Les incidens d’une histoire comme celle-ci doivent être adaptés les uns aux autres aussi exactement, que les dents d’une clef doivent répondre aux gardes de la serrure. Le lecteur, quelque courtois qu’il puisse être, ne se croira donc pas obligé de se contenter du simple fait que tels et tels événemens ont eu lieu, ce qui pourtant en général et dans le cours de la vie est tout ce qu’il peut savoir de ce qui se passe autour de lui. Tout en lisant pour s’amuser, il désire en outre connaître les ressorts intérieurs qui font marcher les événemens. Cette curiosité est légitime et raisonnable ; car chacun a droit d’ouvrir la montre qui a été faite pour son propre usage et d’en examiner le mécanisme, quoiqu’il ne lui soit pas permis d’inspecter de même l’intérieur de l’horloge placée au haut du clocher de la ville pour l’utilité générale.
Il serait donc impoli de laisser quelques doutes à nos lecteurs sur les moyens qui furent employés pour enlever de l’échafaud le corps de l’assassin Bonthron ; événement que quelques citoyens de Perth attribuèrent au diable lui-même, tandis que d’autres se contentèrent d’en accuser les habitans du comté de Fife, à qui il répugnait assez naturellement de voir un de leurs concitoyens pendu sur le bord de la rivière, spectacle qu’ils regardaient comme déshonorant pour leur province.
Le jour où l’exécution avait eu lieu, à minuit environ, quand les habitans de Perth étaient ensevelis dans un profond sommeil, trois hommes enveloppés dans leurs manteaux et portant une lanterne sourde descendirent les allées d’un jardin qui conduisait de la maison occupée par sir John Ramorny aux bords du Tay, où une barque était amarrée à une petite jetée qui servait de lieu de débarquement. Le vent faisait entendre un sifflement mélancolique à travers les arbrisseaux et les buissons dépouillés de feuilles ; et une lune pâle nageait, comme on le dit en Écosse, au milieu des nuages chassés rapidement, et qui semblaient menacer de pluie. Ces trois individus entrèrent dans la barque en prenant de grandes précautions pour ne pas être vus. L’un d’eux était grand et vigoureux ; le second, petit et courbé ; le troisième, de moyenne taille, et paraissant agile et actif : c’était tout ce qu’une clarté fort imparfaite permettait de distinguer : Ils s’assirent dans la barque et détachèrent la corde qui la retenait au rivage.
– Il faut la laisser suivre le courant jusqu’à ce que nous ayons passé le pont, car les bourgeois y montent la garde, et vous savez le proverbe – Flèche de Perth vole toujours droit au but, – dit le plus jeune de la compagnie, qui se chargea des fonctions de pilote et qui repoussa la barque du rivage, tandis que les deux autres prenaient les rames qui étaient entourées de linge et qu’ils firent mouvoir avec beaucoup de précaution jusqu’à ce qu’ils eussent atteint le milieu du fleuve. Alors ils cessèrent leur travail, s’appuyèrent sur leurs rames et se reposèrent sur leur pilote du soin de maintenir la barque au milieu du courant.
Ils passèrent ainsi sans qu’on les vît ou sans qu’on fit attention à eux sous les arches gothiques de l’ancien pont, construit par la munificence libérale de Robert Bruce en 1329, et emporté par une inondation en 1621. Quoiqu’ils entendissent les voix de la garde civique qui depuis le commencement de ces troubles veillait toutes les nuits à ce poste important, on n’interrompit pas leur course, et quand ils furent assez éloignés pour ne plus craindre d’être entendus par ces gardiens nocturnes, ils commencèrent à ramer, mais avec précaution, et se mirent à causer à voix basse.
– Vous avez trouvé un nouveau métier, camarade, depuis que je vous ai vu, dit un des rameurs à l’autre. Je vous ai laissé occupé à donner des soins à un chevalier blessé, et maintenant je vous vois employé à voler un corps mort à l’échafaud.
– Un corps vivant, s’il vous plait, maître écuyer, sans quoi ma science m’aurait bien mal servi.
– À ce que vous dites, maître apothicaire ; mais n’en déplaise à Votre Science, à moins que vous ne me disiez quels sont les moyens qu’elle a employés, je prendrai la liberté de douter du succès.
– Un moyen bien simple, maître Buncle ; probablement trop simple pour plaire à un génie aussi délié que celui de Votre Vaillance. Voici ce que c’est : cette suspension du corps humain, que le vulgaire appelle pendaison, cause la mort par apoplexie ; c’est-à-dire que la compression des veines empêchant le sang de retourner au cœur, il se porte au cerveau, et l’homme meurt. De plus, et comme une cause additionnelle de dissolution, les poumons ne recevant plus la provision d’air vital qui leur est indispensable, attendu la ligature de la corde autour du thorax, le patient périt nécessairement.
– Je comprends assez bien tout cela, sire médecin ; mais comment l’empêcher ? demanda le troisième personnage, qui était Eviot, page de Ramorny.
– Parbleu, répondit Dwining, pendez-moi le patient de manière que les artères carotides ne soient pas comprimées, le sang ne se portera pas au cerveau, et il n’y aura pas d’apoplexie ; ensuite s’il n’y a pas de ligature autour du thorax, l’air continuera à arriver dans les poumons, que l’homme soit suspendu au haut d’une corde, ou qu’il ait les pieds sur la terre ferme.
– Je comprends encore tout cela, dit Eviot ; mais comment ces précautions peuvent se concilier avec l’exécution de la sentence de pendaison, c’est ce que mon esprit borné ne peut comprendre.
– Ah ! bon jeune homme, ta Vaillance a gâté un esprit qui avait de belles dispositions. Si tu avais étudié avec moi, tu aurais appris des choses bien plus difficiles. Mais voici les moyens que j’emploie : je me procure certains bandages faits de la même substance que vos sangles de chevaux, ayant un soin tout particulier qu’ils soient fabriqués de manière à ne pouvoir s’allonger, quelque fortement qu’ils soient tendus, car cela fait manquer mon expérience. Chaque pied du patient est placé dans un nœud de ce bandage, qui remonte ensuite de chaque côté des jambes jusqu’à une ceinture de même matière à laquelle il est attaché. De cette ceinture partent d’autres bandages qui remontent le long de la poitrine et du dos pour diviser le poids et mettre le pendu plus à son aise, et qui s’attachent (c’est là l’expédient le plus essentiel) à un large collier en acier, ayant un rebord recourbé en dehors, et garni de quelques crochets pour empêcher d’autant mieux le glissement de la corde, que l’exécuteur bien intentionné place autour de cette machine au lieu de l’appliquer sur le cou nu du patient. Par ce moyen, quand on le jette en bas de l’échelle, il se trouve suspendu, s’il vous plaît, non par le cou, mais par un cercle d’acier qui soutient les nœuds dans lesquels ses pieds sont placés, et qui, supportent réellement le poids de son corps ; poids qui est encore diminué par de semblables bandages passés sous ses aisselles et également attachés au collier. Ainsi, ni les veines ni la trachée-artère ne se trouvant comprimées, le pendu respirera aussi librement, et son sang, sauf la frayeur que lui cause la nouveauté de la situation, et malgré cette situation même, coulera aussi tranquillement que le vôtre quand vous êtes à cheval, les pieds appuyés sur vos étriers, un jour de bataille.
– Sur ma foi, c’est une étrange et rare invention, dit Buncle.
– N’est-il pas vrai ? reprit Dwining, et digne d’être connue de deux esprits aussi entreprenans que les vôtres ; car on ne peut savoir à quelle hauteur peuvent s’élever les gens attachés au service de sir John Ramorny ; et s’il devenait jamais nécessaire de vous faire figurer au bout d’une corde, vous trouveriez ma manière plus commode que celle qui est ordinairement usitée ; mais morbleu ! il faut avoir un pourpoint à haut collet pour cacher le collier d’acier, et par-dessus tout, il faut trouver un aussi bon compagnon que Smotherwel pour ajuster la corde.
– Vil marchand de poison ! dit Eviot, les hommes de notre profession meurent sur le champ de bataille.
– Quoi qu’il en soit, ajouta Buncle, je me souviendrai de la leçon en cas de quelque occasion urgente. Mais quelle nuit doit avoir passée ce chien pendu, ce coquin de Bonthron, dansant un branle en plein air à la musique de ses chaînes, et faisant des coulées à droite et à gauche, suivant que le vent le pousse !
– Ce serait une bonne œuvre que de le laisser accroché au gibet, dit Eviot, car le sauver ce ne sera que l’encourager à commettre de nouveaux meurtres ; il ne connaît que deux élémens, le vin et le sang.
– Sir John Ramorny aurait peut-être partagé votre opinion, dit Dwining ; mais il aurait fallu d’abord couper la langue du maraud, de peur qu’il ne racontât d’étranges histoires ; et il y a d’autres raisons qu’il ne vous importe pas de connaître. En vérité j’ai fait moi-même un trait de générosité en le servant ; car le drôle est bâti aussi fortement que le château d’Édimbourg, et son squelette aurait valu tous ceux qui se trouvent dans la salle de chirurgie de Padoue. Mais dites-moi, maître Buncle, quelles nouvelles avez-vous apportées du fier Douglas ?
– Demandez-le à ceux qui le savent, répondit Buncle ; je suis l’âne qui porte les paniers et qui ne sait pas ce qu’ils renferment : cela n’est peut-être que plus sûr pour moi. J’ai porté des lettres du duc d’Albany et de sir John Ramorny à Douglas, et en les ouvrant il avait l’air aussi sombre qu’une tempête du nord. Je leur ai rapporté des réponses du comte, et ils ont souri comme le soleil quand il reparaît à la fin d’un orage d’été. Allez consulter vos éphémérides, docteur, et tâchez de deviner ce que cela signifie.
– Il me semble que je pourrais le faire sans qu’il m’en coûtât beaucoup de pénétration, répondit Dwining. Mais je vois là-bas au clair de la lune notre mort vivant. S’il avait crié pour appeler quelque passant ; c’eût été une singulière interruption pour un voyageur de nuit que de s’entendre appeler du haut d’un gibet comme celui-ci. Écoutez ! il me semble que j’entends ses gémissemens au milieu du sifflement du vent et du cliquetis de ses chaînes. Allons doucement et sans bruit : amarrez la barque à l’aide du grappin, apportez la cassette et tout ce qu’il me faut. Un peu de feu ne nous ferait pas mal, mais la lumière pourrait nous exposer aux observations. Allons, mes braves, marchez avec circonspection, car nous marchons au gibet. Suivez-moi avec la lanterne. J’espère qu’on aura laissé l’échelle.
En approchant du gibet ils entendirent distinctement des gémissemens qui étaient cependant étouffés. Dwining se hasarda à tousser une ou deux fois à voix basse par forme de signal, mais ne recevant pas de réponse : – Il faut nous hâter, dit-il à ses compagnons ; notre ami doit être à l’extrémité puisqu’il ne répond pas au signal qui lui annonce l’arrivée du secours qu’il attend. Allons, mettons-nous en besogne ; je vais monter le premier sur l’échelle pour couper la corde Suivez-moi tous deux l’un après l’autre, et tenez bien le corps de manière qu’il ne tombe pas quand le licou sera coupé. Ayez la main bien ferme et saisissez les bandages ; ils vous aideront à le soutenir. Songez que quoiqu’il joue cette nuit le rôle d’un hibou il n’en a pas les ailes, et tomber du haut d’une potence peut être aussi dangereux que d’y monter.
Tout en parlant ainsi il montait sur l’échelle, et s’étant assuré que ses compagnons soutenaient le corps du pendu, il coupa la corde et les aida à descendre le meurtrier, à qui l’on n’aurait pu assurer que l’existence fût conservée.
En employant heureusement la force et l’adresse, ils placèrent à terre le corps de Bonthron, et s’étant assurés qu’il donnait des signes de vie, bien faibles mais certains, ils le portèrent sur les bords du Tay, où, cachés par la hauteur des rives, ils étaient moins exposés à être découverts, tandis que Dwining s’occupait à lui rendre le sentiment, à l’aide des secours dont il s’était pourvu.
Son premier soin fut de le débarrasser de ses fers que l’exécuteur avait pris la précaution de ne pas fermer pour faciliter cette opération. Il le débarrassa ensuite des bandages compliqués par lesquels il avait été suspendu ; il se passa pourtant quelque temps avant que les efforts de Dwining réussissent ; car en dépit de l’adresse avec laquelle son appareil avait été construit, les sangles destinées à soutenir le corps avaient cédé au poids et à la tension au point de produire presque la strangulation. Cependant l’adresse du chirurgien triompha de tous les obstacles, et après une ou deux courtes convulsions, après avoir éternué et s’être étendu, Bonthron donna une preuve manifeste de son retour à la vie en saisissant la main de l’opérateur qui lui versait une liqueur spiritueuse sur la poitrine et sur le cou, et dirigeant sur sa bouche la fiole qui la contenait, il en avala, presque par force, une dose assez considérable.
– C’est une essence spiritueuse deux fois distillée, dit le pharmacien étonné : elle cautériserait le gosier et brûlerait l’estomac de tout autre ; mais cet animal extraordinaire ressemble si peu aux autres créatures humaines, que je ne serais pas surpris qu’elle ne fit que lui rendre l’usage de toutes ses facultés.
Bonthron se mit sur son séant, promena autour de lui quelques regards égarés, et donna des signes de connaissance.
– Du vin ! du vin ! furent les premiers mots qu’il prononça.
Dwining lui offrit un verre d’eau et de vin, mêlé de quelque drogue médicinale ; mais Bonthron le rejeta en lui donnant l’épithète peu honorable de lavage de ruisseau, et il répéta : – Du vin ! du vin !
– Prends-en donc, au nom du diable ! s’écria Dwining, car lui seul peut juger de la force de ta constitution.
Bonthron porta le flacon à ses lèvres, et un coup assez copieux pour déranger le cerveau de toute autre personne ne fit que rétablir l’équilibre du sien. Il ne parut pourtant pas se rappeler sur-le-champ où il était et ce qui lui était arrivé, et il demanda avec un ton bref et son air bourru pourquoi on l’avait amené sur le bord de la rivière à une pareille heure de la nuit.
– Quelque autre folie de cet enragé de prince, dit-il ; pour me faire faire le plongeon, comme cela lui est déjà arrivé. Sang et ongles ! je voudrais…
– Tais-toi, dit Eviot, et s’il existe en toi quelque reconnaissance, remercie-nous d’avoir empêché que ta carcasse ne soit la pâture des corbeaux, et que ton âme ne se trouve dans un lieu où l’eau est trop rare pour qu’elle y fasse le plongeon.
– Je commence à me rappeler… dit le scélérat, qui s’interrompit pour porter une seconde fois à sa bouche le flacon de vin, auquel il donna une accolade cordiale : Le jetant par terre après l’avoir vidé, il baissa la tête sur sa poitrine et sembla s’occuper à mettre de l’ordre dans ses souvenirs confus.
– Nous ne pouvons attendre plus long-temps le résultat de ses méditations, dit Dwining ; il se trouvera mieux quand il aura dormi. Allons, Bonthron, levez-vous ; vous avez passé quelques heures à voyager en l’air ; essayez si un voyage par eau ne vous paraîtra pas plus commode. Allons, vous autres, prêtez-moi la main ; je ne puis pas plus remuer, cette masse de chair que je ne pourrais soulever un bœuf qu’un boucher viendrait d’abattre.
– Soutiens-toi donc sur tes jambes, Bonthron, à présent que nous t’avons mis sur tes pieds, dit Eviot.
– Impossible ! chaque goutte de sang qui coule dans mes veines semble être armée d’une pointe d’épingle, et mes genoux refusent de soutenir leur fardeau. Que veut dire tout cela ? C’est quelque chose de ta façon, chien d’apothicaire !
– Oui, sans doute, oui, honnête Bonthron, et c’est un tour dont tu me remercieras quand le souvenir te reviendra. En attendant couche-toi sur la proue de cette barque, et laisse-moi te couvrir de ce manteau.
Ils portèrent Bonthron dans la barque, et l’y placèrent aussi commodément que la circonstance le permettait. Il répondit à leurs attentions par quelques murmures semblables au grognement du sanglier lorsqu’il trouve une nourriture qui lui est particulièrement agréable.
– Et maintenant, vaillant écuyer, dit Dwining à Buncle, vous savez ce que vous avez à faire. Vous allez conduire par eau cette cargaison vivante à Newburgh, et là vous en disposerez suivant les ordres que vous avez reçus. En attendant voici ses fers et ses bandages, marques de sa détention et de sa libération ; faites-en un paquet et jetez-les dans l’endroit le plus profond de la rivière, car si on les trouvait en votre possession, ils pourraient déposer contre nous tous. Ce léger souffle de vent qui vient de l’ouest vous permettra de vous servir d’une voile dès qu’il fera jour, si vous êtes fatigué de ramer. Quant à vous, maître page Eviot, il faut que votre vaillance se contente de retourner à pied à Perth ; car c’est ici que notre belle compagnie doit se séparer. Prenez la lanterne avec vous, Buncle, car elle peut vous être plus nécessaire qu’à nous, et ayez soin de me renvoyer ma cassette.
Tandis que les deux piétons retournaient à Perth, Eviot exprima sa conviction que l’intelligence de Bonthron ne reviendrait jamais du choc dont la terreur l’avait frappée, et qui paraissait avoir complètement dérangé toutes les facultés de son esprit et notamment sa mémoire.
– C’est ce qui vous trompe, maître page, répondit Dwining. L’intelligence de Bonthron, telle qu’elle est, a un caractère solide. Elle vacillera de côté et d’autre, comme un pendule qu’on a mis en mouvement, et ensuite elle reprendra son centre de gravité. De toutes les facultés de notre esprit, la mémoire est celle dont l’exercice est le plus sujet à se trouver suspendu. L’ivresse et le sommeil la font également perdre, et pourtant l’ivrogne la retrouve quand les fumées du vin se dissipent, et le dormeur quand il s’éveille. La terreur produit quelquefois les mêmes effets. J’ai connu à Paris un criminel condamné à la potence, et dont la sentence fut exécutée. Quand il fut sur l’échafaud il ne montra pas un degré extraordinaire de crainte, et il agit et parla comme le font en général ceux qui se trouvent dans cette situation. Le hasard fit pour lui ce qu’un petit artifice ingénieux a fait pour l’aimable ami que nous venons de quitter. Quand on rendit son corps à ses parens le principe de la vie n’était pas encore entièrement éteint en lui, et j’eus la bonne fortune de la rallumer. Mais quoiqu’il eût recouvré toutes ses facultés physiques, à peine se souvenait-il de son procès et de sa sentence. Il n’avait pas la moindre idée… hé ! hé ! hé ! de s’être confessé, le matin de son exécution. Mon revenant n’avait pas le plus léger souvenir d’être sorti de sa prison, d’avoir été conduit sur la Grève, où il avait été pendu ; d’avoir… hé ! hé ! hé ! édifié par un discours dévot un si grand nombre de bons chrétiens, ni d’avoir monté l’échelle, ni d’avoir fait le saut fatal. Cependant… Mais voici l’endroit où nous devons nous séparer, car il ne serait pas à propos qu’on nous trouvât ensemble, si nous venions à rencontrer la garde ; et il serait même prudent de ne pas rentrer dans la ville par la même porte. Ma profession m’offre une excuse pour aller et venir de nuit comme de jour ; et je suppose que s’il en est besoin vous trouverez aussi quelque prétexte pour justifier votre course nocturne.
– Ma volonté sera une justification que je rendrai suffisante si je suis interrogé, répondit le jeune homme avec hauteur ; cependant j’éviterai toute rencontre si la chose est possible. La lune est couverte de nuages, et la route est aussi noire que la gueule d’un loup.
– Bien ! bien ! dit Dwining, ne vous en inquiétez pas, nous aurons à marcher avant qu’il soit peu dans des chemins encore plus noirs.
Sans demander l’explication de cette phrase de mauvais augure, et presque sans l’avoir écoutée, attendu son caractère hautain et insouciant, le page de Ramorny se sépara de son subtil mais dangereux, compagnon, et chacun d’eux se mit en marche d’un côté différent.