« Le peuple a pris les armes,
» Édimbourg est en proie au tumulte, aux alarmes. »
Les adieux de Johnie Armstrong.
Butler, en sortant de la boutique du Cheval d’or, se rendit chez un de ses amis qui appartenait au barreau, afin de lui faire quelques questions sur l’affaire dont il venait d’entendre parler. Le lecteur a sans doute déjà conjecturé qu’il prenait au sort d’Effie Deans un intérêt plus particulier que celui que lui eût inspiré la seule humanité. Malheureusement il ne trouva pas son ami chez lui ; et il ne fut pas plus heureux dans les visites qu’il fit chez deux ou trois autres personnes qu’il espérait intéresser à son histoire ; mais tout le monde était occupé ce jour-là de l’affaire Porteous à en perdre la tête : chacun blâmait ou défendait les affaires du gouvernement, et l’ardeur de la dispute avait excité une soif si universelle, que le débat avait été ajourné dans quelque taverne favorite, par la moitié des jeunes avocats et des procureurs, et leurs clercs avec eux. Or c’était parmi ces derniers que Butler allait chercher conseil. Un habile arithméticien calcula qu’il se but ce jour-là dans Édimbourg une quantité de bière suffisante pour mettre à flot un vaisseau de ligne de première classe.
Butler s’en alla de côté et d’autre jusqu’à la nuit close, résolu de profiter de cette occasion pour visiter la pauvre jeune fille, lorsqu’il pourrait le faire avec le moins de risque d’être observé ; car il avait ses raisons pour désirer que mistress Saddletree ne le vît pas ; la porte de sa boutique était à peu de distance de la prison, quoique de l’autre côté de la rue, et un peu plus haut. Il passa donc par la galerie étroite et couverte en partie qui y conduit, de l’extrémité nord-ouest de Parliament-Square.
Il arriva devant l’entrée gothique de l’ancienne prison, qui, comme chacun sait, présente son antique façade au milieu de High-Street, et forme, pour ainsi dire, le dernier mur d’une masse de bâtimens appelés les Luckenbooths, entassés par quelque inconcevable motif de nos ancêtres au milieu de la principale rue de la ville ; une autre rue étroite est le seul passage qu’ils laissent au nord et au midi où s’ouvre la porte de la prison. Les sombres murs de la Tolbooth et les maisons adjacentes d’un côté, et de l’autre les arcs-boutans de l’antique cathédrale, forment une allée étroite et tortueuse. Pour donner quelque gaieté à cet obscur passage (bien connu sous le nom du Krames), de petites boutiques, à la façon des échoppes des savetiers, sont comme appliquées contre les aboutissans et les saillies des murailles gothiques, de manière qu’on dirait que les marchands ont formé des espèces de nids semblables à ceux des martinets au château de Macbeth. Plus récemment, ces petits magasins ont dégénéré en simples boutiques de joujoux, où les marmots intéressés à ce commerce sont tentés de s’arrêter, enchantés par le riche étalage de chevaux de bois, de poupées et d’autres jouets de Hollande, disposés avec un désordre qui n’est pas sans art ; mais ils reculent parfois, effrayés des regards de travers du vieux marchand ou de la femme en lunettes, par qui sont gardés ces trésors séduisans. Du temps dont nous parlons, les bonnetiers, les gantiers, les chapeliers, les merciers et les marchandes de modes occupaient cet étroit passage.
Mais, pour terminer cette digression, Butler trouva le geôlier, homme grand et maigre, à cheveux blancs, occupé à fermer la porte extérieure de la prison : il s’adressa à lui pour demander à voir Effie Deans, accusée d’infanticide.
– Personne ne peut entrer maintenant, répondit le geôlier en portant la main à son chapeau par respect pour l’habit noir de Butler.
– Mais vous fermez les portes plus tôt qu’à l’ordinaire, dit Butler : c’est peut-être à cause de l’affaire du capitaine Porteous ?
Le geôlier cligna un œil en hochant la tête d’un air de mystère, comme le fait un homme en place qui veut bien laisser soupçonner ce qu’il ne veut pas dire, et continua son opération. Il baissa sur la serrure une forte plaque en fer qui la recouvrait en entier, et attachée par un ressort et des écrous ; ensuite prenant une grosse clef qui avait près de deux pieds de longueur, il ferma le dernier guichet. Butler resta un moment immobile devant la porte, et puis regardant sa montre descendit la rue, en murmurant à voix basse, presque sans y penser :
Porta adversa, ingens, solidoque adamante columnæ,
Vis ut nulla virum, non ipsi exscindere ferro
Cœlicolœ-valeant. Stat ferrea turris ad auras, etc.
Butler, ayant encore une fois perdu du temps à aller chercher inutilement son ami le légiste, à qui il voulait demander conseil, pensa qu’il lui fallait enfin quitter la ville pour retourner au lieu de sa résidence, village à deux milles et demi au sud d’Édimbourg.
La métropole était alors entourée de hautes murailles garnies de créneaux à divers intervalles, et avait des portes qui se fermaient régulièrement tous les soirs . Cependant un faible don offert aux gardiens permettait d’entrer et de sortir à toute heure de la nuit, un guichet étant pratiqué à cet effet dans la grande porte. Ce don était peu de chose en lui-même ; mais ce peu de chose était beaucoup pour Butler, qui était pauvre. Il vit que l’heure de la fermeture des portes approchait, et, voulant tâcher d’éviter le paiement de cette contribution, il résolut de sortir par celle dont il se voyait le plus près, quoique cela dût l’obliger à faire un détour assez considérable.
Sa route directe était par Bristo-Port ; mais West-Port, du côté de Grassmarket, était la porte la plus voisine du lieu où il était. Ce fut vers West-Port qu’il dirigea ses pas. Il y arriva assez à temps pour franchir les murs de la ville et entrer dans un faubourg appelé Portsburg, habité principalement par des citoyens et des ouvriers de la dernière classe. Là, sa marche fut interrompue d’une manière à laquelle il ne s’attendait point.
Quelques instans après avoir passé la porte, il entendit le son du tambour, et, à sa grande surprise, il aperçut une foule considérable. Elle remplissait toute la rue, et s’avançait vers la ville à grands pas, précédée d’un tambour qui battait un appel. Butler cherchait le moyen d’éviter une troupe qui ne paraissait pas rassemblée pour un motif légitime, quand deux hommes s’avancèrent vers lui et l’arrêtèrent.
– Êtes-vous ecclésiastique ? lui demanda l’un d’eux.
– Je suis dans les ordres, répondit Butler, mais je ne suis point placé.
– C’est M. Butler de Libberton, dit le second : il s’acquittera de cet office aussi bien que qui que ce soit.
– Il faut que vous nous suiviez, monsieur, lui dit d’un ton civil, mais impératif, le premier qui lui avait parlé.
– Et pourquoi, messieurs ? dit Butler ; je demeure à quelque distance de la ville ; vous me portez préjudice en m’arrêtant… Les routes ne sont pas sûres pendant la nuit.
– On vous reconduira sain et sauf. Vous ne perdrez pas un cheveu de votre tête, mais vous viendrez, et il faut que vous nous suiviez.
– Mais, messieurs, quel besoin pouvez-vous avoir de moi ? J’espère que vous serez assez honnêtes pour me l’apprendre.
– Vous le saurez en temps et lieu, mais de gré ou de force vous nous suivrez. Je vous avertis de ne regarder ni à droite ni à gauche, et de ne chercher à reconnaître personne. Considérez comme un rêve tout ce qui se passe devant vous.
– Plût à Dieu que ce fût un rêve ! pensa Butler. Mais n’ayant aucun moyen de résister à la violence dont on le menaçait, il se résigna à son sort. On le plaça en tête de la troupe, derrière le tambour, entre deux hommes qui avaient l’air de le soutenir pour l’aider à marcher, mais qui réellement le tenaient chacun par un bras, afin qu’il ne pût songer à leur échapper.
Pendant ce pourparler, les insurgés avaient couru à West-Port, et fondant sur les Waiters, comme on appelait les gardiens de la porte, ils s’étaient emparés des clefs. Ils fermèrent les battans aux verrous et avec des barres ; puis, comme ils ne savaient comment s’assurer du guichet, ils commandèrent à celui qui en avait habituellement le soin de le fermer pour eux. Cet homme, tremblant, perdit la tête, et n’en put venir à bout ; mais les insurgés, qui semblaient avoir tout prévu, ayant fait approcher des torches, fixèrent eux-mêmes le guichet avec de longs clous dont ils s’étaient munis, probablement dans ce dessein.
Pendant que ces choses se passaient, Butler n’avait pu s’empêcher de remarquer, même malgré lui, quelques uns des individus au milieu desquels le hasard l’avait jeté. La lumière des torches tombait sur eux en le laissant dans l’ombre, ce qui lui donnait le moyen de les voir sans être vu. La plupart étaient vêtus en marins, quelques uns portaient de grandes redingotes et un chapeau à larges bords ; on voyait des femmes parmi eux, mais quand ces amazones venaient à parler, on reconnaissait à leur voix, comme on aurait pu s’en douter à leur taille, qu’elles n’avaient du sexe féminin que les habillemens. L’une d’elles répondit au nom de Wildfire, et ce nom était souvent prononcé. Du reste on semblait agir d’après un plan convenu et bien concerté. On avait des signaux, des mots de ralliement, et de faux noms par lesquels on se reconnaissait.
Les insurgés laissèrent quelques uns d’entre eux pour observer West-Port, en menaçant les gardiens de les tuer s’ils tentaient de sortir de leur loge et de s’emparer de nouveau de la porte pendant cette nuit. Ils coururent ensuite rapidement dans la rue basse, appelée Cowgate, la populace se rendant de toutes parts au bruit du tambour, et se joignant à eux. Ils assurèrent la porte de Cowgate aussi facilement que la première, et y laissèrent encore un détachement pour s’y tenir en faction. On remarqua ensuite, comme un trait de prudence et d’audace singulièrement combinées, que ces hommes chargés de veiller aux portes, ne restèrent pas stationnaires à leur poste ; ils allaient et revenaient, à quelque distance les uns des autres, se tenant assez près pour veiller à ce que personne ne pût tenter d’ouvrir ; mais en même temps sans s’exposer à être eux-mêmes observés et reconnus.
Cet attroupement, composé d’abord de cent hommes, s’éleva peu à peu à des milliers, et il augmentait toujours. Ils se divisèrent pour gravir plus rapidement les divers passages étroits qui conduisent de Cowgate à High-Street ; ne cessant pas de battre le tambour et d’appeler à eux tous les vrais Écossais, ils remplirent toute la principale rue de la ville.
La porte de Netherbow pourrait être nommée le Temple-Bar d’Édimbourg, puisque, coupant High-Street à son extrémité, elle séparait Édimbourg proprement dit du faubourg de Canongate, comme Temple-Bar sépare Londres de Westminster. Il était de la dernière importance pour ces hommes en insurrection de s’emparer de cette porte. Un régiment d’infanterie, commandé par le colonel Moyle, était caserné dans ce faubourg, et, en entrant par cette porte, il aurait pu facilement mettre un obstacle insurmontable à l’accomplissement du plan des insurgés. Les chefs de l’émeute marchèrent donc sur-le-champ à Netherbow, et fermèrent cette porte comme les autres en y laissant un détachement proportionné à l’importance de ce poste.
Il s’agissait alors pour ces hardis insurgés de désarmer la garde de la ville et de se procurer en même temps des armes pour eux-mêmes ; car ils n’avaient encore que des bâtons. Le corps-de-garde (guard-house) était un bâtiment long, bas et informe (démoli en 1787), qu’une imagination capricieuse aurait pu comparer à un long limaçon noir rampant au milieu d’High-Street et nuisant au coup d’œil de sa belle esplanade. Cette formidable insurrection était si inattendue, qu’il ne s’y trouva que l’escouade ordinaire de six hommes commandés par un sergent ; il était impossible de supposer qu’une troupe si peu nombreuse pût opposer quelque résistance à une multitude si décidée.
Il y avait en sentinelle un soldat qui (afin qu’il fût dit qu’un soldat de la garde avait fait son devoir dans cette-nuit mémorable) mit son fusil en joue, et cria au plus avancé des mutins de ne pas approcher. La jeune amazone dont Butler avait remarqué l’activité particulière, s’élança sur le factionnaire, le terrassa, et lui arracha son fusil. Un ou deux soldats qui voulaient venir au secours de leur camarade furent de même désarmés, et la populace se mit en possession du corps-de-garde sans coup férir. Il est à remarquer que, quoique ces soldats de la garde de la ville fussent ceux qui avaient tiré sur le peuple le jour de l’exécution de Wilson, aucun d’eux n’éprouva ni mauvais traitement ni insulte. Il semblait que la vengeance des insurgés dédaignât de s’exercer sur tout ce qui n’avait servi que d’instrument à cet acte arbitraire.
Dès qu’ils furent maîtres du corps-de-garde, ils crevèrent tous les tambours qui s’y trouvaient, de peur qu’on ne s’en servît pour donner l’alarme à la garnison du château ; et, pour la même raison, ils firent cesser le bruit du leur, que battait un jeune homme, fils du tambour de Portsburgh, qu’ils avaient emmené de force ; ensuite ils distribuèrent aux plus déterminés d’entre eux les fusils, les cartouches, les baïonnettes, les sabres, les pertuisanes et les haches d’armes, dites haches de Lochaber.
Jusqu’à ce moment, les principaux insurgés avaient gardé le silence sur le but de l’insurrection. Tous le connaissaient, le soupçonnaient au moins, aucun n’en parlait. Mais, dès que toutes ces opérations préliminaires furent terminées, on entendit s’élever un cri épouvantable : – Porteous ! Porteous ! à la Tolbooth ! à la prison !
Ils étaient au moment d’atteindre leur but, cependant ils continuèrent à agir avec la même prudence qu’ils avaient montrée lorsque le succès était plus douteux : un détachement nombreux des insurgés se rangea devant les Luckenboots, et, faisant face à la partie inférieure de la rue, barrait tout accès du côté du levant, tandis que la partie occidentale du défilé formé par les Luckenboots était gardée de la même manière ; par ce moyen la Tolbooth étant complètement entourée de toutes parts, ceux qui devaient enfoncer les portes ne couraient aucun risque d’être interrompus.
Cependant les magistrats avaient pris l’alarme, s’étaient assemblés dans une taverne, et cherchaient les moyens de lever une force suffisante pour réprimer l’insurrection. Les diacres ou présidens des corps des métiers, auxquels on s’adressa, déclarèrent qu’ils ne pouvaient espérer d’être utiles lorsqu’il s’agissait de sauver un homme si odieux. M. Lindsay, membre du parlement pour la ville d’Édimbourg, offrit de se charger de la tâche périlleuse de porter au colonel Moyle, commandant du régiment en quartier à Canongate, un message verbal du lord prévôt, en le requérant de forcer la porte de Netherbow, d’entrer dans la ville, et d’y rétablir le calme. Mais il refusa de se charger d’ordres par écrit, de crainte que la populace furieuse ne lui ôtât la vie si elle venait à les découvrir sur sa personne. Le résultat de cette démarche fut que le colonel, n’ayant pas de réquisition écrite des autorités civiles, et instruit par l’exemple de Porteous du danger que courait devant un jury un chef militaire qui agissait sur sa seule responsabilité, refusa de s’exposer au risque que lui ferait courir le message du prévôt.
On envoya aussi plusieurs messages à l’officier qui commandait dans le château pour le requérir de faire marcher ses troupes, de tirer quelques coups de canon, et même de jeter une ou deux bombes dans la ville pour nettoyer les rues. Mais toutes les avenues qui pouvaient y conduire étaient si bien gardées par les insurgés, que pas un des exprès ne put arriver à sa destination. Ils furent tous arrêtés et relâchés sans avoir reçu aucun mauvais traitement, et sans d’autres menaces que celles qui étaient nécessaires pour les détourner de se charger une seconde fois d’un pareil message.
On prit les mêmes précautions pour empêcher aucune personne des classes supérieures de la société, et qui par là même étaient suspectes à la populace, de paraître dans les rues où elles auraient pu observer les mouvemens des insurgés, et chercher à les reconnaître. Tout homme qu’on apercevait avec un costume d’homme comme il faut était arrêté sur-le-champ ; on le priait et au besoin on l’obligeait de retourner sur ses pas. Plus d’une partie de quadrille fut manquée en cette nuit mémorable, car les chaises à porteur des dames et même de celles du plus haut rang furent interceptées malgré les laquais en livrée dorée et leurs brillans flambeaux. Cela se faisait généralement avec des égards pour les dames et une déférence qu’on ne pouvait guère attendre des éclaireurs d’une populace indisciplinée. Ceux qui arrêtaient une chaise disaient ordinairement pour s’excuser qu’il régnait en ce moment trop de trouble dans les rues pour qu’une dame pût s’y montrer sans danger. Ils offraient même de l’escorter jusqu’à la maison d’où elle sortait, sans doute de crainte que quelques uns des insurgés ne déshonorassent leur plan systématique de vengeance, en se livrant à quelques uns des excès communs en pareils cas.
Des gens qui vivent encore ont entendu des dames raconter qu’elles avaient été ainsi arrêtées et reconduites chez elles par des jeunes gens qui leur offraient même la main quand elles sortaient de leur chaise, avec une politesse qu’on n’aurait pas dû espérer de trouver sous les habits qui les couvraient et qui étaient ceux de simples ouvriers. On eût dit que les conspirateurs, de même que ceux qui avaient assassiné autrefois le cardinal Beatoun, s’imaginaient qu’ils exécutaient un jugement du ciel, auquel on devait procéder avec ordre et solennité, quoiqu’il ne fût pas sanctionné par l’autorité civile.
Tandis que les corps détachés exerçaient ainsi une surveillance active, sans que la crainte ou la curiosité de voir ce qui se passait ailleurs leur fissent rien négliger de ce qui leur était prescrit, une troupe d’élite se présentait à la porte de la prison et y frappait avec violence, en demandant à grands cris qu’on la lui ouvrît sans délai. Personne ne répondit, car le concierge de la première porte avait prudemment pris la fuite avec les clefs dès le commencement de l’émeute, et ne fut trouvé nulle part. Cette porte fut immédiatement attaquée avec des marteaux d’enclume, des barres de fer et des leviers ; mais elle était en chêne doublé, garnie partout de gros et longs clous à tête ronde ; les gonds et les ferrures étaient d’une solidité à toute épreuve, et elle résistait à tous les efforts. Les insurgés ne se rebutaient pourtant pas ; et comme peu de personnes pouvaient travailler en même temps, dès qu’une bande était fatiguée elle était relevée par une autre, mais sans beaucoup avancer.
Butler avait été conduit sur la scène principale de l’action, et si près de la prison, qu’il était assourdi par le choc continuel des marteaux contre les battans ferrés de la porte. Il commençait à espérer que la populace, désespérant d’y réussir, renoncerait à son dessein, ou qu’il arriverait enfin une force suffisante pour la disperser. Il y eut même un instant où cette dernière chance parut probable.
Les magistrats ayant rassemblé les officiers de leur police et un certain nombre de citoyens qui consentirent à risquer leurs jours pour rétablir la tranquillité publique, sortirent de la taverne où ils s’étaient réunis, et se mirent en marche vers la scène du plus grand danger. Ils étaient précédés de leurs officiers civils portant des torches, et d’un héraut qui devait faire lecture de la loi contre les rassemblemens, si cela devenait nécessaire. Ils firent reculer aisément les avant-postes et les sentinelles avancées des insurgés ; mais quand ils approchèrent de cette ligne de défense que la populace, ou pour mieux dire les conspirateurs avaient disposée en travers de la rue vis-à-vis des Luckenbooths, ils furent assaillis d’une grêle de pierres qu’on leur lança du plus loin qu’on les aperçut, et quand ils furent plus près, les piques, les baïonnettes et les haches de Lochaber dont la populace s’était armée furent tournés contre eux. Un officier de police, homme robuste et déterminé, arrêta pourtant un des factieux et se saisit de son mousquet. Mais à l’instant même on tomba sur lui ; on le terrassa et on le désarma à son tour, sans se porter à aucune autre violence contre lui, ce qui offre une nouvelle preuve du système de modération qu’avaient adopté des hommes si opiniâtres dans leur projet exclusif de vengeance contre l’objet de leur ressentiment. Les magistrats, après avoir tenté de vains efforts pour faire entendre leur voix et se faire obéir, n’ayant plus les moyens nécessaires pour faire respecter leur autorité, furent obligés de se retirer promptement, afin d’éviter les pierres qui leur sifflaient aux oreilles, et ils laissèrent la populace maîtresse du champ de bataille.
La résistance passive qu’opposait la prison semblait devoir être plus nuisible aux projets des conjurés que l’intervention active des magistrats. Les pesans marteaux continuaient à battre la porte, et avec un bruit suffisant pour donner l’alarme à la garnison du château. Le bruit se répandit même qu’elle prenait les armes pour descendre dans la ville, et que si l’on ne réussissait à forcer promptement l’entrée de la prison, il faudrait renoncer à tout projet de vengeance ; d’autant plus qu’une bombe ou deux jetées dans la rue étaient un moyen suffisant de répression.
On redoubla donc d’ardeur, mais sans obtenir plus des succès. Enfin une voix s’écria : – Il faut y mettre le feu ! Des acclamations unanimes s’élevèrent ; on se procura quelques vieux tonneaux qui avaient contenu de la poix, on les brisa, on les amoncela contre la porte, on y mit le feu, on l’entretint avec tous les combustibles qu’on put se procurer. Le feu ainsi alimenté vomit bientôt une colonne de flamme ; les reflets éclairaient les figures farouches des factieux et le visage pâle des citoyens inquiets, qui, des fenêtres du voisinage, observaient avec terreur cette scène alarmante. La populace entretint le feu avec tout ce qu’elle put trouver, sous sa main ; les flammes firent entendre leurs craquemens, et une acclamation de joie annonça bientôt que la porte allait être détruite ; alors on laissa le feu mourir de lui-même ; mais avant qu’il fût entièrement éteint, les plus impatiens des conjurés s’élancèrent l’un après l’autre à travers les débris encore enflammés, et pénétrèrent dans la prison. Des nuages d’étincelles voltigèrent dans les airs, éparpillées sous les pieds de ceux qui foulaient les tisons. Butler et tous les autres témoins ne purent plus douter que les insurgens ne se rendissent bientôt maîtres de leur victime, pour en faire tout ce que bon leur semblerait, quoi que ce pût être.