CHAPITRE XXVIII.

« L’ami, de quoi donc as-tu peur ?
« Ne ménage pas la bouteille :
« Ne me crains pas ; ce n’est pas mon humeur
« De dénoncer peccadille pareille.
« Je ne suis qu’un vaurien, et je voudrais, ma foi,
« Que chacun le fût comme moi. »

Le Pandemonium.

Tressilian, dans une singulière agitation, avait à peine descendu les deux ou trois marches de l’escalier, qu’à son grand étonnement et à son grand déplaisir, il rencontra Michel Lambourne. Michel avait sur le front une impudente familiarité qui fit naître en Tressilian l’envie de le précipiter du haut en bas de l’escalier ; mais il se rappela le tort que le moindre acte de violence, exercé dans ce moment et dans ce lieu, pourrait causer à Amy, l’objet de toute sa sollicitude.

Il se contenta donc de jeter un regard sévère sur Lambourne, comme sur un homme qu’on dédaigne de remarquer, et il continuait à descendre sans paraître l’avoir reconnu ; mais Lambourne, qui, dans ce jour de profusion, n’avait pas manqué de s’arroser d’une bonne dose de vin des Canaries, sans que pour cela sa raison fût tout-à-fait troublée, ne se trouvait pas d’humeur à baisser les yeux devant qui que ce fût. Il arrêta sans façon Tressilian au milieu de l’escalier ; et, s’adressant à lui comme s’ils eussent été dans les termes de la plus grande intimité : – Eh bien j’espère, M. Tressilian, lui dit-il, qu’il n’y a plus de rancune entre nous pour nos anciens débats ; oui, je suis homme à oublier plutôt les querelles récentes que les anciennes liaisons. Oh ! je vous convaincrai que mes intentions à votre égard étaient bonnes et honnêtes.

– Je me soucie fort peu de votre intimité, dit Tressilian, gardez-la pour vos semblables.

– Mais voyez comme il s’emporte, dit Lambourne ; ces messieurs, qui se croient pétris d’une pâte de porcelaine, regardent de haut en bas le pauvre Michel Lambourne. Ne prendrait-on pas M. Tressilian pour le plus timide et le plus modeste soupirant qui jamais ait fait l’amour dans le bon vieux temps ? Pourquoi vouloir faire le saint devant nous, M. Tressilian ? oubliez-vous qu’à la très grande honte du château de milord vous tenez dans votre chambre de quoi vous dédommager ? Ah ! ah ! j’ai frappé juste, je crois, M. Tressilian !

– Je ne vous entends pas, répondit Tressilian concluant de ces paroles que ce licencieux valet n’ignorait pas qu’Amy était dans son appartement ; mais, ajouta-t-il, si vous êtes chargé du service des chambres, et que vous me demandiez vos étrennes, prenez cela pour ne pas mettre le pied dans la mienne.

Lambourne regarda la pièce d’or, et la mit dans sa poche en disant : – À présent je puis vous dire que vous eussiez peut-être plus gagné avec moi par de douces paroles qu’avec cette monnaie ; mais après tout on paie avec de l’or. Michel Lambourne ne fut jamais ni brouillon ni trouble-fête : il faut que tout le monde vive ; c’est ma maxime. Seulement je n’aime pas ces gens qui passent devant moi avec fierté, comme s’ils étaient d’or et moi d’étain. Si je garde votre secret, M. Tressilian, à l’avenir vous me traiterez plus humainement, n’est-ce pas ? et si jamais j’ai besoin d’excuse pour semblable peccadille, je compte sur votre indulgence ; car vous voyez que les plus sages s’y prennent. Au reste, que votre chambre vous serve à vous et à votre joli oiseau, ce ne sont point les affaires de Michel Lambourne.

– Faites place ! dit Tressilian, qui ne contenait plus son indignation ; je vous ai donné vos étrennes.

– Hum ! dit Lambourne en se retirant, mais à regret et en murmurant entre ses dents les dernières paroles de Tressilian : – Faites place ; vous avez eu vos étrennes. Peu importe ; je ne suis pas un trouble-fête, je l’ai déjà dit ; je ne suis pas un chien à la mangeoire, entendez-vous ?

Il parlait de plus en plus haut à mesure que Tressilian, qui ne laissait pas que de le tenir en respect, s’éloignait et ne pouvait plus l’entendre.

– Je ne suis pas un chien à la mangeoire ; mais aussi je ne veux pas tenir la chandelle , entendez-vous, M. Tressilian ? Il faudra que je donne un coup d’œil à ce tendron, que vous avez si commodément renfermé dans votre chambre. C’est sans doute parce que vous craignez les revenans que vous ne voulez pas dormir seul. Ah ! si j’avais fait pareille chose, moi, savez-vous ce qu’on aurait dit : Chassez-moi ce coquin ; qu’on l’étrille avec un nerf de bœuf ; qu’on le fasse rouler en bas de l’escalier comme une toupie. Ah ! ces vertueux gentilshommes prennent d’étranges privilèges sur nous, pauvres diables, esclaves de nos sens. C’est très bien ; mais au moins je tiens M. Tressilian par cette heureuse découverte, c’est une chose sûre ; et ce qui ne l’est pas moins, c’est que je tâcherai de donner un coup d’œil à sa Lindabrides .

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