« Première des vertus, auguste vérité,
« Fais briller en tous lieux ta céleste clarté :
« Que tout mortel te rende un pur et juste hommage,
« Et brave de l’enfer la menace et la rage. »
HOME, Douglas.
Ce ne fut qu’après une longue et heureuse chasse et le repas prolongé qui suivit le retour de la reine au château que Leicester put enfin se trouver seul avec Varney. Ce dernier lui apprit toutes les particularités de l’évasion d’Amy, telles que les lui avait racontées Foster, qui, dans sa frayeur, était venu lui-même en apporter la nouvelle à Kenilworth. Comme, dans son récit, Varney avait eu grand soin de taire les manœuvres pratiquées contre la santé de la comtesse, et qui l’avaient forcée à prendre la fuite, Leicester ne put lui supposer d’autre motif que celui de satisfaire son impatience jalouse de prendre le rang de son épouse. Dans cette idée, il fut offensé de la légèreté avec laquelle Amy désobéissait à ses ordres exprès, et l’exposait au ressentiment d’Élisabeth.
– J’ai donné, dit-il, à cette fille d’un obscur gentilhomme du Devonshire le plus beau nom de toute l’Angleterre ; je lui ai fait partager ma fortune et mon lit. Je ne lui demandais qu’un instant de patience avant de proclamer son triomphe sur mille rivales, et cette femme orgueilleuse préfère risquer de se perdre avec moi, me précipiter au fond d’un abîme, ou me forcer à des expédiens qui m’avilissent à mes propres yeux, plutôt que de rester quelque temps encore dans l’obscurité où elle vit depuis sa naissance. Elle qui fut toujours si aimable, si délicate, si douce, si fidèle, se laisser emporter dans une circonstance où l’on aurait droit d’attendre de la modération de la femme la plus folle !… c’est se jouer de ma patience !
– Si milady veut se laisser conduire et jouer le rôle que les circonstances commandent, nous pouvons encore sortir d’embarras, dit Varney.
– Sans doute, Richard, répondit Leicester, il n’y a pas d’autre remède ; j’ai entendu la reine l’appeler ta femme, personne ne l’a détrompée. Il faut qu’elle porte ce nom jusqu’à ce qu’elle soit loin de Kenilworth.
– Et même long-temps après, je pense, dit Varney, car je ne crois pas qu’elle puisse de long-temps prendre le titre de comtesse de Leicester. Si elle le portait du vivant de la reine, je craindrais pour elle et pour vous. Mais Votre Seigneurie est le meilleur juge en cette affaire. Vous seul savez ce qui s’est passé entre la reine et vous.
– Tu as raison, Varney, dit Leicester ; je me suis conduit ce matin comme un fou, comme un misérable ; et quand la reine apprendra ce malheureux mariage, elle ne pourra s’empêcher de voir dans ma conduite un mépris prémédité qu’une femme ne pardonne jamais. Nous avons été aujourd’hui sur le point d’éprouver sa vengeance ; je crains que ce moment ne soit que différé.
– Son ressentiment est donc implacable ? dit Varney.
– Loin de là, répondit le comte ; car, malgré la supériorité de son rang, elle a eu aujourd’hui même assez de condescendance pour m’offrir l’occasion de réparer une faute qu’elle n’attribuait qu’à un caractère trop impétueux.
– Ah ! répondit Varney, les Italiens ont raison : dans les querelles d’amour, disent-ils, celui qui aime le mieux est toujours prêt à s’avouer le plus coupable. Ainsi, milord, si nous parvenons à cacher votre mariage, votre position est toujours la même auprès d’Élisabeth.
Leicester soupira, se tut un moment, puis il répondit :
– Varney, je te crois sincère, et je te dirai tout. Non, ma position n’est plus la même ; emporté par je ne sais quelle folle impulsion, j’ai parlé à Élisabeth, je l’ai entretenue d’un sujet qu’on ne peut abandonner sans blesser au vif l’amour-propre des femmes ; et cependant je n’ose plus revenir à cette conversation. Jamais, non jamais elle ne me pardonnera d’avoir été la cause et le témoin de sa faiblesse.
– Cependant il faut prendre un parti, milord, dit Varney, et le prendre promptement.
– Il n’y a rien à faire, répondit Leicester avec l’accent du découragement ; je suis comme un homme qui, gravissant une montagne entourée de précipices, se voit tout-à-coup arrêté à quelques pas du sommet, alors que le retour est impraticable. J’en touche presque le faîte, et je ne puis l’atteindre : sous mes pieds s’ouvre un abîme qui va m’engloutir au moment où mes bras lassés et ma tête étourdie se réuniront pour m’arracher à ma situation précaire.
– Jugez mieux de votre position, milord ; examinons l’expédient que vous venez d’adopter. Si nous tenons votre mariage secret pour Élisabeth, rien n’est désespéré. Je vais dans l’instant trouver la comtesse. Elle me hait, parce que j’ai toujours manifesté auprès de Votre Seigneurie, comme elle le soupçonne bien, une vive opposition à ce qu’elle appelle ses droits. Mais il ne s’agit pas de prévention ni de haine dans ce moment, il faudra qu’elle m’écoute ; et je lui prouverai si bien la nécessité de se soumettre aux circonstances, que je ne doute pas de l’amener bientôt à toutes les mesures que votre intérêt exigera.
– Non, Varney, j’ai réfléchi à ce qu’il fallait faire, et je parlerai moi-même à Amy.
À ces mots Varney ressentit pour lui-même toute la terreur qu’il avait feint d’éprouver pour son maître. – Votre Seigneurie ne parlera pas elle-même à la comtesse, dit-il.
– C’est une résolution arrêtée. Prête-moi un manteau de livrée ; je passerai devant la sentinelle, comme ton valet, puisque tu as la permission d’aller la voir.
– Mais, milord…
– Je n’aime pas les mais, Varney ; je ferai ce que j’ai résolu. Hunsdon doit être couché dans la tour de Saint-Lowe ; nous irons d’ici par le passage secret, sans courir le risque de rencontrer personne ; ou, supposé que nous rencontrions Hunsdon lui-même, je sais qu’il est plutôt mon ami que mon ennemi, et il a l’esprit assez lourd pour croire tout ce que je voudrai bien lui dire. Allons, apporte-moi les habits sans différer.
Varney n’avait d’autre parti à prendre que celui d’obéir. En deux minutes Leicester eut endossé le manteau de laquais ; il enfonça sa toque sur ses yeux, et suivit Varney le long du passage secret qui conduisait aux appartemens d’Hunsdon ; on ne risquait guère de trouver là des curieux importuns, et d’ailleurs il y avait à peine assez de jour pour distinguer les objets. Ils arrivèrent à une porte où lord Hunsdon, fidèle aux précautions militaires, avait placé une sentinelle. C’était un montagnard, qui ne fit aucune difficulté de laisser entrer Varney, et qui se contenta de lui dire dans son langage : – Puisses-tu faire taire cette folle ; ses gémissemens m’ont tellement rompu la tête que j’aimerais mieux monter la garde près d’un tas de neige, dans le désert de Catlowdie.
Ils se hâtèrent d’entrer, et fermèrent la porte sur eux.
– Maintenant qu’un démon protecteur, s’il en existe, se dit Varney, exauce mes vœux dans cette extrémité ! car ma barque est au milieu des écueils.
La comtesse, les cheveux et les vêtemens en désordre, était assise sur une espèce de lit de repos, dans l’attitude d’une personne profondément affligée. Le bruit de la porte qui s’ouvrit la tira de sa rêverie ; elle tourna ses regards de ce côté, et, fixant les yeux sur Varney, elle s’écria : – Misérable ! viens-tu pour exécuter quelqu’un de tes abominables projets ?
Leicester fit taire ces reproches en se montrant ; il laissa tomber son manteau, et lui dit d’une voix plus impérieuse que tendre : – C’est à moi, madame, qu’il faut vous adresser, et non pas à sir Richard Varney.
À ces mots, il s’opéra dans les regards et l’accent d’Amy un changement subit. – Dudley ! s’écria-t-elle ; Dudley ! te voilà donc arrivé ! Et, plus prompte que l’éclair, elle s’élança à son cou ; sans faire attention à la présence de Varney, elle le couvrit de caresses, et baigna son visage de larmes, laissant échapper par intervalles quelques monosyllabes sans ordre et sans suite ; douces et tendres expressions que l’amour inspire aux cœurs qu’il a émus.
Leicester se croyait en droit de se plaindre d’une femme qui, en violant ses ordres, l’avait exposé au péril où il s’était trouvé ce matin. Mais quel ressentiment n’eût pas cédé aux témoignages d’amour que lui donnait une créature si aimable ! Le désordre de ses vêtemens et ce mélange de crainte et de douleur qui eût flétri la beauté d’une autre ne servaient qu’à rendre Amy plus intéressante. Leicester reçut ses caresses, et les lui rendit avec une tendresse mêlée de mélancolie. Amy s’en aperçut après les premiers transports de sa joie, et lui demanda avec inquiétude s’il était malade.
– Je ne suis point malade de corps, Amy, répondit-il.
– Alors, je me porterai bien aussi. Ô Dudley ! j’ai été mal, bien mal depuis notre dernière entrevue ; car je n’appelle pas t’avoir vu que d’avoir figuré dans l’horrible scène de ce matin. J’ai éprouvé des maladies, des chagrins, des périls ; mais je te revois, et je me trouve heureuse et tranquille.
– Hélas ! Amy, dit Leicester, tu m’as perdu.
– Moi, milord ! dit Amy : et déjà le rayon de joie qui avait brillé dans ses yeux s’était évanoui. Comment aurais-je pu nuire à celui que j’aime plus que moi-même ?
– Je ne veux pas vous faire des reproches, Amy ; mais n’êtes-vous pas ici contre mes ordres les plus formels, et votre présence ne nous met-elle pas, vous et moi, en péril ?
– Serait-il vrai ? s’écria-t-elle avec douleur ; oh ! pourquoi y resterais-je plus long-temps ? Ah ! si vous saviez quelles sont les craintes qui m’ont obligée à fuir de Cumnor-Place ! Mais je ne veux point ici parler de moi-même. Seulement, tant qu’il y aura un autre parti à prendre, je n’y retournerai jamais de plein gré. Cependant si votre salut l’exige…
– Nous choisirons, Amy, quelque autre retraite, dit Leicester, et vous irez dans un de mes châteaux du nord, seulement pour quelques jours, à ce que j’espère, avec le titre d’épouse de Varney.
– Quoi ! milord, dit la comtesse en se dérobant à ses embrassemens, c’est à votre épouse que vous donnez le honteux conseil de s’avouer l’épouse d’un autre ! et cet autre, c’est Varney !
– Madame, je parle très sérieusement. Varney est un loyal, un fidèle serviteur, admis à partager tous mes secrets ; j’aimerais mieux perdre ma main, droite que ses services en cette occasion ; vous n’avez aucun motif pour le mépriser comme vous le faites.
– Je pourrais bien le confondre, répondit la comtesse ; et déjà même mon regard le fait trembler malgré son assurance. Mais celui qui vous est aussi nécessaire que votre main droite ne sera point accusé par moi ; puisse-t-il vous être toujours fidèle ! mais pour qu’il le soit, gardez-vous de vous fier trop à lui. C’est vous dire assez que je ne le suivrai que par force, et que jamais je ne le reconnaîtrai pour mon époux.
– Mais ce n’est qu’un déguisement momentané, madame, dit Leicester irrité de cette opposition ; un déguisement nécessaire à votre sûreté et à la mienne, compromise par vos caprices et par le désir empressé de vous mettre en possession du rang auquel je vous ai donné droit sous la condition que notre mariage resterait secret pendant quelque temps. Si ma proposition vous déplaît, rappelez-vous que c’est vous-même qui l’avez rendue nécessaire ; il n’y a plus d’autre remède. Il faut faire maintenant ce que votre imprudente folie a rendu indispensable. Je vous l’ordonne.
– Je ne puis mettre vos ordres, dit Amy, en balance avec ceux de l’honneur et de la conscience. Non ! milord, je ne vous obéirai pas en cette occasion ; vous pouvez perdre votre honneur par cette politique tortueuse ; mais jamais je ne ferai rien qui puisse détruire le mien. Comment pourriez-vous, milord, reconnaître en moi une épouse chaste et pure, digne de partager votre rang, lorsque, répudiant ce noble caractère, j’aurai parcouru l’Angleterre comme la femme d’un homme aussi abominable que votre Varney ?
– Milord, dit alors Varney, milady est malheureusement trop prévenue contre moi pour prêter l’oreille aux offres que je ferai. Cependant elles lui seraient peut-être plus agréables que le parti qu’elle propose. Elle a du crédit sur M. Edmond Tressilian, et elle obtiendrait sans doute de lui de vouloir bien l’accompagner à Lidcote-Hall, où elle pourrait rester en sûreté jusqu’à ce que le temps permît de dévoiler ce mystère.
Leicester gardait le silence en regardant Amy fixement, et la comtesse lut dans ses yeux le ressentiment et le soupçon.
La comtesse se contenta de dire : – Plût au ciel que je fusse dans la maison de mon père ! Quand je l’abandonnai, je ne croyais guère abandonner aussi l’honneur et la paix de l’âme.
Varney continua du ton d’un homme qui discute : – Sans doute cette mesure nous forcera d’initier des étrangers dans les secrets de milord ; mais sûrement la comtesse nous garantira l’honneur de Tressilian et celui de toute la famille de son père.
– Tais-toi, Varney, dit Leicester : par le ciel ! je te passe mon épée à travers le corps si tu parles encore de confier mes secrets à Tressilian.
– Et pourquoi non, dit la comtesse, à moins que ce ne soient des secrets de nature à être confiés à des gens comme Varney plutôt qu’à un homme d’honneur ? Milord, milord, ne jetez pas sur moi des regards courroucés. C’est la vérité, et c’est moi qui vous la dis. J’ai trahi une fois Tressilian par amour pour vous ; je ne serai pas une seconde fois injuste envers lui en gardant le silence lorsque son honneur est mis en question. Je puis bien souffrir, ajouta-t-elle en regardant Varney, qu’on porte le masque de l’hypocrisie ; mais je ne permettrai pas que la vertu soit calomniée en ma présence.
Ces paroles furent suivies de quelques momens de silence. Leicester était irrité, indécis cependant, et pénétré de l’injustice de ce qu’il demandait. Varney, affectant une douleur hypocrite et une grande humilité, tenait les yeux baissés, vers la terre.
Ce fut dans ce moment critique que la comtesse Amy déploya cette énergie de caractère qui l’eût rendue, si le sort l’eût permis, un digne ornement du rang qui lui était dû ; elle s’avança vers Leicester d’un pas grave et mesuré, avec un air de dignité et un regard dans lequel une vive affection cherchait en vain à tempérer cette énergie que donnent la conscience et la droiture du cœur. – Vous avez manifesté votre intention, milord, dit-elle, pour sortir de ce moment de crise, et malheureusement je ne puis pas y condescendre. Cet homme a ouvert un autre avis, auquel je n’ai pas d’autre objection à faire que de dire qu’il vous déplaît. Votre Seigneurie consentirait-elle à écouter ce qu’une femme jeune et timide, mais la plus tendre des épouses, croirait le plus convenable dans cette extrémité ?
Leicester garda le silence ; mais il fit un signe de tête à la comtesse, comme pour lui dire qu’elle pouvait parler librement.
– Tous les malheurs qui nous environnent n’ont qu’une cause unique, ajouta-t-elle ; ils découlent de cette duplicité mystérieuse dont on vous engage à vous entourer. Délivrez-vous enfin, milord, de la tyrannie de ces honteuses trames ; soyez un vrai gentilhomme anglais, un chevalier qui regarde la vérité comme le principe de l’honneur, et pour qui l’honneur est plus cher que l’air qu’il respire. Prenez votre malheureuse épouse par la main ; conduisez-la aux pieds d’Élisabeth : dites que, dans un moment de délire, séduit par les vaines apparences d’une beauté dont il ne reste plus maintenant aucune trace, vous avez uni votre main à celle d’Amy Robsart. Par là vous me rendrez justice, milord… vous rendrez justice à votre honneur ; et si alors la loi ou la puissance de la reine vous obligent de vous séparer de moi, je ne m’y opposerai plus, pourvu qu’il me soit permis d’aller, sans déshonneur, cacher mon désespoir dans cette obscure retraite d’où vous m’avez tirée.
Il y avait tant de dignité, tant de tendresse dans les paroles de la comtesse, qu’elles émurent tout ce qu’il y avait de noble et de généreux dans l’âme de son époux. Ses yeux semblèrent se dessiller, et la duplicité dont il s’était rendu coupable lui apparut escortée de sa honte et de ses remords.
– Je ne suis pas digne de toi, Amy, dit-il, puisque j’ai pu hésiter entre tout ce que l’ambition me promet et un cœur comme le tien. Quelle sera l’amertume de mon humiliation quand il me faudra découvrir moi-même, en présence de mes ennemis sourians et de mes amis consternés, tous les replis de ma honteuse politique ! Et la reine ! mais qu’elle prenne ma tête, comme elle m’en a menacé.
– Votre tête, milord ? dit la comtesse. Quoi ! pour avoir usé de la liberté accordée à tout Anglais de se choisir une femme ? Ah ! c’est cette défiance de la justice de la reine, c’est cette crainte chimérique, qui, semblable à un vain épouvantail, vous ferait abandonner le sentier qui s’ouvre devant vous, le sentier le plus honorable et en même temps le plus sûr ?
– Ô Amy ! tu ignores… dit Dudley ; mais s’arrêtant aussitôt, il ajouta : – Cependant elle ne trouvera pas en moi la victime facile d’une vengeance arbitraire. J’ai des amis, j’ai des parens ; je ne me laisserai pas, comme Norfolk, traîner à l’échafaud avec la soumission d’une victime qu’on immole à l’autel. Ne craignez rien, Amy, vous trouverez Dudley digne de porter son nom. Je vais à l’instant m’ouvrir à quelques uns de mes amis, sur lesquels je puis le plus compter ; car au point où en sont les choses, je puis être fait prisonnier dans mon propre château.
– Ô milord ! dit la comtesse, ne troublez pas par une révolte un état paisible ; il n’y a pas d’ami sur lequel vous ayez le plus à compter que sur votre franchise et votre honneur. Avec ces alliés vous n’ayez rien à craindre au milieu de l’armée de vos ennemis et de vos envieux. Sans eux, tous les autres secours vous seront inutiles. Ce n’est pas à tort, milord, que la vérité est peinte désarmée.
– Mais la sagesse, Amy, répondit Leicester, est revêtue d’une armure à l’épreuve de tous les traits. Ne combats pas les moyens que j’emploierai pour rendre ma confession (puisqu’il lui faut donner ce nom) aussi sûre que je le pourrai ; je serai toujours environné d’assez de dangers, quoi que nous puissions faire. – Varney, nous devons sortir d’ici. – Adieu, Amy, je vais te proclamer mon épouse en m’exposant à des risques dont toi seule es digne ; tu recevras bientôt de mes nouvelles.
Il l’embrassa alors tendrement, s’enveloppa de son manteau, et sortit avec Varney de l’appartement. Ce dernier, en se retirant, s’inclina profondément ; et, en se relevant, il regarda Amy avec une expression toute particulière, comme s’il eût désiré connaître jusqu’à quel point son pardon était compris dans la réconciliation qui venait d’avoir lieu entre elle et son époux. La comtesse arrêta sur lui un regard fixe, mais sans paraître faire attention à sa présence ; ses yeux ne l’apercevaient pas même en s’arrêtant sur lui.
– C’est elle qui m’a poussé à cette extrémité, dit-il entre ses dents ; l’un de nous deux est perdu… Il y avait quelque chose, je ne sais si c’était crainte ou pitié, qui me portait à éviter cette crise ; mais le sort en est jeté, il faut que l’un des deux périsse.
En disant ces mots, il observa avec surprise qu’un petit garçon, repoussé par la sentinelle, avait abordé Leicester et lui parlait. Varney était un de ces politiques pour qui rien n’est indifférent. Il adressa des questions à la sentinelle, qui lui répondit que cet enfant l’avait priée de faire parvenir un paquet à la dame folle, mais qu’il n’avait pas voulu s’en charger, une telle commission étant contraire à sa consigne. Sa curiosité étant satisfaite sur ce point, Varney s’approcha de son maître, et lui entendit dire : – Bien, mon enfant, ce paquet sera remis.
– Je vous serai obligé, mon bon monsieur, dit l’enfant ; et il disparut en un clin d’œil.
Leicester et Varney retournèrent à pas précipités aux appartemens particuliers du comte, par le même passage qui les avait conduits à la tour de Saint-Lowe.