CHAPITRE IX.

« Je suis enfant de Mars, nourri sous ses auspices,

« Et je puis vous montrer de nobles cicatrices.

« J’ai, sur le champ d’honneur, combattu tour à tour

« La France et mes rivaux, pour la gloire et l’amour. »

BURNS.

– Ne vous laissez pas abattre, dit Bothwell à son prisonnier chemin faisant, vous êtes un brave jeune homme. Hé bien ! le pire qui puisse vous arriver, c’est d’être pendu ; mais, en temps de guerre, cela ne déshonore pas ; ç’a été le sort de plus d’un honnête garçon. Je ne puis vous cacher que la loi vous condamne, à moins que vous ne fassiez une soumission convenable, et que votre oncle ne paie une bonne amende. Au surplus, nous savons qu’il en a les moyens.

– Le danger de mon oncle est ce qui m’inquiète le plus, dit Morton. Je sais qu’il tient à son argent autant qu’à son existence ; et, comme c’est à son insu que j’ai donné retraite à Balfour pour une nuit, je fais des vœux bien sincères pour que, si j’échappe à la peine capitale, l’amende ne tombe que sur moi.

– Eh bien, peut-être, dit Bothwell, que, si vous consentez à prêter serment de fidélité, on vous proposera de servir dans un des régimens écossais qui sont chez l’étranger. Cela n’est pas à dédaigner ; si l’on se donne quelques coups, et que vous ayez des amis, vous ne tarderez pas à obtenir une commission d’officier.

– Cette punition n’en serait pas une pour moi, car c’est précisément ce que je désire.

– Tout de bon ? mais vous n’êtes donc pas un vrai wigh, après tout ?

– Je n’ai embrassé aucun des partis qui divisent l’État. J’ai vécu tranquillement chez mon oncle, et quelquefois je pensais sérieusement à joindre un de nos régimens chez l’étranger.

– Je vous estime pour cette idée. J’ai commencé moi-même de cette manière. J’ai servi long-temps en France dans les gardes écossaises. Que le diable m’emporte si ce n’est pas la meilleure école pour la discipline ! on ne s’inquiète pas de ce que vous faites quand vous n’êtes pas de service. Mais manquez à l’appel, et vous verrez comme on vous arrangera. Cela ne m’est arrivé qu’une seule fois, et le vieux capitaine Montgomery me fit monter la garde, attaché à un piquet, sur la plate-forme de l’arsenal, sous un soleil ardent, pendant six heures de suite. Je jurai bien de ne plus manquer à l’appel de ma vie, quand je devrais laisser le paquet de cartes sur la caisse du régiment. Ah ! la discipline, c’est la chose capitale.

– Mais d’ailleurs vous aimiez le service ?

– Par excellence ! dit Bothwell. Les femmes, le vin, la bonne chère, on obtient tout pour la peine de le demander. Et si votre conscience peut laisser faire un prêtre à large bedaine qui espèrera vous convertir, il vous aidera à jouir de ces petites consolations, pour se mettre bien avec vous. Où y a-t-il un ministre whig aussi complaisant ?

– Nulle part, j’en conviens, dit Henry. Mais quelle était votre principale occupation ?

– C’était de garder la personne du roi Louis-le-Grand ; et puis de faire quelques expéditions contre les huguenots (c’est-à-dire les protestans) : là nous avions beau jeu ; cela m’a formé la main pour mon service actuel. Mais, allons, puisque vous voulez être un bon camarado, comme disent les Espagnols, je ferai tout pour vous servir, et il faut que vous ayez votre part de la bourse du vieux oncle, car je crois qu’il ne vous tenait pas le gousset trop bien garni. C’est une loi de bon vivant ! quand nous avons des fonds, nous ne laissons jamais un camarade dans le besoin.

En parlant ainsi, Bothwell prit sa bourse, et y mettant la main, il en retira quelques pièces qu’il offrit à Henry sans les compter. Le jeune Morton refusa ; et, ne jugeant pas très prudent de lui parler du présent d’Alison, malgré la générosité qu’il lui montrait en ce moment, il lui dit qu’il n’en avait nul besoin, parce qu’il était certain que son oncle lui enverrait de l’argent dès qu’il lui en ferait demander.

– En ce cas, dit Bothwell, elles continueront à lester ma poche ; quand elle est bien remplie, je me fais un principe de ne pas quitter l’enseigne du cabaret que je ne l’aie vidée, à moins que mon devoir ne m’appelle : quand ma bourse est si légère que le vent la gonfle, alors, vite à cheval, et l’on trouve toujours quelque moyen de la remplir. Mais quelle est donc cette tour qui s’élève devant nous au milieu des bois ?

– C’est le château de Tillietudlem, dit un des dragons. C’est là que demeure lady Bellenden, une des meilleures royalistes du pays et une amie du soldat. Lorsque je fus blessé par un de ces chiens de whigs qui me tira un coup de fusil de derrière une haie, j’y passai un mois entier, et je voudrais être encore blessé, si j’étais sûr d’entrer dans des quartiers semblables !

– Oui-dà ! dit Bothwell, je veux lui présenter mes respects en passant, et lui demander quelques rafraîchissemens pour mes hommes et mes chevaux. Je me sens aussi altéré que si je n’avais rien bu chez Milnor Une excellente chose dans ces temps-ci, ajouta-t-il en s’adressant à Henry, c’est qu’un soldat du roi ne peut passer devant une maison sans trouver à s’y rafraîchir. Dans une maison comme le Tillie… – quel est donc le nom de ce château ? – on le sert par amitié ; entre-t-il chez un de vos fanatiques avares, il se fait servir de force ; se trouve-t-il chez un presbytérien modéré ou autre personne suspecte, la crainte lui fait obtenir tout ce qu’il veut. Ainsi de tous cotés il y a toujours quelque moyen d’apaiser sa soif.

– Et vous vous proposez par conséquent d’entrer dans ce château ?

– Bien certainement : comment pourrais-je faire à mes officiers un rapport favorable sur les bons principes de la digne châtelaine, si je ne goûte de son vin des Canaries ? car nous aurons du vin des Canaries, j’en suis sûr. C’est la consolation favorite des vieilles douairières de qualité, comme la petite bière est celle de votre oncle.

– En ce cas vous m’accorderez une grâce. Je suis connu dans cette famille, et je ne voudrais pas qu’on y fût instruit de ce qui vient d’arriver. Ne dites pas mon nom, permettez-moi de me couvrir du manteau d’un de vos cavaliers, et ne parlez de moi que comme d’un prisonnier dont vous êtes chargé.

– De tout mon cœur. J’ai promis de vous traiter civilement ; je tiendrai parole. – André, donnez votre manteau au prisonnier. Et vous, soldats, songez qu’il y a défense de dire qui il est, et où nous l’avons arrêté, sous peine de passer deux heures sur le cheval de bois.

Ils arrivaient alors devant une porte cintrée, flanquée de deux tourelles, dont l’une, encore entière, était habitée par la famille d’un paysan, et dont l’autre était toute en ruine, à l’exception de l’étage inférieur, qui servait d’étable à vaches. La porte avait été brisée par les soldats de Monk, pendant les guerres civiles, et n’avait jamais été replacée. Bothwell et sa troupe entrèrent donc sans aucun obstacle dans une avenue étroite, pavée de grosses pierres, qui conduisait, en tournant, par une montée rapide, au château, dont on apercevait de temps en temps, à travers les arbres, les boulevards extérieurs. C’était une forteresse gothique, et ce qui en restait encore avait un tel aspect de solidité, que Bothwell s’écria :

– C’est un grand bonheur que ce château soit en de loyales mains ! s’il appartenait à l’ennemi, une douzaine de vieilles femmes pourraient le défendre avec leurs quenouilles contre un escadron de cavalerie, pourvu qu’elles eussent la moitié de la résolution de la vieille folle que nous avons laissée à Milnor. Sur ma vie, continua-t-il en regardant la double tour et les défenses extérieures, c’est un château superbe ; que dit l’inscription, si je me souviens encore un peu de mon latin ? – Réparé par sir Ralph Bellenden en 1350. – C’est une antiquité respectable. Il faut que je me présente devant la vieille dame avec les égards qui lui sont dus, et que je cherche à me rappeler quelques uns des complimens dont j’avais la tête meublée quand je fréquentais la société de ce rang.

Pendant qu’il parlait ainsi, le sommelier, qui avait fait une reconnaissance à travers un des créneaux de la muraille, courut annoncer à lady Marguerite qu’un parti de dragons s’avançait vers le château avec un prisonnier.

– Je suis certain, dit Gudyil, que le sixième est un prisonnier, car son cheval est conduit, et les deux dragons qui le précèdent ont leurs carabines appuyées sur la cuisse : or, c’est ainsi que nous conduisions toujours les prisonniers du temps du grand marquis.

– Des soldats du roi ! dit lady Bellenden ; ils ont sans doute besoin de quelque rafraîchissemens. Courez, Gudyil ; dites-leur qu’ils sont les bienvenus, et offrez-leur tout ce qu’ils peuvent désirer. Un instant ! Que ma dame de compagnie m’apporte mon manteau et mon écharpe noire : je veux les recevoir moi-même. On ne peut avoir pour eux trop d’attentions dans un temps où ils se donnent tant de mal pour faire respecter l’autorité royale. Écoutez-moi bien, Gudyil : dites à ma nièce de venir me trouver sur-le-champ ; et que Jenny Dennison et deux autres femmes se disposent à me suivre à quelques pas de distance.

Tous ces ordres furent exécutés à l’instant, et lady Marguerite descendit, d’un air de dignité, jusque dans la cour de son château pour recevoir ses hôtes. Bothwell, en saluant la noble et respectable dame, prit quelque chose de cette aisance qui caractérisait les courtisans de Charles II, et ses manières n’offrirent plus la rudesse qu’on pouvait attendre d’un sous-officier de dragons ; son langage sembla aussi s’épurer dans cette circonstance. La vérité est que Bothwell, dans les vicissitudes d’une vie aventureuse et dissipée, avait quelquefois fréquenté des sociétés qui convenaient mieux à la noblesse de son origine qu’au rang qu’il occupait dans le monde. Pour répondre aux offres obligeantes de lady Marguerite, il dit qu’ayant encore une marche de plusieurs milles à faire avant la nuit, il la priait de trouver bon que sa troupe fit reposer ses chevaux une heure dans son château.

– Avec grand plaisir, dit lady Marguerite ; mes gens veilleront à ce qu’ils ne manquent de rien, et j’espère que pendant ce temps vous et vos cavaliers vous accepterez quelques rafraîchissemens.

– Personne n’ignore, milady, répondit Bothwell, que c’est toujours ainsi que les serviteurs du roi sont reçus dans les murs de Tillietudlem.

– En toute occasion, dit lady Bellenden charmée de ce compliment, je tâche de m’acquitter de mes devoirs avec honneur et loyauté. Il n’y a pas encore bien long-temps, monsieur le brigadier, que Sa Majesté le roi qui est si glorieusement sur le trône, et qui probablement s’en souvient encore, a daigné honorer mon château de sa présence, et accepter à déjeuner dans une salle qu’on vous montrera, et que nous appelons encore la salle du roi.

Bothwell avait fait mettre pied à terre à sa troupe, et avait recommandé à l’un d’avoir soin des chevaux, à un autre de veiller sur le prisonnier ; ainsi il pouvait continuer la conversation que la dame du manoir avait eu la condescendance de commencer.

– Puisque le roi mon maître, milady, a eu l’avantage d’avoir des preuves de votre hospitalité, je ne m’étonne pas qu’elle s’étende à tous ceux qui le servent, et dont le principal mérite consiste dans leur fidélité. Au surplus, j’appartiens à Sa Majesté de plus près que ce grossier habit rouge ne semble l’indiquer.

– Vraiment, monsieur ! vous avez peut-être fait partie de sa maison ?

– Oui, de sa maison, mais non dans le sens que vous entendez, milady ; et j’ai par là le droit de me vanter d’être allié aux plus nobles familles d’Écosse, et peut-être à celle de Tillietudlem.

– Je ne vous comprends pas ! dit lady Marguerite relevant majestueusement la tête en entendant un propos qu’elle regardait comme une plaisanterie déplacée. – Dans ma situation, milady, c’est peut-être une folie à moi de rappeler ce souvenir ; mais vous avez dû entendre parler de mon aïeul Francis Stuart, à qui Jacques Ier, son cousin germain, donna le titre de comte de Bothwell, que mes camarades m’ont donné aussi par sobriquet. Sa vie fut un long enchaînement de malheurs, et son nom ne m’a pas été plus utile.

– En vérité ! dit Jady Marguerite d’un ton de surprise et d’intérêt ; j’avais bien ouï dire que le petit-fils de cet homme célèbre n’était pas dans une situation convenable à sa naissance ; mais j’étais bien loin de croire qu’il fût si peu avancé dans le service. Comment se peut-il que la fortune ait traité si mal un homme qui a une semblable parenté ?

– Tout cela est dans le cours ordinaire des choses, milady. J’ai eu quelques momens de bonne fortune comme mes voisins ; j’ai vidé plus d’une bouteille avec Rochester ; j’ai fait plus d’une partie avec Buckingham ; j’ai combattu à Tanger avec Sheffield : mais tous ces amis, qui me prenaient volontiers pour compagnon de leurs plaisirs, n’ont jamais songé à m’être utiles. Peut-être, ajouta-t-il avec amertume, ne me suis-je pas montré assez sensible à l’honneur que Wilmot et Villiers faisaient à un descendant des Stuarts d’Écosse en le recevant dans leur société.

– Mais vos amis écossais, M. Stuart, votre famille, qui est en ce pays si nombreuse et si puissante !

– Hé bien, milady, les uns m’auraient volontiers pris pour garde-chasse, parce que je tire passablement ; les autres m’auraient chargé de vider leurs querelles, parce que je manie l’épée assez bien : il en est qui m’auraient volontiers admis à leur table, quand ils n’auraient pu avoir meilleure compagnie, parce que je puis boire mes trois bouteilles de vin : mais, parens pour parens, et service pour service, j’ai préféré entrer à celui de mon cousin Charles II, quoique la paye soit modique et que la livrée ne soit pas brillante.

– C’est une honte, un véritable scandale ! s’écria lady Marguerite. Et pourquoi ne vous adressez-vous pas à Sa Majesté ? Le roi ne peut qu’être surpris d’apprendre qu’un rejeton de son auguste famille…

– Excusez la franchise d’un soldat, milady ; mais il faut que je dise que le roi est beaucoup plus occupé de ses propres rejetons que de ceux de l’aïeul de son grand-père.

– Hé bien, M. Stuart, il faut que vous me promettiez de coucher cette nuit à Tillietudlem. J’attends demain votre colonel, le brave Claverhouse, à qui le roi a tant d’obligations pour les mesures sévères qu’il prend contre les gens qui n’aspirent qu’à renverser le gouvernement. Je lui demanderai votre avancement, votre prompt avancement, et je suis sûre qu’il a trop de respect pour le sang qui coule dans vos veines, et trop d’égards pour une dame qui a reçu de Sa Majesté de telles marques de distinction, pour me refuser ma demande.

– Je vous remercie, milady : je resterai bien certainement, puisque vous me le permettez ; d’ailleurs, ce sera le moyen de présenter plus tôt au colonel Grahame le prisonnier que j’ai avec moi.

– Et quel est ce prisonnier, M. Stuart ?

– Un jeune homme de bonne famille, qui a donné retraite à l’un des meurtriers de l’archevêque de Saint-André, et qui a facilité son évasion.

– Quelle honte ! s’écria lady Marguerite ; je puis bien pardonner les injures que j’ai reçues de ces coquins, M. Stuart, quoique quelques unes aient été de celles qu’on a peine à oublier ; mais qu’un homme bien né puisse se rendre le protecteur d’un assassin, et surtout de l’assassin d’un vieillard, d’un archevêque, d’un primat ! quelle honte ! Si vous voulez le tenir renfermé sans embarrasser vos gens, Harrison ou Gudyil iront chercher la clef de notre cachot. Il n’a pas été ouvert depuis la bataille de Kilsythe, lorsque mon pauvre sir Arthur Bellenden y renferma vingt-deux whigs : il n’est pas malsain, car il n’est qu’à deux étages sous terre ; et je crois qu’il y a un soupirail pour en renouveler l’air.

– Mille pardons, milady : je ne doute pas que votre cachot ne soit admirable, mais j’ai promis que mon prisonnier serait traité avec égards. Je vous demanderai donc une chambre pour lui, et j’aurai soin de le surveiller de manière à ce qu’il ne puisse pas plus s’échapper que s’il avait les fers aux pieds et aux mains.

– Comme il vous plaira, M. Stuart ; vous connaissez votre devoir. Je vous laisse ; j’ai chargé mon intendant Harrison de veiller à ce qu’il ne vous manque rien. Je serais charmée de pouvoir vous tenir compagnie, mais…

– Point d’apologie, milady : je sens parfaitement que le grossier habit rouge du roi Charles II détruit les priviléges que pourrait avoir le sang du roi Jacques V.

– Pas à mon égard. M. Stuart : ne le croyez pas ; vous me feriez injure. Je parlerai demain à votre colonel, et j’espère que vous vous trouverez bientôt élevé à un poste dont personne n’aurait à rougir.

– Je crains, milady, que votre espoir ne se trouve trompé ; mais je ne vous suis pas moins obligé de vos intentions favorables ; et, dans tous les cas, je passerai une bonne soirée avec M. Harrison.

Lady Marguerite lui fit une révérence cérémonieuse, avec tous les égards qu’elle croyait devoir au sang royal, même quand il coulait dans les veines d’un brigadier aux gardes, et se retira en l’assurant que tout ce qui se trouvait dans le château de Tillietudlem était à son service et à celui de ses cavaliers.

Le brigadier Bothwell ne manqua pas de prendre la bonne dame au mot. Il eut bientôt oublié le haut rang d’où sa famille était descendue, dans un joyeux banquet pendant lequel M. Harrison s’évertua pour obtenir le meilleur vin du cellier, et pour exciter son hôte à la gaieté par son exemple, ce qui, dans ces occasions, produit plus d’effet que le précepte. Le vieux Gudyil se mit d’une partie si conforme à ses goûts, à peu près comme Davy, dans la seconde partie du Règne d’Henry IV, partagea les débauches de son maître, le juge Shallow. Il descendit en courant à la cave, au risque de se casser le cou, pour explorer une catacombe secrète, connue, disait-il, de lui seul, et qui, sous sa surintendance, ne s’était jamais ouverte et ne s’ouvrirait jamais que pour un véritable ami du roi.

– Quand certain duc dîna ici, dit le sommelier en s’asseyant au bout de la table, tenu en respect par la généalogie de Bothwell, mais rapprochant sa chaise à chaque phrase, – quand certain duc dîna ici, milady demanda instamment une bouteille de ce bourgogne, mais je ne sais trop comment il se fit, M. Stuart, que je ne me fiai pas à lui, quoiqu’il se prétendît l’ami du gouvernement. Ce vieux duc James avait perdu son cœur avant de perdre la tête ; et l’homme de Worcester n’était qu’un insipide pouding, ni bon à bouillir, ni bon à frire… (Après cette observation triviale, qu’il croyait très ingénieuse, Gudyil, comme un ingénieur habile, s’approcha en zigzag de la place qu’il voulait conquérir, c’est-à-dire de la table.) Ainsi donc, monsieur, plus milady criait : Du bourgogne pour Sa Grâce ! – le vieux bourgogne, ce bourgogne de l’année 1639, – plus je me disais à moi-même : Du diable s’il en entre une goutte dans son gosier, jusqu’à ce que je sois plus assuré de ses vrais principes !… Le bordeaux et le vin des Canaries sont suffisans pour lui. Non, non, messieurs, tant que je serai sommelier de Tillietudlem, je me charge de ne pas donner ce que nous avons de meilleur à une personne douteuse ; mais parlez-moi d’un véritable ami du roi, de la bonne cause et de l’épiscopat modéré. Si je trouve, dis-je, un homme qui défend bravement le roi et l’église, comme je le fis moi-même pendant la vie de mon maître, et sous le grand Montrose, il n’y a rien de trop bon pour cet homme-là dans le cellier.

Pendant cette harangue, la place avait été pleinement occupée par le sommelier, qui, devenu le commensal de Bothwell, ajouta :

– Et maintenant, M. Francis Stuart de Bothwell, j’ai l’honneur de boire à votre chère santé et à votre grade prochain ; puissiez-vous être heureux dans l’entreprise de purger ce pays de tout wigh, tête-ronde, fanatique et covenantaire !

Bothwell, comme on le croira sans peine, avait depuis long-temps cessé d’être scrupuleux sur le choix de sa compagnie ; il préférait celle que lui procurait son rang, parce qu’il aimait plus encore sa convenance qu’il n’était jaloux de son origine. Il répondit donc à la santé du sommelier en reconnaissant l’excellence du vin. M. Gudyil, admis régulièrement à cette honorable société, continua à lui fournir les moyens de boire gaiement jusqu’à la pointe du jour.

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