CHAPITRE XXV.

« L’amour véritable est un fleuve dont le cours

« n’est jamais tranquille. »

Les pressentimens fâcheux de notre armurier ne l’avaient pas trompé. Lorsque le bon Glover, après que l’événement du combat judiciaire eut été décidé, se fut séparé de celui dont il voulait faire son gendre, il reconnut, comme à la vérité il s’y était attendu, que sa fille n’était pas dans des dispositions favorables à son amant. Mais quoiqu’il s’aperçût que Catherine était froide, réservée, sérieuse ; qu’elle avait l’air d’avoir banni de son sein toutes les passions humaines et qu’elle écoutait avec une tiédeur qui allait jusqu’au mépris la relation la plus brillante qu’il pût faire du combat qui avait eu lieu dans Skinners’Yards, il résolut de ne point paraître faire attention au changement survenu dans ses manières, mais de lui parler de son mariage avec Henry comme d’un événement qui devait nécessairement arriver. Enfin quand elle commença, comme dans une première occasion, à lui déclarer que son attachement pour Henry Smith n’excédait pas les bornes de l’amitié ; qu’elle était bien déterminée à ne jamais se marier ; que le prétendu combat judiciaire était une insulte à la volonté divine et aux lois humaines, le gantier prit assez naturellement de l’humeur.

– Je ne puis lire dans tes pensées, ma fille, lui dit-il, et je ne saurais deviner d’après quelle illusion inconcevable tu embrasses un amant déclaré, tu lui permets de t’embrasser, tu cours chez lui quand le bruit de sa mort se répand, et tu te jettes dans ses bras quand tu l’y trouves seul. Tout cela est fort bien dans une fille disposée à obéir à ses parens et à contracter un mariage qui a obtenu la sanction de son père ; mais de tels gages d’intimité accordés à un homme qu’elle ne peut aimer et qu’elle est résolue à ne pas épouser, sont contraires aux convenances et même à la bienséance. Tu as déjà été plus prodigue de tes faveurs pour Henry Smith que ta mère, à qui Dieu fasse paix ! ne l’a jamais été pour moi avant que je l’épousasse. Je te dis, Catherine, que se jouer ainsi de l’amour d’un honnête homme, c’est une conduite que je ne puis, ni ne veux, ni ne dois endurer, j’ai donné mon consentement à ce mariage, et j’insiste pour qu’il ait lieu sans délai et que tu reçoives Henry Smith demain matin comme un homme dont tu dois être la femme sans attendre plus long-temps.

– Un pouvoir plus puissant que le vôtre s’y oppose, mon père.

– C’est ce que nous verrons. Mon pouvoir est légitime ; c’est celui d’un père sur sa fille et sur une fille qui s’est fourvoyée. Les lois divines et humaines m’accordent l’autorité.

– En ce cas, que le ciel nous protége ! car si vous vous opiniâtrez dans votre résolution, nous sommes tous perdus.

– Nous n’avons pas à attendre de secours du ciel, Catherine, quand nous agissons avec indiscrétion. Je suis assez clerc pour savoir cela, et il n’y a pas un prêtre qui ne vous informe que votre résistance sans motif à ma volonté est un péché. Mais il y a quelque chose de plus encore : vous avez parlé en termes de mépris de l’appel au jugement de Dieu par l’épreuve du combat judiciaire. Prenez-y garde, la sainte Église a pris l’éveil ; elle garde son bercail, et elle est disposée à employer le fer et le feu pour extirper l’hérésie ; je vous en avertis.

Catherine fit entendre une exclamation qu’elle retint à demi, et faisant un effort sur elle-même pour prendre un air calme, elle promit à son père que s’il voulait remettre au lendemain matin la discussion de ce sujet, elle aurait le temps de se préparer à lui faire l’aveu complet de tous ses sentimens.

Simon Glover fut obligé de se contenter de cette promesse, quoique le retard apporté à cette explication le laissât plongé dans une extrême inquiétude. Ce ne pouvait être ni légèreté ni inconstance qui portât sa fille à agir avec une inconséquence en apparence si manifeste à l’égard de l’homme qu’il lui avait choisi pour époux, et qu’elle avait tout récemment et d’une manière si peu équivoque reconnu comme étant aussi l’objet de son propre choix. Quelle force étrangère pouvait-il donc exister, et assez puissante pour changer la résolution qu’elle avait décidément exprimée moins de vingt-quatre heures auparavant ? C’était là un mystère inexplicable pour lui.

– Mais je serai aussi opiniâtre qu’elle peut l’être, pensa le gantier, et elle épousera Henry Gow sans plus de délai, ou elle donnera au vieux Simon Glover une excellente raison pour s’en dispenser.

Cette conversation ne se renouvela point dans le cours de la soirée ; mais le lendemain matin, à l’instant où le soleil se levait, Catherine vint s’agenouiller près du lit sur lequel son père dormait encore. Son cœur battait, comme s’il eût voulu briser sa poitrine, et ses larmes tombèrent sur le visage de Simon. Le bon vieillard s’éveilla, leva les yeux sur elle, lui traça sur le front le signe de la croix, et l’embrassa avec affection.

– Je t’entends, Kate, lui dit-il ; tu viens à confesse, et je me flatte que c’est avec le dessein d’éviter une forte pénitence par ta sincérité.

Catherine garda le silence un instant.

– Je n’ai pas besoin de vous demander, mon père, si vous vous rappelez le père Clément. Vous avez assisté si souvent à ses sermons et à ses instructions, qu’on disait, comme vous ne pouvez l’ignorer, que vous étiez un de ceux qu’il avait convertis. On en disait souvent autant de moi, et c’était avec plus de justice.

– Je sais tout cela, dit le vieillard en s’appuyant sur le coude ; mais je défie la mauvaise renommée de prouver que j’aie jamais approuvé une proposition hérétique, quoique j’aimasse à l’entendre parler de la corruption du clergé, du mauvais gouvernement de la noblesse et de l’ignorance du bas peuple, parce qu’il me semblait que c’était démontrer que la vertu, la force et les qualités dignes d’estime se trouvaient dans la première classe de la bourgeoisie, ce que je regarde comme une doctrine saine et honorable pour la ville. Mais s’il prêchait une autre doctrine que la bonne, pourquoi les supérieurs de son couvent le souffraient-ils ? Si les bergers jettent au milieu de leur troupeau un loup revêtu de la peau d’un mouton, ils ne doivent pas reprocher aux brebis de se laisser dévorer.

– Ils souffrirent ses prédications, dit Catherine ; ils les encouragèrent même tant que les vices des laïques, les querelles des nobles et les actes d’oppression des puissans furent les objets de sa censure ; et ils se réjouirent de voir la foule abandonner les églises des autres couvens pour se porter dans la leur ; mais les hypocrites, car ce sont des hypocrites, se joignirent aux autres moines pour accuser d’hérésie leur prédicateur Clément lorsque, après avoir déclamé contre les crimes des grands, il commença à reprocher aux hommes d’église eux-mêmes leur orgueil, leur ignorance, leur luxure, leur ambition, l’empire qu’ils usurpent sur la conscience de leurs semblables, et leur soif insatiable pour acquérir les richesses du monde.

– Pour l’amour de Dieu ! Catherine, parlez plus bas ; vous élevez la voix de plus en plus ; vos discours prennent un ton d’amertume ; vos yeux étincellent ; c’est grâce à ce zèle pour ce qui ne vous regarde pas plus que les autres, que des malveillans vous donnent le nom odieux et dangereux d’hérétique.

– Vous savez que je ne dis que la vérité, mon père, et vous en avez dit autant vous-même plus d’une fois.

– Non, de par l’aiguille et la peau de chamois ! s’écria vivement le gantier. Voudrais-tu que j’avouasse ce qui peut me coûter la vie et les membres, ma maison et mon argent ? car une commission a été nommée pour arrêter et juger les hérétiques à qui l’on attribue tous les tumultes, tous les désordres qui ont eu lieu depuis quelque temps ; c’est pourquoi, moins on parle, plus on est sage. J’ai toujours approuvé l’avis de l’ancien ménestrel qui disait :

Pensez tout ce que vous voudrez,

Mais songez bien à ce que vous direz.

– Cet avis vient trop tard, mon père, dit Catherine en se laissant tomber sur une chaise près du lit de Glover ; vous avez parlé, vous avez été entendu, et Simon Glover, bourgeois de Perth, est accusé de s’être exprimé avec irrévérence en parlant des doctrines de la sainte Église, et…

– Aussi vrai que je vis de l’aiguille et, du découpoir, c’est un mensonge ; je n’ai jamais parlé de ce qui est au-dessus de la portée de mon entendement.

– Et d’avoir calomnié les membres du clergé, tant séculier que régulier.

– À cet égard je ne nierai jamais ce qui est vrai. Je puis en avoir parlé un peu légèrement en vidant une pinte de bière ou un flacon de vin ; mais toujours en compagnie sûre, car ma langue est trop prudente pour mettre ma tête en danger.

– Vous le croyez ainsi, mon père ; mais vos mots ont été rapportés, vos discours les plus innocens ont été envenimés, et vous êtes accusé d’avoir pris l’Église et les hommes d’église pour l’objet de vos railleries grossières, et de vous être égayé à leurs dépens avec des gens déréglés et dissolus, tels que feu Olivier Proudfute, Henry l’armurier et autres, qu’on représente comme adoptant les doctrines du père Clément, qui est accusé de sept chefs d’hérésie, et qu’on cherche partout pour le condamner à mort. Mais, ajouta-t-elle en levant les yeux vers le ciel dans l’attitude d’une de ces belles saintes que la religion catholique a donnée aux beaux-arts, ils n’y réussiront jamais. Il a échappé aux filets de l’oiseleur, et grâces en soient rendues au ciel, c’est moi qui lui en ai procuré les moyens.

– Toi ! s’écria le gantier avec surprise ; as-tu perdu l’esprit, Catherine ?

– Je ne nierai jamais ce qui fait ma gloire. C’est moi qui ai engagé Conachar à venir ici avec quelques-uns de ses compagnons pour emmener ce vieillard, et il est maintenant en sûreté bien loin dans les montagnes.

– Fille téméraire ! fille mal avisée ! as-tu osé faciliter la fuite d’un homme accusé d’hérésie ; appeler des montagnards dans la ville ; les exciter à intervenir dans l’administration de la justice ? Hélas ! tu as violé les lois du royaume comme celles de l’Église ! Que deviendrions-nous si cela était connu ?

– Cela est connu, mon père, dit Catherine d’un ton ferme, connu de ceux qui montreront le plus d’empressement à punir cette bonne action.

– Tu te trompes, ma fille, tu, te trompes ; c’est quelque sotte idée que t’ont mise dans la tête ces moines rusés ou ces cajoleuses de nonnes. Cela ne s’accorde pas avec la disposition où tu paraissais être tout récemment d’épouser Henry Smith.

– Hélas ! mon père, rappelez-vous la consternation cruelle dans laquelle m’avait jetée le bruit de sa mort ; la surprise, la joie dont j’ai été transportée en le voyant vivant, et vous ne serez pas étonné que je me sois permis, sous votre protection, d’aller plus loin que mes réflexions plus calmes ne l’ont approuvé. Mais alors je ne savais pas encore tout, et je croyais que je m’exagérais le danger ; hélas ! j’ai été cruellement détrompée. Hier, l’abbesse vint ici elle-même accompagnée du dominicain. Ils me montrèrent la commission revêtue du grand sceau d’Écosse pour informer contre l’hérésie, et pour la punir ; ils me firent voir votre nom et le mien, sur une liste de personnes suspectes, et ce fut avec des larmes, avec des larmes véritables que l’abbesse me conjura de me soustraire a un destin épouvantable en entrant sans délai dans le cloître ; et le moine me donna sa parole que si j’y consentais vous ne seriez pas inquiété.

– Les crocodiles ! s’écria le gantier ; que le diable les emporte tous deux !

– Hélas ! mon père, les plaintes et les emportemens ne peuvent guère nous servir ! Mais vous voyez que je n’ai eu que trop de raisons pour me livrer aux alarmes.

– Aux alarmes ! c’est une ruine complète ! Hélas ! ma pauvre enfant, où était votre prudence quand vous vous êtes jetée la tête la première dans un pareil piége !

– Écoutez-moi, mon père, il nous reste encore un moyen de sûreté ; et souvenez-vous que c’est un parti que j’ai souvent eu dessein de prendre, ce dont je vous ai inutilement demandé la permission.

– J’entends fort bien ; le couvent. Mais quelle abbesse ou quelle prieure oserait…

– Je vais vous l’expliquer, mon père ; et vous apprendrez en même temps quelles sont les causes qui m’ont fait paraître chancelante dans mes résolutions, au point de m’attirer vos reproches et ceux des autres. Le vieux père Francis, le dominicain que j’ai pris pour confesseur par votre ordre…

– Sans doute, et je l’ai conseillé et ordonné pour faire tomber le bruit qui courait que ta conscience était entièrement sous la direction du père Clément.

– Eh bien ! ce père Francis m’engagea différentes fois à converser avec lui de différens objets sur lesquels il regardait comme probable que le père Clément m’aurait donné quelques instructions. Que le ciel me pardonne mon aveuglement ! Je tombai dans le piége, je lui parlai librement, et comme il me répondait avec douceur et en homme qui semblait désirer d’être convaincu par de bons raisonnemens, je m’exprimai avec chaleur pour défendre les points de ma croyance. Le père Francis ne se montra sous ses traits véritables et ne me laissa voir ses secrets desseins que lorsqu’il eut tiré de moi tout ce que j’avais à lui dire. Alors il me menaça d’une punition temporelle et des peines de l’éternité. Si ses menaces n’eussent été dirigées que contre moi, j’y aurais opposé de la fermeté, car j’aurais su endurer la cruauté des persécuteurs sur la terre, et je ne crois pas à leur pouvoir sur nous au-delà de cette vie.

– Pour l’amour du ciel ! dit le gantier qui était presque hors de lui en voyant augmenter le danger que courait sa fille à chaque mot qu’elle prononçait, prends bien garde de blasphémer contre la sainte Église, dont le bras est aussi prompt à frapper que ses oreilles sont habiles à entendre.

– La terreur des chatimens dont j’étais menacée, continua Catherine en levant encore les yeux vers le ciel, n’aurait eu guère d’influence sur moi. Mais quand ils parlèrent de vous impliquer dans la même accusation, j’avoue que je tremblai et que je désirai accepter le compromis qu’on m’offrait. La mère Marthe, abbesse du couvent d’Elcho, étant parente de ma mère, je lui contai ma détresse, et elle me promit de me recevoir dans son monastère, si renonçant à tout amour mondain, à toute pensée de mariage, je voulais y prendre le voile. Je ne doute pas qu’elle n’eût eu une conversation à ce sujet avec le père Francis, car tous deux me chantèrent la même chanson : – Reste dans le monde, et, ton père et toi vous serez mis en jugement comme hérétiques : Prends le voile, et les erreurs de l’un et de l’autre seront pardonnées et oubliées. Ils ne me parlèrent même pas d’abjurer des erreurs de doctrine ; une paix complète doit être la suite de mon entrée dans le couvent.

– Je n’en doute pas, je le crois sans peine. Le vieux Glover passe pour riche, et sa fortune suivrait sa fille au couvent d’Elcho, sauf ce que les dominicains pourraient en réclamer pour leur part. Et voilà quelle est ta vocation au cloître ! voilà quelles sont tes objections contre Henry Smith !

– Véritablement, mon père, tout s’est réuni pour m’engager à prendre ce parti, et je n’y avais moi-même aucune répugnance. Sir John Ramorny m’a menacée d’une vengeance terrible de la part du jeune prince, si je résistais plus long-temps à ses sollicitations criminelles. Et quant au pauvre Henry, ce n’est que tout récemment que j’ai découvert que l’amour que m’inspirent ses bonnes qualités est plus fort que l’éloignement que font naître en moi ses défauts. Hélas ! je n’ai fait cette découverte que pour quitter le monde avec plus de regret que je n’aurais cru pouvoir en éprouver.

Elle appuya sa tête sur sa main et pleura amèrement.

– Tout cela n’est que de la folie, dit Glover. Jamais un homme sage ne s’est trouvé dans une extrémité assez désespérée pour ne pouvoir trouver un bon parti à prendre, si la hardiesse ne lui manque pas. Nous ne sommes pas ici dans un pays et parmi un peuple que les prêtres puissent gouverner au nom de Rome sans qu’on mette des bornes à leurs usurpations. S’ils doivent faire pendre tout honnête bourgeois qui dit que les moines aiment l’or, et qu’il s’en trouve parmi eux quelques-uns dont la vie fait honte à la doctrine qu’ils prêchent, sur ma foi, Smothervvell ne manquera pas de besogne. Et s’il faut séquestrer du monde toutes les jeunes folles qui se laissent égarer par les sermons d’un prédicateur qui a la vogue, il faut agrandir les couvens et y recevoir les novices à meilleur marché. Nos bons monarques autrefois ont souvent défendu nos priviléges contre le pape même, et quand il prétendit intervenir dans le gouvernement temporel du royaume, se trouva un parlement écossais qui lui rappela ses devoirs dans une lettre qui aurait dû être écrite en caractères d’or. J’ai vu moi-même cette épître, et quoique je ne pusse pas la lire, la vue des sceaux des révérends prélats et des nobles et fidèles barons qui y étaient attachés a fait tressaillir mon cœur de joie. Tu n’aurais pas dû me cacher ce secret si long-temps, ma fille ; mais ce n’est pas le moment de te reprocher ta faute. Va me préparer à déjeuner : je monterai à cheval sur-le-champ, j’irai trouver notre lord-prévôt, je lui demanderai son avis et sa protection, que j’obtiendrai, j’espère, ainsi que celle des autres braves nobles écossais qui ne souffriront pas qu’on opprime un bon bourgeois pour quelques mots prononcés à la légère.

– Hélas ! mon père, c’était cette impétuosité même que je redoutais. Je savais que si je vous adressais mes plaintes vous prendriez feu sur-le-champ, et vous seriez prêt à susciter quelque querelle, comme si la religion que nous devons au Père de la paix ne nous avait été donnée que pour devenir une Mère de discorde. Plutôt que d’en venir là je pourrais, même encore à présent, renoncer au monde et me retirer avec mon chagrin dans le couvent d’Elcho, si vous vouliez consentir à ce sacrifice. Seulement, mon père, consolez le pauvre Henry quand nous serons séparés pour toujours. Qu’il ne pense pas à moi avec trop de mécontentement. Dites-lui que Catherine ne l’importunera plus par ses remontrances, mais qu’elle ne l’oubliera jamais dans ses prières.

– Cette fille a une langue qui ferait pleurer un Sarrasin, dit Simon, dont les yeux étaient aussi humides que ceux de sa fille. Mais je ne céderai pas à ce complot tramé entre une nonne et un moine pour me dérober ma seule enfant. Descends, te dis-je, laisse-moi m’habiller et prépare-toi à m’obéir en tout ce que j’aurai à t’ordonner pour ta sûreté. Fais un paquet de quelques vêtemens et de ce que tu as de plus précieux. Tiens, voici les clefs de la caisse de fer dont le pauvre Henry Smith m’a fait présent ; fais deux portions égales de l’or, que tu y trouveras, mets-en l’une dans une bourse que tu garderas et place l’autre dans la ceinture rembourrée que je me suis faite pour la porter dans mes voyages. Par ce moyen, nous ne serons au dépourvu ni l’un ni l’autre si le destin venait à nous séparer ; et en ce cas fasse le ciel que l’ouragan souffle sur la feuille desséchée et épargne celle qui est encore verte ! Fais seller mon cheval sur-le-champ ainsi que le genet blanc que je t’ai acheté il n’y a que vingt-quatre heures, espérant te le voir monter bientôt pour te rendre à l’église de Saint-Jean au milieu des filles et des femmes de la ville, mariée aussi joyeuse qu’on en ait jamais vu passer sur le seuil de la porte de ce saint édifice. Mais à quoi bon tant parler ? dépêche-toi, et n’oublie pas que les saints aident ceux qui sont disposés à s’aider eux-mêmes. Pas un mot de réponse ! obéis-moi ; ce n’est pas le moment d’avoir des volontés. Pendant le calme le pilote souffre qu’un mousse s’amuse avec le gouvernail ; mais, sur mon âme ! quand le vent siffle et que les vagues s’élèvent, il tient la barre lui-même. Retire-toi donc, et point de réplique.

Catherine sortit de la chambre pour exécuter aussi bien qu’elle le put les ordres de son père : car quoique naturellement doux, et aimant passionnément sa fille quoiqu’il souffrit souvent, à ce qu’il paraît, qu’elle fût maîtresse de ses volontés et qu’elle influât même sur les siennes, cependant elle savait qu’il avait coutume d’exiger l’obéissance filiale, et de faire valoir les droits de l’autorité paternelle assez strictement lorsque l’occasion lui semblait demander de maintenir la rigueur de la discipline domestique.

Tandis que la belle Catherine s’occupait à exécuter les ordres de son père et que le bon Glover s’habillait à la hâte, en homme pressé de se mettre en voyage, on entendit dans la rue étroite le bruit de la marche d’un cheval. Le cavalier était enveloppé d’un grand manteau, dont un des pans croisé sur l’autre était relevé de manière à lui couvrir le bas du visage, tandis que sa toque enfoncée sur ses sourcils : et un large panache retombant sur ses yeux en cachaient la partie supérieure. Il sauta à bas de cheval, et Dorothée avait à peine eu le temps de lui répondre que son maître était dans sa chambre à coucher, que l’étranger, montant rapidement l’escalier, entra dans l’appartement de Glover. Simon, surpris et alarmé d’une visite faite de si grand matin, était disposé à voir dans cet inconnu un huissier ou un appariteur arrivant pour l’arrêter lui et sa fille. Il se trouva donc fort soulagé quand l’étranger, ôtant sa toque et baissant le manteau qui lui cachait le bas du visage, lui montra les traits du digne chevalier prévôt de la Belle Ville, visite qui dans tous les temps était une faveur peu ordinaire, mais qui à une telle heure, et dans les circonstances du moment, avait quelque chose de merveilleux ou plutôt d’alarmant.

– Sir Patrice Charteris, s’écria le gantier ; cet honneur accordé à votre humble serviteur…

– Paix, dit le chevalier ; ce n’est pas l’instant de songer à des civilités puériles. Je suis venu, parce que dans les occasions difficiles on ne peut trouver un page plus sûr que soi-même, et je ne puis rester que le temps nécessaire pour vous avertir, bon Simon Glover, qu’il faut que vous preniez la fuite sur-le-champ ; car le conseil doit délivrer aujourd’hui des mandats d’arrêt contre vous et votre fille, comme accusés d’hérésie, et le moindre délai vous coûterait certainement la liberté et peut-être la vie.

– J’en ai entendu dire quelque chose, répondit le gantier, et j’allais partir pour Kinfauns pour vous assurer que cette accusation scandaleuse tombe sur un innocent, demander les avis de Votre Seigneurie et implorer sa protection.

– Votre innocence ne vous sera pas de grande utilité devant des jugés prévenus, ami Simon ; mon avis est donc que vous preniez la fuite et que vous attendiez des temps plus heureux. Quant à ma protection, il faut attendre que le vent change avant qu’elle puisse vous être utile. Le clergé en se liguant avec le duc d’Albany dans une intrigue de cour, et en représentant la décadence de la pureté de la foi catholique comme la seule cause de toutes nos infortunes nationales, a obtenu sur le roi un ascendant qui est irrésistible, du moins dans le moment actuel ; mais si vous pouvez rester caché quelques jours, peut-être quelques semaines, je ne doute guère que pendant cet intervalle ce parti ne reçoive un échec. En attendant cependant, sachez que le roi Robert non-seulement a donné l’ordre général de faire une enquête contre l’hérésie, mais qu’il a confirmé la nomination faite par le pape de Robert de Wardlaw comme archevêque de Saint-André et primat d’Écosse cédant ainsi à Rome ces libertés et ces priviléges de l’église écossaise que ses ancêtres depuis le temps de Malcolm Canmore avaient si courageusement défendues, eux qui auraient souscrit un concordat avec le diable plutôt que de céder aux prétentions de Rome dans une pareille affaire.

– Hélas ! et quel remède à ce mal ?

– Aucun, si ce n’est quelque changement soudain à la cour. Le roi n’est guère qu’un miroir qui, n’ayant pas de lumière par lui-même, réfléchit indifféremment celle que le moment présente devant sa surface. Or, quoique Douglas soit uni à Albany, cependant le comte ne voit pas de bon œil les prétentions excessives de ces moines impérieux, et il a eu une querelle avec eux relativement aux exactions commises par sa suite dans l’abbaye d’Arbroath. Il reviendra bientôt plus puissant que jamais, car le bruit court que le comte de March a pris la fuite devant lui. Quand il sera de retour, la face des choses changera, et sa présence contiendra Albany d’autant plus qu’un grand nombre de nobles et moi, je vous le dis en confidence, nous avons résolu de nous liguer avec le comte pour défendre les droits du royaume. Votre exil finira donc avec son retour à la cour, et vous n’avez besoin que de chercher un asile temporaire.

– Quant à cela, milord prévôt, je ne suis point embarrassé, car j’ai de justes droits à la protection d’un puissant montagnard, de Gilchrist Mac Ian, chef du clan de Quhele.

– Si vous pouvez tenir le bout de son manteau, vous n’avez plus besoin de l’aide de personne. Ni laïque ni membre du clergé ne se hasarderait à aller mettre à exécution un mandat d’arrêt dans l’intérieur des montagnes.

– Mais ma fille, milord prévôt ! ma Catherine !

– Emmenez-la avec vous. Le pain de graddan entretiendra la blancheur de ses dents ; le lait de chèvre fera reparaître sur ses joues les couleurs que toutes ces alarmes commençaient à en bannir, et la Jolie Fille de Perth elle-même peut trouver un coucher assez doux sur un lit de fougère des montagnes.

– Ce ne sont point de semblables bagatelles qui me font hésiter, sir Patrice. Catherine est fille d’un simple bourgeois, et elle ne connaît la recherche ni dans sa nourriture ni dans son coucher. Mais le fils de Mac Ian a passé plusieurs années dans ma maison, et je suis obligé de dire qu’il regardait ma fille (qui est en quelque sorte fiancée) d’une manière qui, quoiqu’elle m’inquiétât peu dans Curfew-Street, ne me laisserait pas sans crainte dans une vallée des montagnes où je n’ai pas d’ami et où Conachar en a un grand nombre.

Le prévôt répondit par un sifflement prolongé :

– Whew  ! whew ! En ce cas, je vous conseille de l’envoyer au couvent d’Elcho. Vous avez quelque relation de parenté avec l’abbesse, si je ne me trompe ; oui, elle me l’a dit elle-même ; en ajoutant qu’elle aimait beaucoup sa jeune parente et tout ce qui vous appartient, Simon.

– Sur ma foi, milord ; je crois, véritablement que l’abbesse a tant d’égards pour moi qu’elle recevrait bien volontiers dans son couvent ma fille et tous les biens qui m’appartiennent : mais son affection a quelque chose de tenace, et elle aurait de la peine à se décider à en laisser sortir ni ma fille ni mon argent.

– Whew ! whew ! siffla encore le prévôt. Par la Croix de Thane ! Simon ; voilà un écheveau difficile à dévider. Mais il ne sera jamais dit que la plus jolie fille de la Belle Ville ait été enfermée dans un couvent comme une poule dans une mue, et quand elle est à la veille d’épouser le brave bourgeois Henri Smith. Non, il n’en sera rien tant que je porterai le baudrier et les éperons, et qu’on m’appellera prévôt de Perth.

– Mais quel remède, milord ?

– Il faut que nous prenions tous notre part du risque. Montez à cheval, vous et votre fille, et venez avec moi. Nous verrons qui sera assez hardi pour vous regarder de travers. Le mandat ne vous a pas encore été signifié, et si l’on envoie un appariteur à Kinfauns sans un ordre signé de la propre main du roi, par l’âme du Corsaire Rouge ! je lui ferai avaler le parchemin et le sceau. À cheval ! à cheval ! – Et vous aussi, ma jolie fille, dit-il à Catherine qui entrait en ce moment, à cheval, et partons sur-le-champ !

En une minute ou deux le père et la fille furent à cheval. Ils partirent, et par le conseil du prévôt, ils se tinrent toujours à une portée de flèche en avant de lui pour ne pas avoir l’air d’être en sa compagnie. Ils franchirent avec quelque hâte la porte de l’Orient, et ils continuèrent à marcher du même train jusqu’à ce qu’ils fussent hors de vue. Sir Patrice les suivait plus lentement ; mais quand les gardes de la ville ne purent plus l’apercevoir, il donna un coup d’éperon à son coursier, et il eut bientôt rejoint Glover et sa fille. La conversation qui s’ensuivit alors jettera du jour sur quelques passages précédens de cette histoire.

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