CHAPITRE XXVIII.

La cérémonie des Obsèques étant terminée, la même flottille qui était arrivée formant sur les eaux du lac une pompe mélancolique et solennelle, se prépara à repartir bannières déployées et avec toutes les démonstrations de la joie et de la gaîté ; car on n’avait pas de temps à perdre pour célébrer une fête, quand l’époque fixée pour le combat entre les montagnards du clan de Quhele et leurs redoutables rivaux était si voisine. Il avait donc été convenu que la solennité funèbre serait immédiatement suivie de la fête qui avait ordinairement lieu lors de l’inauguration du nouveau chef.

Quelques objections furent faites à cet arrangement, qu’on prétendait de mauvais augure. Mais d’une autre part il avait en sa faveur les habitudes et les sentimens des montagnards, qui encore aujourd’hui sont accoutumés à mêler une gaîté de fête à leurs cérémonies de deuil, comme une sorte de mélancolie à leurs divertissemens. La répugnance ordinaire à parler de ceux qu’on a aimés et qu’on a perdus, et même à y penser, est moins commune chez cette race grave et enthousiaste que partout ailleurs. Non-seulement on y entend les jeunes gens citer avec éloge, comme c’est l’usage en tout pays, les parens qui, suivant le cours de la nature, ont quitté ce monde avant eux, mais la veuve fait de l’époux qu’elle a perdu un sujet de conversation ordinaire, et ce qui est encore plus étrange, les père et mère font de fréquentes allusions à la beauté de la fille ou à la valeur du fils qui ont cessé d’exister. Les montagnards écossais paraissent considérer la mort de leurs parens comme une séparation moins complète et moins absolue qu’on ne l’envisage dans les autres pays. Ils parlent des objets chéris qui sont entrés dans la tombe avant eux comme s’ils avaient entrepris un long voyage dans lequel ils doivent bientôt eux-mêmes les suivre. Le festin funéraire, coutume universelle dans toute l’Écosse, n’offrait donc dans l’opinion de ceux qui devaient y assister rien d’incompatible avec les réjouissances qui devaient célébrer l’inauguration du nouveau chef.

Ce nouveau chef, le jeune Mac Ian, monta sur la barque qui avait si récemment transporté le défunt au lieu de sa sépulture, et les ménestrels firent retentir les airs, de leurs chants les plus joyeux pour féliciter Eachin sur son avénement, de même qu’ils avaient fait entendre les sons les plus lugubres quand ils avaient accompagné Gilchrist au tombeau sur toute la flottille qui le suivait ; des airs de triomphe remplaçaient les cris lamentables qui avaient si peu de temps auparavant troublé les échos du lac Tay. Mille acclamations saluèrent le jeune chef quand on le vit debout sur la poupe, armé de toutes pièces, dans la fleur de la beauté et toute l’activité de la jeunesse, là même où le corps de son père avait été entouré d’amis plongés dans l’affliction, et dont la bouche ne s’ouvrait maintenant que pour des accens d’allégresse. Une barque de la flottille se tenait toujours près de la barge d’honneur. Torquil du Chêne, géant à cheveux gris, en maniait le gouvernail, et ses huit enfans, tous d’une stature au-dessus de la taille ordinaire, faisaient mouvoir les rames. Semblable à un chien-loup favori détaché de sa chaîne et sautant autour de son maître, la barque conduite par ses frères de lait passait à côté de la barge du chef, tantôt à droite, tantôt à gauche, et décrivait même un cercle tout autour avec l’expression d’une joie extrême, tandis qu’avec la vigilance jalouse de l’animal auquel nous l’avons comparée, elle rendait dangereux à tout autre esquif de la flottille d’en approcher d’aussi près, par le risque qu’elle aurait couru d’être renversée et coulée à fond par la hardiesse et l’impétuosité de ses manœuvres. Élevés à un rang éminent dans leur clan par l’avénement de leur frère de lait à la première dignité, ils témoignaient de cette manière tumultueuse et presque terrible la part qu’ils prenaient au triomphe de leur chef.

Beaucoup plus loin et avec des sentimens bien différens, au moins de la part d’un des individus qui s’y trouvaient, s’avançait la petite barque conduite par Booshalloch et un de ses fils, et sur laquelle Simon Glover était passager.

– Si nous devons aller jusqu’à l’extrémité du lac, dit Simon à son ami, il se passera bien des heures avant que nous y arrivions.

Tandis qu’il parlait ainsi et à un signal qui fut fait de la barge du chef, l’équipage de la barque des frères de lait, ou des Leichtachs, laissa ses rames jusqu’à l’instant où celle de Booshalloch arriva. Lui jetant alors une corde faite de courroies que Niel attacha à sa proue, les rameurs se remirent en besogne, et quoiqu’ils eussent la petite barque en remorque, ils fendirent l’eau du lac presque avec la même rapidité qu’auparavant. Le frêle esquif était entraîné avec une impétuosité qui semblait menacer de le faire chavirer, ou d’en arracher la proue.

Simon Glover vit avec inquiétude l’impétuosité furieuse de leur course, et la proue de la barque qu’il montait se baisser quelquefois à un pouce ou deux du niveau de l’eau. Son ami Niel Booshalloch avait beau l’assurer que tout cela se faisait en son honneur, il n’en désirait pas moins que la traversée se terminât promptement et heureusement. Ce fut ce qui arriva et plus tôt qu’il ne s’y attendait, car l’endroit où la fête devait se donner n’était qu’à quatre milles de distance de l’île où la sépulture avait eu lieu. On l’avait choisi pour faciliter la marche du chef qui devait partir du côté du sud-est aussitôt que le banquet serait terminé.

Une baie sur la côte méridionale du lac Tay présentait un beau rivage couvert d’un sable étincelant, où les barques pouvaient aborder aisément, et au-delà une prairie ornée d’un gazon assez vert pour la saison, autour de laquelle s’élevaient des montagnes couvertes d’arbres et de buissons : c’était sur cette prairie qu’on avait fait avec prodigalité tous les préparatifs pour la fête.

Les montagnards, bien connus par leur habileté à manier la hache, avaient construit pour le banquet une longue salle champêtre qui pouvait contenir deux cents hommes, et tout autour un grand nombre de huttes plus petites semblaient destinées pour y passer la nuit. Les poutres et les supports de ce grand bâtiment étaient de gros pins des montagnes, auxquels on avait laissé leur écorce. Les murs en étaient construits de planches épaisses de même bois, ou de plus petits arbres équarris, joints ensemble par des rameaux de sapin et d’autres arbres verts qu’on trouvait en abondance dans les bois voisins ; les Montagnes avaient fourni des bruyères pour en couvrir le toit. Ce fut dans ce palais champêtre que les personnages les plus importans furent invités à prendre place. Ceux d’un rang inférieur devaient être régalés sous divers hangars construits avec moins de soin, et des tables de gazon ou de planches brutes placées en plein air, étaient destinées à la multitude. Plus loin on voyait des brasiers de charbon ardent et des bûchers de bois enflammé, autour desquels des cuisiniers sans nombre tournaient, s’agitaient comme des démons travaillant dans leur élément. De grands trous creusés dans les flancs d’une montagne et garnis de pierres rougies au feu servaient à faire cuire des pièces immenses de bœuf, de mouton et de venaison. Des broches de bois soutenaient des moutons et des chevreaux qu’on faisait rôtir tout entiers. D’autres étaient coupés par morceaux, et on les faisait bouillir dans des chaudrons faits avec le cuir des animaux dont la chair allait garnir les tables. Enfin on faisait griller sur des charbons, avec plus de cérémonie, des brochets, des truites, des saumons et des chars . Le gantier avait assisté à plus d’un banquet chez les montagnards, mais il n’en avait vu aucun dont les apprêts eussent été faits avec cette profusion barbare.

Il n’eut cependant que peu de temps pour admirer la scène qui l’entourait, car dès qu’ils furent sur le rivage, Booshalloch lui dit avec quelque embarras que, comme ils n’avaient pas été invités à s’asseoir à la table d’honneur, contre son attente, ils feraient bien de s’assurer une place à l’une de celles qui étaient dressées sous des hangars ; et il le conduisait de ce côté quand il fut arrêté par un des gardes-du-corps du chef qui paraissait remplir les fonctions de maître des cérémonies, et qui lui dit quelques mots à l’oreille.

– C’est ce que je croyais, dit le gardien des bestiaux ; je pensais bien que ni l’étranger, ni un homme qui occupe une place comme la mienne, ne seraient exclus de la première table.

On les conduisit dans le grand bâtiment où était une longue table dont la plupart des places étaient déjà occupées par des convives, tandis que des montagnards qui remplissaient le rôle de domestiques y plaçaient avec profusion les mets fort simples qui composaient le festin. Le jeune chef vit certainement entrer Glover et son compagnon, mais il ne leur donna aucune marque d’attention, et on les plaça au bas bout de la table, bien au-dessous de la salière , antique et énorme pièce d’argenterie, seul objet de quelque valeur qui pût frapper les yeux, et que tout le clan regardait comme une espèce de palladium, qu’on n’exposait aux regards et dont on ne se servait que dans les occasions les plus solennelles, comme la fête qu’on célébrait ce jour-là.

Booshalloch un peu mécontent dit tout bas à Simon en se mettant à table : – Les temps sont changés, ami Simon. Son père, puisse son âme être en paix ! nous aurait parlé à tous deux ; mais il a pris de mauvaises manières en vivant avec vous autres Sassenachs dans les basses-terres.

Glover ne jugea pas à propos de répondre à cette remarque, et il s’occupa à regarder les branches d’arbres verts, les peaux et les autres ornemens qui décoraient l’intérieur de la salle. Les plus remarquables étaient un grand nombre de cottes de mailles fabriquées dans les montagnes, de bonnets d’acier, de haches d’armes et d’épées à deux mains, qui étaient suspendus au haut des murailles avec des boucliers richement travaillés. Chaque cotte de mailles était suspendue sur une peau de daim bien apprêtée, qui faisait voir l’armure avec avantage et la préservait de l’humidité.

– Ce sont, dit Booshalloch à demi-voix, les armes des champions choisis par notre clan. Ils sont au nombre de vingt-neuf, comme vous le voyez, Eachin étant lui-même le trentième ; et s’il n’avait pas porté son armure aujourd’hui, vous la verriez suspendue ici comme les autres : et après tout, il n’a pas un haubert aussi bon qu’il devrait en porter un le dimanche des Rameaux. Ces neuf armures de si grande taille sont pour les Leichtachs, de qui on attend tant de choses.

– Et ces bonnes peaux de daim, dit Simon en qui l’esprit de sa profession s’éveillait en voyant les marchandises de son commerce, croyez-vous que le chef soit disposé à les vendre ? On en a besoin pour fabriquer les pourpoints que les chevaliers portent sur leur armure.

– Ne vous ai-je pas prié de ne pas dire un mot à ce sujet ? répondit Niel.

– C’est des cottes de mailles que je veux parler, répliqua Simon. Puis-je vous demander s’il y en a quelqu’une qui ait été faite par notre célèbre armurier de Perth nommé Henry Smith ?

– Tu es encore plus malencontreux qu’auparavant, dit Niel. Le nom de cet homme produit sur l’esprit d’Eachin le même effet qu’un ouragan sur les eaux du lac ; et cependant personne n’en connaît la cause.

– Je puis la deviner, pensa notre gantier ; mais il garda cette pensée renfermée dans son cœur. Ayant amené deux fois la conversation sur des sujets de si mauvais augure, il ne chercha pas à en entamer un troisième, et il ne songea plus qu’à faire honneur au repas comme ceux qui l’entouraient.

En parlant des apprêts du festin, nous en avons dit assez pour que le lecteur puisse conclure qu’il offrait la plus grande simplicité, quant à la qualité des mets. Ils consistaient principalement en énormes pièces de viande qu’on mangea sans beaucoup de scrupule, en dépit du carême, et quoique plusieurs moines du couvent de l’île honorassent le banquet de leur présence. Les assiettes étaient de bois, et il en était de même des coupes, dans lesquelles les convives buvaient indistinctement toutes les liqueurs qu’on leur présentait, et même le jus des viandes qu’on regardait comme une friandise. Il y avait aussi du laitage préparé de différentes manières, servi de même sur des plats de bois, et dont on faisait grand cas. Le pain était l’objet le plus rare du festin ; mais par une distinction spéciale, on servit deux petits pains à Glover et à son ami Niel. Pour manger, et à la vérité la même coutume avait lieu alors dans toute la Grande-Bretagne, les convives se servaient de leurs petits couteaux de chasse nommés skenes, ou de leurs grands poignards appelés dirks, sans s’inquiéter de la réflexion qu’ils pouvaient avoir quelquefois servi à un usage tout différent et plus fatal.

Au haut bout de la table était un fauteuil non occupé, élevé de deux marches au-dessus du plancher, couvert d’un dais formé par des branches de houx et de lierre, et sur lequel étaient appuyés une épée dans son fourreau, et une bannière ployée : c’était le siége du chef défunt, et on l’avait laissé vacant par respect pour sa mémoire. Eachin occupait une chaise plus basse à main droite de la place d’honneur.

Le lecteur se tromperait grandement si d’après cette description il supposait que les convives se conduisirent comme une troupe de loups affamés, en profitant en vrais gloutons d’un repas tel qu’ils en trouvaient rarement. Au contraire, tous les membres du clan de Quhele se comportèrent avec cette sorte de réserve polie, et cette attention aux besoins des autres, qu’on trouve souvent chez les nations primitives, et surtout parmi celles qui ont toujours les armes à la main, parce que le soin d’observer les règles de la politesse est nécessaire pour éviter les querelles, l’effusion de sang et la mort. Les convives prirent les places qui leur furent assignées par Torquil du Chêne qui, remplissant les fonctions de maréchal Taeh, c’est-à-dire d’intendant du festin, indiquait à chacun celle qu’il devait occuper en la touchant d’une baguette blanche sans prononcer un seul mot. Ainsi placés en ordre ils attendirent patiemment la distribution des vivres, qui fut faite par les Leichtachs, les hommes les plus braves, les guerriers les plus distingués du clan, recevant une double portion qu’on appelait emphatiquement biey fir, ou portion d’un homme. Lorsque les écuyers tranchans eurent terminé leurs fonctions ils prirent leurs places à table, et chacun d’eux reçut une de ces doubles portions. On plaça de l’eau à portée de chacun, et une poignée de mousse tenait lieu de serviette, de sorte que, comme à un banquet de l’Orient, on se lavait les mains chaque fois qu’on renouvelait le service. Le barde chanta les louanges du chef défunt, et exprima la confiance du clan dans les vertus naissantes de son successeur. Le Seanachie fit l’histoire de la généalogie de la tribu, qu’il fit remonter à la race des Dalriades . Les joueurs de harpe firent retentir la salle du son de leurs instrumens, tandis que celui des cornemuses égayait la multitude en plein air. La conversation fut grave, civile et paisible ; on ne se permit aucun bon mot qui passât les bornes d’une plaisanterie agréable, et qui pût exciter plus qu’un sourire passager ; nulle voix ne s’éleva au-dessus des autres, et l’entretien ne dégénéra jamais en argumentation. Simon Glover avait entendu cent fois plus de bruit dans un repas de corps dans la ville de Perth que n’en firent en cette occasion deux cents montagnards sauvages.

Les liqueurs qu’on servit n’eurent pas même le pouvoir de faire oublier aux convives les lois du décorum et de la gravité. Elles étaient de différentes espèces. – Le vin ne parut qu’en petite quantité et l’on n’en offrit qu’aux personnages les plus distingués. Simon Glover eut encore l’honneur de se trouver compris dans ce nombre privilégié. Il est vrai que le petit pain et le vin furent les seuls marques d’attention qu’il reçut pendant tout le festin ; mais Niel, voulant faire à son maître une réputation d’hospitalité, ne manqua pas d’insister sur ce qui était selon lui les preuves d’une haute considération. – Les liqueurs distillées, si généralement en usage depuis chez les montagnards, étaient alors presque inconnues. On ne servit que très peu d’usquebaugh, et il était tellement saturé d’une décoction de safran et d’autres herbes aromatiques, qu’il aurait pu passer pour une potion médicinale plutôt que pour une liqueur destinée à un jour de fête. – Le cidre et l’hydromel ne furent pas épargnés ; mais la boisson la plus générale fut l’ale dont on avait brassé une grande quantité pour cette occasion. On n’en but pourtant qu’avec une modération que ne connaissent guère les Highlanders modernes. Une coupe à la mémoire du chef défunt fut le premier toast qu’on porta lorsque le repas fut terminé ; et un murmure sourd de bénédictions se faisait entendre dans toute la compagnie, quand les moines unissant leurs voix entonnèrent un requiem. Un silence complet s’ensuivit comme si l’on eût attendu quelque chose d’extraordinaire. Alors Eachin se leva, monta au siége resté vacant avec un air mâle et fier, mais accompagné de modestie, et dit avec un ton de dignité et de fermeté :

– Je réclame, comme m’appartenant de droit, ce siége et l’héritage de mon père. Ainsi puissent m’être favorables Dieu et saint Barr !

– Comment gouvernerez-vous les enfans de votre père ? lui demanda un vieillard, oncle du défunt.

– Je les défendrai avec la claymore de mon père, et je leur rendrai justice sous la bannière de mon père.

Le vieillard, d’une main tremblante, tira du fourreau l’arme pesante ; et la prenant par la lame il en présenta la poignée au jeune chef. En même temps Torquil du Chêne déploya la bannière du clan et la fit flotter plusieurs fois sur la tête d’Eachin, qui avec autant de grâce que de dextérité, fit brandir son énorme claymore comme pour la défendre. Les convives poussèrent des acclamations bruyantes pour annoncer qu’ils acceptaient le chef patriarcal, et il n’y eut personne qui dans le jeune homme habile et plein de grâce qui était devant eux fût disposé à reconnaître celui dont la naissance avait donné lieu à de sinistres prédictions. Tandis qu’il était debout, couvert d’une brillante armure, appuyé sur le glaive et témoignant par des gestes gracieux sa reconnaissance des acclamations qui retentissaient dans la salle et sur toute la prairie, Simon Glover était tenté de douter que la figure majestueuse qu’il avait sous les yeux fût celle du même jeune homme qu’il avait souvent traité avec si peu de cérémonie, et il commença à craindre qu’il n’en résultât quelques conséquences fâcheuse pour lui. Un chœur général des instrumens de tous les ménestrels succéda aux acclamations, et les rochers et les bois répétèrent les sons joyeux des harpes et des cornemuses comme ils avaient répété peu auparavant les lamentations de la douleur.

Nous n’entrerons pas dans de plus longs détails sur cette fête d’inauguration ; nous passerons sous silence les toasts qu’on but en l’honneur des anciens héros du clan, et surtout aux vingt-neuf braves qui allaient bientôt combattre pour lui sous les yeux et sous les ordres de leur jeune chef. Les bardes, qui dans les anciens temps joignaient à leur fonction de poètes celle de prophètes, se hasardèrent à leur prédire la victoire la plus éclatante, et peignirent dans leurs chants la fureur avec laquelle le Faucon Bleu, emblème du clan de Quhele, mettrait en pièces le Chat de la Montagne, symbole bien connu du clan de Chattan.

Le soleil était sur le point de se coucher, quand une coupe en bois de chêne et cerclée en argent, qu’on appelait la Coupe de Grâce, fit le tour de la table pour donner aux convives le signal de se séparer. Cependant ceux qui désiraient prolonger la fête encore plus long-temps furent libres de se satisfaire en passant sous des hangars. Quant à Simon Glover, Booshalloch le conduisit à une petite hutte qui semblait avoir été construite pour l’usage d’un seul individu. Un lit de fougère et de mousse y avait été arrangé aussi bien que la saison le permettait, et une ample provision de mets semblables à ceux qui avaient été servis au festin prouvait qu’on avait eu dessein que rien ne pût lui manquer.

– Ne quittez pas cette hutte, dit Booshalloch en prenant congé de son ami, de son protégé ; c’est le lieu de repos qui vous est destiné ; mais on peut perdre son appartement dans une nuit de confusion semblable, et si le blaireau quitte son terrier le renard peut s’en emparer.

Cet arrangement ne fut nullement désagréable à Simon Glover. Le tumulte de cette journée l’avait fatigué, et il sentait le besoin de prendre du repos. Il mangea un morceau, but une coupe de vin pour chasser le froid, – murmura sa prière du soir, – s’enveloppa de son manteau, et se jeta sur une couche qu’une ancienne connaissance lui avait rendu familière et même agréable. Le bruit qui régnait encore autour de lui, et même les acclamations que poussait de temps en temps la foule qui continuait à se divertir, n’interrompirent pas son repos bien long-temps, et au bout d’environ dix minutes il était aussi profondément endormi que s’il eût été couché sur son propre lit dans Curfew-Street.

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