« Du roi David entonnez les cantiques,
» Et commencez votre sabbat mystique ;
» Chantez-nous donc les versets, les répons,
» Et de Bangor les pieuses chansons, »
BURNS.
Nous voici arrivés au jour important où, suivant les formes et le rituel de l’église écossaise, Butler devait être ordonné ministre de Knocktarlity, par le presbytère de… L’attente de cet événement intéressant éveilla chacun de très grand matin, excepté pourtant la souveraine de basse-cour, mistress Dutton, qui ne devait partir pour Inverrary que dans quelques jours.
Le capitaine, dont l’appétit était aussi aiguisé que son caractère était absolu, ne manqua pas d’avertir de bonne heure toute la compagnie de venir partager un déjeuner substantiel, composé de laitage préparé d’une douzaine de manières différentes, de viandes froides, d’œufs frais et d’œufs durs, de beurre, de fromage, d’un demi-baril de harengs bouillis et grillés, – enfin, de thé et de café pour ceux qui en voudraient, dit Duncan en ajoutant que ces deux denrées ne lui coûtaient presque que la peine de les envoyer prendre sur le bord de la mer, en montrant en même temps avec un signe expressif un petit lougre qu’on voyait à l’ancre près du rivage.
– Est-ce que la contrebande se fait ici d’une manière si publique ? demanda Butler. Cela ne me donnerait pas bonne opinion de la morale des habitans.
– Le duc, M. Butler, ne m’a pas donné ordre de l’empêcher, – répliqua le capitaine, convaincu que cette réponse ne pouvait rien laisser à désirer.
Butler était prudent. Il savait que les remontrances ne sont utiles que lorsqu’elles sont faites en temps convenable, et il crut ne devoir rien dire en ce moment sur ce sujet.
Le déjeuner était à moitié fini quand mistress Dutton arriva, aussi belle qu’une robe bleue et des rubans roses pouvaient la rendre.
– Bonjour, madame, dit le maître des cérémonies ; j’espère que vous ne serez pas malade pour vous être levée trop tôt.
La dame fit ses excuses au capitaine : – Mais en vérité, ajouta-t-elle, j’étais comme le maire d’Altringham, qui reste couché pendant qu’on raccommode ses culottes : la fille avait oublié de monter ma malle dans ma chambre. Eh bien ! je suppose que nous allons tous à l’église aujourd’hui ? Capitaine, oserais-je vous demander si vous comptez y aller en jupon ? Est-ce la mode dans ce pays du nord ?
– Oui, madame, j’irai à l’église comme vous me voyez, et fort à votre service ; car si je devais rester au lit, comme votre maire je ne sais qui, jusqu’à ce que mes culottes fussent raccommodées, je pourrais bien y rester toute ma vie : je n’en ai jamais mis que deux fois, quand Sa Grâce amena ici la duchesse ; encore j’empruntai du ministre une paire de culottes pour les deux jours qu’elle passa ici. Mais de par tous les diables, ni pour homme ni pour femme au monde, je ne me remettrai dans une pareille prison, sauf les cas, bien entendu, où Sa Grâce la duchesse reviendrait ici.
La princesse de la laiterie écouta cette déclaration formelle d’un air très étonné, mais n’y répondit rien, et se mit à prouver autrement que par des paroles que les terreurs qu’elle avait éprouvées la veille n’avaient fait aucun tort à son appétit.
Après le déjeuner, le capitaine proposa à la compagnie de monter dans sa chaloupe, pour faire voir à mistress Jeanie sa future résidence, car la paroisse de Knocktarlity ne se bornait pas à l’île de Roseneath ; une partie de son territoire était dans le comté de Dumbarton, et c’était là qu’était situé le presbytère. Il voulait aussi, ajouta-t-il, s’assurer par lui-même si l’on y avait fait tous les préparatifs nécessaires pour recevoir ceux qui devaient y habiter.
La matinée était délicieuse ; l’ombre immense des montagnes dormait immobile sur le miroir des vagues transparentes du Frith, aussi paisibles que celles d’un lac de l’intérieur des terres. Mistress Dutton elle-même ne concevait plus aucune crainte. D’ailleurs Archibald l’avait prévenue qu’il y aurait après le sermon une espèce de banquet ; et cette annonce l’avait mise de belle humeur. – Quant à l’eau, dit-elle, elle était si calme, qu’on croyait faire une partie sur la Tamise.
Toute la société s’embarqua donc dans une grande chaloupe que le capitaine appelait son équipage à six chevaux, et suivie d’une plus petite, qu’il nommait son gig . Duncan fit gouverner vers la petite tour de l’ancienne église de Knocktarlity, et les efforts de six rameurs vigoureux leur firent faire cette traversée rapidement. À mesure qu’ils s’approchaient du rivage, les hauteurs leur semblaient s’éloigner, et une petite vallée, formée par le cours d’une rivière descendue des montagnes, se développa tout-à-coup à leurs yeux. L’aspect de la contrée était pastoral, et ressemblait, par la simplicité de ses sites, à la description d’un auteur écossais oublié aujourd’hui :
« L’onde coulait doucement, avec un léger murmure, sur un terrain aplani ; de chaque côté les arbres étendaient leurs vastes rameaux devenus harmonieux par les chants des oiseaux qu’ils recelaient dans leur feuillage ; un épais gazon formait à leurs pieds un tapis des plus frais ; de vertes fougères décoraient la base des monts, où la chèvre et l’agneau bondissans semblaient suspendus, et broutaient les jeunes arbrisseaux. »
Ils abordèrent dans cette Arcadie écossaise, à l’embouchure de la petite rivière qui arrosait le charmant et paisible vallon. Les habitans de toutes les classes accoururent en foule, autant pour voir les nouveaux arrivés, que pour témoigner leur respect au capitaine, qui ne leur aurait pas facilement pardonné de manquer à ce devoir. Quelques uns d’entre eux étaient des hommes selon le cœur de David Deans, de rigides presbytériens émigrés des comtés de Lennox, d’Ayr et de Lanarck, parce qu’ils étaient persécutés pour avoir pris parti pour le duc d’Argyle, aïeul du duc actuel, dans la rébellion de 1686, et à qui le père de celui-ci avait accordé un asile sur ses terres. C’étaient pour Deans des pains pétris avec le bon levain, et sans cette circonstance, dit-il à ses amis intimes, le capitaine l’aurait fait fuir du pays en vingt-quatre heures, tant il était horrible de l’entendre jurer à la moindre occasion qui venait le tenter.
Il se trouvait aussi des paroissiens plus sauvages, descendus des lieux plus élevés, qui parlaient le gaëlique, marchaient en armes, et portaient le costume des Highlands. Mais les ordres et les précautions du duc avaient établi un si bon ordre dans ses domaines, qu’ils vivaient dans la meilleure intelligence avec leurs voisins, habitans des basses terres.
Ils visitèrent d’abord la Manse, nom qu’on donne en Écosse aux presbytères. C’était un ancien bâtiment, mais en bon état. Il était entouré d’un petit bois de sycomores, et avait un jardin fort bien planté, borné par un ruisseau qu’on apercevait en partie des fenêtres de la maison ; le reste de son cours était caché par de jolis bosquets. L’intérieur de l’habitation était moins agréable qu’il aurait pu l’être, parce que le dernier titulaire l’avait considérablement négligé ; mais des ouvriers travaillaient en ce moment à l’embellir par ordre et aux frais du duc d’Argyle, sous l’inspection du capitaine Duncan. Sa Grâce y avait même envoyé de nouveaux meubles par un brick qui lui appartenait, et qu’il avait nommé la Caroline, d’après le nom de sa fille aînée. Il s’en fallait de peu que la maison ne fût prête à recevoir ses nouveaux maîtres.
Duncan prétendit pourtant que les ouvriers n’avaient pas fait tout ce qu’ils auraient dû faire, et ayant appelé devant lui les délinquans, il leur annonça d’un air d’autorité qui n’admettait pas de réplique, le châtiment que méritait leur négligence : c’était tout au moins une amende de la moitié de leur journée ; encore voulait-il être damné s’il leur payait l’autre moitié, et ils iraient chercher justice où ils voudraient. Les pauvres gens implorèrent humblement l’indulgence du capitaine. Enfin Butler lui fit observer que c’était presque un jour de fête, et que les ouvriers comptaient sans doute aller à l’église pour assister à l’ordination. – Duncan consentit à leur pardonner pour cette fois, par égard pour le nouveau ministre.
– Mais si jamais je les prends à négliger leurs devoirs, s’écria-t-il, je veux que le diable m’emporte si je leur fais grâce, et il n’y aura pas d’église qui tienne. Qu’est-ce que ces gens-là ont à faire à l’église ? Le dimanche, à la bonne heure, encore pourvu que ni le duc ni moi n’ayons pas besoin d’eux ailleurs.
Il n’est pas nécessaire de dire avec quel sentiment de douce satisfaction Butler jouit de la perspective de passer ses jours dans cette vallée tranquille, chéri et honoré de ses paroissiens comme il espérait l’être, et combien de regards d’intelligence furent échangés entre lui et Jeanie, dont les traits, animés par le plaisir secret qu’elle trouvait à examiner les appartemens où elle devait bientôt être la maîtresse, auraient pu en ce moment paraître doués de beauté. Elle fut plus libre de se livrer au sentiment secret de son cœur quand la compagnie, ayant quitté la manse, se fut rendue à l’habitation destinée à David Deans.
Jeanie vit avec plaisir qu’elle n’était située qu’à une portée de fusil de la manse, car elle se serait trouvée bien moins heureuse, si elle avait été obligée de demeurer loin de son père, et elle savait qu’il y avait de grands inconvéniens à ce que Butler et lui habitassent la même maison. En un mot, la distance qui les séparait était précisément tout ce qu’elle aurait pu souhaiter.
Rien ne manquait à cette ferme de tout ce qui pouvait être commode et agréable, tant pour le logement du fermier que pour l’exploitation des terres. C’était bien autre chose que tout ce qu’elle avait vu à Woodend et à Saint-Léonard : un joli jardin, un grand verger, la basse-cour la plus complète ; tout lui plaisait dans cette habitation. Elle était située à mi-côte, et dominait sur la vallée où était la manse, qu’on apercevait de la ferme, ainsi que le petit ruisseau qui circulait dans les environs. En face on voyait l’île de Roseneath, qui n’était séparée de l’Écosse de ce côté que par un bras de mer fort étroit ; la vue était bornée à gauche par les montagnes de Dumbarton, habitées autrefois par le clan belliqueux des Mac-Farlane, à droite par les monts sourcilleux du comté d’Argyle, et plus loin par les pics foudroyés de l’île d’Arran.
Toutes ces beautés pittoresques ne firent pourtant pas autant de plaisir à Jeanie que la vue de la vieille May Hettly, qui vint la recevoir à la porte, revêtue de sa robe brune des dimanches, et de son tablier bleu proprement arrangé par-devant pour la ménager. La bonne vieille ne montra pas moins de joie en revoyant sa jeune maîtresse, et elle se hâta de l’assurer que pendant son absence elle avait pris tout le soin possible de son père et des bêtes. Elle ne manqua pas de la tirer à l’écart, et la conduisit sur-le-champ dans la basse-cour, afin de recevoir d’elle les complimens qu’elle se flattait de mériter sur le bon ordre qui régnait. Elle ne fut pas trompée dans son attente ; Jeanie la félicita, et se réjouit dans la simplicité de son cœur de retrouver Gowan et ses autres favorites, qui semblaient la reconnaître et recevoir avec plaisir ses caresses.
– Ces pauvres bêtes sont bien aises de vous revoir, dit la vieille May, et cela n’est pas surprenant, Jeanie, car vous avez toujours été bonne pour les bêtes et pour les gens. Mais il faut que je m’habitue à vous appeler mistress, ajouta-t-elle d’un air malin, et je ne crois pas que ce soit le nom de Deans qu’il faudra ajouter à celui de Jeanie.
– Appelez-moi toujours Jeanie, votre Jeanie, ma bonne May, et vous ne risquerez pas de vous tromper, répondit-elle.
Dans un coin de l’étable était une génisse blanche que Jeanie regardait les larmes aux yeux. – Pour celle-là, dit May, c’est toujours votre père qui en prend soin lui-même, et vous vous doutez bien pourquoi. Que le cœur d’un père est une singulière chose ! Je suis sûr qu’il fait plus de prières pour la pauvre fille que pour vous-même. Et au vrai qu’avez-vous besoin de prières ? Ah ! si la pauvre enfant prodigue revenait au bercail, comme il tuerait volontiers le veau gras ! Et cependant le veau de la brune ne sera bon à tuer que dans trois semaines.
Après avoir examiné toute la basse-cour, Jeanie alla retrouver le reste de la compagnie, qui examinait l’intérieur de la maison. Il n’y manquait que Deans et Butler, qui étaient allés à l’église rejoindre les ministres et les anciens déjà rassemblés.
Cette habitation avait été construite et meublée tout récemment, par ordre du duc, pour un vieux serviteur favori à qui la mort n’avait permis d’en jouir que quelques mois, et il y avait fait ajouter alors tous les bâtimens nécessaires pour en faire une ferme.
Dans la chambre à coucher de Jeanie se trouvait une caisse qui avait excité toute la curiosité de mistress Dutton, car elle était bien sûre que l’adresse, à miss Jeanie Deans, à Auchingower, paroisse de Knocktarlity, était de l’écriture de mistress Semple, femme de chambre de la duchesse. May remit alors à Jeanie un paquet cacheté qui était aussi à son adresse, et dans lequel se trouvait la clef de la caisse avec un billet portant que ce qui y était contenu était une marque de souvenir pour Jeanie Deans de la part de ses amies la duchesse d’Argyle et ses demoiselles.
Le lecteur ne peut douter que la caisse ne fut bientôt ouverte. Elle était remplie de linge et de vêtemens de la meilleure qualité, et néanmoins convenables à la condition de Jeanie dans le monde ; chaque article portait le nom de la personne qui en faisait présent, comme pour faire sentir à celle à qui on l’offrait qu’elle avait inspiré un intérêt particulier à chacun des membres de cette digne famille. Je n’essaierai pas de donner le nom de tous les objets qui s’y trouvaient, parce que la plupart ne seraient pas reconnus aujourd’hui dans le vocabulaire des marchandes de modes ; mais si quelques uns de mes lecteurs désirent plus de renseignemens à ce sujet, je les préviens que j’ai déposé un inventaire complet de tout le contenu de la caisse entre les mains de ma digne amie miss Marthe Buskbody, qui se fera un plaisir de le leur communiquer, en y ajoutant ses commentaires. Je me contenterai de dire ici que le présent était digne de celles qui l’offraient, et qu’on n’y avait rien oublié de ce qui pouvait être utile à la garde-robe d’une jeune villageoise qui allait devenir l’épouse d’un ministre respectable.
Tout fut déployé, examiné, admiré. La bonne May ne pouvait revenir de son étonnement, et demandait si la reine avait de plus beaux habits et en plus grand nombre. La laitière anglaise ne put voir toutes ces belles choses sans un peu d’envie, et ce sentiment peu aimable, mais assez commun, se manifesta par la critique qu’elle fit, sans goût comme sans fondement, de divers articles, à mesure qu’on les lui montrait. Mais ce fut bien une autre chose quand, au fond de la caisse, on trouva une robe de soie blanche, fort simple, mais de soie, et de soie française, sur laquelle un petit billet était attaché avec une épingle portant que c’était un présent du duc d’Argyle à sa compagne de voyage, pour être porté le jour où elle changerait de nom.
Mistress Dutton ne put résister à un tel coup, et se penchant à l’oreille de M. Archibald : – C’est une bonne chose que d’être Écossaise, lui dit-elle tout bas : on pendrait bien toutes mes sœurs, et j’en ai une demi-douzaine, avant que personne s’avisât de m’envoyer seulement un mouchoir de poche.
– Ou sans que vous fissiez rien pour les sauver, lui répondit-il sèchement. Mais je suis surpris, dit-il en regardant à sa montre, de ne pas encore entendre la cloche de l’église.
– Diable ! M. Archibald, s’écria le capitaine de Knockdunder, voudriez-vous qu’on sonnât la cloche sans être sûr que je sois prêt ? j’en ferais manger la corde au bedeau, s’il prenait une telle liberté. Mais si vous voulez qu’on la sonne, mettons-nous en chemin, et dès qu’on me verra sur cette hauteur là-bas, je vous réponds que vous l’entendrez.
On partit sur-le-champ, et effectivement, dès que le galon d’or du chapeau du capitaine parut comme l’étoile du soir sur la montagne, la cloche s’ébranla dans la vieille tour, et le marteau continua à en battre les parois fêlées jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés à l’église, Duncan ne cessant de répéter à ses compagnons : – Ne vous pressez pas ! ne vous pressez pas ! du diable s’ils commencent avant que j’y sois.
En conséquence, la cloche ne cessa de faire entendre ses sons discordans que lorsque toute la compagnie entra et se plaça au banc du duc dans l’église, précédée de Duncan ; mais David Deans n’était pas avec les autres, ayant déjà pris sa place parmi les Anciens.
Nous ne fatiguerons pas nos lecteurs des détails du cérémonial de l’ordination de Butler. Toutes les formes d’usage furent observées, et le sermon qui fut prononcé eut le bonheur de plaire à Deans, quoiqu’il n’eût duré que cinq quarts d’heure, ce qu’il appelait une assez maigre provision spirituelle.
Le prédicateur qui l’avait prononcé partageait en grande partie les opinions du père Deans, et il s’excusa tout bas auprès de lui de sa brièveté, en lui disant qu’il avait remarqué que le capitaine bâillait d’une manière effrayante, et que, s’il l’avait retenu plus long-temps, il ne savait pas combien il aurait pu lui faire attendre le paiement du terme suivant de ses émolumens.
Deans soupira en voyant que des motifs si humains pouvaient avoir une telle influence sur l’esprit d’un prédicateur de l’Évangile. Mais un autre incident l’avait scandalisé encore bien davantage pendant le service divin.
Lorsque les prières furent finies, et que le sermon allait commencer, Duncan fouilla dans sa poche de cuir, suspendue sur le devant de son jupon, en tira sa pipe, et dit presque à voix haute : – J’ai oublié ma poche à tabac ! Lachlan, cours au clachan , et rapporte-m’en pour un sou. – Cinq ou six bras furent à l’instant étendus vers lui, chacun lui présentant une poche à tabac. Il en prit une en faisant un léger mouvement de tête en signe de remerciement, remplit sa pipe, battit le briquet, alluma son tabac, et fuma du plus grand sang-froid pendant tout le temps du sermon. Quand il fut fini, il secoua les cendres de sa pipe, la remit dans sa poche, rendit la poche à celui à qui elle appartenait, et assista au reste de l’office avec décence et attention.
Lorsque toutes les cérémonies furent terminées, et que Butler eut été installé, reconnu comme ministre de l’église de Knocktarlity, et investi de toutes les immunités et priviléges spirituels de cette place, Deans, qui avait gémi et murmuré de la conduite irrévérencieuse du capitaine de Knockdunder, fit part de ses pensées à Isaac Meiklehose, dont l’air grave et sérieux et les cheveux gris l’avaient disposé en sa faveur. – Un sauvage indien, lui dit-il, ne se permettrait pas d’être assis dans une église, lâchant des bouffées de fumée de tabac comme s’il était au cabaret. Comment est-il possible qu’un chrétien, qu’un homme comme il faut, se le permette ?
– Cela n’est pas bien, répondit Meiklehose en branlant la tête, cela n’est pas bien ; mais qu’y faire ? Le capitaine a ses manières, et lui faire des représentations sur quelque chose, ce serait vouloir mettre le feu à la maison. Il tient la haute main sur tout le pays, et sans sa protection nous ne pourrions rien faire avec les montagnards. Au fond, il n’est pas méchant, et vous savez que les montagnes dominent sur les vallons.
– Cela peut être, voisin, mais Reuben Butler n’est pas ce que je le crois, s’il n’apprend pas au capitaine à fumer sa pipe ailleurs que dans la maison de Dieu, avant la fin du quartier qui court.
– Qu’il y prenne garde ; et, si un fou peut donner un avis à un sage, je lui conseille d’y songer à deux fois avant de se brouiller avec Knockdunder. Il a de longs bras en état de tirer le diable par les cornes. Mais tout le monde est allé dîner, et si nous ne marchons pas plus vite nous arriverons trop tard.
Deans suivit son nouvel ami sans lui répondre, et commença à reconnaître par expérience que la vallée de Knocktarlity, comme tout le reste du monde, offrait des sujets de regret et de mécontentement. Son esprit fut tellement occupé à réfléchir sur les moyens de faire sentir à Duncan la nécessité de se conduire avec plus de décence pendant le service divin, qu’il oublia de s’informer si le serment avait été exigé de Butler, et en quels termes il l’avait prêté.
Quelques personnes ont insinué que cet oubli fut à peu près volontaire ; mais je crois que cette explication de son silence ne s’accorde point avec la franchise de mon ami David. Les recherches les plus exactes que j’ai faites ne m’ont d’ailleurs rien appris sur cet objet important, les registres qui auraient pu nous éclairer ayant été détruits en 1716 par un certain Donacha-Dhuna Dunaigh, à l’instigation ou du moins avec la connivence du généreux Duncan de Knockdunder, qui voulait qu’il n’existât aucune trace de la faiblesse d’une jeune fille de la paroisse, nommée Kate Finlayson.