CHAPITRE XXXIX.

« Rochers, vallons, délicieux ombrages,

« Est-ce bien vous qu’en ce jour je revois ?

« C’est en ces lieux que j’errais autrefois,

« Sans craindre encore le monde et ses orages. »

Ode sur une vue du collège d’Eton.

Ce n’est pas seulement par les infirmités du corps et par l’absence des dons de la fortune que les hommes les plus distingués par leurs talens sont quelquefois rabaissés au niveau des autres créatures dont se compose la masse du genre humain. Il y a des instans où les esprits les plus fermes, en proie à une vive agitation, ne conservent rien qui les distingue des plus faibles, et paient la dette commune à la nature. Leur situation alors est d’autant plus déplorable, qu’ils sentent qu’en s’abandonnant à leur chagrin ils blessent les règles de la religion et de la philosophie, qui devraient toujours conserver leur influence sur les actions et les passions des hommes.

Telle était la situation d’esprit du malheureux Morton quand il s’éloigna de Fairy-Knowe. Savoir que cette Édith qu’il aimait depuis si long-temps était sur le point d’épouser son ancien rival, un rival à qui tant de services avaient donné des droits sur son cœur, était un coup qu’il ne pouvait supporter, quoiqu’il n’en fût pas frappé sans s’y être attendu. Pendant son séjour en pays étranger, il lui avait écrit une seule fois. C’était pour lui dire adieu pour toujours, et lui offrir ses vœux pour son bonheur. Il ne l’avait pas priée de lui répondre, mais il s’était flatté de recevoir de ses nouvelles. Il n’en reçut point, et la raison en est simple : jamais sa lettre ne lui était parvenue. Morton, ignorant cette circonstance, en conclut qu’il était complètement oublié d’après sa propre demande. Lorsqu’il arriva en Écosse, il apprît quelle était fiancée à lord Evandale ; il croyait même qu’elle pouvait être déjà son épouse : – Mais quand même elle ne le serait pas, pensait-il, il était trop généreux pour chercher à troubler son repos, peut-être son bonheur, en faisant revivre des droits que le temps et l’absence paraissaient avoir frappés de prescription. Pourquoi vint-il donc visiter la demeure où un revers de fortune avait forcé lady Margaret Bellenden et sa petite-fille de chercher une retraite ? Il céda, nous devons le reconnaître, à l’impulsion irréfléchie d’un désir inconséquent que tant d’autres eussent éprouvé comme lui.

Le hasard lui avait appris en chemin que les dames étaient absentes de Fairy-Knowe, et que Jenny et Cuddy étaient leurs principaux domestiques. Il n’avait pu résister à l’envie de s’arrêter à leur chaumière, afin d’avoir des renseignemens certains sur la situation où se trouvait alors miss Bellenden, qu’il n’osait plus nommer son Édith. Nous avons vu quelles furent les suites de cette résolution imprudente, Morton partit de Fairy-Knowe, convaincu qu’Édith l’aimait encore, et forcé par l’honneur de renoncer à elle pour toujours. Quels furent ses sentimens pendant l’entretien d’Édith avec lord Evandale, dont il entendit involontairement la plus grande partie ? Le lecteur peut se les figurer, et nous n’entreprendrons pas de les lui décrire. Il fut tenté cent fois de s’écrier : – Édith, je vis encore ! Mais le souvenir de la foi qu’elle avait déjà promise à lord Evandale, les services que ce lord avait rendus à la famille de sa maîtresse, la reconnaissance qu’il lui devait lui-même, car il était persuadé, avec raison, que c’était à son influence sur Claverhouse qu’il avait dû la vie après la bataille du pont de Bothwell : tous ces motifs firent taire son amour, et le détournèrent d’une démarche qui pouvait faire le malheur d’un rival qu’il estimait, et ajouter aux chagrins de sa chère Édith, sans lui donner l’espoir d’en être lui-même plus heureux. Il lui en coûta de sacrifier ainsi les plus doux sentimens de son cœur.

– Non, Édith, pensa-t-il, jamais je ne troublerai la paix de ton âme ! Que la volonté du ciel s’accomplisse ! – J’étais mort pour elle quand elle a promis de devenir l’épouse de lord Evandale ; jamais elle ne saura qu’Henry Morton respire encore.

À l’instant où il forma cette résolution, se méfiant de ses forces, et craignant de ne pouvoir la garder s’il écoutait plus long-temps le son de la voix d’Édith, il sortit promptement par la fenêtre qui donnait sur le jardin. Il ne put cependant s’arracher de l’endroit où il vouait d’entendre pour la dernière fois celle qui lui était si chère, sans concevoir le désir irrésistible de contempler un instant ses traits ; et, quand le cri que poussa Édith lui fit soupçonner qu’elle l’avait vu en relevant tout-à-coup ses yeux baissés, il s’enfuit comme s’il eût été poursuivi par des furies, passa près d’Holliday sans le reconnaître, et même sans le voir, courut à l’étable, monta à cheval, et prit le premier sentier qui se présenta à lui plutôt que la grande route d’Hamilton.

Selon toutes ces probabilités, ce fut ce qui empêcha lord Evandale de savoir si Morton existait réellement. La nouvelle de la victoire remportée par les montagnards sur les troupes du roi Guillaume à Killiecrankie avait fait craindre que les jacobites du bas pays ne fissent quelque mouvement. On avait donc établi des postes en ces deux endroits, et l’on y examinait avec attention tous les voyageurs qui s’y présentaient. Mais ce fut en vain que lord Evandale y fit prendre des informations, aucun inconnu n’y avait passé dans la matinée. Il fut donc réduit à croire qu’Édith avait pris pour la réalité un fantôme qui n’avait d’existence que dans son imagination troublée, et à supposer que, par une coïncidence aussi extraordinaire qu’inexplicable, la même superstition s’était présentée à l’esprit d’Holliday.

Cependant Morton, qui avait mis son cheval au grand galop, se trouva en quelques minutes sur les bords de la Clyde. C’était un endroit qui servait d’abreuvoir, comme l’annonçaient des traces récentes. Le cheval de Morton, pressé à chaque instant par les coups d’éperon, y entra sans hésiter, et se trouva bientôt à la nage. Morton ne s’en aperçut que par le froid qu’il ressentit quand il se trouva dans l’eau jusqu’à mi-corps ; et, revenant à lui, il vit la nécessité de songer aux moyens de sauver sa vie et celle de sa monture, car la rivière était très rapide. Habile dans tous les exercices, il savait diriger un coursier dans l’eau comme sur une esplanade ; il lui fit suivre le courant quelques instans, pour ne pas épuiser ses forces, et parvint à s’approcher de la rive opposée ; mais elle se trouva trop escarpée ; le cheval n’y put monter, il fallut se résoudre à suivre le cours de la rivière : enfin, au bout de quelques minutes, il se trouva à pied sec sur le bord de la Clyde.

– Où irai-je maintenant ? dit Morton dans l’amertume de son cœur. Et qu’importe ? Ah ! si je pouvais le désirer sans crime, je voudrais que ces eaux m’eussent englouti, et m’eussent fait perdre le souvenir du passé et le sentiment du présent.

À peine avait-il fait cette réflexion, qu’il fut honteux qu’elle se fût présentée à son esprit. Il se rappela de quelle manière presque miraculeuse sa vie, dont il faisait un tel mépris en ce moment, avait été sauvée deux fois. – Je suis un insensé, dit-il, plus qu’un insensé, de murmurer contre la Providence, qui m’a donné tant de marques de protection. N’ai-je donc plus rien à faire en ce monde ? quand je ne ferais que supporter avec courage les souffrances auxquelles je suis condamné ! Ai-je rien vu, ai-je rien entendu à quoi je ne dusse m’attendre ? Mais eux-mêmes sont-ils plus heureux ? ajouta-t-il sans oser prononcer le nom de ceux auxquels il pensait : elle est dépouillée de ses biens, il s’engage dans une entreprise qui paraît dangereuse, quoiqu’il en ait parlé si bas que je n’ai pu bien comprendre ce dont il s’agit. Ne puis-je trouver quelques moyens de les aider, de les secourir, de veiller sur eux ?

Il finit par s’arracher au sentiment de ses propres regrets, pour s’occuper uniquement des intérêts d’Édith et de ceux de son futur époux ; la lettre de Burley, oubliée depuis long-temps, lui revint à la mémoire, et un nouvel éclair de lumière brilla à son esprit.

– Leur ruine est son ouvrage ! s’écria-t-il, j’en suis bien convaincu. Si elle peut être réparée, ce ne saurait être que par le moyen des informations qu’on obtiendra de lui. Il faut que je le cherche, que je le trouve, que je reçoive de lui des renseignemens certains. Qui sait s’ils n’auront pas quelque influence salutaire sur la fortune de ceux que je ne dois plus voir, et qui n’apprendront probablement jamais que j’oublie en ce moment mes propres chagrins pour m’occuper de leur bonheur.

Animé par cette espérance, quoique le fondement en fût bien léger, il chercha à regagner la grande route ; et, comme il connaissait parfaitement tous ces environs, qu’il avait tant de fois parcourus en chassant, il se trouva bientôt sur le chemin qui conduisait à la petite ville dans laquelle il était entré triomphant cinq ans auparavant, comme capitaine du Perroquet. Une sombre mélancolie régnait toujours dans son cœur ; mais il était sorti de cet état de désespoir auquel il avait été sur le point de succomber. Tel est l’effet d’une résolution vertueuse et désintéressée ; si elle ne peut rappeler le bonheur, elle rétablit au moins la tranquillité de l’âme.

Il fit un effort sur lui-même pour ne plus penser qu’aux moyens de découvrir Burley, et à la possibilité de lui arracher quelque renseignement favorable à celle dont la cause l’intéressait, il résolut enfin de ne rien négliger pour le trouver, espérant, d’après ce que Cuddy lui avait dit d’une scission entre les presbytériens et leur ancien chef, que celui-ci serait moins mal disposé à l’égard de miss Bellenden, et pourrait même exercer favorablement pour elle l’influence qu’il assurait avoir sur sa fortune.

Il était environ midi quand notre voyageur se trouva près du château de son oncle, qui était situé devant un petit bois à une portée de fusil de la route qu’il suivait. Sa vue fit naître en lui mille souvenirs qui produisaient sur son cœur une sensation douce et douloureuse en même temps, et qu’une âme sensible éprouve toujours lorsque, après avoir traversé les tempêtes d’une vie agitée, elle retrouve les lieux où elle a passé le temps calme et heureux de l’enfance. Il sentit le désir d’y entrer.

– La vieille Alison, pensa-t-il, ne me reconnaîtra sûrement pas plus que Cuddy et sa femme ne m’ont reconnu hier soir. Je puis satisfaire mon envie, et repartir sans lui faire connaître qui je suis. On m’a dit que mon oncle lui a légué son domaine ; soit ! je ne m’en plains pas ; j’ai des chagrins qui me touchent de plus près : le bien de nos ancêtres aurait pu être mieux placé ; mais n’importe, je veux au moins voir encore une fois la vieille maison.

L’aspect du manoir de Milnwood n’inspirait pas la gaieté sous son ancien maître ; mais il paraissait maintenant encore plus sombre et plus triste qu’autrefois. Il était en bon état de réparations. Pas une tuile ne manquait à la toiture, pas un carreau de vitre n’était cassé ; mais l’herbe croissait épaisse dans la cour : la porte principale n’en avait pas été ouverte depuis long-temps, puisque les toiles d’araignée en tapissaient le linteau et les gonds. Morton frappa plusieurs fois sans voir paraître personne, sans entendre le moindre bruit dans la maison ; enfin il vit ouvrir la petite lucarne par où l’on venait reconnaître ceux qui se présentaient à la porte, et il aperçut au travers la figure d’Alison, couverte de quelques rides ajoutées à celles qui s’y trouvaient déjà quand il avait quitté l’Écosse Elle avait sur la télé un toy , d’où s’échappaient quelques mèches de cheveux gris, qui produisaient un effet plus pittoresque qu’agréable.

– Que demandez-vous ? dit-elle d’une voix aigre et cassée.

– Je désire, dit Henry, parler un instant à Alison Wilson qui demeure ici.

– Elle n’y est point, répondit mistress Wilson elle-même, à qui l’état de sa parure inspira peut-être l’envie de se nier ainsi. Mais vous êtes un malappris. Cela vous aurait-il fait mal à la langue de dire mistress Wilson de Milnwood ?

– Pardon, dit Henry, souriant en lui-même de trouver que la vieille Alison conservait toujours ses prétentions au respect qu’elle croyait lui être dû ; pardon, j’arrive de pays étranger, et j’y suis resté si long-temps que j’ai presque oublié ma propre langue.

– Vous venez des pays étrangers ? dit Alison. Y auriez-vous par hasard entendu parler d’un jeune homme de ce pays, nomme Henry Morton ?

– J’ai entendu prononcer ce nom en Allemagne.

– Attendez-moi un moment. Non, écoutez-moi bien. Tournez autour de la maison, vous trouverez une porte de derrière qui n’est fermée qu’au loquet. Vous l’ouvrirez ; vous entrerez dans la basse-cour, mais prenez garde de tomber dans le tonneau d’eau qui est près de la porte, car l’entrée est obscure. Vous tournerez à droite ; vous irez ensuite droit devant vous. Vous tournerez encore une fois à droite ; et, en entrant dans la cour, vous prendrez garde à l’escalier de la cave. Là, vous verrez la porte de la petite cuisine : c’est la seule qui serve à présent au château. Vous y entrerez, je viendrai vous rejoindre, et vous pourrez me dire ce que vous voulez à mistress Wilson.

Malgré les instructions minutieuses d’Alison, un étranger aurait eu peine à se reconnaître dans le labyrinthe qu’elle venait de tracer. Mais, grâce à la connaissance des lieux, Morton évita les deux écueils qui lui avaient été indiqués ; d’un côté, Scylla, sous la forme d’une cuve de lessive, et de l’autre, Charybde, qui l’attendait dans les profondeurs d’un escalier de cave. Le seul obstacle qu’il eut à vaincre vint d’un petit épagneul qui aboyait avec acharnement contre lui. Il lui avait pourtant autrefois appartenu ; mais, différent du fidèle Argus, le chien d’Ulysse, il ne reconnut pas son maître.

– Et lui aussi ! dît Morton. Pas une créature vivante ne me reconnaîtra !

Il entra dans ta cuisine, et, quelques instans après, il entendit sur l’escalier le bruit des talons élevés dont étaient armés les souliers d’Alison, et de la canne à bec de corbin dont elle se servait pour se soutenir.

Avant qu’elle arrivât, il eut le temps de jeter un coup d’œil sur la cuisine. Quoique le charbon ne manquât pas dans les environs, un feu économique brûlait sous une petite marmite contenant le dîner préparé pour Alison, et pour son unique servante, jeune fille de douze ans ; et la vapeur qui s’en exhalait annonçait qu’elle ne se permettait pas un ordinaire plus succulent que du temps de son ancien maître.

Lorsqu’elle entra, Henry reconnut de suite en elle cet air d’importance qu’elle aimait tant à se donner, ces traits dans lesquels la mauvaise humeur, suite de l’habitude et de l’indulgence accordée à une servante-maîtresse, disputait la place à la bonté de cœur qui lui était naturelle ; enfin ce bonnet rond, cette robe bleue et ce tablier blanc, qu’il lui avait vus tant de fois. Mais un ruban sur sa tête et quelques autres articles de toilette extraordinaire, dont elle s’était revêtue à la hâte, annonçaient la différence qui existait entre Alison, l’ancienne femme de charge de sir David, et mistress Wilson de Milnwood.

– Que désirez-vous de mistress Wilson, monsieur ? lui dit-elle : je suis mistress Wilson. Les cinq minutes qu’elle avait passées à sa toilette lui avaient paru suffisantes pour lui donner le droit de reprendre son nom, et de pouvoir par là exiger plus sûrement le respect auquel elle prétendait. Henry ne savait trop que répondre à sa question ; car, quoiqu’il ne voulût pas s’en faire reconnaître, il n’avait pas songé à se préparer quelque prétexte pour motiver son introduction dans la maison. Mais Alison ne le laissa pas long-temps dans l’embarras ; car, sans attendre sa réponse, elle lui demanda virement :

– Que désiriez-vous de moi, monsieur ? Vous avez donc vu M. Henry Morton en Allemagne ?

– Pardonnez-moi, madame, répondit Henry, c’est du colonel Silas Morton que je parlais.

L’expression de plaisir qui brillait dans les yeux de la bonne femme s’évanouit aussitôt.

– C’est donc son père que vous avez connu, le frère du feu laird de Milnwood ! Mais vous ne pouvez l’avoir connu en pays étranger ! vous me paraissez trop jeune. Il était de retour en Écosse avant que vous fussiez né. J’espérais que vous m’apportiez des nouvelles de son fils, du pauvre M. Henry.

– C’est mon père, dit Henry, qui m’a appris à connaître le colonel Silas Morton. Quant à son fils, j’ai entendu dire qu’il avait péri dans un naufrage sur les côtes de Hollande.

– Hélas ! cela n’est que trop probable, et il en a coûté bien des larmes à mes pauvres yeux. Son oncle m’en parlait encore le jour de sa mort. Il venait de me donner des instructions sur la quantité de vin et d’eau-de-vie qu’il faudrait préparer le jour de son enterrement, pour ceux qui y assisteraient ; car, mort comme vivant, c’était un homme prudent, économe, et prenant garde à tout. – Aylie, me dit-il… – il me nommait toujours ainsi, nous étions de si vieilles connaissances ! – Aylie, ayez bien soin de la maison, car le nom de Morton de Milnwood est oublié comme le dernier refrain d’une vieille chanson. – Ce furent ses dernières paroles, si ce n’est qu’un instant avant de mourir il me dit qu’une chandelle à la baguette était bien assez pour un mourant, car il ne pouvait souffrir qu’on se servit de chandelles moulées, et il y en avait malheureusement une qui brûlait sur une table.

Tandis que mistress Wilson racontait ainsi les derniers discours du vieil avare, l’épagneul, revenu de sa première surprise, et reconnaissant son maître, faisait autour de lui tant de gambades, qu’il était sur le point de le trahir.

– À bas, Elphin ! à bas, monsieur ! cria Henry d’un ton d’impatience.

– Vous savez le nom de notre chien ! s’écria Alison toute surprise. Il n’est pourtant pas commun. Mais je vois qu’il vous connaît aussi ! Bonté divine ! s’écria-t-elle d’une voix de plus eu plus émue, c’est mon pauvre enfant ! c’est M. Henry !

À ces mots, la bonne vieille étendit les bras vers Morton, le serra sur son cœur, l’embrassa avec la même tendresse que si elle eût été sa mère, et finit par pleurer de joie. Henry, sensible à ces marques d’attachement, lui prodigua aussi des preuves d’affection. Il ne pensait plus à dissimuler avec elle : il n’en aurait pas eu le courage, s’il en avait conservé l’intention.

– Oui, ma chère Alison, c’est bien moi. Je vis encore pour vous remercier de votre attachement si fidèle ! et pour me réjouir de retrouver au moins dans mon pays une amie qui me revoit avec plaisir.

– Oh ! des amis, M. Henry, vous n’en manquerez, pas : on a toujours des amis quand on a de l’argent, et, Dieu merci ! vous en aurez, et beaucoup ; tâchez d’en faire un bon usage, de ne pas le dissiper ! Mais, mon Dieu ! ajouta-t-elle en le repoussant un peu comme pour le considérer d’une distance plus convenable à sa vue, que vous êtes changé, mon enfant ! vos couleurs sont passées, vos joues sont creuses, vos yeux sont enfoncés, vous êtes maigri. Ah ! ces maudites guerres, combien de mal n’ont-elles pas fait ! Et depuis quand êtes-vous de retour ? et où avez-vous été ? et qu’avez-vous fait ? et pourquoi ne nous avez-vous pas écrit ? et comment se fait-il qu’on vous ait cru mort ? et pourquoi êtes-vous venu dans votre maison comme un étranger, pour surprendre ainsi la pauvre Alison ? Elle riait et pleurait en parlant ainsi.

Il se passa quelque temps avant qu’Henry fût assez maître de son émotion pour pouvoir répondre à toutes ces questions.

Si nos lecteurs partagent la curiosité de la bonne vieille femme, nous la satisferons dans le chapitre suivant.

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