PISTOL. « J’apporte des messages de bonheur et de joie, des nouvelles précieuses.
FALSTAFF. « Je te prie de nous les raconter comme à des gens de ce monde.
PISTOL. « Au diable le monde et les imbéciles qui l’habitent ! Je parle de l’Afrique et de ses trésors. »
SHAKESPEARE, Henry IV, part. cs.
La grand’salle de l’Ours-noir, à Cumnor, où notre histoire nous ramène, pouvait se vanter, le soir dont nous parlons, de contenir une société peu ordinaire. Il y avait eu une foire dans le voisinage : le prétentieux mercier d’Abingdon, ainsi que plusieurs des personnages que nous avons déjà présentés au lecteur comme les amis et les habitués de l’auberge de Giles Gosling, avaient formé autour du feu leur cercle accoutumé, et parlaient des nouvelles du jour.
Un homme vif, plaisant et à l’air affairé, que sa balle et son aune de bois de chêne garnie de pointes de cuivre à distances égales, indiquaient comme étant du métier d’Autolycus , occupa beaucoup l’attention de la compagnie, et contribua puissamment à l’amusement de la soirée. Il faut se rappeler que les marchands ambulans de ce temps-là étaient des gens d’une tout autre importance que les colporteurs dégénérés de nos temps modernes. C’était par le moyen de ces négocians péripatéticiens que se faisait presque tout le commerce des campagnes, surtout en ce qui concernait les étoffes fines à l’usage des femmes ; et si un marchand de cette espèce était assez riche pour voyager avec un cheval de bât, il devenait un personnage d’importance, et pouvait tenir compagnie aux fermiers les plus aisés.
Le marchand forain dont nous parlons prenait donc librement une part active dans les amusemens qui faisaient retentir les plafonds de l’Ours-Noir de Cumnor. Il était bienvenu à sourire avec la jolie petite Cicily ; il riait aux éclats avec notre hôte, et se moquait du pimpant M. Goldthred, qui, sans avoir cette intention complaisante, servit de plastron à tous les traits malins de la soirée. Le colporteur et lui se trouvaient engagés dans une dispute au sujet de la préférence que le tricot d’Espagne méritait sur la maille de Gascogne ; et notre hôte avait fait un signe de l’œil à ses hôtes, comme pour leur dire : – Vous allez avoir de quoi rire dans un instant, mes amis ; lorsqu’un bruit de chevaux se fit entendre dans la cour, et le valet d’écurie fut appelé avec les jurons les plus en vogue alors pour donner de la force à l’appel.
Aussitôt sortirent, en se précipitant les uns sur les autres, Will, le palefrenier, John, le garçon chargé de la cave, et toute la milice de l’Ours-Noir, qui avait déserté ses postes pour écouter les plaisanteries des uns et des autres. Notre hôte lui-même descendit aussi dans la cour pour faire aux nouveau-venus l’accueil qu’ils méritaient, et rentra presque aussitôt en introduisant son digne neveu, Michel Lambourne, passablement ivre, et escortant l’astrologue. Quoique Alasco fût resté un petit vieillard, il avait, en changeant sa robe pour un habit de cavalier, et en peignant sa barbe et ses sourcils, diminué de vingt ans au moins son âge apparent ; on eût pu le prendre pour un homme encore vert qui touchait à sa soixantaine. Il paraissait fort inquiet, et avait beaucoup pressé Lambourne de ne pas s’arrêter dans l’auberge, et de se rendre directement au lieu de leur destination ; mais Lambourne n’aimait pas à être régenté.
– Par le Cancer et le Capricorne, cria-t-il, par toutes les armées célestes, sans compter les étoiles que j’ai vues dans le ciel du midi, et auprès desquelles nos pâles luminaires du nord ont l’air de chandelles de deux liards, le caprice de qui que ce soit ne me rendra jamais mauvais parent ! Je veux m’arrêter pour embrasser mon digne oncle l’aubergiste. Jésus ! Bon sang ne peut mentir. Est-il possible que les amis s’oublient jamais ? Un gallon de votre meilleur vin, mon oncle, et nous le boirons à la santé du noble comte de Leicester. Quoi ! ne trinquerons-nous pas ensemble pour réchauffer notre vieille amitié ? ne trinquerons-nous pas ensemble, je le demande ?
– De tout mon cœur, mon neveu, dit notre hôte, qui cherchait à s’en débarrasser ; mais te charges-tu de payer toute cette bonne liqueur ?
Pareille question a fait reculer plus d’un joyeux, buveur ; mais elle ne changea point les dispositions de Lambourne.
– Doutez-vous de mes moyens pécuniaires, mon cher oncle ? dit-il en montrant sa main pleine de pièces d’or et d’argent. Doutez du Mexique et du Pérou ! doutez de l’échiquier de la reine ! Dieu protège Sa Majesté ! elle est la bonne maîtresse de mon bon seigneur.
– Fort bien, mon neveu, dit l’aubergiste ; mon métier est de vendre du vin à ceux qui peuvent le payer. Ainsi, John, fais ton office. Mais je voudrais bien savoir gagner de l’argent aussi aisément que toi, Michel.
– Mon oncle, dit Lambourne, je vais te dire un secret. – Vois-tu ce petit vieillard, aussi sec et ridé que les copeaux dont le diable se sert pour faire chauffer sa soupe ? Eh bien, mon oncle, entre vous et moi, il a le Potose dans la tête. Mort et sang ! il lui faut moins de temps pour monnayer des ducats qu’à moi pour lâcher un juron.
– Je ne veux point de sa monnaie dans ma bourse, Michel, dit l’aubergiste ; je sais à quoi doivent s’attendre ceux qui contrefont celle de la reine.
– Tu es un âne, mon oncle, malgré ton âge. Ne me tire pas par mon habit, docteur ; tu es aussi un âne. Ainsi, étant tous les deux des ânes… Je vous dis que je n’ai parlé ainsi que par métaphore.
– Êtes-vous fou ? dit le vieillard ; avez-vous le diable au corps ? ne pouvez-vous nous laisser partir sans attirer sur nous les yeux de tout le monde ?
– Tu te trompes, reprit Lambourne ; personne ne te verra si je ne le permets. Je jure par le ciel, messieurs, que si quelqu’un de vous a la hardiesse de jeter les yeux sur ce vieux bonhomme, je les lui arracherai de la tête avec mon poignard. Ainsi, mon vieux camarade, assieds-toi, et pas de tristesse. Tous ces gens-là sont de mes anciens amis, et ne trahiront personne.
– Ne feriez-vous pas mieux de vous retirer dans un appartement particulier, Michel ? dit Giles Gosling ; vous parlez de choses étranges, et il y a partout des gens aux écoutes.
– Je m’en soucie peu, dit le magnanime Lambourne. Je sers le noble comte de Leicester. Voici le vin ; verse à la ronde, maître sommelier ; une rasade à la santé de la fleur d’Angleterre, du noble comte de Leicester ! Du noble comte de Leicester ! Celui qui refuse de me faire raison n’est qu’un porc de Sussex, et je le forcerai de se mettre à genoux pendant que nous boirons le toast, dussé-je lui couper les cuisses et les fumer comme du jambon.
Personne ne refusa une santé proposée de la sorte ; et Michel Lambourne, dont cette nouvelle libation n’avait pas diminué l’ivresse, continua les mêmes extravagances ; renouvelant ses liaisons avec ceux des hôtes qu’il avait vus autrefois, et en recevant un accueil où quelque déférence se mêlait à beaucoup de crainte ; car le moindre serviteur du comte favori, et surtout un homme tel que Lambourne, excitait assez naturellement ces deux sentimens.
Pendant ce temps Alasco, voyant son guide dans une humeur aussi peu traitable, cessa de lui faire des représentations, et, s’asseyant dans le coin le plus obscur de la salle, demanda une petite mesure de vin des Canaries, sur lequel il sembla s’endormir, désirant s’exposer le moins possible aux regards de la compagnie, et ne rien faire qui pût rappeler son existence à son compagnon de voyage. Celui-ci paraissait avoir contracté une étroite intimité avec son ancien camarade Goldthred d’Abingdon.
– Je veux n’être jamais cru, mon cher Michel, dit le mercier, si je ne suis pas aussi content de te voir que je l’ai jamais été de voir l’argent d’une pratique. Je sais que tu peux donner à un ami une bonne place pour voir un bal ou une mascarade ; et puis tu peux dire à l’oreille de milord, quand Sa Grâce vient visiter ces contrées, et a besoin d’une fraise espagnole ou de quelque autre chose de ce genre ; tu peux lui dire à l’oreille : Il y a ici un de mes vieux amis, Laurent Goldthred d’Abingdon, qui a un superbe assortiment de linon, de gaze, de batiste ; qui par-dessus le marché est lui-même un des plus jolis garçons du comté de Berks, et qui se battrait de bon cœur pour Votre Seigneurie avec tout homme de sa taille. Tu peux ajouter encore…
– Je peux ajouter cent autres mensonges, n’est-ce pas, mercier ? répondit Lambourne. Mais quoi ! on ne doit pas avoir peur d’un mot lorsqu’il s’agit de rendre service à un ami.
– À ta santé, Michel, de tout mon cœur, dit le marchand, et tu peux dire aussi quelles sont les véritables modes. Il y avait ici, il n’y a qu’un instant, un coquin de colporteur qui soutenait les bas d’Espagne, qu’on ne porte plus, contre ceux de Gascogne ; et cependant tu peux juger combien les bas français font ressortir la jambe et le genou avec leurs jarretières de rubans bariolés et la garniture assortie.
– Excellent ! reprit Lambourne, excellent ! En vérité, ton maigre mollet passé à travers cette masse de toile gommée et de gaze fait l’effet d’un fuseau auquel il manque la moitié de sa laine.
– Ne l’avais-je pas dit ? cria le mercier, dont le faible cerveau cédait à son tour aux fumées du vin. Où donc est ce coquin de colporteur ? Il y avait, je crois, un colporteur ici il y a un instant. Notre hôte, où diable peut donc être ce colporteur ?
– Il est où doivent être les hommes sages, maître Goldthred, répliqua Giles Gosling. Renfermé dans sa chambre, il repasse les ventes de la journée, et se prépare pour celles du lendemain.
– La peste soit du rustre ! dit le mercier. Ce serait une bonne action de le décharger de ses marchandises. Ces mauvais vagabonds errent dans le pays au grand détriment du marchand patenté. Il y a encore de bons lurons dans le comté de Berks, notre hôte ; et votre colporteur pourra en rencontrer d’ici à Maiden-Castle.
– Oui, reprit l’aubergiste en riant, et celui qui le rencontrera trouvera à qui parler ; il est d’une bonne taille :
– Vraiment ? dit Goldthred.
– Vraiment, dit mon hôte, et j’en puis jurer par le robinet et la bonne chère ! c’est un colporteur tel que celui qui battit Robin Hood si complètement, comme le dit la chanson :
Robin met le sabre à la main ;
Le colporteur en fait de même,
Et vous frotte si bien Robin
Que Robin en devint tout blême.
– Eh bien, dit le mercier, qu’il parte, il n’y a rien à gagner avec un homme de cette trempe. Et maintenant, dis-moi, Michel, mon cher Michel, la toile de Hollande que tu m’as gagnée te fait-elle un bon usage ?
– Oui, très bon, comme tu peux le voir, répondit Michel : je vais te faire donner un pot de vin par reconnaissance. Remplis le flacon, maître Met-en-perce.
– Tu ne gagneras plus de toile de Hollande sur de semblables gageures, Michel, dit le mercier, car ce mauvais garnement, Tony Foster, se répand contre toi en invectives, et jure que tu ne mettras plus les pieds chez lui, parce que tes juremens suffiraient pour faire sauter en l’air le toit d’un chrétien.
– A-t-il dit cela, ce lâche hypocrite, ce misérable avare ? s’écria Lambourne ; eh bien ! je veux qu’il vienne prendre mes ordres ici, ce soir même, dans la maison de mon oncle, et je vais lui entonner un tel sanctus qu’il en aura pour un mois à croire que le diable le tire par son habit toutes les fois qu’il entendra ma voix.
– Maintenant on s’aperçoit que la liqueur a fait effet, dit Goldthred. Tony Foster obéir à ton coup de sifflet ! Hélas ! pauvre Michel, va te coucher ; va te coucher, te dis-je !
– Écoute, imbécile ! dit Lambourne en colère ; je te parie cinquante angelots d’or contre les cinq premiers rayons de ta boutique et ce qu’ils contiennent du côté opposé à la fenêtre, que je force Tony Foster à venir dans cette auberge avant que la bouteille ait fait trois fois le tour de la table.
– Je ne veux point faire de pari de cette importance, dit le mercier un peu refroidi par une offre qui annonçait une connaissance un peu trop exacte de sa boutique ; mais je gagerai, si tu veux, cinq angelots d’or, contre toi, que Tony Foster n’abandonne pas sa maison pour venir, après l’heure de la prière, causer dans un cabaret avec toi ou quelque autre personne que ce soit.
– Marché fait, dit Lambourne. Venez, mon oncle ; tenez les enjeux, et ordonnez à un de vos petits saigne-tonneaux, de vos jeunes apprentis cabaretiers, de courir sur-le-champ à Cumnor-Place, de donner cette lettre à maître Foster, et de lui dire que son camarade Michel Lambourne l’attend dans le château de son oncle, présent ici, pour conférer avec lui sur une affaire du plus haut intérêt. Cours vite, mon enfant, il est presque nuit, et le misérable se couche avec le soleil pour épargner la chandelle.
Le court intervalle qui se passa entre le départ et le retour du messager fut employé à rire et à boire. Il rapporta pour réponse que maître Foster allait venir de suite.
– Gagné ! gagné ! dit Lambourne en s’élançant sur les enjeux.
– Non pas, dit le mercier en s’y opposant ; il faut attendre qu’il soit arrivé.
– Comment diable ! il est sur le seuil de la porte, dit Michel. Que t’a-t-il dit, mon garçon ?
– Sous le bon plaisir de Votre Honneur, répondit le messager, il a mis la tête à la fenêtre, tenant dans ses mains un mousqueton ; et quand je lui ai fait part de votre message, ce dont je me suis acquitté en tremblant, il m’a répondu avec un air de sombre menace que Votre Seigneurie pouvait s’en aller aux régions infernales.
– C’est-à-dire à tous les diables, dit Lambourne, car c’est là qu’il envoie tous ceux qui ne sont pas de sa congrégation.
– Ce sont les paroles dont il s’est servi, dit le messager : j’ai préféré l’autre phrase, comme plus poétique.
– Voilà un garçon d’esprit, dit Michel : tu boiras un coup pour rafraîchir ton sifflet poétique. Et qu’a dit Foster ensuite ?
– Il m’a rappelé, dit le garçon, et m’a chargé de vous dire que vous pourriez venir le voir si vous aviez à lui parler.
– Est-ce tout ? dit Lambourne.
– Ensuite il a lu la lettre, qui a paru le jeter dans un grand embarras, et il a demandé si Votre Honneur était en train ; et je lui ai répondu que vous parliez un peu espagnol, comme quelqu’un qui avait été aux Canaries.
– Sors d’ici, pot d’une mauvaise mesure, enfant d’un mémoire trop chargé, sors d’ici… Mais un moment, qu’a-t-il dit ensuite ?
– Il a grommelé entre ses dents, que, s’il ne venait pas, Votre Honneur laisserait échapper ce qu’il fallait tenir renfermé ; et ainsi il a pris son vieux bonnet, son habit bleu râpé, et, comme je vous l’ai déjà dit, il va être ici sur-le-champ.
– Ce qu’il dit est vrai, répliqua Lambourne se parlant à lui-même ; ma sotte cervelle vient de jouer un de ses tours ordinaires. Mais courage ; qu’il vienne ; je n’ai pas couru si long-temps le monde pour avoir peur de Tony Foster dans quelque état que je me trouve, ivre ou à jeun. Apportez-moi un flacon d’eau fraîche pour en baptiser le vin qui cuve dans mon estomac.
Pendant que Lambourne, qui semblait avoir été rappelé au sentiment de sa situation par l’approche de Foster, se préparait à le recevoir, Giles Gosling monta silencieusement dans la chambre du colporteur. Il le trouva qui se promenait à grands pas d’un air très agité.
– Vous vous êtes retiré bien subitement, dit l’aubergiste à son hôte.
– Il en était bien temps, reprit le colporteur, lorsque le diable est venu s’asseoir au milieu de vous.
– Il n’est pas fort honnête à vous de donner à mon neveu une pareille épithète ; et, en bon parent, je ne devrais pas vous répondre. Et pourtant il n’est que trop vrai qu’on peut en quelque sorte considérer Michel comme un enfant de Satan.
– Bah ! je ne parle pas de l’ivrogne, répliqua le colporteur ; c’est de l’autre, qui, d’après ce que j’en sais… Mais quand partent-ils ? Que viennent-ils faire ?
– Vraiment, dit l’hôte, ce sont des questions auxquelles je ne puis répondre. Mais écoutez-moi, monsieur ; vous m’avez apporté une marque de souvenir de la part du digne M. Tressilian. C’est un joli diamant. Il prit la bague, et la regarda avec satisfaction ; puis il ajouta, en la remettant dans sa bourse, que c’était une récompense au-dessus de tout ce qu’il pourrait jamais faire pour celui qui lui envoyait un pareil cadeau. Il était aubergiste, et il lui convenait moins qu’à tout autre de se mêler des affaires d’autrui. Il avait déjà dit qu’il n’avait rien pu apprendre, sinon que la dame en question habitait toujours Cumnor-Place dans la solitude la plus absolue ; et que ceux qui, par le plus grand hasard, l’avaient aperçue, s’accordaient à dire qu’elle avait l’air triste et semblait ennuyée de sa réclusion. Maintenant, ajouta-t-il, si vous voulez satisfaire votre maître, vous avez la plus belle occasion qui se soit offerte depuis long-temps. Tony Foster va venir ici, et nous n’avons qu’à laisser sentir à Lambourne l’odeur d’un autre flacon de vin pour être sûrs que les ordres de la reine même ne lui feraient pas quitter le banc où il est assis. Ainsi vous avez une heure ou deux d’assurées. Si vous voulez prendre votre balle, qui sera probablement votre meilleure excuse, vous pourrez peut-être persuader à la vieille servante, certaine de l’absence de son maître, de vous laisser vendre quelques colifichets à sa maîtresse, et alors vous pourrez en apprendre sur sa situation beaucoup plus que nous ne pourrions vous en dire, ni moi ni personne.
– Vrai, très vrai ? reprit Wayland, car c’était lui : – Excellent stratagème ! mais, à ce qu’il me semble, un peu dangereux ; car supposez que Foster vînt à rentrer.
– C’est, ma foi, très possible, dit l’hôte.
– Ou, continua Wayland, que la dame ne se trouvât que médiocrement reconnaissante de mes peines.
– Ce qui n’est point du tout improbable, reprit Giles Gosling. Je m’étonne que M. Tressilian se donne tant de peine pour une femme qui ne se soucie pas de lui.
– Dans l’un ou l’autre cas, je serais mal reçu, dit Wayland ; et c’est pourquoi, tout bien considéré, ce projet ne me plaît pas beaucoup.
– Ma foi ! monsieur le serviteur, dit notre hôte, n’attendez pas que je m’en mêle. Ceci est l’affaire de votre maître, et non la mienne ; vous devez savoir mieux que moi quels sont les dangers à craindre, et jusqu’à quel point vous êtes résolu à les braver. Mais vous ne pouvez pas espérer que d’autres hasardent ce que vous ne voulez pas vous-même risquer.
– Un instant, dit Wayland ; dites-moi seulement une chose : est-ce que le vieillard qui est arrivé ce soir se rend à Cumnor-Place ?
– Certainement, répondit l’aubergiste : leur domestique a dit qu’il avait ordre d’y transporter leur bagage ; mais l’ale a eu sur lui autant de pouvoir que le vin des îles sur Michel.
– C’en est assez, dit Wayland prenant un air résolu, je confondrai les projets de ce vieux scélérat. La crainte que m’inspire son horrible aspect commence à faire place à la haine. Aide-moi à charger ma balle, bon aubergiste. – Prends garde à toi, vieil Albumazar ; il y a dans ton horoscope une influence maligne, et elle vient de la constellation de la grande Ourse.
En parlant ainsi, Wayland mit sur ses épaules sa boutique portative ; et, guidé par l’aubergiste, il sortit par une porte de derrière, et prit le chemin le moins fréquenté pour se rendre à Cumnor-Place.