusqu’à ce que l’obscurité l’obligeât à s’arrêter dans quelqu’un des Dorffs ou villages situés sur la rive droite du Rhin. Avec l’ardeur de la jeunesse, qui se flatte toujours, il espérait rejoindre son père, et s’il ne pouvait tout-à-fait écarter les inquiétudes que lui causait leur séparation, il nourrissait du moins l’espoir de le retrouver en sûreté. Après avoir pris quelques rafraîchissemens et donné à son cheval quelques instans pour se reposer, il se remit en marche, et continua sans perdre de temps à suivre la route orientale du grand fleuve.
Il était alors du côté le plus intéressant du Rhin, bordé et en quelque sorte muré sur cette rive par les rochers les plus pittoresques, tantôt tapissés d’une végétation qui offrait les couleurs riches et variées de l’automne, tantôt couronnés de forteresses sur les portes desquelles flottait fièrement la bannière baronniale. Ailleurs on voyait des hameaux où la richesse du sol fournissait au pauvre cultivateur des alimens dont le bras oppresseur de son tyran menaçait de le priver entièrement. Chaque ruisseau qui porte ses eaux au Rhin serpente dans la vallée dont il reçoit les tributs, et chacune de ces vallées a un caractère varié qui lui est propre ; les unes sont enrichies de pâturages, de champs de blé et de vignobles, d’autres sont hérissées de rochers, offrent des précipices, et présentent d’autres beautés pittoresques.
Les principes du goût n’avaient pas encore été alors expliqués et analysés comme ils l’ont été depuis dans des contrées où l’on a eu le loisir de se livrer à cette étude. Mais le sentiment que fait naître la vue d’un paysage aussi riche que celui de la vallée du Rhin doit avoir été le même dans tous les cœurs, depuis le temps où notre jeune Anglais la traversait en voyageur solitaire, jusqu’à celui où Childe-Harold indigné dit un superbe adieu à sa terre natale pour chercher en vain une contrée où son cœur pût battre plus tranquillement.
Arthur jouit de cette scène, quoique le jour qui commençait à baisser lui rappelât que voyageant seul et chargé d’un dépôt précieux, la prudence exigeait qu’il cherchât quelque endroit pour y passer la nuit. Comme il formait la résolution de prendre des informations à la première habitation qu’il rencontrerait sur la route qu’il suivait, il descendit dans un superbe amphithéâtre couvert de grands arbres, dont l’ombre protégeait contre les chaleurs de l’été l’herbe tendre d’un beau pâturage. Une grande rivière y coulait, tributaire du Rhin. À un mille de là, en remontant vers sa source, ses eaux décrivaient un demi-cercle autour d’une hauteur escarpée, couronnée de murs flanqués de tours et de tourelles gothiques qui formaient la défense d’un château féodal du premier ordre. Une partie de la savane dont nous venons de parler avait été irrégulièrement ensemencée en blé qui avait produit une moisson abondante. La récolte en était faite et rentrée, mais le chaume jaune qui restait sur la terre faisait contraste avec la belle verdure du pâturage et avec les feuilles à demi desséchées et rougeâtres des grands chênes qui étendaient leurs bras en dessus. Un jeune homme vêtu en paysan, et aidé d’un épagneul bien dressé, cherchait à prendre au filet une compagnie de perdreaux, et une jeune fille qui avait l’air d’être au service de quelque famille distinguée plutôt qu’une simple villageoise, assise sur le tronc d’un arbre tombé de vieillesse, s’amusait à regarder cette chasse. L’épagneul dont le devoir était de pousser les perdrix sous le filet, fut évidemment distrait par l’approche du voyageur ; son attention se partagea, et il était sur le point d’oublier le rôle qu’il avait à jouer et de faire prendre le vol aux perdreaux en aboyant, quand la jeune fille se leva, s’avança vers Philipson, et le pria avec politesse de vouloir bien passer un peu plus loin, pour ne pas nuire à leur amusement.
Le voyageur y consentit sans hésiter.
– Je m’éloignerai à telle distance qu’il vous plaira, belle demoiselle, lui dit-il ; mais permettez-moi de vous demander en retour s’il y a dans les environs un couvent, un château, une ferme, où un voyageur fatigué et qui s’est attardé puisse recevoir l’hospitalité pour une nuit.
La jeune fille, dont il n’avait pas encore distinctement vu les traits, sembla contenir une envie de rire. – Croyez-vous qu’il n’y ait pas dans ce château, lui répondit-elle en lui montrant les tours dont nous venons de parler, quelque coin où l’on puisse mettre à l’abri un voyageur réduit à cette extrémité ?
– L’espace n’y manque certainement pas, dit Arthur ; mais il reste à savoir si la bonne volonté s’y joint.
– Comme je suis moi-même une partie formidable de la garnison, reprit la jeune fille, je me rends responsable de l’accueil que vous y recevrez. Mais comme vous me parlez en termes hostiles, les usages de la guerre veulent que je baisse ma visière.
À ces mots, elle se couvrit le visage d’un de ces masques que les femmes portaient souvent à cette époque lorsqu’elles allaient en voyage, soit pour protéger leur teint, soit pour se mettre à l’abri des regards trop curieux. Mais avant qu’elle eût pu terminer cette opération, Arthur avait reconnu les traits enjoués d’Annette Veilchem, jeune fille qui, quoique simple servante d’Anne de Geierstein, jouissait d’une grande estime dans la maison du Landamman. Hardie, n’ayant aucun égard pour les distinctions de rang que connaissaient peu les simples montagnards suisses, elle était toujours prête à rire et à plaisanter avec les jeunes gens de la famille d’Arnold Biederman. Personne n’y trouvait à redire, les mœurs du pays n’établissaient guère d’autre différence entre la maîtresse et la suivante, si ce n’est que la maîtresse était une jeune personne qui avait besoin d’être servie, et que la suivante en était une autre qui était en position de servir. Ce genre de familiarité aurait pu être dangereux dans d’autres pays ; mais la simplicité des mœurs de la Suisse et le caractère particulier d’Annette qui était résolue et sensée, quoique ses manières fussent libres et hardies, en les comparant à celles des contrées plus civilisées, faisaient que tous les rapports qui existaient entre elle et les jeunes gens de la famille se maintenaient toujours dans les limites de l’innocence et de l’honneur.
Arthur lui-même avait fait beaucoup d’attention à Annette ; car d’après les sentimens qu’il éprouvait pour la maîtresse il était naturel qu’il désirât gagner les bonnes grâces de la suivante. Les attentions d’un beau jeune homme ne pouvaient guère manquer d’y réussir, jointes surtout à la générosité avec laquelle il lui fit quelques petits présens d’objets de parure et de toilette qu’Annette, quoique fidèle à sa maîtresse, n’eut pas le cœur de refuser.
L’assurance qu’il était dans le voisinage d’Anne de Geierstein et qu’il allait probablement passer la nuit sous le même toit qu’elle, ce qu’indiquaient la présence et les discours d’Annette, fit circuler le sang plus rapidement dans les veines d’Arthur. Depuis qu’il avait traversé le Rhin il s’était quelquefois livré à l’espoir de revoir celle qui avait fait une si profonde impression sur son imagination ; mais son jugement lui avait représenté en même temps combien la chance de la rencontrer était légère, et même en ce moment il était glacé par la réflexion que son entrevue avec elle serait nécessairement suivie d’une séparation soudaine et éternelle. Il céda pourtant à l’attrait du plaisir qu’il se promettait, sans trop chercher à déterminer quelles devraient en être les conséquences et la durée. En attendant, désirant apprendre dans quelle situation Anne se trouvait alors, autant qu’Annette jugerait à propos de l’en instruire, il résolut de ne pas faire voir à cette jeune fille enjouée qu’il l’avait reconnue, avant qu’il lui plût à elle-même d’écarter d’elle toute apparence de mystère.
Tandis que ces pensées se présentaient rapidement à son imagination, Annette vit le jeune homme faire tomber son filet et lui dit de choisir les deux plus beaux perdreaux, de les porter à la cuisine, et de rendre la liberté aux autres.
– Il faut que je fournisse le souper, dit-elle au voyageur, puisque j’amène au logis compagnie inattendue.
Arthur lui dit qu’il espérait que l’hospitalité qu’il recevrait au château ne causerait aucun embarras à ceux qui l’habitaient, et elle lui répondit d’une manière assez satisfaisante pour calmer tous ses scrupules à ce sujet.
– Je serais bien fâché de gêner le moins du monde votre maîtresse, ajouta le voyageur.
– Voyez cela, s’écria Annette Veilchem ; je n’ai parlé ni de maître ni de maîtresse, et ce pauvre voyageur égaré s’imagine déjà qu’il va être reçu dans le boudoir d’une dame !
– Comment ! dit Arthur un peu confus de son indiscrète allusion, ne m’avez-vous pas dit que vous étiez la personne de seconde importance dans ce château ? J’ai pensé qu’une demoiselle ne pouvait commander en second que sous un gouverneur de son sexe.
– Je ne vois pas que cette conclusion soit juste : j’ai vu des dames remplir des fonctions importantes dans de grandes familles, et gouverner même le gouverneur.
– Dois-je comprendre, belle demoiselle, que vous occupez une place si élevée dans le château dont nous approchons, et dont je vous prie de m’apprendre le nom ?
– Ce château se nomme Arnheim.
– Il faut que vous ayez une garnison très nombreuse, si vous pouvez couvrir de soldats toutes ces tours et toutes ces murailles.
– Je dois avouer que nous sommes en défaut sur ce point. On pourrait dire qu’au lieu d’habiter ce château nous nous y cachons en ce moment : mais il est suffisamment défendu par les bruits qui effraient ceux qui pourraient y troubler notre retraite.
– Et cependant vous osez y demeurer ? dit Arthur se rappelant ce que Rodolphe Donnerhugel lui avait dit des barons d’Arnheim, et de la catastrophe qui avait éteint cette famille dans la ligne masculine.
– Peut-être connaissons-nous trop bien la cause de ces craintes pour en recevoir nous-mêmes une forte impression ; peut-être avons-nous des moyens particuliers pour pouvoir braver ce qui inspire de la terreur aux autres ; peut-être n’avons-nous pas le choix d’un meilleur asile, et ce n’est pas la conjecture la moins vraisemblable. Vous paraissez être dans la même situation en ce moment, monsieur, car le soleil retire peu à peu ses rayons du sommet des montagnes qu’on aperçoit dans le lointain, et si vous ne prenez pas un abri à Arnheim, que vous en soyez satisfait ou non, vous aurez encore plusieurs milles à faire avant de trouver un logement sûr.
En parlant ainsi elle quitta Arthur, et prit avec le jeune homme qui l’accompagnait un sentier très escarpé mais beaucoup plus court, qui montait au château en droite ligne, faisant signe en même temps au jeune Anglais de suivre un autre chemin qui conduisait au même but, mais en tournant et par une montée beaucoup plus douce.
Il arriva bientôt devant la façade méridionale du château d’Arnheim, qui était un bâtiment beaucoup plus considérable qu’il ne l’avait supposé d’après la description que Rodolphe lui en avait faite, et d’après la vue qu’il en avait eue à quelque distance. Ce château avait été construit à différentes époques, et une grande partie de cet édifice était moins dans le goût gothique que dans ce qu’on a appelé le style mauresque, genre d’architecture qui annonce une imagination plus fleurie que celui qu’on adopte ordinairement dans le Nord, et enrichi de minarets, de coupoles et d’autres ornemens qu’on remarque dans les édifices orientaux. Ce château singulier avait en général un air de solitude et de tristesse ; mais Rodolphe avait été mal informé lorsqu’il dit qu’il était en ruines ; au contraire, il avait été soigneusement entretenu, et quand il était tombé entre ses mains, l’empereur, quoiqu’il n’y eût point placé de garnison, avait eu soin de réparer le bâtiment. Les bruits qui couraient dans le pays faisaient que personne ne se souciait de passer la nuit dans l’enceinte de ces murs redoutés ; mais le château était régulièrement visité de temps en temps par quelqu’un qui avait une commission à cet effet de la chancellerie impériale. La jouissance du domaine qui entourait le château était une excellente indemnité des soins dont cet officier était chargé, et il prenait bien garde de ne pas s’exposer à la perdre en négligeant ses devoirs. Les fonctions de cet officier avaient cessé depuis peu, et il paraissait que la jeune baronne d’Arnheim avait alors trouvé un refuge dans les tours désertes de ses ancêtres.
Annette ne laissa pas au jeune voyageur le temps d’examiner en détail l’extérieur du château, et de chercher à s’expliquer ce que signifiaient des emblèmes et des devises qui avaient un caractère oriental. Ces symboles placés sur diverses parties des murs du bâtiment semblaient exprimer de diverses manières, plus ou moins directement, l’attachement que ceux qui l’avaient fait construire avaient eu pour les sciences de l’Orient. Arthur n’avait eu que le temps de jeter un coup d’œil général sur cet édifice quand la voix d’Annette l’appela à un angle du bâtiment, où une longue planche était jetée sur un fossé sans eau, et offrait un moyen d’entrer par une fenêtre à laquelle était alors la jeune suivante.
– Vous avez déjà oublié les leçons que vous avez reçues en Suisse, dit-elle en voyant Arthur passer avec une sorte de timidité sur ce pont provisoire et peu sûr.
La réflexion que Anne de Geierstein pouvait faire la même observation rendit au jeune voyageur le sang-froid dont il avait besoin. Il passa sur la planche avec le même calme qu’il avait montré en bravant le pont bien plus dangereux qui conduisait aux ruines du château de Geierstein. Dès qu’il fut entré par la fenêtre, Annette ôta son masque et lui dit qu’il était le bienvenu en Allemagne, chez d’anciens amis qui portaient de nouveaux noms.
– Anne de Geierstein n’existe plus, ajouta-t-elle, mais vous verrez tout à l’heure la baronne d’Arnheim qui lui ressemble on ne peut davantage ; et moi qui étais en Suisse Annette Veilchem, au service d’une jeune personne qu’on ne regardait pas comme étant beaucoup au-dessus de moi, je suis devenue femme de chambre de la baronne, et je tiens à une distance convenable quiconque est de moindre qualité.
– En de telles circonstances, dit Philipson, si vous jouissez du crédit qui est dû à votre rang, permettez-moi de vous prier de dire à la baronne, puisque nous devons maintenant lui donner ce nom, que si je me présente ainsi devant elle, c’est parce que j’ignorais qu’elle habitât ce château.
– Laissez, laissez ! répondit Annette en riant ; je sais mieux que vous ce que je dois dire en votre faveur. Vous n’êtes pas le premier pauvre marchand qui ait gagné les bonnes grâces d’une grande dame, mais le moyen d’y réussir n’est pas de faire d’humbles apologies et de chercher à s’excuser de se présenter devant elle. Je lui parlerai d’un amour que toute l’eau du Rhin ne pourrait éteindre, et qui vous a conduit ici ne vous laissant d’autre alternative que d’y venir ou de périr.
– Mais Annette, Annette…
– Fi donc ! êtes-vous fou ? Racourcissez ce nom, criez, Anne ! Anne ! et il est plus probable qu’on vous répondra.
À ces mots la jeune étourdie s’enfuit précipitamment, charmée, comme devait l’être une montagnarde de son caractère, d’avoir fait pour les autres ce qu’elle aurait voulu qu’on fit pour elle-même, en cherchant obligeamment à procurer une entrevue à deux amans qui étaient à la veille d’une séparation inévitable.
Dans cette disposition à être satisfaite d’elle-même, Annette monta un étroit escalier tournant, qui conduisait à un cabinet de toilette où sa jeune maîtresse était assise. Elle s’écria en arrivant : – Anne de Gei… je veux dire madame la baronne, ils sont arrivés ! ils sont arrivés !
– Les Philipson ? demanda sa maîtresse respirant à peine.
– Oui, non, c’est-à-dire oui ! car le meilleur des deux est arrivé, et c’est Arthur.
– Que veux-tu dire, Annette ? le signor Philipson n’est-il pas avec son fils ?
– Non, vraiment, et je n’ai pas même pensé à faire une question à son égard. Ce n’était ni mon ami, ni celui de personne, à l’exception du vieux Landamman ; et ils étaient bien faits l’un pour l’autre, avec leur bouche remplie de vieux proverbes et leur front chargé de soucis.
– Folle, inconsidérée que tu es ! ne t’avais-je pas chargée de les conduire ici tous deux ? Et tu amènes un jeune homme seul dans un endroit où nous sommes presque dans une solitude complète ! Que pensera-t-il de moi, que peut-il en penser ?
– Et que pouvais-je donc faire ? demanda Annette tenant fortement à son opinion. Il était seul ; fallait-il que je l’envoyasse dans le dorff pour qu’il y fût assassiné par les lansquenets du Rhingrave ? Chacun sait qu’ils prennent pour poisson tout ce qui tombe dans leurs filets. Et comment pourrait-il traverser un pays comme celui-ci, rempli de soldats errans, de barons brigands : pardon, madame la baronne ! et de pillards italiens, qui courent se ranger en foule sous l’étendard du duc de Bourgogne ? pour ne rien dire de ce qui est plus que tout autre chose l’objet d’une terreur encore plus grande, et qui sous une forme ou une autre est toujours présent aux yeux et aux pensées de chacun.
– Chut, Annette ! chut ! n’ajoute pas une démence complète à cet excès de folie ; songeons plutôt à ce que nous devons faire. Par égard pour nous, par égard pour lui-même, il faut que ce malheureux jeune homme quitte ce château à l’instant.
– En ce cas, vous lui porterez votre message vous-même, Anne de Geier… pardon, noble baronne ! Il peut être fort convenable à une dame du haut rang d’envoyer de pareils ordres, et j’en ai vu de semblables exemples dans les romances des Minne-singers, mais je suis sûre qu’il ne le serait ni à moi ni à aucune jeune montagnarde de la Suisse, à cœur franc, de consentir à s’en charger. Plus de folie : souvenez-vous que si vous êtes née baronne d’Arnheim, vous avez été élevée dans le sein des montagnes de la Suisse, et que par conséquent vous devez vous conduire en demoiselle ayant de bonnes et honnêtes intentions.
– Et en quoi votre sagesse me trouve-t-elle coupable de folie, mademoiselle Annette ?
– En quoi ! voyez comme notre noble sang s’agite dans nos veines ! Souvenez-vous, noble baronne, que lorsque j’ai quitté nos belles montagnes et que j’ai renoncé à l’air libre qu’on y respire pour venir me claquemurer dans ce pays de prisons et d’esclaves, il a été convenu que je vous dirais ma façon de penser tout aussi librement que lorsque nos têtes reposaient sur le même oreiller.
– Parlez donc, dit Anne, qui en se préparant à l’écouter détourna un peu la tête ; mais songez à ne dire rien qu’il ne me convienne pas d’entendre.
– Je vous dirai ce que la nature et le bon sens m’inspireront ; et si vos nobles oreilles ne sont pas en état de m’entendre et de me comprendre ce sera votre faute, et non celle de ma langue. Écoutez bien. Vous avez sauvé ce jeune homme de deux grands dangers : une fois, lors de l’éboulement de ce rocher à Geierstein ; une autre, aujourd’hui même quand sa vie était menacée. C’est un beau jeune homme, bien fait, parlant bien, et ayant tout ce qu’il faut pour gagner les bonnes grâces d’une dame. Avant que vous l’eussiez vu, nos jeunes Suisses ne vous déplaisaient pas ; du moins vous dansiez avec eux, vous plaisantiez avec eux, vous étiez pour eux l’objet d’une admiration générale, et comme vous le savez vous auriez pu choisir dans tous les Cantons ; je crois même qu’en vous pressant un peu, on aurait pu vous déterminer à prendre pour mari Rodolphe Donnerhugel.
– Jamais, Annette, jamais !
– Ne parlez pas en termes si positifs. S’il avait d’abord obtenu les bonnes grâces de l’oncle, mon humble opinion est que dans quelque heureux moment il aurait bien pu aussi gagner la nièce. Mais depuis que vous avez connu ce jeune Anglais, il s’en est fallu de bien peu que vous n’ayez dédaigné, méprisé, je dirais presque haï tous les jeunes gens que vous enduriez assez bien auparavant.
– Eh bien ! eh bien ! je te haïrai et te détesterai encore plus qu’aucun d’eux, si tu ne finis bientôt ton discours.
– Tout doux, noble baronne ! Qui va doucement, peut aller loin. Tout cela prouve que vous aimez ce jeune homme ; et je permets à ceux qui y trouveront quelque chose d’étonnant, de dire que vous avez tort. Il y a beaucoup de choses à dire pour vous justifier, et pas un mot que je sache pour vous blâmer.
– Tu es folle, Annette ; souviens-toi de mon rang et de ma condition, qui me défendent d’aimer un homme sans naissance et sans fortune. Songe que je désobéirais à mon père en aimant quelqu’un qui me ferait la cour sans son consentement. N’oublie pas surtout que la fierté de mon sexe ne me permet pas d’accorder mon affection à un jeune homme qui ne songe pas à moi, à qui les apparences ont peut-être même inspiré des préventions contre moi.
– Voilà une superbe homélie ! Mais je puis répondre à chaque point aussi facilement que le père Francis suit son texte dans ses sermons. Votre naissance est une absurde vision dont vous n’avez appris à faire cas que depuis deux ou trois jours, lorsqu’ayant mis le pied sur le territoire d’Allemagne une mauvaise herbe allemande, qu’on appelle orgueil de famille, a commencé à germer dans votre cœur. Pensez de cette folie ce que vous en pensiez quand vous demeuriez à Geierstein, c’est-à-dire pendant toute la partie raisonnable de votre vie, et ce grand et terrible préjugé ne sera plus rien à vos yeux. Vient ensuite l’article de la fortune ; mais Philipson, qui est le plus généreux des hommes, donnera sûrement à son fils assez de sequins pour monter une ferme sur nos montagnes. Le bois ne vous coûtera que la peine de le couper, et la terre celle de la cultiver, car vous avez sûrement droit à une partie du domaine de Geierstein, et votre oncle vous en mettra bien volontiers en possession. Vous êtes en état d’avoir soin de la basse-cour ; Arthur pourra chasser, pécher, labourer, herser, moissonner…
Anne de Geierstein secoua la tête comme si elle eût grandement douté que son amant possédât ces derniers talens.
– Eh bien ! eh bien ! reprit Annette Veilchem, il est encore assez jeune pour apprendre. D’ailleurs Sigismond Biederman l’aidera de tout son cœur, et Sigismond est un vrai cheval pour le travail. Je connais aussi quelqu’un qui est…
– Un ami d’Annette Veilchem, j’en réponds.
– Sans doute ; mon pauvre ami Louis Sprenger. Je n’aurai jamais le cœur assez faux pour renier mon amoureux.
– Mais à quoi tout cela doit-il aboutir ? s’écria la baronne avec quelque impatience.
– À une chose toute simple suivant moi, répondit Annette. Il y a des prêtres et des missels à un mille d’ici. Allez trouver votre amant, dites-lui votre façon de penser, ou écoutez-le vous dire la sienne ; joignez vos mains, retournez tranquillement à Geierstein comme mari et femme, et mettez-y tout en bon ordre pour le retour de votre oncle. Voilà comment une fille élevée en Suisse doit terminer le roman d’une baronne allemande…
– Et briser le cœur de son père, dit Anne en soupirant.
– Il est d’un métal plus dur que vous ne pensez. Après vous avoir laissée si long-temps loin de lui, il lui sera plus facile de se passer de vous le reste de sa vie, qu’il ne vous le serait, malgré toutes vos nouvelles idées de noblesse, d’endurer ses projets de fortune et d’ambition, qui tendront à vous donner pour mari quelque illustre comte comme Hagenbach dont nous avons vu il n’y a pas long-temps la fin édifiante, faite pour donner une leçon à tous les chevaliers-brigands des bords du Rhin.
– Ton plan ne vaut rien, Annette ; c’est la vision puérile d’une jeune fille qui n’a jamais connu le monde que par ce qu’elle en a entendu dire pendant qu’elle était à traire ses vaches. Souviens-toi que mon oncle a des idées très sévères sur la soumission filiale, et qu’agir contre la volonté de mon père, ce serait me perdre dans son esprit. Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi a-t-il cessé d’agir comme mon tuteur ? Pourquoi suis-je contrainte de quitter des habitudes qui me sont chères, et de prendre les manières d’un peuple étranger qui par conséquent me sont désagréables ?
– Votre oncle est Landamman du canton d’Underwald, répondit Annette avec fermeté ; il en respecte la liberté, et il a fait serment d’en défendre les lois ; et quand vous, fille adoptive de la Confédération, vous en réclamerez la protection, il ne peut vous la refuser.
– En ce cas même, répliqua la jeune baronne, je perdrais son estime et son affection plus que paternelle. Mais il est inutile d’insister sur ce point. Quand même j’aurais pu aimer ce jeune homme, et je ne nierai pas qu’il ne soit aussi aimable que ta partialité le représente, jamais…, elle hésita un instant ; jamais il ne m’a dit un seul mot sur le sujet dont tu persistes à vouloir m’entretenir sans connaître ni ses sentimens ni les miens.
– Est-il possible ! s’écria Annette. Je pensais, je croyais, quoique je ne vous aie jamais pressée de me faire aucune confidence, que vous deviez, attachés l’un à l’autre comme vous l’étiez, vous être déjà parlé en véritables et fidèles amans. J’ai donc mal agi quand je croyais faire pour le mieux. Est-il possible ! Oui, on a entendu parler de pareilles choses, même dans notre canton. Est-il possible qu’il ait conçu d’aussi indignes projets que Martin de Brisach qui faisait l’amour à Adèle du Sundgau, qui lui fit faire un faux pas (cela n’est que trop vrai, quoique presque incroyable), qui l’abandonna ensuite, qui quitta le pays, et qui alla se vanter partout de sa scélératesse ? Mais Raymond, le cousin d’Adèle, lui imposa silence pour toujours en lui brisant le crâne d’un coup de bâton en pleine rue, dans la ville même où l’infâme brigand était né. Par la Sainte Vierge d’Einsiedlen ! si je pouvais croire cet Anglais capable de méditer une telle trahison, je scierais la planche placée sur le fossé de manière que le poids d’une mouche suffirait pour la rompre ; et ce serait à six toises de profondeur qu’il expierait le crime d’avoir osé former des projets perfides contre l’honneur d’une fille adoptive de la Suisse.
Tandis qu’Annette Veilchem parlait ainsi, tout le feu du courage qu’elle avait puisé dans le sein de ses montagnes brillait dans ses yeux ; et ce fut presque à contre-cœur qu’elle écouta Anne de Geierstein, qui chercha à effacer l’impression défavorable que les derniers mots qu’elle avait prononcés avaient faite sur l’esprit de sa simple mais fidèle servante.
– Sur mon âme, lui dit-elle, vous faites injure à Arthur Philipson, vous lui faites une injure criante en vous livrant à de tels soupçons. Sa conduite à mon égard a toujours été pleine de droiture et d’honneur, celle d’un ami envers une amie, d’un frère envers une sœur. Dans tous ses discours, dans toutes ses actions, il n’aurait pu montrer plus de respect, d’affection, de franchise et de sincérité. Dans nos entrevues et dans nos promenades fréquentes, il est vrai qu’il paraissait me voir avec plaisir, m’être attaché ; si j’avais été disposée, et je l’ai peut-être quelquefois été trop, à l’écouter avec indulgence, peut-être… Anne appuya sa main sur son front, et quelques larmes coulèrent à travers ses jolis doigts… mais jamais il ne m’a parlé d’aucun sentiment de préférence, d’amour. S’il en nourrit quelqu’un, quelque obstacle insurmontable de son côté l’a empêché d’en faire l’aveu.
– Quelque obstacle ! répliqua Annette. Sans doute une timidité puérile, de sottes idées sur ce que votre naissance est tellement au-dessus de la sienne, un rêve de modestie portée à l’excès qui lui fait croire qu’il est impossible de briser la glace formée par une gelée de printemps. Quelques mots d’encouragement suffiront pour dissiper cette illusion ; et je me chargerai de cette tâche, ma chère Anne, pour vous épargner l’embarras de rougir.
– Pour l’amour du ciel, n’en fais rien, Veilchem ! s’écria la jeune baronne dont Annette était depuis long-temps la confidente et la compagne plutôt que la suivante ; tu ne peux deviner quelle est la nature des obstacles qui peuvent l’empêcher de s’expliquer comme tu désires tellement l’y engager. Écoute-moi : ma première éducation et les instructions de mon bon oncle m’ont appris sur les étrangers et leurs manières quelque chose de plus que je n’aurais jamais pu en savoir dans notre heureuse retraite de Geierstein. D’après ce que j’ai vu et ce que je sais, je suis presque convaincue que ces Philipson sont d’un rang fort supérieur à la profession qu’ils paraissent exercer. Le père est un homme profond, observateur, réfléchi, généreux, et il fait des présens dont la valeur est fort au-dessus de toute la libéralité qu’on peut supposer à un marchand.
– C’est la vérité ; et quant à moi, je dirai que la chaîne d’argent qu’il m’a donnée pèse dix couronnes ; et la croix qu’Arthur y ajouta le lendemain du jour de la longue promenade que nous fîmes du côté du mont Pilate ne vaut pas moins, à ce qu’on m’assure : il n’y en a pas une semblable dans tous les Cantons. Eh bien ! qu’en résulte-t-il ? ils sont riches, vous l’êtes aussi : c’est tant mieux.
– Hélas ! Annette, non-seulement ils sont riches, mais ils sont nobles ; j’en suis persuadée. J’ai souvent remarqué que le père prenait un air de mépris plein de dignité pour se dispenser d’entrer dans quelque discussion que Donnerhugel ou quelque autre cherchait à entamer pour avoir une occasion de querelle. Et quand le fils était l’objet d’une observation peu civile ou d’une plaisanterie trop forte, l’œil d’Arthur étincelait, ses joues devenaient pourpres, et ce n’était qu’un regard de son père qui retenait la réplique courroucée prête à s’échapper de ses lèvres.
– Vous les avez observés de bien près, dit Annette. Tout cela peut être vrai ; quant à moi, je n’y ai fait aucune attention. Mais, je le répète, qu’importe ? si Arthur porte quelque beau nom qui soit noble dans son pays, n’êtes-vous pas vous-même baronne d’Arnheim ? Et j’avouerai franchement que ce titre a quelque valeur, s’il peut aplanir les voies à un mariage qui ferait, je crois, votre félicité ; je l’espère, du moins, sans quoi je n’y donnerais pas d’encouragement.
– Je vous crois, ma fidèle Veilchem ; mais, hélas ! élevée comme vous l’avez été dans un état de liberté naturelle, comment pourriez-vous connaître, ou même vous figurer l’état de contrainte que cette chaîne d’or ou dorée du rang et de la noblesse impose à ceux qui, comme je le crains, en sont chargés plutôt que décorés ? Dans tous les pays les distinctions de rang obligent les hommes à de certains devoirs : elles peuvent leur défendre de contracter des alliances en pays étranger, et même les empêcher de consulter leur inclination quand ils se marient dans leur pays ; elles conduisent à des mariages dans lesquels le cœur n’est jamais consulté, à des unions projetées et arrêtées quand les deux parties sont encore au berceau ou conduites à la lisière, mais que l’honneur et la bonne foi n’en rendent pas moins obligatoires. Qui sait s’il n’existe pas quelque obstacle de cette nature dans le cas dont nous parlons ? La politique d’État entre souvent aussi pour beaucoup dans ces alliances ; et si l’intérêt véritable ou supposé de l’Angleterre a déterminé Philipson à contracter un pareil engagement pour son fils, Arthur mourrait de chagrin, il laisserait mourir de chagrin n’importe qui, plutôt que de ne pas tenir la parole donnée par son père.
– Ceux qui prennent de pareils engagemens pour leurs enfans n’en ont que plus à rougir, dit Annette. On parle de l’Angleterre comme d’un pays libre ; mais si l’on y prive les jeunes gens des deux sexes du droit naturel de disposer de leur cœur et de leur main, j’aimerais mieux être un serf d’Allemagne. Eh bien ! vous savez beaucoup de choses, et je ne suis qu’une ignorante ; qu’allons-nous faire ? J’ai amené ce jeune homme ici dans l’espoir, comme Dieu le sait, que votre entrevue aurait un plus heureux résultat ; mais il est bien clair que vous ne pouvez l’épouser sans qu’il vous le demande. J’avoue que si je croyais qu’il fût disposé à perdre la main de la plus belle fille des Cantons, faute d’être assez hardi pour la demander, ou par égard pour quelque sot engagement pris par son père avec quelque autre noble de leur île de noblesse, dans l’un comme dans l’autre cas je lui ferais bien volontiers faire le plongeon dans le fossé. Mais une autre question est de savoir si nous le renverrons d’ici pour aller se faire assassiner par ces coupe-jarrets du Rhingrave ; et à moins de prendre ce parti, je ne sais comment nous en débarrasser.
– Dis à Williams de le servir, et veille à ce qu’il ne lui manque rien. Il vaut mieux que nous ne nous voyions pas.
– Cela est fort aisé ; mais que lui dirai-je de votre part ? Malheureusement je lui ai appris que vous êtes ici.
– Quelle imprudence, Annette ! mais pourquoi te blâmerais-je quand j’ai le même reproche à me faire ? C’est moi qui, en permettant à mon imagination de trop s’occuper de ce jeune homme et de ses bonnes qualités, me suis jetée dans cet embarras ; mais je te ferai voir que je puis me montrer supérieure à cette folie, et je ne chercherai pas dans ma propre erreur un motif pour éviter de remplir les devoirs de l’hospitalité. Va, Veilchem, va faire préparer des rafraîchissemens ; tu souperas avec nous, et tu auras soin de ne pas nous quitter ; tu me verras me conduire comme il convient à une baronne allemande et à une fille de la Suisse. Donne-moi d’abord une lumière, Annette, et de l’eau fraîche, car mes yeux en ont besoin, ils déposeraient contre moi ; il faut aussi que je fasse un peu de toilette.
Toute cette explication avait bien étonné Annette. Les idées qu’elle avait prises dans les montagnes de la Suisse sur la manière de faire l’amour et sur l’amour même avaient tant de simplicité, qu’elle s’était imaginé que les deux amans saisiraient la première occasion que leur fournirait l’absence de ceux qui devaient naturellement diriger leur conduite pour s’unir par un nœud indissoluble ; elle avait même arrangé un petit plan secondaire, d’après lequel son fidèle Sprenger et elle devaient rester avec le jeune couple en qualité d’amis et de serviteurs. Réduite au silence, mais non convaincue par les objections de sa maîtresse, Annette toujours zélée sortit pour lui obéir, en se disant à elle-même :
– Ce petit mot sur sa toilette est la seule chose que je l’aie entendue dire qui soit naturelle et sensée. S’il plaît à Dieu, je reviendrai dans un clin d’œil pour l’aider. Habiller ma maîtresse est la seule partie des fonctions d’une femme de chambre pour laquelle j’aie du goût. Il semble si naturel à une jolie fille d’en parer une autre ! Sur ma foi, ce n’est qu’apprendre à se parer soi-même.
Et en finissant cette sage remarque Annette Veilchem descendit l’escalier.