CHAPITRE V.

« Le vent venait du nord, et la bise était forte.

« Le bonhomme à sa femme, en soufflant dans ses doigts,

« Dit : – Lève-toi, ma chère, et va fermer la porte :

« – J’ai maintenant, dit-elle, à lier d’autres pois ;

« Si tu veux la fermer, vas-y toi-même, alerte,

« Ou bien elle pourra cent ans rester ouverte. »

Ancienne chanson.

Nous espérons que le lecteur indulgent n’aura pas trouvé trop ennuyeuse la dernière partie du chapitre précédent ; à tout évènement, son impatience n’aura pas égalé celle du jeune Mordaunt Mertoun. Qu’on se le représente impatient d’entrer dans la vieille maison d’Harfra, frappant à coups redoublés à la porte, appelant à grands cris, tandis que les éclairs et les éclats du tonnerre se succédaient avec une rapidité effroyable que les vents se déchaînaient avec fureur dans des directions opposées, et que, pour mettre le comble à cet épouvantable ouragan, des torrens de pluie venaient inonder l’infortuné voyageur. Il lui semblait difficile d’imaginer aucune circonstance qui pût faire excuser le refus d’un asile à un étranger, par un temps si affreux. À la fin, voyant que ses cris et le vacarme qu’il avait fait au dehors ne produisaient aucun effet, il s’imagina de reculer à une distance d’où il lui fût possible de reconnaître les cheminées ; et quel fut son découragement quand, à travers la sombre obscurité d’un ciel orageux, il découvrit que, quoiqu’il fût près de midi, heure ordinaire du dîner dans le pays, il n’en sortait point de fumée ; ce qui aurait au moins indiqué qu’on préparait le repas dans l’intérieur.

Cette observation changea aussitôt son impatience en alarme et en compassion pour les habitans de la maison ; car, accoutumé depuis si long-temps à la généreuse hospitalité des habitans des îles Shetland, il lui vint subitement à la pensée qu’il était arrivé à cette famille quelque étrange calamité ; il se mit donc l’esprit à la torture pour découvrir quelque endroit par où il pourrait pénétrer dans la maison, afin de s’assurer de la situation de ceux qui l’habitaient, plus encore que pour y chercher un asile toujours plus nécessaire contre l’orage : cependant ses inquiétudes à cet égard étaient aussi inutiles que l’avaient été ses premières tentatives. Triptolème et sa sœur, qui avaient entendu le bruit, s’étaient déjà querellés pour savoir s’il convenait ou non d’ouvrir la porte.

Mistress Baby, telle que nous l’avons déjà peinte, n’avait pas des dispositions très prononcées pour la pratique de l’hospitalité. Elle avait été, dans la ferme des Cauldshouthers, dans les Mearns, l’effroi de ces hardis mendians qui courent de porte en porte, des colporteurs, des Égyptiens et des parasites de toute espèce ; et parmi tous ces rôdeurs, pas un seul, comme elle s’en vantait, n’avait été assez adroit pour avoir jamais entendu le son du loquet de sa porte. Ignorant complètement l’honnête simplicité de toutes les classes des habitans des îles Shetland, où elle et son frère venaient de fixer leur domicile, Baby, par crainte, méfiance et parcimonie, avait adopté le parti de tenir la porte fermée à tout venant qui ne lui serait pas parfaitement connu. Pour Triptolème, c’était plutôt par peur que par tout autre motif, car il n’était ni méfiant, ni avare ; il savait bien que les honnêtes gens étaient rares, et surtout les honnêtes fermiers, mais il avait une bonne dose de cette sagesse qui fait envisager comme la première loi de la nature le sentiment de sa propre conservation. Ces explications étaient nécessaires pour donner la clef du dialogue qui avait eu lieu entre le frère et la sœur.

– À présent tout va à souhait, dit Triptolème tout en feuilletant le vieux Virgile qu’il avait rapporté du collége de Saint-André. Voilà un beau jour pour l’orge :

Ventis surgentibus

disait fort bien le poète de Mantoue ; – et puis les vents des montagnes, – leurs mugissemens, et le fracas des vagues venant expirer sur le rivage. – Mais où sont les bois ? Baby, dites-moi donc où sont les bois ; où trouverons-nous dans ce nouvel établissement le nemorum murmur ?

– Êtes-vous fou, mon frère ? lui répondit Baby tournant tout-à-coup sa tête d’un recoin noir de la cuisine où elle était occupée de ces travaux de ménage qui n’ont pas de nom.

Son Frère, qui s’était adressé à elle plutôt par habitude que par intention, n’eut pas plus tôt vu son nez rouge et effilé, ses yeux gris et perçans, et les traits analogues de son visage ombragés par les mèches pendantes de sa bizarre et antique coiffure, qu’il s’aperçut que sa question ne lui avait pas été agréable ; et il eut une autre bordée avant de pouvoir remettre le même sujet sur le tapis.

La sœur Baby s’avançant alors au milieu de sa cuisine : – Pourquoi donc, M. Yellowley, lui dit-elle, m’interrompez-vous de la sorte, quand vous me voyez occupée des soins de votre ménage ?

– Ma foi, pour rien du tout, Baby, lui répliqua Triptolème ; je me parlais à moi-même ; je disais que nous ne manquions ici ni de mers, ni de vents, ni de pluies ; mais où est donc le bois, Baby ? répondez à cela.

– Le bois ! dit Baby ; si je n’en étais pas plus soigneuse, mon frère, il n’y en aurait pas plus à la maison qu’il ne s’en trouve sur la tête à perruque que vous portez sur vos épaules. Si vous voulez parler des débris de bois de naufrage que les garçons de ferme ont rapportés hier, j’en ai employé ce matin six onces pour faire bouillir votre parritch  ; quoiqu’un homme d’ordre, qui aurait voulu absolument déjeuner, aurait mieux fait de prendre un peu de drammock, que de gaspiller du bois et de la viande dans la même matinée.

– C’est-à-dire, répliqua Triptolème qui était quelquefois un peu goguenard, c’est-à-dire que, quand nous avons du feu, il faut se passer de manger, et que quand nous avons à manger, il faut se passer de feu, ces denrées étant d’un trop haut prix pour en jouir le même jour ? C’est vraiment fort heureux que vous n’alliez pas jusqu’à proposer de nous faire crever de faim et de froid tout à la fois, et, comme disent les auteurs latins, unico contextu. Mais pour parler franc, ma sœur, vous ne parviendrez jamais à me faire manger du gruau cru détrempé dans de l’eau. Appelez-le drammock ou crowdie , mes alimens doivent passer par les épreuves de l’eau et du feu.

– Vous n’en êtes que plus sot, dit Baby ; ne pourriez-vous pas, puisque vous êtes si délicat, manger votre gruau chaud le dimanche, et froid le lundi à votre souper ? Il y a tant de gens qui vous valent bien qui se lèchent les lèvres après un tel régal !

– Grand merci, ma sœur, répondit Triptolème ; à ce prix-là, adieu les champs ; plus de charrue, plus de travail ; il ne me reste qu’à attendre dans mon lit le coup de la mort. Il y a dans la maison plus de provisions qu’il ne s’en mange dans ces îles pendant toute une année, et vous me reprochez un malheureux plat de parritch chaud, à moi qui ai tant de besogne !

– Chut ! chut ! peste du babil ! taisez-vous, s’écria Baby en regardant autour d’elle d’un air effaré ; il est bien prudent de parler de ce qu’il y a dans la maison, et vous êtes bien l’homme qu’il faut pour en avoir soin. Écoutez : j’entends frapper à la porte ; oui, l’on frappe, aussi vrai que je vis de pain.

– Eh bien ! allez ouvrir la porte, Baby, lui dit son frère qui n’était pas fâché que quelque chose mît fin à la dispute.

– Allez l’ouvrir ! répéta Baby moitié en colère, moitié effrayée, et moitié triomphante de la supériorité d’intelligence qu’elle s’attribuait sur son frère ; allez l’ouvrir ! Est-ce pour donner à des voleurs l’occasion de nous prendre tout ce que nous avons dans la maison ?

– Des voleurs ! s’écria Triptolème, il n’y en a pas plus dans ce pays qu’il n’y a d’agneau à Noël : je vous l’ai déjà dit cent fois, Baby, il n’y a pas ici de montagnards pour venir nous tourmenter ; c’est une terre de tranquillité et d’honnêteté. O fortunati nimium !

– Et quel bien pourra vous faire saint Rinian ? lui dit Baby, prenant la citation latine pour une invocation catholique. D’ailleurs, s’il n’y a pas ici de montagnards, il y a bien des gens qui ne valent pas mieux. J’ai vu hier passer six ou sept jeunes vauriens qui n’avaient pas meilleure mine que ceux qui venaient d’au-delà de Clochnaben ; ils avaient en mains de ces vilains outils qu’ils appelaient des couteaux pour dégraisser les baleines ; mais ils avaient bien l’air de mendians ; ils leur ressemblaient du moins par le costume : d’honnêtes gens n’ont pas de ces outils-là.

Mordaunt, durant cette dispute, continuait de crier et de frapper, et on l’entendait fort bien en dedans, quoique l’ouragan fût plus terrible que jamais. Le frère et la sœur étaient réellement alarmés, et se regardaient d’un air d’inquiétude. – S’ils ont entendu parler d’argent, nous voilà perdus sans ressource, dit Baby dont la frayeur avait fait changer le nez du rouge au bleu.

– C’est bien vous à présent, observa Triptolème, qui parlez quand vous devriez vous taire. Allez tout de suite à la fenêtre, et voyez combien ils sont, tandis que je vais charger ma canardière d’Espagne ; allez aussi doucement que si vous marchiez sur des œufs.

Baby s’achemina toute tremblante vers la fenêtre, et revint dire qu’elle n’avait vu qu’un jeune homme qui criait et faisait du tapage comme s’il était sourd ; mais qu’elle ne pouvait assurer combien il y en avait qui ne se montraient pas.

– Qui ne se montrent pas ! Sottise ! dit Triptolème en mettant de côté, d’une main tremblante, la baguette dont il se servait pour charger son arme : je réponds qu’on ne peut ni les voir ni les entendre ; c’est sans doute quelque pauvre diable qui aura été surpris par l’orage, et qui demande un abri et quelques rafraîchissemens ; ouvrez la porte, Baby, vous ferez une action chrétienne.

– Une action chrétienne ! mais en est-ce une, répondit Baby poussant un cri perçant, que d’entrer par la fenêtre ? En effet, Mordaunt venait de forcer une fenêtre et d’entrer dans l’appartement, aussi trempé qu’une divinité des eaux. Triptolème, consterné et abattu, lui présentait l’arme meurtrière qu’il n’avait pas encore chargée, lorsqu’à l’instant Mordaunt s’écria : – Arrêtez ! arrêtez ! de quoi vous avisez-vous de tenir vos portes ainsi verrouillées par un pareil temps ? et quel démon peut vous inspirer de menacer d’un fusil les gens qui vous demandent un abri ; comme si c’étaient des veaux marins ?

– Mais qui êtes-vous, l’ami, et que voulez-vous ? lui répondit Triptolème en appuyant par terre la crosse de son fusil et reprenant ainsi l’usage de ses bras.

– Ce que je veux ! s’écria Mordaunt : tout ce qui m’est nécessaire ; à manger, à boire, du feu, un lit pour la nuit, et un cheval pour me conduire demain matin à Iarlshof.

– Et vous disiez, mon frère, dit Baby à demi-voix d’un ton de reproche, qu’il n’y a dans ce pays ni vauriens ni voleurs ? Et avez-vous jamais entendu un homme déguenillé du Lochaber dire plus effrontément ce qu’il veut et pourquoi il vient ? L’ami, ajouta-t-elle en s’adressant à Mordaunt, ramassez vos quilles, et continuez votre chemin ; c’est ici la demeure du facteur du lord chamberlayn, et non une auberge pour des mendians de votre espèce.

Mordaunt, riant de la simplicité de cette requête, lui dit : – Moi abandonner un abri par une telle tempête ! vous me prenez donc pour un oison, puisque vous vous imaginez que vous allez me chasser d’ici en battant des mains et en criant à tue-tête comme une folle ?

– Ainsi donc, jeune homme, dit Triptolème d’un air grave, vous vous proposez de rester chez moi volens nolens c’est-à-dire bon gré mal gré ?

– Oui, certainement ! répondit Mordaunt ; quel droit avez-vous de vous y opposer ? Est-ce que vous n’entendez pas le tonnerre et la pluie ? est-ce que vous ne voyez pas les éclairs ? Vous ne savez donc pas que c’est ici la seule maison, dans un rayon de quelques milles, où je puisse me mettre à l’abri ? Allons, mon bon monsieur et ma bonne dame, vos plaisanteries pourraient avoir cours en Écosse, mais cette monnaie-là sonne mal aux oreilles dans nos îles. Vous avez laissé éteindre le feu ; mes dents claquent de froid ; j’aurai bientôt mis ordre à tout cela.

En effet, il se saisit des pincettes, remua les cendres du foyer, et rendit la vie à quelques restes de tourbe que la bonne ménagère avait calculé devoir conserver encore bien des heures les germes du feu sans les laisser paraître. Jetant ensuite les yeux autour de lui, il aperçut dans un coin la provision de bois, présent fait par la mer et les vents, dont Baby ne se servait qu’en le pesant ; il en mit au feu deux ou trois gros morceaux. Le foyer, peu accoutumé à une telle fête, envoya dans la cheminée un volume de fumée tel qu’on n’en avait pas vu à Harfra depuis longtemps.

Tandis que cet hôte importun se mettait ainsi à l’aise sans avoir besoin d’attendre une invitation, Baby harcelait son frère, et le pressait de le mettre à la porte. Mais Triptolème ne se sentait ni envie ni courage pour une telle entreprise, et de plus, les apparences ne semblaient pas promettre qu’il aurait aisément le dessus sur le jeune étranger, s’il osait lui chercher querelle. Les membres vigoureux et les formes gracieuses de Mordaunt se laissaient apercevoir avec avantage à travers son vêtement simple ; il avait les yeux vifs, la tête bien faite, les traits animés, une chevelure noire, touffue et bouclée ; aussi formait-il un contraste frappant avec l’hôte chez lequel il était entré de vive force. Triptolème était un homme de petite taille, gauche, à jambes de canard, et son nez retroussé semblait annoncer, par la couleur de cuivre qui en ornait le bout, que l’honnête cultivateur n’était pas toujours ennemi de Bacchus. Les chances n’étaient donc pas égales entre deux champions si différens de taille et de force, et la différence d’âge n’ajoutait rien en faveur du plus faible ; d’ailleurs le facteur était au fond un honnête et digne homme, et dès qu’il eut reconnu que son hôte n’avait pas d’autre intention que de se procurer un asile contre la tempête, il aurait été le dernier, malgré les instigations de sa sœur, à refuser un service si raisonnable et si indispensable à un jeune homme dont l’extérieur était aussi prévenant. Il se mit donc à réfléchir comment il pourrait se revêtir du caractère de maître de maison ami de l’hospitalité, et se dépouiller de celui de grossier défenseur de ses dieux pénates contre un jeune homme qui s’était introduit chez lui sans son autorisation. Baby, qui avait d’abord été rendue muette par l’extrême familiarité du jeune homme, par son langage et sa conduite, prit alors la parole à son tour.

– Vous n’êtes pas honteux, lui dit-elle, de faire un pareil feu, et de vous chauffer avec notre meilleur bois ? Il paraît que ce n’est pas de la méchante tourbe qu’il vous faut ; vous ne voulez rien moins que le meilleur chêne.

– Vous avez eu ce bois à peu de frais, bonne dame, repartit vivement Mordaunt, et vous ne devriez pas me reprocher un feu dont la mer vous fournit gratis les matériaux. Ces bons morceaux de chêne ont fait leur devoir sur terre et sur mer ; ils ne pouvaient plus rester unis sous les braves marins qui conduisaient le navire.

– Cela est vrai, dit la vieille femme en s’adoucissant, il ne doit pas faire bon sur mer à présent ; eh bien, asseyez-vous, chauffez-vous, et puisque le bois brûle, profitez-en.

– Oh oui, dit Triptolème, c’est un plaisir de voir un si bon feu ; cela ne m’était pas arrivé depuis que j’ai quitté les Mearns.

– Et nous n’en reverrons pas de sitôt un pareil, dit Baby, à moins que la maison ne prenne feu, ou qu’on ne découvre quelque mine de charbon.

– Et pourquoi, dit le facteur d’un air triomphant, ne découvrirait-on pas une mine de charbon aussi bien dans les îles Shetland que dans le comté de Fife, actuellement que le chamberlayn a un homme avisé et intelligent sur les lieux pour y faire les recherches nécessaires ? La pêche n’est-elle pas également bonne des deux côtés ?

– Il faut que je vous dise ce que je pense, mon frère, répondit la sœur, à qui l’expérience avait appris qu’il fallait se méfier des fausses spéculations de son frère ; si vous mettez ces beaux projets dans la tête de milord, nous ne serons pas plus tôt établis ici, qu’il nous faudra en déloger ; et si l’on vous parlait de la découverte d’une mine d’or, je connais quelqu’un qui se promettrait d’avoir des pièces de Portugal bien sonnantes dans sa poche avant que l’année fût finie.

– Et pourquoi non ? dit Triptolème ; vous ne savez peut-être pas qu’il y a dans les Orcades une terre qu’on appelle Ophir, ou quelque chose de semblable ? Et pourquoi Salomon, ce sage roi des Juifs, n’y aurait-il pas envoyé chercher 450 talens dans ses vaisseaux, par ses serviteurs ? Je m’imagine que vous avez foi à la Bible, Baby ?

Cette citation de l’Écriture sainte, quoique faite mal à propos, en imposa à Baby ; elle se tut, et ne répondit que par un murmure de dédain ; alors Triptolème s’adressa à Mordaunt :

– Vous verrez tous un jour quels changemens opèreront l’or et l’argent, même dans un pays aussi ingrat que le vôtre. Je gage que vous ne connaissez pas de mines de cuivre ou de fer dans ces îles ? Mordaunt fit la remarque qu’il avait entendu parler de mines de cuivre près des rochers de Konigsburgh. – Eh bien, continua le facteur, il y en a aussi vers le lac de Swarna, jeune homme ; mais vous autres jeunes gens vous croyez pouvoir lutter avec un homme qui a mon expérience.

Baby, pendant cette conversation, n’avait pas été une minute sans examiner de près Mordaunt. Tout-à-coup elle s’adressa à son frère d’une manière vraiment inattendue.

– Vous feriez mieux, M. Yellowley, lui dit-elle, de prêter à ce jeune homme des habits secs, et de voir ce qu’on peut lui donner à manger, au lieu de nous ennuyer de vos longues histoires, comme si un pareil temps n’était pas suffisamment ennuyeux ; et peut-être ce jeune homme serait bien aise de boire un peu de bland ou quelque autre chose, si vous aviez la politesse de lui en offrir.

Triptolème, qui était bien loin de s’attendre à une pareille proposition, en resta stupéfait, et Mordaunt répondit : – Je serais charmé de changer d’habits et de linge, mais je vous prie de m’excuser, je ne boirai rien que je n’aie mangé quelque chose.

Triptolème le conduisit en conséquence dans un autre appartement, où il lui donna quelques vêtemens ; et, après l’avoir laissé seul pour s’arranger lui-même, il reprit le chemin de la cuisine, fort intrigué et ne sachant comment s’expliquer à lui-même l’accès extraordinaire d’hospitalité de sa sœur ; il faut qu’elle soit fey dit-il ; en ce cas, elle n’aurait pas long-temps à vivre, et quoique je sois son héritier, je serais réellement fâché de la perdre, car elle gouverne fort bien la maison ; elle tient la sangle un peu trop serrée de temps en temps, cela est vrai, mais la selle n’en est que plus ferme.

Triptolème trouva ses soupçons confirmés, car sa sœur était occupée, chose inconcevable ! à mettre au pot une oie fumée qu’elle venait de dépendre de la large cheminée où l’oiseau avait séjourné long-temps avec plusieurs autres ; et elle disait entre ses dents : – Il faut bien la manger tôt ou tard, et pourquoi le pauvre garçon n’en aurait-il pas sa part ?

– Que faites-vous donc là, ma sœur ? lui dit Triptolème ; une oie au feu ! Quelle fête célébrez-vous donc aujourd’hui ?

– Une fête semblable à celle que célébrèrent les Israélites délivrés de la servitude des Égyptiens. Vous ne savez donc pas qui vous avez chez vous en ce moment ?

– Ma foi non, répondit Triptolème, je ne le sais pas plus que je ne reconnaîtrais un cheval que je n’aurais jamais vu. Je prendrais le jeune homme pour un marchand forain, si ce n’est qu’il a trop bonne mine et qu’il n’a pas de balle.

– En ce cas, vous n’y voyez pas mieux que vos bœufs noirs. Mais si vous ne connaissez pas qui vous avez chez vous, connaissez-vous Tronda Dronsdaughter ?

– Tronda Dronsdaughter ! reprit Triptolème ; et comment ne la connaîtrais-je pas, quand je lui paie par jour deux sous d’Écosse pour travailler dans notre maison, et encore travaille-t-elle comme si l’ouvrage lui brûlait les doigts. J’aimerais mieux donner quatre sous anglais à une fille d’Écosse.

– Voilà ce que vous avez encore dit de mieux dans cette heureuse matinée. Eh bien, Tronda connaît fort bien ce jeune garçon, et elle m’en a souvent parlé. On appelle son père l’homme silencieux de Sumburgh, et l’on dit que c’est un porte-malheur.

– Allons donc, sornettes que tout cela ! mais voilà comme ils sont tous dans ce pays. Avez-vous besoin d’en obtenir un jour de travail, ils ont marché sur une herbe qu’ils appellent tang, ou ils ont rencontré quelqu’un qui leur porte malheur, ou ils ont tourné la proue de leur barque vers le soleil ; et il faut qu’ils restent les bras croisés toute la journée.

– À la bonne heure, mon frère, à la bonne heure ; si vous êtes si savant, c’est parce que vous avez attrapé quelques mots de latin à Saint-André ; mais êtes-vous capable de me dire ce qu’il a autour de son cou ?

– Un mouchoir de Barcelonne, qui était aussi mouillé qu’un plat qu’on vient de laver, et je viens de lui en prêter un des miens.

– Un mouchoir de Barcelonne ! dit Baby élevant la voix et la baissant tout-à-coup, comme si elle eût craint d’être entendue ; je vous parle d’une chaîne d’or.

– D’une chaîne d’or dit Triptolème.

– En vérité, une chaîne d’or. Qu’en pensez-vous ? Il y a des gens qui disent, et Tronda le prétend aussi, que le roi des Drows l’avait donnée à son père, l’homme silencieux de Sumburgh.

– Je voudrais que vous parlassiez raison, ou que vous fussiez vous-même la femme silencieuse. Au surplus, la fin de tout cela, c’est que ce jeune garçon est le fils du riche étranger de Sumburgh, et que vous lui donnez l’oie que vous deviez garder pour la Saint-Michel.

– Mon frère, nous devons faire quelque chose pour l’amour de Dieu et pour nous faire des amis ; et ce jeune homme, ajouta-t-elle, a une belle figure. Car elle n’était pas tout-à-fait au-dessus des préjugés de son sexe en faveur des jolis garçons.

– Vous laisseriez plus d’un joli garçon frapper à la porte de la maison sans la leur ouvrir, s’ils n’avaient pas de chaîne d’or, dit Triptolème.

– Sans doute, répliqua Barbara, sans doute. Seriez-vous content de me voir prodiguer ce que nous avons au premier vagabond qui passerait par ici un jour de mauvais temps ? Mais ce jeune homme est bien connu ; il est considéré dans le pays ; Tronda dit qu’il va se marier avec une des deux filles du riche Udaller Magnus Troil, et que le jour du mariage sera fixé quand il aura fait son choix et qu’il se sera déclaré pour l’une d’elles ; ce serait d’ailleurs compromettre notre réputation et notre repos que de le renvoyer sans l’avoir bien reçu, quoiqu’il soit venu sans invitation.

– La meilleure raison que je sache, dit Triptolème, pour garder quelqu’un chez soi, c’est de ne pas oser lui dire de sortir. Cependant, puisqu’il existe en cette île un homme de qualité, je vais lui faire connaître à qui il a affaire. Puis s’avançant vers la porte : Héus ! tibi, Dave ! s’écria-t-il.

– Adsum, me voici, répondit le jeune homme en entrant dans l’appartement.

– Hem ! dit l’érudit Triptolème ; je vois qu’il a fait ses humanités ; mais je vais l’éprouver encore. Connaissez-vous quelque chose en agriculture, jeune homme ?

– Ma foi, monsieur, répondit Mordaunt, j’ai été élevé à labourer sur la mer, et à faire la moisson sur la crête des rochers.

– Labourer la mer ! on fait là des sillons sur lesquels la herse n’a guère besoin de passer ; quant à votre récolte sur les rochers, je suppose que vous voulez parler de ces scowries, n’importe comment vous appelez les herbes que vous allez y cueillir. C’est une sorte de récolte que le Rauzellaer devrait défendre positivement : rien n’est plus propre à faire briser les os d’un honnête homme. J’avoue que je ne conçois pas quel plaisir on peut prendre à rester suspendu au bout d’une corde entre le ciel et la terre ; pour mon compte, j’aimerais autant que l’autre bout de la corde fût attaché à un gibet ; je serais sûr au moins de ne pas tomber.

– Eh bien, je vous conseille d’en essayer, repartit Mordaunt ; croyez-moi, il y a peu de situations dans le monde où l’on éprouve de plus grandes sensations que lorsqu’on est perché au milieu des airs, entre un roc escarpé et très élevé, et une mer mugissante, soutenu par une corde qui paraît à peine plus forte qu’un fil de soie, et le pied appuyé sur une pierre si étroite qu’une mouette pourrait à peine s’y reposer. – Savoir que vous courez tous ces dangers, et être pénétré de la pleine assurance que votre agilité et votre présence d’esprit suffiront pour votre sûreté dans cette périlleuse position, comme si vous aviez les ailes d’un faucon, c’est en vérité être presque indépendant de la terre sur laquelle vous marchez.

Triptolème stupéfait ouvrait de grands yeux à cette description enthousiaste d’un amusement qui avait fort peu de charmes pour lui, et sa sœur, non moins confondue, les yeux fixés sur les traits animés de Mordaunt, s’écria en admirant la noble contenance du jeune aventurier – Sur ma foi, jeune homme, vous êtes un brave garçon.

– Un brave garçon ! répliqua Triptolème, et moi je dis, un brave oison, volant et se trémoussant au milieu des airs, au lieu de rester in terrâ firmâ. Mais allons, voici une oie qui viendra plus à propos si elle est bien cuite ; – des assiettes et du sel, Baby ; mais au fait, elle sera assez salée ; ce sera un morceau friand. Je crois que les habitans de ce pays sont les seuls au monde qui courent de tels risques pour attraper des oies, et les seuls qui songent à les faire bouillir.

– Oh certainement reprit sa sœur, et c’était la première fois de la journée qu’ils étaient d’accord, on ne trouverait ni dans le comté d’Angus ni dans les Mearns une ménagère qui fît bouillir une oie, tant qu’il y aurait des broches au monde. Mais qui est-ce qui nous arrive encore ? dit-elle en regardant avec consternation vers la porte. Ma foi, ouvrez la porte, et les chiens n’ont plus qu’à entrer. Et qui est-ce donc qui l’a ouverte ?

– C’est moi, répliqua Mordaunt ; vous ne voudriez pas qu’un pauvre diable restât par un temps si affreux à frapper à votre porte, qui s’ouvre difficilement, à ce qu’il paraît. Mais voici quelque chose qui va nous servir à entretenir le feu, ajouta-t-il en prenant une barre de chêne avec laquelle on barricadait la porte, et en la jetant dans le foyer. Dame Baby se hâta de la retirer.

– Ce morceau de bois est un présent de la mer, s’écria-t-elle d’un ton indigné ; il n’y en a guère d’autre ici, et il ne le ménage pas plus que si c’était un vieux morceau de sapin. Et qui êtes-vous, s’il vous plaît ? demanda-t-elle au nouveau venu en se tournant vers lui ; un mendiant aussi effronté que j’en aie jamais vu.

– Je suis un marchand forain, madame, répondit l’étranger qui s’était invité lui-même, homme qui avait l’air grossier et commun, et qui semblait être un colporteur, qu’on appelait un Jagger dans ces îles. – Jamais, ajouta-t-il, je n’avais voyagé par un temps si affreux ; jamais je n’avais tant désiré de trouver un abri. Dieu soit loué de m’avoir procuré bon feu et bon gîte ! Tout en parlant ainsi, il approcha du feu un vieux tabouret, et s’assit sans plus de cérémonie.

Baby le regardait comme un faucon regarde sa proie, et songeait à exprimer son indignation plus chaudement que par des paroles. L’oie qui était au feu lui semblait une bonne occasion, quand une vieille domestique, à moitié morte de faim, digne compagne des soins domestiques de Baby, et qui jusque là s’était tenue à l’écart dans quelque coin de la maison, entra en clopinant dans la chambre, et débuta par une exclamation sinistre, présage de quelque nouveau malheur. – Ô mon maître ! ô ma maîtresse ! furent les seules paroles qu’elle put articuler pendant quelque temps ; mais elles furent enfin suivies de celles-ci : – Le meilleur de tout ce qu’il y a dans la maison, oui, le meilleur, tout ce qui s’y trouve, et il y en aura à peine assez ; voilà la vieille Norna de Fitful-Head, la femme la plus redoutée de ces îles.

– D’où vient-elle ? et où peut-elle avoir été ? demanda Mordaunt, qui semblait partager en partie la surprise sinon la frayeur de la vieille domestique ; – mais c’est une demande inutile à faire. Plus le temps est mauvais, plus il est probable de la trouver en voyage.

– Et que vient faire ici cette mendiante ? s’écria Baby, qui était presque au désespoir en voyant arriver successivement tant d’étrangers. Je mettrai bientôt fin à ses courses, je vous en réponds, si le cœur d’un homme bat dans la poitrine de mon frère et s’il y a des carcans à Scalloway.

– Les fers qui pourraient lui servir de carcan, dit la vieille servante, n’ont jamais été forgés sur une enclume.

– La voici ! la voici ! Au nom du ciel, parlez-lui avec douceur et politesse, ou vous verrez une fameuse grêle.

Comme elle parlait ainsi, une femme assez grande pour que son bonnet touchât le haut de la porte entra dans la chambre en faisant le signe de la croix, et en prononçant ces paroles d’une voix solennelle :

– Que la bénédiction de Dieu et de saint Ronald repose sur ceux dont la porte est ouverte, et que leur malédiction et la mienne tombent sur l’avare qui tient la main fermée !

– Et qui êtes-vous, vous qui êtes assez hardie pour bénir et maudire dans la maison des autres ? De quel pays êtes-vous, vous qui venez troubler le repos des gens chez eux, de sorte qu’ils ne peuvent être tranquilles une heure, servir le ciel et conserver le peu que Dieu leur a donné, sans être tourmentés par les importunités de rôdeurs et de vagabonds des deux sexes, accourant à la file comme une volée d’oies sauvages ?

Le lecteur intelligent a déjà deviné que ce discours était prononcé par mistress Barbara, et on ne peut que conjecturer l’effet qu’il produisit sur la femme qui venait d’entrer ; car la vieille servante et Mordaunt s’adressèrent en même temps à la nouvelle venue pour prévenir l’explosion de son ressentiment. La première lui parla en langue norse, d’un air suppliant ; et le second lui dit en anglais : – Ce sont des étrangers, Norna, et ils ne connaissent ni votre nom ni votre qualité ; ils ne savent pas davantage les usages de ce pays ; c’est pourquoi nous devons leur pardonner leur manque d’hospitalité.

– Je ne manque pas d’hospitalité, jeune homme, repartit Triptolème ; miseris succurrere disco. L’oie qui devait rester pendue dans la cheminée jusqu’à la Saint-Michel est actuellement à bouillir dans le pot pour vous ; mais nous en aurions vingt, que probablement nous trouverions assez de bouches pour en avaler jusqu’à la dernière plume. Il faut mettre ordre à cela.

– À quoi faut-il mettre ordre, vil esclave ? s’écria Norna en se tournant vers lui avec un air de courroux qui le fit tressaillir ; à quoi veux-tu mettre ordre ? Apporte ici, si tu le veux, tes socs de charrue de nouvelle invention, tes bêches et tes herses ; change, si tu le veux, les outils et les instrumens de nos pères depuis la charrue jusqu’à la souricière ; mais apprends que tu vis sur une terre jadis conquise par les champions à cheveux blonds du Nord, et laisse-nous au moins leur hospitalité, pour faire voir que nous descendons d’ancêtres nobles et généreux. Je te le dis, prends garde à toi : tant que Norna, du sommet de Fitful-Head, parcourra de l’œil l’immense Océan, il restera dans ce pays des moyens de défense. Si les hommes de Thulé ont cessé d’être des champions, et de préparer des banquets aux corbeaux, les femmes n’ont pas oublié l’art qui fit d’elles autrefois des reines et des prophétesses.

La femme qui prononçait cette singulière apostrophe était d’un aspect aussi remarquable qu’elle était fière et extravagante dans ses prétentions et son langage. À considérer ses traits, sa voix et sa stature, elle aurait fort bien représenté sur la scène la Bonduca ou Boadicée des anciens Bretons, la sage Velleda, Aurinia, et toute autre des pythonisses qui conduisaient les anciens Goths aux combats. Ses traits étaient nobles et réguliers, et elle aurait pu passer pour belle sans les ravages du temps et de l’intempérie de l’air ; l’âge et peut-être le chagrin avaient un peu amorti le feu de ses yeux dont l’azur était si sombre qu’il approchait du noir ; la partie de ses cheveux échappée à sa coiffure, et que la violence de la tempête avait mise en désordre, commençait à prendre une teinte de neige. L’eau tombait de sa robe, d’une étoffe grossière de couleur brune, appelée wadmaal, alors beaucoup en usage dans l’Islande et dans la Norwège. Mais se dépouillant de cette robe, ou, pour mieux dire, de cette espèce de mante, elle laissa voir une petite jaquette de velours d’un bleu foncé, à laquelle était joint un corsage cramoisi, brodé en argent un peu terni. Sa ceinture était garnie d’ornemens d’argent, taillés suivant les formes des signes planétaires. Son tablier, avec une broderie de même genre, couvrait un petit jupon cramoisi. Elle avait une chaussure fort épaisse, faite avec le cuir à demi tanné du pays, et attachée par-dessus des bas d’écarlate avec des courroies qui ressemblaient aux brodequins des anciens Romains. On remarquait à sa ceinture une arme difficile à nommer, et qui, suivant l’imagination du spectateur qui voyait en elle une prêtresse ou une sorcière, pouvait passer pour un couteau à sacrifice ou pour un poignard. Elle tenait à la main une baguette de forme carrée, sur laquelle étaient gravés des figures et des caractères formant un des calendriers portatifs et perpétuels dont se servaient les anciens Scandinaves, et qui, aux yeux des superstitieux, aurait pu passer pour une baguette divinatoire.

Tels étaient le costume, l’air et les traits de Norna de Fitful-Head, qu’une partie des habitans de l’île traitait avec égard, qu’une autre partie craignait, et que presque tous regardaient avec une sorte de respect. Il n’aurait pas fallu, en Écosse, autant de motifs de soupçons pour l’exposer aux recherches de ces cruels inquisiteurs alors investis de l’autorité que leur avait déléguée le conseil privé pour persécuter, mettre à la torture, et finalement livrer aux flammes ceux qui étaient accusés de sorcellerie ou de magie. Mais les superstitions de cette nature passent par trois degrés avant de s’évanouir entièrement. À la naissance des sociétés, ceux qui sont supposés posséder une puissance surnaturelle sont les objets d’une vénération religieuse. À mesure que la religion et les lumières font des progrès, ils inspirent la crainte et la haine, et ils finissent par être regardés comme des imposteurs. L’Écosse se trouvait alors dans la seconde période. On y avait une grande crainte des sortiléges, et une haine violente contre ceux qui en étaient soupçonnés. Quant aux îles Shetland, elles formaient encore un petit monde séparé. La basse classe, la classe grossière y avait conservé toute l’ancienne superstition du Nord, et l’aveugle idolâtrie qu’elle avait reçue de ses pères pour cette science surnaturelle et cette puissance sur les élémens, qui composaient une partie de la croyance des anciens Scandinaves. Au moins, si les naturels de Thulé admettaient qu’une classe de magiciens exécutaient leurs sortiléges par le secours de Satan leur allié, ils croyaient dévotement que d’autres étaient en relation avec des esprits d’une classe différente et moins odieuse ; c’étaient les anciens nains qu’on y appelle trows ou drows, les fées modernes et d’autres encore.

Cette Norna, une de ces femmes qu’on supposait liguées avec des esprits immatériels, descendait d’une famille qui depuis un temps immémorial avait eu des prétentions à un don si extraordinaire ; c’était en honneur de sa puissance surnaturelle qu’elle avait pris le nom de l’une de ces trois sœurs chargées par le destin, dans la mythologie du Nord, de tisser la trame de la vie des hommes. Elle et ses parens prenaient le plus grand soin de cacher celui qui lui avait été donné lors de son baptême ; car la superstition avait attaché de fatales conséquences à la découverte de ce nom. Le seul doute qui existât alors à son égard, était de savoir si elle avait acquis par des moyens légitimes le pouvoir qu’on lui supposait. De nos jours, on aurait pu douter si elle trompait les autres, ou si son imagination, profondément frappée des mystères de son art supposé, la trompait elle-même, en lui faisant croire qu’elle possédait réellement des lumières surnaturelles. Un fait certain, c’est qu’elle exerçait son art avec tant de confiance en elle-même, avec une telle dignité de maintien, avec une telle force de langage et d’expression, enfin avec une telle énergie, qu’il aurait été difficile au plus grand sceptique de douter de la réalité de son enthousiasme, malgré le sourire que lui auraient arraché les prétentions qu’il faisait naître.

Share on Twitter Share on Facebook