CHAPITRE VII.

« Nous ferons tout le mal que vous ordonnerez,
» Peut-être même encore davantage. »

SHAKSPEARE. Le Marchand de Venise.

Le malheureux qui se trouvait l’objet de cette insurrection populaire avait été, dans la matinée, délivré de la crainte d’un supplice public. Sa joie en fut d’autant plus grande, qu’il avait quelque sujet de craindre que le gouvernement ne voulût pas heurter l’opinion publique en épargnant un homme coupable d’un crime si odieux, et qui avait été condamné à mort d’après le verdict d’un jury. Délivré de cette incertitude, son cœur s’ouvrit à l’espérance, et il crut, selon l’expression de l’Écriture dans une occasion semblable, que sûrement l’amertume de la mort était passée pour lui. Quelques uns de ceux qui s’intéressaient à lui, et qui avaient été témoins de la manière dont le peuple avait appris la nouvelle du sursis, pensaient différemment. Ce silence farouche de la populace leur fit craindre qu’elle ne formât quelque projet secret de vengeance. Ils conseillèrent donc à Porteous de ne pas perdre de temps, et d’adresser aux magistrats une pétition pour demander à être transféré dans le château, où il resterait jusqu’à ce que le gouvernement eût prononcé définitivement sur son sort. Habitué depuis long-temps à mépriser la canaille et à lui imposer, Porteous ne fit que rire de leurs inquiétudes, et ne put s’imaginer que l’on conçût jamais le projet d’enfoncer une prison aussi forte que l’était celle d’Édimbourg. Dédaignant l’avis qui aurait pu le sauver, il passa l’après-midi de ce jour mémorable à se réjouir avec plusieurs amis qui l’avaient visité dans la Tolbooth, et dont quelques uns restèrent à souper avec lui, quoique ce fût contraire au règlement, mais grâce à la complaisance du capitaine de la prison, avec qui Porteous avait des rapports d’intimité.

Ce fut donc au milieu de la joie du festin et d’une confiance peu fondée, que ce malheureux entendit les premières clameurs lointaines de l’attroupement se mêler aux chants joyeux de son intempérance ; soudain le geôlier, tout troublé, vient appeler ses hôtes, leur crie de se retirer au plus tôt, et leur apprend à la hâte qu’une multitude déterminée s’est emparée des portes de la ville et du corps-de-garde. Telle fut pour eux la première explication de ces effrayantes clameurs. Porteous aurait pu encore échapper à la fureur populaire contre laquelle les magistrats ne pouvaient le protéger, s’il eût pensé à se déguiser et à sortir de la prison avec ses amis : il est probable que le geôlier aurait favorisé son évasion, ou ne s’en serait pas aperçu dans ces momens de désordre. Mais ni Porteous ni ses amis n’eurent assez de présence d’esprit pour songer à ce plan de fuite ou pour l’exécuter. Ceux-ci se retirèrent à la hâte d’un lieu où leur propre sûreté semblait compromise, et Porteous, dans une sorte de stupéfaction, attendit dans sa chambre quelle serait l’issue de l’entreprise des révoltés. La cessation du bruit des instrumens avec lesquels ils avaient essayé d’abord d’enfoncer la porte lui rendit un moment l’espérance. Il pensa que la garnison du château ou le régiment du colonel Moyle était entré dans la ville, et avait dissipé le rassemblement. Mais bientôt, de nouveaux cris et la lueur des flammes qui éclairaient ses fenêtres lui apprirent que la populace n’avait pas renoncé à ses projets, mais avait seulement adopté un mode d’exécution plus prompt et plus certain.

Comment fuir ? comment se cacher ? l’un et l’autre paraissait impossible. Le seul moyen qui lui sembla praticable fut de tâcher de monter par la cheminée, dût-il étouffer en essayant d’y passer. Mais à peine était-il parvenu à la hauteur de quelques pieds, qu’il se trouva arrêté par ces barres de fer qu’on y place dans tous les édifices qui servent à renfermer des prisonniers. Elles servirent du moins à le soutenir à l’élévation où il était arrivé, et il les saisit avec l’ardeur d’un homme tenant le dernier fil qui l’attache à l’existence. La clarté répandue dans l’appartement par la lueur des flammes diminua graduellement et finit par s’évanouir. De grands cris se firent entendre dans l’intérieur de la prison. Ceux qui y étaient détenus, et qui voyaient arriver l’instant de leur délivrance, y répondirent par des acclamations de joie, et quelques uns d’entre eux indiquèrent aux chefs des factieux la chambre où devait se trouver la victime qu’ils cherchaient. Porteous entendit les pas de ses bourreaux dans l’escalier : les verrous s’ouvrirent ; la porte, dont ils n’avaient pas la clef, fut bientôt enfoncée, et ils entrèrent en proférant des sermens et des exécrations que nous n’osons rapporter, mais qui prouvaient évidemment les intentions horribles qui les amenaient, s’il avait pu en rester quelque doute.

L’endroit où Porteous s’était caché, faute d’en trouver un meilleur, ne pouvait échapper aux soupçons ; on l’y chercha naturellement, on l’y découvrit et il en fut arraché avec une violence qui faisait croire qu’on voulait le massacrer sur-le-champ. Dix baïonnettes furent dirigées contre lui, mais le jeune homme dont Butler avait remarqué le costume de femme s’interposa d’un ton d’autorité. – Êtes-vous fous ? leur dit-il ; voulez-vous exécuter un acte de justice comme si c’était un crime ou une barbarie ? Le sacrifice doit être offert sur l’autel, ou il perdrait la moitié de son prix. Il faut que cet homme meure comme doit mourir un assassin, sur le gibet. Il faut qu’il périsse dans l’endroit où il a fait périr tant d’innocens.

De grands cris d’approbation partirent de toutes parts. – Au gibet le meurtrier, au gibet ! à la place de Grassmarket ! Et les mêmes acclamations furent répétées au loin.

– Que personne ne le touche ! s’écria le même orateur. Qu’il tâche de faire sa paix avec Dieu, s’il le peut. Nous ne voulons pas tuer son âme avec son corps.

– Quel temps a-t-il donné aux autres pour se préparer à la mort ? il faut le traiter comme il a traité les autres ! s’écria-t-on.

Mais l’opinion du harangueur était plus d’accord avec le caractère de ceux à qui il s’adressait, caractère plus opiniâtre qu’impétueux, et ils avaient résolu de donner une apparence de justice et de modération à un acte de vengeance et de cruauté. Pour un moment ce chef laissa le prisonnier, dont il confia la garde à des hommes dont il était sûr, et après avoir dit que Porteous pouvait remettre à qui bon lui semblerait son argent et ses autres effets. Un prisonnier pour dettes reçut ce dernier dépôt de la main tremblante de la victime, à qui l’on permit même de faire quelques courtes dispositions avant sa mort prochaine. Les criminels et tous ceux qui voulurent déserter la prison se virent alors libres de le faire. Ce n’est pas que leur délivrance fût entrée pour quelque chose dans le projet des factieux, mais les portes se trouvant brisées, elle en était la conséquence nécessaire, et presque tous se hâtèrent d’en profiter. Il ne resta dans la prison qu’un homme d’environ cinquante ans, une fille de dix-huit ans, et deux ou trois prisonniers pour dettes, qui probablement ne voyaient aucun avantage à tenter de s’échapper. Les personnes que nous avons mentionnées restèrent alors dans la salle de la prison que tous les autres détenus avaient quittée. Quelqu’un qui avait été leur compagnon d’infortune, s’adressant à l’homme de cinquante ans, d’un ton de connaissance, l’invitait à s’échapper.

– Eh bien, Ratcliffe, prends donc le large, la route est libre.

– Cela se peut bien, Willie, répondit Ratcliffe avec calme, mais j’ai une idée de quitter le métier, de devenir homme de bien.

– Eh bien, reste, vieux fou ! s’écria l’autre, reste pour te faire pendre comme un vieux diable imbécile ! Et au même instant il descendit l’escalier de la prison.

Pendant ce temps, la personne que nous avons distinguée comme un des plus actifs conspirateurs s’était rendu dans la chambre de la jeune fille. Il n’eut que le temps de lui dire : – Fuyez donc, Effie, fuyez donc ! Elle se retourna vers lui, et le regarda d’un air de crainte, de tendresse et de reproche, mêlé de surprise et de stupeur.

– Fuyez, répéta-t-il, au nom de tout ce qui vous est cher !

Elle jeta les yeux sur lui sans avoir la force de lui répondre.

En ce moment un grand bruit éclata, et l’on entendit appeler Wildfire à plusieurs reprises.

– Je viens, je viens ! répondit celui qui était désigné par ce nom. – Effie, dit-il encore, pour l’amour du ciel, par pitié pour vous, pour moi, fuyez, ou vous êtes perdue ! Et au même instant il se précipita hors de la chambre.

Elle le suivit des yeux un moment, et puis murmura à demi-voix. – Mieux vaut perdre la vie, puisque l’honneur est perdu ! Et elle resta aussi insensible, en apparence, qu’une statue, au milieu du tumulte qui avait lieu autour d’elle.

Ce tumulte passa alors de la prison au dehors. La populace avait déjà fait descendre la victime jusqu’à la porte, et n’attendait plus que son chef pour la conduire au lieu où l’on avait décidé de consommer le sacrifice ; c’était pour cela que les cris impatiens de ses compagnons l’avaient appelé.

Dès qu’il arriva près de Porteous : – Je vous promets cinq cents livres, lui dit celui-ci à voix basse en lui serrant la main, cinq cents livres sterling, si vous me sauvez la vie.

L’autre répondit sur le même ton de voix et en serrant sa main avec une étreinte également convulsive : – Cinq quintaux d’or monnayé ne vous sauveraient pas. – Souvenez-vous de Wilson. – Après cinq minutes de silence, Wildfire ajouta d’un ton plus calme : – Faites votre paix avec Dieu : où est l’ecclésiastique ?

On amena Butler, pâle, tremblant et interdit, qu’on avait retenu près de la porte de la prison, tandis qu’on cherchait Porteous dans l’intérieur. On lui donna ordre de marcher à côté du prisonnier et de le préparer à la mort. Il supplia les factieux de considérer ce qu’ils allaient faire. – Vous n’êtes ni juges ni jurés, leur dit-il ; ni les lois de Dieu, ni celles des hommes, ne vous donnent le droit d’ôter la vie à un de vos semblables, quelque digne qu’il fût de la mort. Un magistrat légal lui-même est coupable de meurtre, s’il exécute un condamné autrement qu’au lieu, au temps et de la manière que prescrit la sentence ; à plus forte raison vous autres qui n’avez d’autre mandat que votre volonté. Au nom de celui qui est tout miséricorde, épargnez cet infortuné, et ne souillez pas vos mains de son sang ; ne commettez pas le crime que vous avez l’intention de punir.

– Abrégez votre sermon ! s’écria un des conjurés, vous n’êtes point ici dans votre chaire.

– Si vous bavardez davantage, lui dit un autre, nous vous pendrons avec lui.

– Paix ! dit Wildfire, paix ! n’insultez pas ce brave homme. Il obéit à sa conscience, et je ne l’en estime que davantage. À présent, monsieur, dit-il à Butler, nous vous avons écouté avec patience, mais il faut que vous compreniez bien que rien ne peut changer notre résolution, et qu’en nous parlant c’est comme si vous parliez aux verrous et aux barres de fer de la Tolbooth. Le sang demande du sang : nous nous sommes promis par le serment le plus solennel que Porteous périrait du supplice qu’il a si bien mérité et auquel il a été justement condamné ; ainsi donc ne nous parlez plus, et préparez-le à la mort aussi bien que le permettent le peu d’instans qu’il lui reste à vivre.

Le malheureux Porteous avait ôté son habit et ses souliers pour monter plus facilement dans la cheminée : quand on l’en avait tiré, on lui avait mis sa robe de chambre et ses pantoufles. Dans cet état, on le fit asseoir sur les mains entrelacées de deux conjurés, de manière à former ce qu’on appelle en Écosse le coussin du roi. Butler fut placé à sa droite, et on lui réitéra l’ordre de s’acquitter de son devoir, le devoir le plus pénible qu’on puisse imposer à un prêtre digne de ce nom, et qui le devenait doublement dans la circonstance particulière où se trouvaient Butler et l’infortuné qu’il était chargé d’exhorter. Porteous fit encore un appel à la pitié de ses bourreaux ; mais, voyant que les prières étaient inutiles, il se résigna à son sort avec la fermeté que lui inspiraient son éducation militaire et son caractère fier et intrépide.

– Êtes-vous préparé pour ce terrible moment ? lui demanda Butler d’une voix presque défaillante. Tournez-vous vers celui près duquel le temps et l’espace ne sont rien ; aux yeux de qui quelques instans de vrai repentir valent la plus longue vie d’un juste.

– Je crois que je sais ce que vous voulez dire, répondit Porteous d’un air sombre. J’ai mené la vie d’un soldat. Si l’on m’assassine, que mes fautes retombent, comme mon sang, sur la tête de mes bourreaux !

– Qui est-ce, s’écria Wildfire, qui était à sa gauche, qui est-ce qui, à cette même place, dit à Wilson, quand il se plaignait que la douleur que lui causaient ses fers l’empêchait de prier, que ses souffrances ne dureraient pas longtemps ?… On pourrait aujourd’hui vous payer de la même monnaie. Si donc vous ne profitez pas des exhortations de ce digne homme, n’en accusez pas ceux qui ont pour vous plus de compassion que vous n’en avez montré pour les autres.

Le cortége se mit alors en marche d’un pas lent et solennel, à la lueur d’un grand nombre de torches et de flambeaux, car les acteurs de cette scène tragique n’affectaient pas de la couvrir des ombres du mystère, et semblaient au contraire vouloir lui donner de la publicité. Les principaux chefs entouraient le prisonnier, dont on pouvait distinguer, à la clarté des torches, les traits pâles et l’air déterminé, car on le portait de manière que sa tête était élevée au-dessus de tous ceux qui se pressaient autour de lui. Ceux des factieux qui étaient armés d’épées, de fusils et de haches d’armes, etc., marchaient sur deux files de chaque côté, comme la garde régulière de la procession. Dans toutes les rues, les fenêtres étaient garnies d’une foule d’habitans dont le sommeil avait été troublé par le tumulte de cette nuit. Presque tous semblaient frappés de surprise et de terreur à la vue de ce spectacle étrange ; quelques uns firent entendre quelques cris d’encouragement, mais pas un n’osait se permettre un mot, un geste d’improbation.

Les conjurés, de leur côté, agissaient toujours avec cet air de confiance et de sécurité qui avait marqué toutes leurs démarches. Une des pantoufles de Porteous s’étant détachée de son pied, on s’arrêta pour la ramasser, on la lui remit, et l’on continua de marcher. Quand ils descendirent la rue de Bow pour se rendre au lieu fatal où ils voulaient compléter leur projet, quelqu’un dit qu’il serait bon de se pourvoir d’une corde. Aussitôt on força la porte de la boutique d’un cordier, on y choisit une corde convenable à l’usage auquel on la destinait, et le lendemain le marchand trouva une guinée sur son comptoir, tant les auteurs de cette entreprise hardie avaient à cœur de prouver qu’ils ne voulaient contrevenir à aucune loi, et que la mort de Porteous était l’unique but du soulèvement.

Conduisant, ou pour mieux dire portant avec eux l’objet sur lequel ils voulaient assouvir leur vengeance, ils arrivèrent enfin sur la place de Grassmarket, lieu ordinaire des exécutions, théâtre du crime de Porteous, et qui devait l’être de son supplice. Plusieurs des conspirateurs, car on peut bien les nommer ainsi, s’occupèrent à lever la pierre qui couvrait le creux dans lequel on assujettissait le fatal gibet chaque fois qu’on devait en faire usage, et d’autres cherchèrent les moyens de construire une espèce de potence temporaire, car l’endroit où était déposée celle qui servait aux exécutions était situé dans un quartier trop éloigné pour qu’on pût songer à aller la chercher sans perdre beaucoup de temps et sans risque. Butler profita de ce délai pour tâcher de détourner de nouveau le peuple de ses projets sanguinaires.

– Pour l’amour du ciel ! s’écria-t-il, souvenez-vous que c’est l’image de votre Créateur que vous voulez détruire dans la personne de cet infortuné ! Misérable comme il est, quelque coupable qu’il puisse être, il a sa part des promesses de l’Écriture, et vous ne pouvez le mettre à mort dans son impénitence, sans effacer son nom du Livre de Vie. Ne détruisez pas son âme avec son corps, donnez-lui le temps de se préparer.

– Quel temps a-t-il donné, s’écria une voix farouche, à ceux qu’il a assassinés dans ce même lieu ? Les lois divines et humaines commandent sa mort.

– Mais, mes chers amis, reprit Butler oubliant généreusement les risques qu’il courait lui-même, – mes chers amis, qui vous a établis ses juges ?

– Nous ne sommes pas ses juges, répondit la même voix. Ses juges légitimes l’ont déjà condamné. Nous sommes ceux que le ciel et notre juste colère ont suscités pour mettre à exécution un jugement légal contre un meurtrier qu’un gouvernement corrompu aurait voulu protéger.

– Je ne le suis point ! s’écria le malheureux Porteous : l’acte que vous me reprochez a eu lieu pour ma propre défense, tandis que j’étais attaqué en exerçant légalement mes fonctions.

– Qu’il périsse ! s’écria-t-on de toutes parts, qu’il périsse !… À quoi bon perdre son temps pour faire un gibet !… Cette poutre de teinturier suffira pour l’homicide.

Le malheureux fut livré à son sort avec une précipitation sans remords ; Butler s’en trouvant séparé, par les flots de la presse, évita l’horrible spectacle de ses derniers momens. N’étant plus surveillé par ceux qui le retenaient prisonnier, il se mit à fuir du lieu fatal sans trop s’inquiéter dans quelle direction. Une bruyante acclamation proclama le plaisir avec lequel les instigateurs de ce supplice en saluaient la consommation. Ce fut alors que Butler, à l’entrée de la rue appelée Cowgate, se détourna avec terreur, et, à la lueur rouge et sombre des torches, il distingua une figure qui s’agitait suspendue au-dessus des têtes de la multitude ; cette vue était de nature à redoubler son horreur et à hâter sa fuite. La rue dans laquelle il courait aboutit à l’une des portes de la cité du côté du couchant. Butler ne s’arrêta qu’à cette porte, mais il la trouva fermée ; il attendit en se promenant près d’une heure en long et en large, dans un trouble inexprimable. Enfin il prit le parti d’appeler les gardiens épouvantés. Ceux-ci furent alors libres de reprendre tranquillement leurs fonctions. Butler leur demanda d’ouvrir ; ils hésitaient, Butler leur dit son nom et son état.

– C’est un prédicateur, dit l’un, je l’ai entendu prêcher dans le trou de Haddo.

– Il a été cette nuit d’un fameux sermon ! dit l’autre ; mais moins on parle, moins on risque.

Lui ouvrant alors le guichet, ils lui permirent de passer.

Butler alla porter son horreur hors des murs d’Édimbourg. Son premier dessein était de se rendre chez lui directement ; mais d’autres craintes et d’autres inquiétudes relatives à ce qu’il avait appris ce jour-là chez mistress Saddletree le déterminèrent à attendre le retour du jour dans le voisinage de la ville. Il eut soin de se tenir un peu à l’écart, et vit passer non loin de lui divers groupes qui marchaient à grands pas, en paraissant causer avec chaleur, mais à voix basse ; circonstances qui, jointes à l’heure qu’ils choisissaient pour voyager, lui firent penser qu’ils avaient pris une part active à l’acte sanguinaire qui venait d’avoir lieu.

Il est certain que la dispersion totale et soudaine des factieux, quand ils eurent assouvi leur soif de vengeance, fut un des traits les plus remarquables de cette singulière insurrection. En général, quelque soit le motif d’un soulèvement du peuple, il en résulte toujours divers désordres qui ne faisaient point d’abord partie des projets des séditieux, mais auxquels le cours des évènemens les entraîne. Il n’en fut pas de même à cette occasion. La vengeance que ces hommes avaient exercée semblait les avoir complètement rassasiés. Dès qu’ils furent assurés que leur victime avait perdu la vie, ils se séparèrent, et abandonnèrent même les armes dont ils ne s’étaient emparés que pour parvenir à l’exécution de leur projet. À la pointe du jour, il ne restait dans la ville d’autres traces du mouvement populaire qui avait eu lieu pendant la nuit que le corps du malheureux Porteous, encore suspendu à la poutre qui avait servi de gibet, et les armes qui avaient été prises dans le corps-de-garde de la ville, dispersées çà et là dans les rues.

Les magistrats reprirent leur autorité, non sans reconnaître en tremblant qu’elle tenait à un fil bien léger. Les premières marques qu’ils donnèrent du retour de leur énergie fut de faire entrer des troupes dans Édimbourg, et de commencer une enquête sévère sur les évènemens qui avaient eu lieu pendant la nuit. Mais ils avaient été conduits avec tant de secret, et d’après un plan si bien calculé, qu’on ne put obtenir que bien peu de renseignemens sur les auteurs de ce complot audacieux. Un exprès fut dépêché à Londres pour en porter la nouvelle, qui excita la surprise et l’indignation du conseil de régence et surtout de la reine Caroline ; elle regarda le succès de cette conspiration extraordinaire comme une insulte faite à son autorité. Pendant quelque temps il ne fut question que de projets de vengeance, non seulement contre ceux qui avaient joué un rôle dans cette tragédie, dès qu’on les aurait découverts, mais contre les magistrats qui ne l’avaient pas empêchée, et contre la ville où elle avait eu lieu. La tradition rapporte encore une réponse hardie que fit en cette occasion, à la reine, le célèbre John, duc d’Argyle. Elle lui disait que, plutôt que de souffrir qu’un tel outrage restât impuni, elle irait faire la chasse aux Écossais comme à des bêtes farouches. – En ce cas, madame, répondit ce fier seigneur avec un salut profond, il faut que je prenne congé de Votre Majesté pour aller préparer mes chiens.

Le sens que couvraient ces mots était assez clair, et comme toute la noblesse écossaise était animée du même esprit national, on crut devoir adopter des mesures moins violentes ; nous aurons peut-être occasion d’en parler par la suite.

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