« … Lâchez une bordée ;
« Une seconde ! – Bien ! ce vaisseau se rendra
« Ou, criblé par nos coups, la mer l’engloutira. »
SHAKSPEARE.
Un fort joli brick qui appartenait, ainsi que plusieurs autres bâtimens, à Magnus Troil le principal Udaller des îles Shetland, avait reçu à bord ce magnat lui-même, et ses deux filles. Le facétieux Claude Halcro, par amitié pour le vieux Chef, et par l’amour que la profession de poète inspire toujours pour la beauté, les accompagnait dans leur voyage à la capitale des îles Orcades, lieu où Norna leur avait annoncé que ses oracles mystérieux recevraient enfin une explication satisfaisante. Ils passèrent à quelque distance des rochers énormes de cette île solitaire appelée Belle-Île, et située à une distance égale des deux archipels, au milieu de la mer par laquelle les îles Shetland sont séparées des Orcades. Après avoir éprouvé quelques vents qui les contrarièrent, ils aperçurent le Start de Sanda. À la hauteur du promontoire de ce nom ils rencontrèrent un courant très violent, bien connu de ceux qui fréquentent ces mers, et qu’on appelle le Roost du Start. Ce courant les écarta considérablement de leur route, et un vent contraire s’y étant joint, ils furent obligés de se porter à l’est de l’île de Stronsa, et enfin de passer la nuit à l’ancre dans la baie de Papa ; car la navigation pendant l’obscurité ou le brouillard, n’était ni agréable ni sûre au milieu de tant d’îles basses qui couvrent cette mer.
Le lendemain matin ils se remirent en route sous des auspices plus favorables ; et ayant côtoyé l’île de Stronsa, dont les rives sont verdoyantes et fertiles, si on les compare aux îles des mêmes parages, ils doublèrent le cap de Lamb-Head, et cinglèrent vers Kirkwall.
Ils étaient à peine en vue de la jolie baie qui est entre Pomone et Shapinsha, et les deux sœurs admiraient l’église massive de Saint-Magnus, qu’on voyait de loin s’élever au-dessus des autres bâtimens de Kirkwall, quand les yeux de Magnus et de Claude Halcro furent attirés par un objet qui leur parut plus intéressant. C’était un sloop armé, avec toutes ses voiles déployées, venant de quitter son ancrage dans la baie, et à qui le vent était favorable, tandis qu’il était contraire pour celui de l’Udaller.
– Par les reliques de mon saint patron ! s’écria Magnus, voilà un joli navire, mais je ne puis dire de quel pays, car il est sans pavillon. Je le croirais de construction espagnole.
– Oui, oui, dit Claude Halcro, il en a tout l’air. Il n’a besoin que de suivre le cours du vent contre lequel nous avons à lutter. Mais c’est ainsi que va le monde. Comme dit le glorieux John :
Avec un ample pont et des canons terribles,
Citadelle flottante, elle semble à mes yeux
Une guêpe de mer sur les flots écumeux.
Quand Halcro eut répété cette strophe avec enthousiasme, Brenda ne put s’empêcher de lui dire : – Quoique la description de Dryden ait plutôt rapport à un vaisseau de ligne qu’à un sloop semblable à celui que nous avons sous les yeux, la comparaison avec une guêpe ne me paraît applicable ni à l’un ni à l’autre.
Une guêpe ! dit Magnus en voyant avec surprise le sloop changer de direction et arriver sur le brick ; de par Dieu ! je souhaite que nous n’en sentions pas l’aiguillon.
L’Udaller comptait faire une plaisanterie ; mais il avait deviné, car presque au même instant le sloop, sans arborer de pavillon et sans avoir hélé le brick, tira contre lui deux coups de canon à boulet, dont l’un, effleurant la surface de l’eau, passa à une toise de l’avant du bâtiment, et l’autre traversa la grande voile. Magnus prit un porte-voix, héla le sloop, lui demanda qui il était, et quelle était la cause de cet acte d’hostilité que rien n’avait provoqué. – Amenez pavillon, lui répondit-on, carguez la grande voile, et vous allez savoir qui nous sommes.
Il n’y avait aucun moyen de refuser d’obéir à cet ordre ; dont l’inexécution les aurait exposés à recevoir une bordée ; et au milieu des alarmes de Claude Halcro et des deux sœurs, de la surprise et de la fureur de l’Udaller, le brick fut obligé d’attendre les ordres du sloop. Ils arrivèrent bientôt ; le sloop mit en mer sa chaloupe ; et six hommes armés, commandés par Jack Bunce, y étant descendus, s’avancèrent vers leur prise. Comme ils en approchaient, Claude Halcro dit à l’oreille de l’Udaller – Si ce qu’on dit des boucaniers est vrai, ces hommes, avec leurs écharpes et leurs vestes de soie, en ont bien la mine.
– Et mes filles ! mes filles ! s’écria Magnus avec une angoisse qu’un père seul pouvait éprouver. Descendez sous le pont, mes chers enfans et cachez-vous pendant que je…
Il jeta son porte-voix et saisit un petite pique, tandis que ses filles, plus effrayées des suites que pouvait avoir son caractère irascible que de toute autre chose, le serraient dans leurs bras, et le conjuraient de ne faire aucune résistance. Claude Halcro joignait ses prières aux leurs et ajouta : – Le mieux est de tâcher de les prendre par la douceur ; c’est peut-être un corsaire de Dunkerque ; peut-être aussi est-ce un vaisseau de guerre dont l’équipage insolent veut s’amuser.
– Non, non, répondit Magnus, c’est le sloop dont Bryce Snailsfoot nous a parlé. Mais je suivrai votre avis ; je m’armerai de patience à cause de mes deux filles et cependant…
Il n’eut pas le temps d’en dire davantage, car Bunce sauta à bord en ce moment avec ses gens, tira son sabre, en frappa le grand mât, et déclara qu’il prenait possession du bâtiment.
– De quel droit et en vertu de quels ordres nous arrêtez-vous en pleine mer ? lui demanda Magnus.
– Des ordres ? répondit Bunce en lui montrant les pistolets attachés à sa ceinture et à son écharpe, suivant un usage des pirates dont nous avons déjà parlé ; en voici une demi-douzaine, vieillard ; choisissez celui qu’il vous plaira, et je le ferai lire.
– Cela veut dire que vous avez dessein de nous dépouiller, dit Magnus ; soit, nous n’avons aucun moyen de résistance : ayez des égards pour nos femmes, et prenez tout ce qui vous conviendra. Vous ne trouverez pas grand chose ; mais si vous nous traitez convenablement, je vous promets que vous n’y perdrez rien.
– Des égards pour les femmes ! s’écria Fletcher, qui faisait partie de ce détachement, et quand est-ce que nous en avons manqué ? Oui, oui, nous serons pleins d’égards, et même de galanterie, qui plus est. – Eh ! regarde donc, Jack ; quel joli petit minois ! De par le ciel ! elle fera une croisière avec nous, n’importe ce que deviendra le vieux papa.
En parlant ainsi, il saisit d’une main Brenda, dont la frayeur était extrême, et de l’autre tira en arrière le capuchon de sa mante dont elle s’était caché le visage.
– Au secours, mon père ! – Au secours, Minna ! s’écria la pauvre fille épouvantée, mais sans songer qu’il n’était pas en leur pouvoir de lui en donner aucun.
Magnus leva la pique contre Fletcher, mais Bunce lui retint le bras. – Prenez garde, papa, lui dit-il, ou vous vous ferez de mauvaises affaires ; et vous, Fletcher, lâchez cette fille.
– Et pourquoi diable la lâcherais-je ?
– Parce que je vous le commande, Fletcher, et que si vous n’obéissez pas, nous aurons une querelle. – Et maintenant, mes charmantes, dites-moi laquelle de vous porte ce drôle de nom païen de Minna, pour lequel j’ai une sorte de vénération.
– C’est une preuve incontestable, monsieur, dit Claude Halcro, qu’il y a de la poésie dans votre cœur.
– Du moins, il y en a eu assez dans ma bouche ; mais ce temps-là est passé ; mon vieux. – Il faut pourtant que je sache laquelle des deux se nomme Minna. – Découvrez-vous un peu la figure, jeunes filles, et ne craignez rien, mes charmantes Lindamires, personne ici ne vous insultera. – Sur mon âme, voilà deux jolies créatures ! je me contenterais, ma foi, de la moins gentille ; si je mens, je consens à être exposé à une tempête dans une coquille d’œuf. – Eh bien, mes anges ! laquelle de vous trouverait agréable d’être bercée dans le hamac d’un pirate ? – Sur mon honneur, vous y récolteriez des œufs d’or.
Les deux sœurs se serrèrent l’une contre l’autre, et pâlirent en entendant les propos familiers et licencieux du jeune libertin.
– Oh ! ne craignez rien ; personne ne sert sous le noble Altamont que volontairement ; nous ne connaissons pas la presse. Mais allons, n’ayez pas l’air si effarouchées, comme si je vous parlais de choses dont vous n’eussiez jamais entendu parler. L’une de vous, tout au moins, connaît le capitaine Cleveland, le pirate ?
Brenda pâlit encore davantage ; mais le sang monta au visage de Minna quand elle entendit si inopinément prononcer le nom de son amant ; car, dans la confusion de cette scène, l’Udaller était le seul à l’esprit duquel s’était présentée l’idée que ce sloop pouvait être celui dont Cleveland avait parlé à Burgh-Westra.
– Je vois ce que c’est, dit Bunce d’un air familier, et j’agirai en conséquence. – Ne craignez rien, papa, ajouta-t-il en s’adressant à Magnus ; j’ai fait payer le tribut à plus d’une jolie fille ; mais les vôtres retourneront à terre sans avoir à acquitter de taxe d’aucune espèce.
– Si vous m’assurez de cela, s’écria l’Udaller, je vous offre ce bâtiment et sa cargaison avec autant de plaisir que j’aie jamais offert à qui que ce soit un bowl de punch.
– Et ce ne serait, ma foi, pas une mauvaise chose qu’un verre de punch, dit Bunce, si nous avions ici quelqu’un qui sût le préparer.
– Je m’en charge, dit Halcro, et je ne crains personne qui ait jamais pressé un citron : à l’exception toutefois d’Érick Scambester, le faiseur de punch de Burgh-Westra.
– Et il n’est qu’à distance de grappin, dit Magnus. Mes filles, descendez sous le pont, et envoyez-nous le bowl et le faiseur.
– Le bowl ! s’écria Fletcher ; du diable ! dites donc le baquet. Parlez d’un bowl à bord d’un misérable bâtiment marchand ; mais avec des gens comme nous !…
– Et j’espère que ces deux jolies filles reviendront sur le pont et rempliront mon verre, dit Jack Bunce ; il me semble que je suis assez généreux pour qu’elles fassent quelque chose pour moi.
– Et elles rempliront le mien aussi, ajouta Fletcher. Elles l’empliront jusqu’au bord, et elles auront un baiser pour chaque goutte qu’elles y verseront.
– Cela ne sera pas vrai, s’écria Bunce. Je veux être damné si vous en faites rien. Il n’y a qu’un seul homme qui donnera un baiser à Minna, et ce ne sera ni vous, ni moi. Et quant à sa sœur, elle ne paiera point d’écot, parce qu’elle se trouve en sa compagnie. – Que diable ! on ne manque pas de filles de bonne volonté dans les Orcades. – Et à présent que j’y réfléchis, elles n’ont qu’à rester sous le pont et à s’enfermer dans la chambre, tandis que nous prendrons le punch sur le tillac, al fresco, comme le papa le propose.
– En vérité, Jack, dit Fletcher, vous ne savez ce que vous voulez, et cela me désole. Voilà deux ans que je suis votre camarade et que je vous suis attaché ; mais je veux être écorché comme un bœuf sauvage si vous n’êtes pas fantasque comme un singe. – Que nous restera-t-il ici pour nous divertir, à présent que vous avez renvoyé ces jeunes filles ?
– Quoi ! répondit Bunce en montrant Halcro, nous aurons M. le faiseur de punch que voici : il nous proposera des toasts, il nous chantera des chansons, – Et en attendant, vous allez commander la manœuvre pour faire marcher le bâtiment. – Quant à vous, pilote, si vous voulez conserver votre cervelle dans votre crâne, ayez soin de maintenir le brick sous la poupe du sloop car si vous essayez de nous jouer quelque tour, je vous coule à fond comme une vieille carcasse.
Le brick mit à la voile, et s’avança lentement, en se tenant dans les eaux du sloop, comme on en était convenu auparavant. Les pirates se dirigeaient, non vers la baie de Kirkwall, mais vers une excellente rade nommée la baie d’Inganess, formée par un promontoire qui s’étend à l’est, à deux ou trois milles de la métropole des Orcades. Là les deux bâtimens pouvaient rester commodément à l’ancre, tandis que les forbans auraient avec les magistrats de Kirkwall les communications que le nouvel état des choses semblait exiger.
Pendant ce temps, Claude Halcro avait déployé tous ses talens pour préparer aux pirates un énorme baquet de punch. Ils le buvaient dans de grands verres que les simples matelots, aussi bien que Bunce et Fletcher qui avaient rang d’officier, y plongeaient sans cérémonie, tout en s’occupant de leur besogne. Magnus craignait par-dessus tout que cette liqueur n’éveillât les passions brutales de ces hommes qu’il regardait comme capables de tout ; il fut donc étonné de la quantité qu’ils en burent sans que leur raison en parût affectée le moins du monde, et il ne put s’empêcher d’en témoigner sa surprise à Bunce lui-même. Celui-ci, malgré son air libre et familier, paraissait de beaucoup le plus civil et le plus sociable de toute la bande. Peut-être Magnus songeait-il à se le concilier par un compliment dont tous les bons buveurs connaissent le mérite.
– Par les reliques de saint Magnus ! lui dit-il, je me croyais en état de tenir tête à qui que ce fût ! mais en voyant vos gens avaler coup sur coup, capitaine, on serait tenté de croire que leur estomac n’a pas plus de fond que le trou de Laifell à Foulah, que j’ai moi-même inutilement sondé jusqu’à cent brasses de profondeur.
– Dans notre genre de vie, monsieur, répondit Bunce, il n’y a que la voix du devoir ou la fin de la liqueur qui puissent mettre des bornes à notre soif.
– En vérité, monsieur, dit Claude Halcro, je crois qu’il n’y a pas un de vos gens qui ne fût en état de vider la grande jarre de Scapa qu’on était dans l’usage de présenter à l’évêque des Orcades, pleine jusqu’au bord, de la meilleure bière qu’on pût trouver.
– S’il ne s’agissait que de bien boire pour être évêque, répondit Bunce, j’aurais un équipage de prélat ; mais comme ils n’ont pas d’autres qualités cléricales, je ne veux pas qu’ils s’enivrent aujourd’hui, et c’est pourquoi nous allons faire succéder au verre une chanson.
– Et de par Dieu, c’est moi qui la chanterai, s’écria Dick Fletcher ; et il commença sur-le-champ une vieille chanson de matelot.
Je montais un fier navire,
Tout frais sorti des chantiers ;
Nous étions, pour le conduire,
Cent cinquante mariniers.
– Je préférerais qu’on me mît à la cale, s’écria Bunce, plutôt que d’entendre cette chanson. Que l’enfer confonde votre gosier ! jamais vous ne pouvez en tirer autre chose.
– Je chanterai ma chanson, qu’elle vous plaise ou non, reprit Fletcher ; et il entonna le second couplet d’une voix qu’on pouvait comparer au sifflement du vent du nord-est, accompagné de grésil et de frimas.
Nous avions pour capitaine
Le plus brave des marins
Nous allions mettre à la chaîne
Des esclaves africains.
– Je vous dis encore une fois, s’écria Bunce, que je ne veux pas de votre musique de hibou. Je veux être damné si je souffre que vous restiez assis avec nous pour faire ce tapage infernal.
– Eh bien, dit Fletcher, je chanterai en me promenant, et j’espère que vous n’y trouverez pas à redire, Jack Bunce.
Et se levant effectivement, il se promena en long et en large sur le pont, tout en beuglant sa longue et lamentable ballade.
– Vous voyez comment je les mène, dit Bunce d’un air content de lui-même ; laissez prendre un pied à ce drôle, et, vous en ferez un mutin pour toute sa vie. Mais je le serre de près, et il m’est attaché comme l’épagneul l’est à son maître après qu’il en a été battu à la chasse. – Et maintenant, monsieur, dit-il à Halcro, votre toast et votre chanson. – Mais non, non, seulement une chanson ; je me charge de porter un toast, et le voici : Succès aux armes des pirates, et confusion aux honnêtes gens !
– C’est un toast auquel je ne ferai pas raison, dit Magnus Troil, si je puis m’en dispenser.
– Sans doute parce que vous vous comptez au nombre des honnêtes gens. Mais voyons quel est votre métier, et je dirai ce que j’en pense. Quant à notre faiseur de punch que voici, il ne m’a fallu qu’un coup d’œil pour juger que c’est un tailleur, et par conséquent il ne doit pas avoir plus de prétentions à être honnête qu’à ne pas avoir de démangeaison aux doigts ; et vous, je garantis que vous êtes un armateur hollandais, qui foule aux pieds la croix quand il commerce avec le Japon, et qui renie sa religion par cupidité.
– Vous vous trompez ; je suis un habitant des îles Shetland.
– Oh ! oh ! vous êtes de cet heureux pays où le genièvre ne se vend qu’un groat la bouteille, et où il fait toujours clair ?
– À votre service, capitaine, répondit l’Udaller, qui réprima, non sans peine, l’envie qu’il avait de se mettre en colère à quelque risque que ce fût, en entendant railler sur son pays.
– À mon service ! oui, s’il y avait un câble étendu depuis mon navire échoué jusqu’à vos côtes, vous seriez à mon service pour le couper, afin de faire de mon bâtiment une épave ; et je serais bien heureux si vous ne me donniez pas sur la tête un bon coup du revers de votre hache. Mais n’importe, j’avale mon toast. – Et vous, monsieur le maître des modes, chantez-moi une chanson, et tâchez qu’elle soit aussi bonne que votre punch.
Halcro, priant intérieurement le ciel de lui accorder, comme au Timothée du glorieux John, le pouvoir de donner aux cœurs telles impressions qu’il voudrait, commença une chanson dont il présuma que l’effet serait d’attendrir celui du pirate.
Jeunes filles, dont la fraîcheur
Égale la plus fraîche rose,
Écoutez…
– Et moi je n’écoute rien, s’écria Bunce ; je ne veux ni jeunes filles ni roses, cela me rappelle quelle espèce de cargaison nous avons sur ce bâtiment ; et, de par Dieu ! je veux être fidèle à mon camarade, à mon capitaine, aussi long-temps que je le pourrai, – Et à présent que j’y pense, je ne boirai plus de punch. – Ce dernier verre a fait sur ma tête une innovation, et je ne veux pas jouer aujourd’hui le rôle de Cassio. – Mais si je ne bois plus, personne ne boira.
À ces mots, il renversa d’un coup de pied le baquet de punch, encore à moitié plein, quoiqu’on y eût prodigieusement puisé ; il se leva, secoua ses jambes pour se remettre d’aplomb, disait-il, fixa son chapeau sur l’oreille, et marcha sur le tillac avec un air de dignité, donna de vive voix et par signal l’ordre de jeter l’ancre, ordre qui fut exécuté par les deux vaisseaux, Goffe étant alors, suivant toute probabilité, hors d’état d’en donner aucun.
Pendant ce temps, l’Udaller faisait avec Halcro des doléances, sur leur situation. – Elle est assez fâcheuse, disait-il ; car ces gens-là sont de francs coquins ; et cependant, sans mes deux filles, ils ne me feraient pas peur. Ce jeune homme qui se donne des airs, et qui paraît les commander, n’est, certes, pas aussi diable qu’il semble noir.
– Son humeur est singulière, dit Halcro ; et je voudrais que nous en fussions débarrassés. Renverser le meilleur punch du monde, et me couper la parole au troisième vers de la plus jolie chanson que j’aie faite de ma vie c’est bien être voisin de la folie, et je ne sais à quoi nous devons nous attendre.
Lorsque les deux bâtimens furent bien assurés sur leurs ancres, le vaillant lieutenant Bunce appela Fletcher, et vint se rasseoir près de ceux que nous pouvons nommer leurs captifs.
– Je vous montrerai ; leur dit-il, le message que je vais envoyer à ces coucous de Kirkwall, attendu que cela vous concerne un peu. Je le ferai au nom de Dick Fletcher comme au mien, parce que j’aime à donner de temps en temps un peu d’importance au pauvre garçon. N’est-il pas vrai, Dick ? – Eh bien, me répondrez-vous, âne bâté ?
– Oui, Jack Bunce, oui, répliqua Dick, je ne puis en disconvenir ; mais vous me rudoyez toujours de manière ou d’autre. Cependant, voyez-vous…
– Assez ! assez ! Dick ; ménagez vos mâchoires dit Bunce. Il se mit à écrire, après quoi il lut à voix haute la lettre qui suit :
Aux Prevôt et Aldermen de Kirkwall.
MESSIEURS,
« Attendu qu’au mépris de la parole que vous aviez donnée, vous ne nous avez pas envoyé à bord un otage pour la sûreté de notre capitaine, qui est resté à terre à votre requête, cette lettre a pour but de vous informer que nous ne sommes pas des gens dont on puisse se jouer. Nous nous sommes emparés d’un brick à bord duquel se trouve une famille de distinction, et elle sera traitée, sous tous les rapports, comme vous traiterez notre capitaine. C’est notre premier acte d’hostilité, et soyez bien assurés que ce ne sera pas le dernier dommage que nous ferons supporter à votre ville et à votre commerce, si vous ne renvoyez notre capitaine, et si vous ne faites avitailler notre bâtiment, conformément au traité. »
« Fait à bord du brick le Mergoose de Burgh-Westra, à l’ancre dans la baie d’Inganess. »
« Signé, le commandant de la Favorite de la Fortune. »
Après avoir fait cette lecture, il signa FRÉDÉRIC ALTAMONT, et passa la lettre à Fletcher pour qu’il la signât à son tour. Fletcher lut cette signature avec beaucoup de difficulté ; mais ce nom lui parut ronflant, il l’admira beaucoup ; jura qu’il voulait aussi en prendre un nouveau, celui de FLETCHER étant le plus difficile à écrire et à orthographier de tout le dictionnaire. En conséquence il signa TIMOTHÉE TUGMUTTON.
– N’ajouterez-vous pas quelques lignes pour ces sots de Kirkwall ? demanda Bunce à Magnus.
– Pas un mot, répondit l’Udaller, inébranlable dans ses idées du juste et de l’injuste, malgré le danger. Les magistrats de Kirkwall connaissent leur devoir ; et si j’étais à leur place… Ici le souvenir que ses filles étaient à la merci de ces forbans fit pâlir son visage intrépide, et ne lui laissa pas la force de terminer la phrase qu’il avait commencée.
– Dieu me damne ! dit Bunce qui conjectura aisément ce qui se passait dans l’esprit de son prisonnier, cette réticence aurait produit un effet admirable au théâtre ; par Dieu ! elle aurait terrassé le parterre, les galeries et les loges, comme dit Bayes.
– Qu’on ne me parle pas de Bayes ! s’écria Claude Halcro, dont la tête était un peu échauffée par le punch ; c’est une impudente satire contre le glorieux John ! Mais il a chatouillé comme il faut Buckingham en retour :
Entre eux, au premier rang, on distinguait Zimri :
Astucieux Protée…
– Paix ! s’écria Bunce en étouffant la voix de l’admirateur de Dryden par la sienne montée sur un ton beaucoup plus élevé ; paix ! la Répétition est la meilleure farce qui existe au théâtre ; et si quelqu’un ose le nier ; je le forcerai à embrasser la fille de notre canonnier. – Dieu me damne ! j’étais le meilleur prince Prettyman qu’on ait jamais vu sur les planches.
Prince aujourd’hui, demain fils d’un pêcheur.
Mais, continua Bunce en s’adressant à Magnus, parlons d’affaires. Écoutez-moi, vieux papa : il y a en vous une sorte d’humeur sombre et bourrue pour laquelle bien des gens de ma profession vous couperaient les oreilles, et tous les feraient griller pour votre dîner avec du poivre rouge. C’est ainsi que j’ai vu Goffe agir, à l’égard d’un pauvre diable qui montrait de l’humeur en voyant couler à fond son bâtiment, à bord duquel était son fils unique. Mais je ne suis pas un esprit de la même trempe ; si vos filles et vous n’êtes pas bien traités, ce sera la faute des gens de Kirkwall, et non la mienne, cela est juste. – Ainsi donc vous feriez bien de leur faire connaître la situation et les circonstances dans lesquelles vous vous trouvez. – Et cela est juste aussi.
D’après cette exhortation, Magnus prit la plume et essaya d’écrire ; mais la fierté de son âme luttait tellement contre les inquiétudes paternelles, que sa main lui refusait son service. – Je ne saurais qu’y faire, dit-il après avoir essayé deux ou trois fois de tracer des caractères, qui se trouvaient toujours illisibles ; quand toutes nos vies en dépendraient, je ne puis former une lettre.
Il eut beau s’efforcer de maîtriser l’émotion convulsive qui l’agitait, il ne put y réussir. Le saule qui plie échappe à la violence de l’ouragan plus aisément que le chêne qui résiste : de même, dans de grandes calamités, il arrive souvent que les êtres légers et frivoles retrouvent leur énergie et leur présence d’esprit plus promptement que ceux qui sont doués d’un caractère plus élevé. Heureusement Claude Halcro, en cette occasion, se trouva en état d’exécuter la tâche que les sensations plus vives de son ami ne permettaient pas à celui-ci de remplir. Il prit la plume, et expliqua, le plus brièvement possible, la situation dans laquelle ils se trouvaient, et les risques auxquels ils étaient exposés ; faisant entendre en même temps, avec beaucoup de délicatesse, que les magistrats du pays devaient attacher plus d’importance à la vie et à l’honneur de leurs concitoyens qu’à l’arrestation et à la punition des coupables. Il eut pourtant soin de revêtir cette dernière idée d’une circonlocution, de crainte de donner de l’ombrage aux pirates.
Bunce lut la lettre, et elle eut le bonheur d’obtenir son approbation ; mais quand il vit au bas le nom de Claude Halcro, il fit une exclamation de surprise, qu’il accompagna de quelques interjections que leur énergie nous empêche de rapporter ici : – Quoi ! dit-il, seriez-vous le petit homme qui jouait du violon dans la troupe du vieux directeur Gadabout à Hogs-Norton, lorsque j’y débutai ? J’aurais dû vous reconnaître à votre refrain du glorieux John.
En toute autre circonstance, cette reconnaissance n’aurait pas été très agréable à l’orgueil du poète ; mais dans la circonstance où il se trouvait, la découverte d’une mine d’or ne l’aurait pas rendu plus heureux. Il se rappela sur-le-champ le jeune acteur qui, en débutant dans Don Sébastien , avait donné de si grandes espérances, et il ajouta très judicieusement que la muse du glorieux John n’avait jamais été si bien secondée pendant tout le temps qu’il avait été premier violon – il aurait pu dire unique violon dans l’a compagnie de M. Gadabout.
– Oui, dit Bunce, vous avez raison ; je crois que j’aurais pu figurer sur la scène aussi bien que Booth et Betterton ; mais j’étais destiné à me montrer sur d’autres planches (ajouta-t-il en frappant du pied sur le tillac) – et je crois qu’il faut que j’y reste jusqu’à ce que je n’en trouve plus pour me soutenir ; mais à présent, mon ancienne connaissance, je veux faire quelque chose pour vous. – Approchez un peu de ce côté, il faut que je fasse avec vous un à parte. Ils s’appuyèrent sur le couronnement de la poupe, et Bunce commença à lui parler à demi-voix d’un ton plus sérieux qu’il n’avait coutume de le faire. – J’en suis fâché pour ce vieux et honnête pin de Norwège, dit-il ; Dieu me damne, si je ne dis pas vrai, – et pour ses filles aussi, d’autant plus qu’il y en a une que j’ai des raisons particulières pour protéger. Je puis faire le vert galant avec une beauté complaisante ; mais avec des créatures si honnêtes, si innocentes, je suis Scipion à Numance, Alexandre sous la tente de Darius. Vous souvenez-vous comment je déclamais ces vers dans Alexandre :
De la nuit du tombeau l’amant le plus fidèle
Sort pour sauver l’objet d’un éternel amour.
Contre moi du tonnerre armez-vous en ce jour ;
Avancez : qui pourrait m’arracher la victoire,
Quand la beauté m’appelle et que j’entends la gloire ?
Claude Halcro ne manqua pas d’accorder les éloges obligés à sa déclamation, et l’assura, foi d’honnête homme, qu’il avait toujours pensé que M. Altamont donnait à cette tirade beaucoup plus de feu et d’énergie que Betterton.
Bunce ou Altamont lui serra tendrement la main. – Ah ! mon cher ami, s’écria-t-il, vous me flattez. Mais pourquoi le public n’est-il pas doué de votre jugement ? je ne serais pas ce que vous me voyez. – Le ciel sait, mon cher Halcro, le ciel sait avec quel plaisir je vous garderais à bord avec moi, pour avoir un ami qui aime à entendre les plus beaux passages de nos meilleurs auteurs dramatiques, comme j’aime à les déclamer. La plupart des nôtres sont des brutes. – Et quant à mon otage pour la ville de Kirkwall, il me traite, de par Dieu ! comme je traite Fletcher ; et plus je fais pour lui, plus il devient hargneux. Comme il serait délicieux pour moi, par une belle nuit entre les tropiques, pendant qu’une brise favorable enflerait nos voiles, de déclamer le rôle d’Alexandre à un ami qui serait pour moi galeries, parterre et loges en même temps ! – Je me souviens que vous êtes un nourrisson des muses ; qui sait si vous et moi nous ne réussirions pas à inspirer à nos compagnons, comme Orphée et Eurydice, un goût plus pur, des mœurs plus douces, des sentimens plus relevés ?
Il parlait avec tant d’onction, qu’Halcro commença à regretter d’avoir fait son punch trop fort, et d’avoir mêlé des ingrédiens trop enivrans à la dose de flatterie qu’il venait de lui administrer, redoutant que le pirate sentimental, excité par l’influence réunie de cette double potion, n’eût le projet de réaliser les scènes que son imagination lui offrait, en retenant son admirateur auprès de lui. La conjoncture était pourtant trop délicate pour qu’Halcro osât se permettre de faire la moindre tentative de réparer son imprudence ; il se borna donc à presser à son tour la main de son ami, et à prononcer l’exclamation : – Hélas ! du ton le plus pathétique possible.
Bunce reprit la parole sur-le-champ. – Vous avez raison, mon ami, ce sont là de vains rêves de bonheur, et il ne reste au malheureux Altamont qu’à servir l’ami auquel il faut qu’il fasse ses adieux. – J’ai résolu de vous faire conduire à terre avec les deux jeunes filles. Fletcher vous servira d’escorte. Appelez-les donc, et qu’elles partent avant que le diable prenne possession de moi ou de quelque autre. Vous porterez ma lettre aux magistrats ; vous l’appuierez de votre éloquence, et vous les assurerez bien que, si l’on arrache un cheveu de la tête de Cleveland, ils auront bien le diable à peigner.
Très soulagé par la conclusion imprévue de la harangue de Bunce, Halcro descendit par l’écoutille deux échelons à la fois, frappa à la porte de la chambre, et, dans le transport qui l’agitait, put à peine expliquer aux deux sœurs ce dont il s’agissait. Leur joie, en apprenant qu’on allait les conduire à terre, fut aussi grande qu’elle était inattendue. Elles se couvrirent à la hâte de leurs mantes ; et, quand elles apprirent que la barque était en mer, elles se hâtèrent de monter sur le pont, où elles apprirent, pour la première fois, et à leur grande consternation, que leur père devait rester à bord du pirate.
– Nous resterons avec lui, s’écria Minna, quelque risque que nous puissions courir. Nous pouvons lui être de quelque secours, ne fût-ce que pour un instant. – Nous voulons vivre et mourir avec lui.
– Nous lui serons plus utiles, dit Brenda qui comprenait mieux que sa sœur leur véritable situation, en travaillant à engager les magistrats de Kirkwall à faire ce que ces messieurs leur demandent.
– C’est parler en ange d’esprit et de beauté, s’écria Bunce ; et maintenant dépêchez-vous de partir ; car, Dieu me damne ! je suis comme s’il y avait une mèche allumée dans la sainte-barbe. Ne dites plus un seul mot, sans quoi je ne sais si je pourrai me décider à vous laisser partir.
– Partez, au nom du ciel ! mes chères filles, dit Magnus. Je suis entre les mains de Dieu ; quand vous serez parties, je n’aurai plus guère d’inquiétudes pour moi, et je penserai et je dirai toute ma vie que ce bon jeune homme mérite de faire un autre métier. Partez, répéta-t-il, – partez sur-le-champ. – Car elles semblaient vouloir retarder l’instant de leur séparation.
– Point de baisers d’adieu, s’écria Bunce, de par le ciel ! je serais tenté d’en demander ma part. – Vite, vite, dans la barque. – Un moment pourtant. Il prit à part les trois captifs à qui il allait rendre la liberté. – Fletcher, leur dit-il, me répondra des hommes de l’équipage, et vous descendra en sûreté sur la côte ; mais qui me répondra de Fletcher ? je n’en vois qu’un moyen, c’est d’offrir à M. Halcro cette petite garantie.
Et en même temps il lui présenta un petit pistolet à deux coups, en l’assurant qu’il était chargé à balles. Minna vit la main du ménestrel trembler quand il l’avança pour recevoir ce présent. – Donnez-moi cette arme, monsieur, dit-elle à Bunce en prenant le pistolet, et fiez-vous à moi pour me défendre ainsi que ma sœur.
– Bravo ! bravo ! s’écria Bunce ; c’est parler en femme digne de Cleveland, du roi des pirates !
– Cleveland ? dit Minna ; voici la seconde fois que je vous l’entends nommer. Le connaissez-vous donc ?
– Si je le connais ! s’écria Bunce ; existe-t-il quelqu’un qui connaisse mieux l’homme le plus brave et le plus déterminé qui se soit jamais trouvé entre une poupe et une proue ? Quand il sera hors d’embarras, et je me flatte que ce ne sera pas long, je compte vous voir venir sur notre bord, et y régner souveraine de toutes les mers sur lesquelles nous naviguerons. Vous tenez votre petit protecteur, et je suppose que vous connaissez la manière de vous en servir. Si Fletcher se conduit mal envers vous, vous n’avez qu’à tirer avec le pouce ce morceau de fer, – comme cela ; – et, s’il persiste, il n’y a plus qu’à placer ainsi l’index de votre jolie main, lui faire faire ce mouvement, et je perdrai le meilleur camarade que j’aie eu. Au surplus, si le coquin désobéit à mes ordres, il aura mérité la mort. – Maintenant, dans la chaloupe. – Mais un instant ! Un baiser de chacune de vous, pour l’amour de Cleveland.
Brenda, frappée d’une terreur mortelle, n’osa refuser ce tribut à la politesse ; mais Minna, reculant avec un air de dédain, lui présenta la main. Bunce se mit à rire, et baisa, en prenant une attitude théâtrale, la belle main qu’elle lui offrait comme une rançon pour ses lèvres. Enfin les deux sœurs et Halcro descendirent dans la chaloupe dont Fletcher avait le commandement, et qui s’éloigna aussitôt du navire.
Bunce resta sur le tillac, et fit un soliloque à la manière de son ancienne profession.
– Si on contait aujourd’hui pareille chose à Port-Royal, ou dans l’île de la Providence, ou au Petit-Goave, que dirait-on de moi ? que je suis un benêt, un nigaud, un âne. Eh bien ! à la bonne heure ! J’ai fait assez de mal dans ma vie pour y songer ; je puis bien faire une fois une bonne action, ne fût-ce que pour la rareté du fait. Cela vous réconcilie avec vous-même. – Se tournant alors vers Magnus : – De par le ciel ! dit-il, quels anges vous avez pour filles ! l’aînée ferait sa fortune sur un théâtre de Londres. Quelle attitude éblouissante elle avait en prenant mon pistolet ! Dieu me damne ! les applaudissemens auraient fait crouler les murailles. Quelle Roxelane la commère aurait faite ! (Car, dans ses discours, Bunce, comme Thomas Cécial, le compère de Sancho, était assez porté à employer le mot le plus énergique qui se présentait à lui, sans trop examiner s’il était convenablement employé.) Je donnerais ma part de la première prise que nous ferons pour l’entendre déclamer :
Va-t’en ! retire-toi ! fais place à l’ouragan,
Ou mon souffle vengeur te réduit en poussière.
Va-t’en ! Qu’est la folie auprès de la colère ?
Et ensuite, cette petite nymphe tremblante, si douce, si timide, que je voudrais l’entendre dire comme Statira :
Il fait tant de sermens, jure avec tant de grâce,
Unit si bien l’amour, le respect et l’audace,
Que, même en vous trompant, il vous ouvre le ciel.
Quelle pièce nous aurions pu monter ! – J’ai été un sot de ne pas y penser avant de les laisser partir. – Moi, Alexandre ; Claude Halcro, Lysimaque ; et mon vieil otage aurait été un digne représentant de Clytus. – J’ai été un idiot de ne pas y penser !
Il y avait dans cette tirade beaucoup de choses qui auraient déplu à l’Udaller ; mais le fait est qu’il n’y fit aucune attention. Bientôt il eut recours à la lorgnette, et ses yeux s’occupaient à suivre ses filles dans leur voyage. Il les vit débarquer avec Halcro et un autre homme, sans doute Fletcher ; ensuite gravir une colline et prendre la route de Kirkwall ; il distingua même Minna qui, comme si elle se fût crue chargée de veiller à la sûreté générale, marchait seule à quelques pas de distance, semblant en garde contre toute surprise, et prête à agir suivant l’occasion. Enfin, à l’instant où il allait les perdre de vue, il eut la satisfaction de voir qu’ils s’arrêtaient, et qu’après une pause probablement destinée aux adieux, le pirate reprit le chemin du rivage. Rendant de ferventes actions de grâces au souverain Être qui le délivrait ainsi des plus cruelles inquiétudes qu’un père puisse éprouver, le digne Udaller, à compter de ce moment, attendit avec résignation le sort qui pouvait lui être réservé.