CHAPITRE XXXV.

« Pour sillonner la mer j’ai quitté ma charrue. »

DIBDIN.

Quand le prevôt fut de retour avec Cleveland dans la salle du conseil, il réunit ceux des magistrats à qui il jugeait convenable de faire part des propositions du pirate, et se retira de nouveau avec eux dans la seconde chambre. Tandis qu’ils s’occupaient de cette discussion, on offrit à Cleveland et à ses gens des rafraîchissemens de la part du prevôt. Il permit à sa troupe d’en profiter, mais non sans prendre des précautions contre toute surprise, et la moitié du détachement restait sous les armes tandis que les autres étaient à table.

Pendant ce temps, il se promenait en long et en large dans l’appartement, causant de différens objets avec les diverses personnes présentes, en homme parfaitement à son aise.

Il fut un peu surpris d’y rencontrer Triptolème Yellowley, qui, se trouvant par hasard à Kirkwall, avait été invité par les magistrats de se rendre à l’assemblée, comme représentant, jusqu’à un certain point, le lord chambellan. Cleveland renouvela sur-le-champ la connaissance qu’il avait faite avec lui à Burgh-Westra, et lui demanda quelle affaire l’avait amené dans les Orcades.

– J’y suis venu, répondit l’agriculteur, pour voir comment vont quelques uns de mes petits plants. Je suis las d’être livré aux bêtes à Éphèse ; je les combats inutilement, et je voulais savoir si mon verger, que j’ai planté à quatre ou cinq milles de Kirkwall, il y a environ un an, promettait de prospérer, et ce qu’avaient fait mes abeilles, dont j’avais apporté neuf essaims pour les naturaliser dans ce pays, et pour changer en miel et en cire les fleurs des bruyères.

– Et j’espère qu’elles réussissent, dit Cleveland, qui, quelque peu d’intérêt qu’il prit à cette conversation, était bien aise de l’entretenir pour rompre le silence sombre et glacial que gardait toute la compagnie.

– Si elles réussissent ! répondit Triptolème ; elles vont comme tout va en ce pays, c’est-à-dire à reculons.

– C’est faute de soin, je suppose, dit Cleveland.

– C’est tout le contraire, monsieur, précisément tout le contraire, répondit le facteur. Mes ruches ont péri parce que nous en avons pris trop de soin, comme les poulets de la mère Christie. – Je demandai à voir les ruches, et le drôle qui devait en avoir soin paraissait rayonnant de joie et bien content de sa personne. – Vous auriez bien pu voir les ruches, dit-il ; mais, si je n’y eusse pris garde, vous n’y auriez pas trouvé plus de mouches que d’oies sauvages. Je les veillais de près, et un beau matin qu’il faisait soleil, je vis qu’elles s’en allaient toutes par de petits trous au bas de leurs ruches, – vite je me dépêchai de les boucher avec de la terre glaise. Sans cela, du diable s’il serait resté une mouche, une abeille, ou n’importe ce qu’elles sont, dans vos skeps , comme vous les appelez. – En un mot, monsieur, il avait muré les ruches comme si les pauvres bêtes avaient eu la peste, et mes abeilles étaient mortes, comme si on les eût enfumées. Ainsi finissent mes espérances generandi gloria mellis, comme dit Virgile.

– Adieu donc votre hydromel, dit Cleveland ; mais avez-vous quelque espoir de faire du cidre ? comment va le verger ?

– Hélas ! capitaine, ce même Salomon de l’Ophir des Orcades, – car ce n’est pas ici qu’il faut envoyer chercher des talens d’or ni des talens d’esprit ; – cet homme sage, dis-je, avait tant de tendresse pour mes jeunes pommiers, qu’il les a arrosés avec de l’eau chaude, et tout est mort, branches et racines. – Mais à quoi bon se plaindre ? j’aimerais mieux que vous m’apprissiez, capitaine, pourquoi j’entends ces bonnes gens tant parler de pirates, et qui sont tous ces hommes de mauvaise mine, armés jusqu’aux dents comme des montagnards écossais, que je vois dans cette salle ; car j’arrive à l’instant de l’autre côté de l’île, et je n’ai rien de bien clair sur tout cela ? Et maintenant que je vous regarde vous-même, capitaine, il me semble que vous avez autour de vous plus de pistolets qu’un honnête homme n’en a besoin dans un temps de paix et de tranquillité.

– Et je pense de même, dit le vieux Haagen, triton pacifique qui jadis avait marché ; un peu à contrecœur, à la suite de l’entreprenant Montrose : si vous aviez été dans le vallon d’Eddera-Chyllis, où nous avons été si bien frottés par sir John Worry

– Vous avez oublié toute l’affaire, voisin Haagen, dit le facteur ; sir John Urry combattait avec vous ; et la preuve, c’est qu’il fut fait prisonnier avec Montrose, et décapité.

– Le croyez-vous ? reprit le triton-je crois que vous pouvez bien avoir raison, car il a si souvent changé de parti, qu’on ne peut trop dire pour lequel il est mort. Mais une chose certaine, c’est qu’il était à cette bataille, et que j’y étais aussi. – Quelle bataille ! je n’ai, ma foi, pas envie d’en voir une semblable.

L’arrivée du prevôt interrompit cette conversation.

– Nous avons décidé, capitaine, dit-il, que votre navire se rendra dans la rade de Stromness ou de Scalpa-Flow pour s’y ravitailler, afin qu’il n’y ait plus de querelle entre les gens de votre équipage et nos habitans. Et, comme vous désirez rester à Kirkwall pour voir la foire, nous avons dessein d’envoyer à bord de votre bâtiment un homme respectable qui aidera vos gens de ses conseils pour doubler le promontoire et gagner la rade de Stromness, attendu que la navigation dans ces parages n’est pas sans dangers.

– C’est parler en magistrat de bon sens et pacifique, M. le prevôt, dit Cleveland, et je n’attendais pas moins de vous. – Mais quel est l’homme respectable qui doit honorer mon bord de sa présence pendant que j’en serai absent ?

– C’est ce que nous avons aussi décidé, capitaine. Vous devez bien penser que nous désirions tous, à l’envi les uns des autres, faire un voyage si agréable et en si, bonne compagnie ; mais, attendu la foire, la plupart de nous ont des affaires qui y mettent obstacle. Quant à moi, ma place me retient nécessairement à Kirkwall ; la femme du plus ancien de nos baillis vient d’accoucher ; le trésorier ne peut supporter la mer ; deux autres baillis ont la goutte ; les autres sont absens de la ville, et quinze membres du conseil sont tous retenus par des affaires particulières.

– Tout ce que je puis vous dire, M. le prevôt, dit Cleveland en élevant la voix, c’est que j’espère…

– Un moment de patience, s’il vous plaît, capitaine, dit le prevôt. – Si bien donc que nous avons résolu et arrêté que, vu son poste honorable, le digne M. Triptolème Yellowley, qui est facteur du lord chambellan de ces îles, aura l’honneur et le plaisir de vous accompagner.

– Moi, s’écria Triptolème fort étonné ; et pourquoi diable irais-je avec vous ? mes affaires sont en terre ferme.

– Ces messieurs ont besoin d’un pilote, lui dit le prevôt à demi-voix, et nous ne pouvons nous dispenser de leur en donner un.

– Ont-ils donc besoin de se briser sur la côte ? demanda Triptolème. Comment diable pourrais-je leur servir de pilote ? je n’ai de ma vie touché un gouvernail.

– Paix ! paix ! silence ! dit le prevôt ; si nos habitans vous entendaient, vous perdriez à l’instant tout le respect et toute la considération que chacun a pour vous. Nous autres insulaires, nous ne faisons cas d’un homme qu’autant qu’il sait parfaitement gouverner et manœuvrer un navire. – D’ailleurs ce n’est qu’une affaire de forme ; nous vous donnerons pour second le vieux Pate-Sinclair. Vous n’aurez rien à faire que boire, manger et vous divertir.

– Boire et manger ! dit le facteur, qui ne comprenait pas bien pourquoi on le chargeait si soudainement de ce rôle, et qui pourtant n’était pas en état de se tirer des filets du prevôt, plus rusé que lui ; – boire et manger, c’est fort bien ; mais, à vous dire la vérité, la mer ne me convient pas mieux qu’au trésorier, et j’ai toujours meilleur appétit à terre.

– Paix donc ! prenez garde, lui dit le prevôt à voix basse, avec le ton et l’accent du plus vif intérêt ; voulez-vous vous perdre, à jamais de réputation ? – Un facteur du lord grand chambellan des Orcades et des îles Shetland, à qui la mer ne conviendrait pas ! Autant vaudrait dire que vous êtes montagnard d’Écosse, et que vous n’aimez pas le whisky.

– Il faut que cela se termine de manière ou d’autre, messieurs, dit Cleveland ; nous devrions déjà avoir levé l’ancre. – M. Triptolème Yellowley, consentez-vous à honorer mon bord de votre compagnie ?

– Bien certainement, capitaine Cleveland, bégaya le facteur, je n’aurais aucune répugnance à aller partout avec vous ; seulement…

– Il n’a aucune objection, dit le prevôt l’interrompant au premier membre de sa période, sans attendre le second. Il n’a aucune objection, s’écria le trésorier.

– Il n’a aucune objection, répétèrent en chœur les quatre baillis et les quinze conseillers, chacun variant cette exclamation par l’addition de quelques mots en l’honneur de Triptolème, comme : le digne homme ! – l’homme respectable ! – le brave patriote ! la ville lui sera éternellement obligée. – Où trouver un pareil facteur ?

Étourdi et confus des éloges dont il était accablé de toutes parts, et ne concevant rien à la nature de l’affaire dont il s’agissait, l’agriculteur, interdit, se trouva incapable de refuser de jouer le rôle de Curtius de Kirkwall, dont on avait la malice de le charger. Le capitaine Cleveland le remit donc entre les mains des pirates qui lui avaient servi d’escorte, en leur enjoignant très strictement de le traiter avec égards et respect. Goffe et ses compagnons se disposèrent alors à se mettre en marche et à l’emmener avec eux, au milieu des applaudissemens de toute l’assemblée, de même que jadis on ornait de guirlandes, en poussant des cris de joie, la victime sacrifiée par les prêtres pour le salut de l’état. Ce fut pendant qu’on le conduisait ainsi, moitié de gré, moitié de force, hors de l’appartement, que le pauvre Triptolème, fort alarmé et voyant que Cleveland, en qui il avait quelque confiance, ne l’accompagnait pas, essaya, à l’instant où il allait passer la porte, de faire quelques représentations.

– Mais, prevôt ; capitaine, baillis, trésorier, conseillers, écoutez-moi donc ! Si le capitaine Cleveland n’est pas à bord pour me protéger, il n’y a rien de fait. – Je ne m’y rendrai pas, à moins qu’on ne m’y traîne avec des traits de charrue.

Cette protestation ne fut pas entendue. Elle fut noyée dans le torrent d’éloges dont les magistrats et les conseillers continuaient à l’accabler, vantant son esprit public, le remerciant de son dévouement, lui souhaitant un bon voyage, offrant des vœux au ciel pour son prompt et heureux retour. Étourdi, déconcerté, et réfléchissant, si toutefois il pouvait réfléchir en ce moment, que toutes remontrances seraient inutiles, puisque, amis et étrangers, tous semblaient d’accord dans leur détermination, Triptolème se laissa conduire dans la rue sans faire aucune résistance. Alors le détachement de pirates, le plaçant au centre, se mit en marche à pas lents vers le quai ; un grand nombre d’habitans de la ville suivaient par curiosité. Cependant personne ne tenta d’inquiéter les audacieux forbans dans leur marche, car le compromis pacifique que le premier magistrat venait de conclure avec tant de finesse avait obtenu l’approbation universelle, et chacun pensait qu’un tel arrangement à l’amiable valait beaucoup mieux que tout autre qu’on aurait pu obtenir par la voie toujours douteuse d’un appel aux armes.

Tout en s’avançant vers le quai, Triptolème, qui eut le temps d’examiner la physionomie, l’air et le costume des gens entre les mains de qui on venait de le livrer, commença à croire qu’il voyait dans leurs yeux non seulement une expression générale de scélératesse, mais des intentions sinistres contre sa personne. Il était particulièrement alarmé, des regards féroces de Goffe : celui-ci lui tenait le bras d’une main qui, pour la délicatesse, pouvait être comparée à la tenaille d’un forgeron, et lui lançait des regards obliques, semblables à ceux que l’aigle jette sur la proie qu’il tient dans ses serres avant de la déchirer. Enfin la crainte de Yellowley l’emporta sur sa prudence, et, d’une voix lamentable et étouffée par ses alarmes, il demanda à son terrible conducteur : – Est-ce que vous m’emmenez pour me tuer, capitaine, contre toutes les lois de Dieu et des hommes ?

– Taisez-vous, si vous êtes sage, répondit Goffe, qui, avait ses raisons pour chercher à augmenter la terreur panique de son prisonnier ; il y a trois mois que nous n’avons tué personne : – – –, pourquoi nous y faites-vous penser ?

– J’espère que vous ne faites que plaisanter, bon et digne capitaine, répliqua Triptolème. Ceci est pire que les sorcières, les nains, les baleines et les barques chavirées tout ensemble. – C’est de bon blé coupé en vert, sur ma conscience ! – Au nom du ciel ! quel bien vous reviendra-t-il de ma mort ?

– C’est toujours un passe-temps, répondit Goffe. Regardez en face ces braves gens – – – et cherchez-en un parmi eux qui n’aime mieux tuer un homme que de rester à rien faire. – Mais, – – – nous parlerons de cela plus au long quand vous aurez tâté de la cale, à moins que vous ne vous présentiez avec une bonne poignée de dollars du Chili pour votre rançon.

– Aussi vrai que je vis de pain, capitaine, dit le facteur, ce scélérat de nain contrefait a emporté tout l’or et l’argent que j’avais dans une corne.

– Neuf lanières de bon cuir attachées à un manche vous le feront retrouver, répliqua Goffe avec un sourire féroce : c’est une recette infaillible. – – – Une bonne corde serrée autour du crâne jusqu’à ce que les yeux sortent à moitié de la tête est encore un assez bon moyen.

– Capitaine, s’écria Yellowley avec force, je n’ai pas d’argent. – Il est rare que ceux qui s’occupent d’améliorations en aient. Nous changeons les prairies en terres à labour ; l’orge en avoine, les bruyères en pâturages ; nous changeons, en champs productifs les misérables yarphas, comme on appelle dans ce pays d’aveugles les tourbières et les fondrières, mais rarement tous ces changemens-là font entrer quelque chose dans notre poche. Les outils et les ouvriers prennent tout, mangent tout, et le diable n’en oublie pas sa part.

– Eh bien, dit Goffe, si vous êtes réellement un pauvre diable comme vous le prétendez… je serai votre ami. Et, levant la tête pour approcher les lèvres de l’oreille du facteur qui l’écoutait à demi mort d’inquiétude : – Si vous aimez la vie, ajouta-t-il, ne mettez pas le pied dans notre barque.

– Mais comment puis-je m’échapper ? demanda Triptolème, vous me tenez le bras si serré, que je ne pourrais le dégager quand il s’agirait de la récolte d’une année de toute l’Écosse.

– Écoutez-moi, goujon, répondit Goffe : quand nous serons au bord de la mer, et que vous verrez mes camarades sauter dans la barque et prendre leurs rames, je vous lâcherai le bras ; alors virez de bord – – – et mettez votre salut dans vos jambes.

Triptolème ne manqua pas de suivre ce conseil. Goffe tint sa promesse ; et le facteur ne se sentit pas plus tôt délivré de la main formidable qui le serrait, qu’il partit comme une balle à laquelle un bras vigoureux vient de donner l’impulsion. Il traversa toute la ville de Kirkwall avec une rapidité qui étonna tous ceux qui le virent, et dont il fut surpris lui-même. Il fit sa retraite avec un tel élan d’impétuosité que, comme s’il eût vu les tenailles du pirate prêtes à s’ouvrir pour le saisir de nouveau, il ne s’arrêta qu’après être sorti de la ville, et quand il se trouva en plaine campagne. Ceux qui, le voyant sans sa cravate et sans son chapeau, perdus dans sa fuite précipitée, eurent ainsi occasion de comparer sa taille ronde et ses jambes courtes avec la rapidité de sa course, dûrent convenir que, si la fureur donne des armes, la frayeur prête des ailes.

On ne se mit pas à la poursuite du fuyard ; un ou deux mousquets se préparaient bien à lui dépêcher un messager qui, quoique d’un métal pesant, l’aurait gagné de vitesse mais Goffe, jouant pour la première fois de sa vie le rôle de pacificateur, exagéra tellement les dangers qui résulteraient d’une infraction à la trève conclue avec les habitans de Kirkwall, qu’il détermina ses camarades à s’abstenir de toute hostilité ; et ils ne songèrent plus qu’à retourner au vaisseau en toute hâte.

Les bourgeois, qui regardaient la fuite de Triptolème comme un triomphe qu’ils avaient remporté sur les pirates, leur firent des adieux insultans, en poussant trois acclamations de joie quand ils les virent s’éloigner du rivage. Cependant les magistrats n’étaient pas sans inquiétude sur cette espèce de violation d’un des articles du traité conclu ; et il est probable que, s’ils avaient pu arrêter sans bruit le fugitif, au lieu de célébrer par un banquet civique l’agilité qu’il venait de déployer, ils auraient remis l’otage entre les mains de ses ennemis. Mais il leur était impossible de donner publiquement leur sanction à un tel acte de violence, et ils se contentèrent de faire veiller de près Cleveland, qu’ils résolurent de rendre responsable de tout acte d’agression que les pirates pourraient commettre. Cleveland, de son côté, conjectura aisément que c’était pour le laisser exposé à toutes les conséquences, que Goffe avait laissé échapper l’otage dont il était chargé. Quoiqu’il se fiât à l’intelligence et à l’attachement de son ami et de son partisan Jack Bunce, autrement dit Frédéric Altamont, plus qu’à toute autre chose, il attendit pourtant les évènemens avec beaucoup d’inquiétude, puisque les magistrats, tout en continuant à le traiter avec civilité, lui avaient déclaré très clairement que son sort dépendrait de la manière dont se conduirait son équipage, quoiqu’il ne le commandât plus.

Il n’avait véritablement pas tort de compter sur le dévouement et la fidélité de Bunce ; car celui-ci n’eut pas plus tôt appris de l’équipage de la chaloupe la fuite de Triptolème, qu’il en conclut sur-le-champ que Goffe l’avait favorisée dans l’espoir que Cleveland étant mis à mort ou jeté en prison, il pourrait reprendre le commandement du vaisseau.

– Si le vieil ivrogne ne manque pas son coup, dit Bunce à son ami Fletcher, je consens à perdre le nom de Frédéric Altamont, et à n’être jusqu’à la fin de mes jours que Jack Bunce, ou tout ce que vous voudrez.

En conséquence, mettant en œuvre tous les ressorts d’une éloquence navale parfaitement adaptée aux dispositions de ses auditeurs, il représenta à ses camarades, de la manière la plus énergique, la honte dont ils se couvriraient s’ils souffraient que leur capitaine fût retenu à terre sans qu’ils eussent aucun otage pour répondre de sa sûreté ; et il y réussit au point qu’indépendamment du mécontentement qu’il excita contre Goffe, il fit décider par tout l’équipage qu’on s’emparerait du premier bâtiment de quelque importance qu’on rencontrerait, et que le navire, la cargaison, l’équipage et les passagers répondraient du traitement qu’on pourrait faire subir à Cleveland. On résolut aussi de mettre à l’épreuve la bonne foi des habitans de Kirkwall, en quittant leur rade pour se rendre dans celle de Stromness, où, d’après l’accord fait entre le prevôt Torf et le capitaine Cleveland, leur sloop devait être avitaillé. Il fut arrêté aussi que, pendant l’intérim, et jusqu’à ce que Cleveland pût reprendre les fonctions de capitaine, le commandement du navire serait confié à un comité composé de Goffe, d’Hawkins et de Bunce.

Toutes ces résolutions ayant été proposées et adoptées, on leva l’ancre et l’on mit à la voile sans que la batterie de six pièces cherchât à y mettre aucun obstacle ; ce qui les délivra d’une autre crainte, résultat du danger de leur situation.

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