« Pas de semblables jeux de main, drôle.
SHAKSPEARE.
Il faut maintenant que nous disions quelque chose des autres personnages de notre drame, ceux qui y jouent les premiers rôles ayant exclusivement occupé notre attention depuis quelque temps.
Nous informerons donc nos lecteurs que les regrets des commissaires qui avaient été bannis du paradis qu’ils espéraient trouver à Woodstock, non par un chérubin comme Adam et Ève à la vérité, mais, à ce qu’ils croyaient, par des esprits d’une autre espèce, les retenaient encore dans les environs. Ils avaient pourtant quitté Woodstock sous prétexte qu’ils y étaient mal logés ; mais la véritable raison en était qu’ils avaient conçu du ressentiment contre Éverard, qu’ils regardaient comme la cause de leur désappointement, et qu’ils ne voulaient pas rester dans un endroit où il pouvait surveiller leurs démarches. Cependant ils le quittèrent avec tous les signes de la meilleure intelligence ; mais ils n’allèrent pas plus loin qu’Oxford où ils se fixèrent, comme des corbeaux accoutumés à voir une chasse, qui se perchent sur un arbre ou une montagne à peu de distance, et qui y attendent que le cerf soit aux abois, pour avoir enfin leur part des restes de la victime. Là l’université et la ville, mais surtout l’université, leur fournissaient quelques moyens d’employer avantageusement leurs talens divers, jusqu’au moment désiré où, comme ils l’espéraient, ils seraient appelés à Windsor, ou du moins réintégrés dans leur mission à la Loge de Woodstock, qui serait de nouveau abandonnée à leur discrétion.
Bletson, pour passer le temps, cherchait à s’insinuer dans la société des savans et pieux docteurs, qui ne pouvaient le souffrir, et il leur arrachait l’ame par son athéisme, ses sophismes et ses propositions impies auxquelles il les défiait de répondre. Desborough, un des hommes les plus grossièrement ignorans de cette époque, s’était fait nommer chef d’un collège, et il ne perdait pas de temps pour faire abattre les arbres des domaines de cet établissement, et s’en approprier la vaisselle d’argent. Quant à Harrison, il prêchait, en grand uniforme, dans l’église de Sainte-Marie, portant son justaucorps de buffle, ses bottes et ses éperons, comme s’il était sur le point de se mettre en campagne pour la bataille d’Armageddon. Et il serait difficile de dire si Oxford, ce siège illustre de la science, de la religion et de la loyauté, comme l’appelle Clarendon, était plus tourmenté par le froid scepticisme de Bletson et la rapine insatiable de Desborough, que par l’enthousiasme frénétique du champion de la cinquième monarchie.
De temps en temps, des soldats, soit pour relever la garde, soit pour d’autres prétextes, allaient et venaient entre Woodstock et Oxford, et entretenaient, comme on peut le supposer, une correspondance suivie avec Tomkins le Fidèle, qui, quoique résidant principalement dans la ville de Woodstock, faisait d’assez fréquentes visites à la Loge, et sur qui les commissaires comptaient sans doute pour être instruits de ce qui s’y passait.
Dans le fait, ce Tomkins semblait avoir trouvé quelque secret moyen pour gagner la confiance partielle, sinon entière, de presque tous ceux qui jouaient un rôle dans les intrigues du temps. Tous s’emparaient de lui ; tous avaient avec lui des conversations particulières. Ceux qui en avaient le moyen se le rendaient favorable par des présens ; ceux qui étaient moins riches étaient prodigues de promesses. Quand il arrivait à la Loge, ce qui avait toujours l’air d’être l’effet du hasard, s’il traversait le vestibule, et que sir Henry le rencontrât, le chevalier ne manquait jamais de lui proposer de prendre les fleurets, et il était également certain, après avoir éprouvé plus ou moins de résistance, de remporter les honneurs du triomphe ; de sorte qu’en considération de tant de victoires, le bon royaliste lui pardonnait presque le double péché de rébellion et de puritanisme : si ensuite son pas lent et méthodique se faisait entendre dans les corridors voisins de la galerie, le docteur Rochecliffe, sans jamais l’introduire dans le boudoir dont nous avons fait la description, emmenait maître Tomkins dans quelque appartement neutre, et avait avec lui de longs entretiens qui paraissaient aussi intéressans pour l’un que pour l’autre.
La réception de l’indépendant dans les régions inférieures de la maison n’était pas moins gracieuse qu’au rez-de-chaussée. Jocelin ne manquait pas de l’accueillir avec la franchise la plus cordiale ; quelque pâté et quelque flacon étaient mis sur-le-champ en réquisition, et bonne chère était le mot d’ordre. Il est juste de faire remarquer ici que les moyens de faire bonne chère étaient plus abondans à Woodstock depuis l’arrivée du docteur Rochecliffe, qui, en qualité d’agent de beaucoup de royalistes, avait à sa disposition des sommes assez considérables, et il est à présumer que Tomkins le Fidèle y trouvait aussi son compte.
Lorsqu’il se livrait à ce qu’il appelait la fragilité de la chair, privilège dont il prétendait avoir reçu le droit de jouir, et qui était dans le fait un goût pour les liqueurs fortes, goût qu’il portait au-delà de la modération, les discours de Tomkins, en toute occasion décens et réservés, devenaient licencieux et animés. Il parlait avec toute l’onction d’un vieux débauché des exploits de sa première jeunesse, consistant en faits de braconnage, de pillage, d’ivrognerie et de querelles de toute espèce ; il chantait des chansons bachiques et amoureuses ; et racontait quelquefois certaines aventures qui forçaient Phœbé à quitter la compagnie, et qui, parvenant même aux oreilles de dame Jellicot, malgré sa surdité, rendaient les offices un séjour peu convenable, même pour la vieille femme.
Au milieu de ces orgies, il arrivait quelquefois que Tomkins tombait sur quelque sujet religieux, et parlait mystérieusement, mais du ton le plus animé, et avec une éloquence inspirée, des heureux saints qui, comme il le disait, étaient bien véritablement saints, – des hommes éminens qui avaient pris d’assaut le trésor intérieur du ciel, et s’étaient mis en possession de ses joyaux les plus précieux. Il traitait avec le mépris le plus souverain toutes les sectes autres que la sienne, les comparant à des pourceaux qui se querellaient autour d’une auge pour des glands et des cosses de pois. Il parlait en termes non moins injurieux des rites et des cérémonies publiques de dévotion, des formes extérieures de religion des diverses Églises chrétiennes, et des devoirs et des privations qu’elles imposent à toutes les classes de chrétiens.
L’écoutant à peine, et ne le comprenant nullement, Jocelin, qui semblait être son plus fréquent compagnon en de telles occasions, le ramenait ordinairement sur quelque sujet plus joyeux, ou sur les souvenirs de ses anciennes folies avant les guerres civiles, sans s’inquiéter, sans même s’efforcer d’analyser les opinions de ce saint de nouvelle fabrique, et ne songeant qu’à la protection que sa présence pouvait procurer à Woodstock. D’ailleurs comment n’aurait-il pas cru aux bonnes intentions d’un gaillard pour qui l’ale et l’eau-de-vie, – quand il ne trouvait pas de vin, – semblaient les principaux objets de la vie, et qui buvait à la santé du roi et de qui on voulait, pourvu que la coupe qui devait servir à la libation fût remplie jusqu’au bord ?
Ces doctrines particulières, entretenues par une secte quelquefois nommée la Famille de l’Amour, mais plus communément Ranters , avaient fait quelques progrès dans un temps où il régnait une telle diversité d’opinions religieuses que ces hérésies étaient poussées jusqu’à la démence et presque jusqu’à l’impiété. Le secret était enjoint à ces sectateurs frénétiques d’une doctrine blasphématoire, de crainte des conséquences qui auraient pu en résulter pour les croyans si elles avaient été publiquement avouées. Maître Tomkins avait donc grand soin de cacher la liberté spirituelle qu’il prétendait avoir acquise à tous ceux dont il aurait excité le ressentiment s’il en avait fait profession à découvert. Ce voile n’était pas difficile à conserver, car la croyance des Familistes leur permettait et même leur enjoignait de se conformer, au besoin, quant à l’extérieur, aux pratiques de toute secte qui pouvait avoir de l’ascendant.
En conséquence Tomkins avait l’art de se faire passer dans l’esprit du docteur Rochecliffe pour un membre toujours zélé de l’Église d’Angleterre, et qui ne servait dans les rangs ennemis que pour y jouer le rôle d’espion, et comme il en avait plusieurs fois reçu des avis véritables et importans, l’intrigant docteur n’en croyait que plus aisément à ses protestations.
Cependant, de crainte que la présence accidentelle de cet homme singulier à la Loge, dont on ne pouvait guère lui défendre la porte sans éveiller des soupçons, ne pût mettre en danger la personne du roi, Rochecliffe, quelque confiance qu’il lui accordât d’ailleurs, avait recommandé à Charles de tâcher de ne pas se montrer à lui, et si par hasard il en était aperçu, de bien jouer le rôle de Louis Kerneguy. Joseph Tomkins était bien, à ce qu’il croyait, Joseph l’Honnête ; mais l’honnêteté était, selon lui, un cheval qu’il ne fallait pas trop charger, et il était inutile d’induire son prochain en tentation.
Il semblait que Tomkins lui-même consentait à se renfermer dans les bornes qu’on mettait à la confiance qu’on avait en lui, ou qu’il voulait paraître fermer les yeux plus qu’il ne le faisait réellement sur la présence de cet étranger dans la famille. Jocelin, qui était un gaillard avisé, remarqua une ou deux fois que, lorsqu’un hasard inévitable voulait que Tomkins rencontrât le page, il y faisait moins d’attention qu’il ne l’aurait attendu d’un homme de son caractère, naturellement curieux et questionneur. – Il ne m’a rien demandé sur cet étranger pensa Joliffe : à Dieu ne plaise qu’il en sache trop, ou qu’il ait seulement des soupçons ! – Mais ses craintes à cet égard se dissipèrent quand, dans une conversation qu’il eut depuis avec lui, Tomkins parla de la fuite du roi hors d’Angleterre comme d’une chose certaine, et alla même jusqu’à citer le nom du navire sur lequel il prétendait qu’il s’était embarqué à Bristol, et celui du capitaine qui le commandait ; il paraissait si convaincu de la vérité de ce fait, que Jocelin regarda comme impossible qu’il eût le moindre soupçon de la réalité.
Cependant, malgré cette conviction, et en dépit de l’espèce de commerce familier qui s’était établi entre eux, le fidèle garde forestier résolut de n’en pas moins surveiller exactement son compère Tomkins, et d’être toujours prêt à donner l’alarme. Il était vrai, pensait-il, qu’il avait tout lieu de croire que son camarade, malgré ses excès d’ivrognerie et de fanatisme, méritait autant de confiance que lui en montrait le docteur Rochecliffe ; mais pourtant ce n’était qu’un aventurier dont le vêtement et sa doublure étaient de couleurs différentes, et pouvait-on dire qu’une grande récompense et le pardon de quelques hauts faits de sa vie ne pourraient pas le tenter de retourner son habit ? D’après ces motifs, Jocelin exerçait une surveillance rigoureuse sur tous les mouvemens de Tomkins le Fidèle.
Nous avons dit que le discret indépendant était uniformément bien accueilli, soit dans la ville de Woodstock, soit à la Loge. Il y avait pourtant deux individus qui, pour des raisons très-différentes, avaient conçu un éloignement insurmontable pour un homme si bien reçu partout.
L’un était Nehemiah Holdenough, qui se rappelait avec amertume la manière dont l’indépendant l’avait expulsé de vive force de sa chaire. Il ne parlait jamais de lui, dans ses conversations particulières, que comme d’un missionnaire de l’esprit de mensonge, que Satan avait doué du don d’imposture. Il avait même prêché un sermon solennel sur le sujet du faux prophète de la bouche duquel sortaient des grenouilles. Ce discours fit le plus grand effet sur le maire et sur la partie la plus distinguée de l’auditoire, qui trouvèrent que leur ministre avait porté un coup terrible à la racine même de l’Indépendantisme. D’une autre part, ceux du parti contraire soutenaient que Joseph Tomkins avait riposté avec succès, et avait remporté les honneurs du triomphe dans une exhortation qu’il avait prononcée le soir du même jour, et dans laquelle il avait prouvé, à la satisfaction d’une congrégation nombreuse d’ouvriers et d’artisans, que ce passage de Jérémie : – Les prophètes prophétisent faussement, et les prêtres gouvernent par leur moyen, – était directement applicable au système presbytérien du gouvernement de l’Église. Le ministre envoya au révérend maître Édouard une relation de la conduite de son adversaire, pour qu’il le désignât dans la prochaine édition de sa Gangrène comme un hérétique pestilentiel ; et Tomkins recommanda le ministre presbytérien à Desborough comme un excellent sujet propre à supporter une bonne amende pour avoir blessé l’esprit des fidèles clairvoyans, l’assurant en même temps que, quelque pauvre que pût paraître le ministre, si l’on plaçait quelques soldats à discrétion chez lui jusqu’à ce que l’amende fût payée, les femmes de toutes les riches boutiques de la ville pilleraient le comptoir de leurs maris plutôt que d’épargner le Mammon d’iniquité pour tirer de souffrances leur apôtre, pensant comme Laban, disait-il : – Vous m’avez dérobé mes dieux ; que me reste-t-il ? On juge bien qu’il régnait peu de cordialité entre ces deux argumentateurs polémiques.
Mais Joseph Tomkins voyait avec beaucoup plus de déplaisir la mauvaise opinion que semblait avoir conçue de lui une personne dont les bonnes graces lui paraissaient infiniment plus désirables que celles de Nehemiah Holdenough. Ce n’était rien moins que la gentille Phœbé, pour la conversation de laquelle il s’était senti une forte vocation, depuis sa déclamation contre Shakspeare, la première fois qu’il l’avait vue à la Loge. Il semblait pourtant désirer, concerter et exécuter secrètement cette grande entreprise, et surtout dérober ses travaux apostoliques à la connaissance de son ami Jocelin Joliffe, de crainte qu’il ne fût porté à la jalousie. Mais c’était en vain qu’il débitait à Phœbé tantôt des versets du Cantique des Cantiques, ou des citations de l’Arcadie de Green ; tantôt des passages de Vénus et Adonis ou des doctrines d’une nature plus abstraite, puisées dans un ouvrage alors fort en vogue, intitulé le Chef-d’œuvre d’Aristote : il avait beau faire la cour d’une manière sacrée ou profane, classique ou métaphysique, Phœbé ne paraissait nullement disposée à l’écouter sérieusement.
D’une part, Phœbé aimait Jocelin Joliffe ; de l’autre, si Joseph Tomkins lui avait déplu, comme puritain rebelle, dès la première fois qu’elle l’avait vu, elle n’avait trouvé aucun motif pour le goûter davantage depuis qu’elle avait reconnu en lui un libertin hypocrite. Elle le haïssait donc sous ces deux rapports ; elle ne souffrait sa conversation que lorsqu’elle ne pouvait y échapper, et quand elle était obligée de rester en sa compagnie, elle ne l’écoutait que parce qu’elle savait que la confiance qu’on avait eue en lui faisait qu’en l’offensant elle pourrait compromettre la sûreté de ses maîtres, d’une famille qui l’avait vue naître, qui l’avait fait élever, et pour laquelle elle avait un attachement sans bornes.
Par des raisons à peu près semblables, elle ne manifestait pas l’aversion qu’elle avait conçue contre l’indépendant, en présence de Jocelin ; l’humeur belliqueuse de celui-ci, comme soldat et comme garde forestier, aurait pu amener les choses à une explication dans laquelle le couteau de chasse et le bâton à deux bouts n’auraient pas été des armes égales contre la longue rapière et les pistolets dont son dangereux rival était toujours armé. Mais il est difficile d’aveugler la jalousie quand elle trouve quelque cause de doute ; et peut-être la surveillance exacte de Jocelin sur son camarade avait-elle pour motif non-seulement son zèle pour la sûreté du roi ; mais aussi quelque soupçon vague que Joseph l’honnête pouvait avoir quelque envie de braconner sur ses terres.
Phœbé, en fille prudente, se tenait, autant que possible, à couvert sous la présence de dame Jellicot. Il était vrai que l’indépendant, ou quel qu’il fût, ne l’en persécutait pas moins alors de ses discours érotiques ou de sa morale, mais sans en retirer aucun fruit, car elle semblait aussi sourde parce qu’elle le voulait bien, que la vieille femme l’était elle-même par suite d’une infirmité naturelle. Cette indifférence était un sujet de dépit pour son nouvel amant, et ce fut ce qui le porta à chercher un temps et un lieu où il pût faire valoir son amour avec une énergie qui forçât l’attention. La Fortune, cette maligne déesse qui cause si souvent notre perte en nous accordant ce qui est l’objet de nos désirs, lui procura enfin l’occasion qu’il avait long-temps désirée.
Un soir, vers le coucher du soleil, ou immédiatement après, Phœbé, sur l’activité de laquelle roulait le gouvernement domestique de la Loge, se rendit à la fontaine de Rosemonde, afin d’y puiser de l’eau pour le repas du soir, et de se conformer aux préjugés du vieux chevalier, qui croyait que, dans aucun lieu du monde, cet élément ne se trouvait aussi pur que dans cette célèbre source. Or tel était le respect que toute la maison de sir Henry Lee avait pour lui, que négliger un seul de ses désirs qui pût être satisfait, quelque peine qu’il dût en coûter, eût été regardé comme un aussi grand crime que l’oubli d’un devoir religieux.
Depuis quelque temps, comme nous en avons vu un exemple, il n’était pas très-facile d’emplir une cruche à cette fontaine ; mais l’adresse de Jocelin avait tout récemment remédié à cet inconvénient en réparant grossièrement une partie de la façade, et en y plaçant un tuyau en bois dans lequel l’eau un peu plus abondante formait un filet qui tombait d’une hauteur d’environ deux pieds. On n’avait donc plus besoin que de placer la cruche par-dessous, et d’attendre, sans autre embarras, qu’elle se remplît presque goutte à goutte.
Phœbé, dans la soirée dont nous parlons, voyait pour la première fois ce petit changement avantageux, et en faisant honneur avec raison à la galanterie du Sylvain, son amant, qui avait voulu lui rendre plus facile sa tâche journalière, sa reconnaissance la porta à employer le temps qui s’écoulait pendant que sa cruche s’emplissait lentement, à réfléchir sur la prévenance et l’adresse de l’obligeant ingénieur, et peut-être à penser qu’il aurait aussi bien fait de l’attendre sur le bord de la fontaine, pour recevoir ses remerciemens de la peine qu’il avait prise. Mais elle savait qu’il était resté à l’office avec cet odieux Tomkins ; et, plutôt que de le voir avec cet hypocrite indépendant, elle aimait mieux renoncer au plaisir de rencontrer Jocelin en ce lieu.
Tandis qu’elle faisait ces réflexions, la Fortune eut assez de malice pour envoyer Tomkins à la fontaine, et pour l’y envoyer sans Jocelin. Dès que Phœbé l’aperçut dans le sentier qui y conduisait, une inquiétude soudaine agita le cœur de la pauvre fille. – Elle était seule, – dans l’enceinte de la forêt. – Elle n’avait de secours à espérer de personne, car il était défendu d’y entrer après le coucher du soleil, pour ne pas troubler le repos des cerfs et des daims, qui en faisaient alors leur retraite nocturne. Elle chercha pourtant à s’armer de courage, et résolut de ne montrer aucune apparence de crainte, quoique, à mesure que l’indépendant approchait, elle vit dans son air et dans ses yeux quelque chose qui n’était pas fait pour calmer ses appréhensions.
– Que les bénédictions du soir tombent sur vous, la jolie fille, lui dit-il. Je vous rencontre ici précisément comme le plus ancien des serviteurs d’Abraham rencontra Rébecca, fille de Béthuel, fils de Milca, près du puits de la ville de Nacor en Mésopotamie. Ne dois-je donc pas vous dire : Baisse ta cruche, afin que je boive ?
– La cruche est à votre service, maître Tomkins, lui répondit-elle, et vous pouvez boire tant qu’il vous plaira, mais je réponds que vous avez bu de meilleures liqueurs, et il n’y a pas long-temps.
Dans le fait, il était évident que l’indépendant venait de faire une orgie, car il avait le visage enflammé, quoiqu’il ne fût nullement ivre. Mais l’alarme que Phœbé avait éprouvée en le voyant paraître s’accrut encore quand elle vit ces signes extérieurs de la manière dont il venait de passer le temps.
– Je ne fais qu’user de mes privilèges, ma jolie Rébecca. La terre est accordée aux saints avec tout ce qui s’y trouve. Ils doivent être maîtres des richesses des mines et des trésors de la vigne ; et ils se réjouiront, et leurs cœurs se dilateront. – Tu as encore à apprendre quels sont les privilèges des saints, ma jolie Rébecca.
– Mon nom est Phœbé, dit la jeune fille pour tâcher de calmer un transport d’enthousiasme réel ou affecté.
– Phœbé suivant la chair, mais Rébecca suivant l’esprit. – Car n’es-tu pas une brebis égarée ? – Ne suis-je pas celui qui est envoyé pour te faire rentrer dans le bercail ? – Sans cela, pourquoi serait-il dit : Tu la trouveras assise dans le bois, près de la source qui porte le nom de l’ancienne prostituée Rosemonde.
– Il n’est pas douteux que vous ne m’ayez trouvée assise ici, M. Tomkins ; mais, si vous voulez me tenir compagnie, il faut que vous retourniez au château avec moi, et vous porterez ma cruche, si vous êtes assez bon pour cela. Chemin faisant, j’écouterai toutes les belles choses que vous avez à me dire ; mais il faut que je parte, car sir Henry demande toujours son verre d’eau avant les prières.
– Quoi ! le vieillard au cœur pervers et à la main ensanglantée t’a-t-il envoyée ici pour faire l’ouvrage d’une esclave ? – Véritablement tu t’en retourneras affranchie ; et, quant à l’eau que tu as puisée, elle sera répandue comme l’eau du puits de Bethléem.
À ces mots, il vida la cruche en dépit des prières et des exclamations de Phœbé ; et, l’ayant replacée sous le petit tuyau qui conduisait l’eau, il continua :
– Sache que ceci va être pour toi un signe. – L’eau qui tombe dans cette cruche sera comme le sable qui passe par le sablier. – Si, pendant le temps qui s’écoulera avant qu’elle soit remplie, tu écoutes les paroles que je vais t’adresser, tu t’en trouveras bien, et tu seras placée en haut rang parmi ceux qui oubliant l’instruction qu’ils ont reçue, et qui est comme le lait pour les enfans à la mamelle, s’alimentent de la nourriture des forts. – Mais, si l’eau dépasse les bords de la cruche avant que ton oreille m’ait entendu et que ton esprit m’ait compris, tu seras abandonnée en proie et en esclavage à ceux qui possèdent les biens de la terre.
– Vous m’effrayez, M. Tomkins ; je suis pourtant sûre que ce n’est pas votre intention. Je suis surprise que vous osiez prononcer des paroles qui ressemblent tant à celles de la Bible, quand vous savez combien vous avez ri aux dépens de votre maître et de tous les autres lorsque vous avez aidé à faire paraître des esprits à la Loge.
– Es-tu donc assez simple pour croire qu’en me jouant ainsi d’Harrison et des autres j’ai excédé mes privilèges ? Non, véritablement. – Écoute-moi, jeune insensée. – Lorsque j’étais autrefois le plus grand vaurien du comté d’Oxford, fréquentant les veillées et les foires, dansant autour du mai, montrant ma vigueur au ballon et au bâton à deux bouts, – Oui, quand on me nommait, dans le langage des incirconcis, Philippe Hazeldin ; que j’étais chantre au chœur et sonneur de cloches, et que je servais le prêtre qui est là-bas, nommé Rochecliffe ; je n’étais pas plus étonné de la route droite que lorsque, après avoir bien étudié, je n’ai trouvé pour guides que des aveugles se succédant les uns aux autres. Mais je les ai abandonnés tour à tour, – ce pauvre fou d’Harrison le dernier ; – et, par ma propre force, sans aide de personne, je me suis frayé un passage jusqu’à cette vive et heureuse lumière, que je veux aussi faire briller à tes yeux, Phœbé.
– Je vous remercie, M. Tomkins, répondit la suivante, cachant quelque crainte sous un air d’indifférence ; mais j’aurai assez de lumière pour retourner au logis avec ma cruche, si vous voulez bien me la laisser prendre. Je n’ai pas besoin d’autres lumières ce soir.
À ces mots, elle se baissa pour prendre sa cruche ; mais l’indépendant la saisit par le bras, et l’empêcha d’exécuter son dessein. Phœbé en conçut aussitôt un autre, qui lui fut inspiré tout à coup par le désir de se défendre et par le courage dont elle avait hérité de son père, qui avait aussi été garde forestier ; quoiqu’elle n’eût pu avancer jusqu’à sa cruche, elle eut le temps de ramasser un assez gros caillou qu’elle tint caché dans sa main droite.
– Relève-toi, jeune folle, et écoute-moi, dit Tomkins. Apprends, en un mot, que le péché pour lequel l’ame de l’homme est punie par le courroux du ciel, n’existe pas dans l’acte du corps, mais dans celui de la pensée du pécheur. Crois, aimable Phœbé, que tout est pur pour celui qui est pur, et que le péché se trouve dans nos pensées, et non dans nos actions ; de même que le plus vif éclat du jour n’offre que ténèbres à l’aveugle, tandis que celui qui a de bons yeux le voit et en jouit. Beaucoup est enjoint, beaucoup est défendu à celui qui n’est que novice dans les choses de l’esprit, et il est nourri de lait comme l’enfant au berceau. – C’est pour lui que sont les défenses et les prohibitions, les ordres et les commandemens. – Mais le saint est élevé au-dessus de ces restrictions et de ces injonctions. C’est à lui, comme à l’enfant chéri de la maison, qu’est donné le passe-partout pour ouvrir toutes les serrures qui s’opposent aux jouissances des désirs de son cœur. – Je te conduirai, aimable Phœbé, par d’agréables sentiers qui nous mèneront à la joie, à une liberté innocente, et à des plaisirs qui sont défendus et criminels pour ceux qui ne sont pas privilégiés.
– Je voudrais réellement, M. Tomkins, que vous me permissiez de m’en aller, dit Phœbé, qui ne comprenait pas très-bien la nature de sa doctrine, mais à qui ni ses discours ni ses manières ne plaisaient. Tomkins continua pourtant à lui débiter des principes impies et blasphématoires qu’il avait adoptés comme d’autres soi-disant saints de cette époque, après avoir erré de secte en secte, et s’être enfin fixé dans la croyance abominable que le péché, étant d’une nature exclusivement spirituelle, n’existait que dans la pensée, et que les plus mauvaises actions étaient permises à ceux qui avaient élevé leurs pensées au point de se croire au-dessus du péché.
– Tu vois, ma Phœbé, continua-t-il en cherchant à l’attirer vers lui, que je puis t’offrir plus qu’on n’offrit jamais à une femme depuis qu’Adam prit son épouse par la main. Que d’autres gardent leurs lèvres sèches, et fassent pénitence par l’abstinence, comme les papistes quand la coupe du plaisir verse ses délices. – Aimes-tu l’argent ? j’en ai et je puis en avoir davantage, car je suis privilégié pour m’en procurer de toutes mains et par tous les moyens. – Veux-tu des domaines ? duquel de ces pauvres sots de commissaires désires-tu les biens ? Je saurai les lui ravir pour toi ; car mon esprit est plus fort que le leur, et ce n’est pas sans raison que j’ai aidé le malveillant Rochecliffe et le manant Jocelin à les tromper et à les épouvanter. – Demande-moi ce que tu voudras, Phœbé ; je puis te le donner ou te le procurer. – Commence donc avec moi une vie de délices en ce monde ; ce ne sera pour nous qu’une anticipation des joies du paradis.
Le débauché fanatique s’efforça de nouveau d’attirer à lui la pauvre fille, qui, sérieusement alarmée, mais ne perdant pas sa présence d’esprit, chercha à force de prières à le déterminer à la lâcher. Mais ses traits, naguère si froids, avaient pris une expression effrayante, et il s’écria : – Non, Phœbé, non, ne crois pas m’échapper, – tu m’es livrée comme captive, tu as négligé l’heure de grace, et elle s’est écoulée. Regarde ! l’eau dépasse les bords de ta cruche, ce qui devait être un signe entre nous. – Je ne chercherai donc plus à t’éclairer par des discours dont tu n’es pas digne ; mais je te traiterai comme t’étant détournée de la grace, qui s’offrait à toi.
– Maître Tomkins, dit Phœbé d’un ton suppliant, songez, pour l’amour de Dieu, que je suis une pauvre orpheline, ne me faites pas d’injure ; ce serait une honte pour votre sexe et pour votre force. – Je n’entends rien à vos belles paroles. – J’y réfléchirai demain. Enfin, son ressentiment montant à son comble, elle s’écria avec plus de force : – Je ne prétends pas être si indignement traitée ! – Laissez-moi ou il vous arrivera malheur ! – Hé bien, ajouta-t-elle tandis qu’il la pressait avec une violence dont l’objet n’était pas douteux, et qu’il cherchait à s’emparer de sa main droite, recevez cela et soyez maudit. Et en parlant ainsi elle lui porta de toutes ses forces, au milieu du front, un coup avec le caillou qu’elle gardait pour la dernière extrémité.
Le fanatique, à demi étourdi, chancela, et lâcha le bras de la pauvre fille, qui profita de ce moment pour s’enfuir en criant au secours, et conservant toujours le caillou victorieux. Courroucé jusqu’à la rage du coup qu’il avait reçu, Tomkins la poursuivit agité par les plus noires passions, et par la crainte que sa brutalité ne fût découverte. Il cria à Phœbé de s’arrêter, et eut même l’infamie de la menacer de lui tirer un coup de pistolet si elle continuait à fuir. Elle n’en fit pourtant que courir plus vite, et il fallait qu’il exécutât ses menaces, ou qu’il la vît lui échapper et porter à la Loge l’histoire de sa scélératesse, si Phœbé, se heurtant le pied contre une grosse racine de sapin, ne fût malheureusement tombée. Mais tandis qu’il se précipitait sur sa proie, un secours inespéré arriva en la personne de Jocelin, son gourdin sur l’épaule.
– Comment ! que veut dire ceci ? s’écria Joliffe en se jetant entre Phœbé et celui qui la poursuivait.
Tomkins, dans un accès de fureur, ne lui répondit qu’en faisant feu contre lui du pistolet qu’il tenait à la main. La balle effleura la joue du garde forestier, qui, courroucé à son tour de cet attentat contre sa vie, s’écria : – Oui-dà ! hé bien, le bois contre le plomb ! et levant en même temps son gourdin, il le fit tomber avec une telle force sur la tête de l’indépendant, qu’il le frappa à la tempe d’un coup mortel.
Tomkins roula par terre avec quelques mouvemens convulsifs accompagnés de mots entrecoupés. – Jocelin, – je suis mort – je te pardonne, – le docteur Rochecliffe, – oh ! – le ministre, – le service funéraire. – Ces mots indiquaient peut-être son retour à une croyance qu’il n’avait probablement jamais abjurée aussi complètement qu’il se l’était persuadé à lui-même ; mais la voix lui manqua, et le râle de la mort annonçait seul qu’il vivait encore. – Ses mains serrées se relâchèrent, ses yeux fermés se rouvrirent, se fixèrent sur le ciel, mais ils étaient éteints ; – ses membres s’étendirent et se raidirent ; – l’ame chassée de sa demeure terrestre dans un moment si terrible était déjà devant le trône du jugement.
– Qu’avez-vous fait, Jocelin ! qu’avez-vous fait ! s’écria Phœbé ; vous l’avez tué !
– Cela vaut mieux que s’il m’avait tué, répondit Jocelin, – car ce n’était pas un de ces maladroits qui manquent leur coup deux fois de suite. – Et pourtant j’en suis fâché pour lui. – Nous avons fait ensemble plus d’une partie joyeuse quand il se nommait Philippe Hazeldin, et alors il ne valait pas déjà grand’chose ; mais depuis qu’il a couvert ses vices d’un masque d’hypocrisie, il paraît qu’il est devenu plus mauvais diable que jamais.
– Allons, Jocelin, allons-nous-en, dit la pauvre Phœbé, ne restez pas à le regarder ainsi ; car le garde forestier, appuyé sur son bâton, regardait le cadavre avec l’air d’un homme à demi étourdi par cet événement.
– Cela vient de la cruche d’ale, dit-elle dans le véritable style de consolation d’une femme, – comme je vous l’ai dit, – Mais, pour l’amour du ciel, retournons à la Loge, et voyons ce qu’il y a à faire.
– Un moment, Phœbé ; laissez-moi d’abord le tirer du chemin ; il ne faut pas qu’il reste ici à la vue de tout le monde. – Hé bien, ne me donnerez-vous pas un coup de main ?
– Moi, Jocelin ! oh, non ! je ne toucherais pas un de ses cheveux pour tout Woodstock.
– Il faut donc que je fasse la besogne tout seul, dit Jocelin, qui, quoique soldat et garde forestier, éprouvait une grande répugnance à se charger de cette tâche nécessaire. Il y avait dans le dernier regard et les dernières paroles du mourant quelque chose qui avait produit une impression de terreur sur les nerfs d’ailleurs peu sensibles de Jocelin. Il eut cependant la force de traîner le corps du défunt secrétaire hors du chemin battu, et le cacha sous un buisson de ronces et d’épines. Il retourna ensuite près de Phœbé, qui, encore toute tremblante, s’était assise sous l’arbre dont une racine l’avait fait tomber.
– Allons, dit-il, retournons à la Loge, et voyons ce que tout cela va devenir. – Un pareil accident ne diminuera pas nos dangers. – Mais que te voulait-il donc, Phœbé ? – Pourquoi courais-tu devant lui comme une folle ? – Je crois que je puis le deviner ; – il a toujours été un vrai diable avec les femmes, et je crois, comme le dit le docteur Rochecliffe, que, depuis qu’il était devenu saint, sept diables pires que lui-même avaient pris possession de son corps. – C’est précisément ici l’endroit où je l’ai vu lever la main contre le vieux chevalier, – et lui, en enfant de la paroisse ! – c’était tout au moins un crime de haute trahison. Mais sur ma foi, il l’a bien payé.
– Mais comment avez-vous pu confier vos secrets à un si méchant homme, Jocelin ? comment avez-vous pu entrer dans ses complots pour effrayer les commissaires Têtes-Rondes ?
– Dès le premier instant que je le vis, il me sembla que je le reconnaissais, surtout quand je vis que Bevis, qu’on élevait ici quand il était piqueur, ne lui sautait pas à la gorge tout d’un coup. Et quand nous eûmes renoué connaissance à la Loge, j’appris qu’il était en correspondance secrète avec le docteur Rochecliffe, qui était persuadé que c’était un royaliste, et qui par conséquent vivait en bonne intelligence avec lui, – Le docteur se vante d’avoir appris de lui bien des choses ; mais je prie le ciel qu’il ne lui en ait pas trop appris lui-même à son tour.
– Vous n’auriez jamais dû le laisser entrer à la Loge, Jocelin.
– Et il n’y aurait jamais mis le pied si j’eusse su comment l’en empêcher. Mais au bout du compte, Phœbé, que pouvais-je penser en le voyant prendre part si franchement à tous nos projets, – quand il me dit comment je devais m’habiller pour ressembler au comédien Robinson, dont l’esprit tourmente Harrison, – j’espère que l’esprit de personne ne me tourmentera ; – et quand il m’apprit ce que j’avais à faire pour effrayer son maître ? – J’espère seulement que le docteur lui a caché le plus grand secret de tous. – Mais nous voici à la Loge. Montez dans votre chambre, Phœbé, et tâchez de vous calmer. Il faut que je cherche le docteur Rochecliffe ; il parle toujours de son esprit riche et fertile en inventions : voilà, je crois, le moment d’en faire usage.
Phœbé monta dans sa chambre ; mais dès qu’elle y fut arrivée, les forces que lui avait données l’urgence du danger s’évanouirent tout à coup, et elle eut une suite d’attaques de nerfs qui exigèrent toute l’attention de dame Jellicot et les soins moins inquiets mais plus judicieux d’Alice.
Pendant ce temps le garde forestier alla porter sa nouvelle au politique docteur, qui en fut extrêmement déconcerté et alarmé, et qui reprocha même sérieusement à Jocelin d’avoir tué un homme sur les rapports duquel il s’était accoutumé à compter. Cependant son air annonçait qu’il ne savait s’il ne lui avait pas accordé sa confiance trop légèrement, et ce doute le tourmentait d’autant plus qu’il ne voulait pas le laisser apercevoir, de crainte de perdre quelque chose de la réputation d’adresse dont il se piquait.
La confiance du docteur Rochecliffe en la fidélité de Tomkins semblait pourtant reposer sur d’assez bons fondemens. Avant les guerres civiles, comme on peut l’avoir déjà entrevu d’après ce qui précède, Tomkins, sous son vrai nom d’Hazeldin, avait été sous la protection du recteur de Woodstock, lui avait quelquefois servi de clerc, avait été un des membres distingués de son chœur ; et ne manquant ni d’esprit ni d’adresse, il avait même souvent aidé le docteur dans ses recherches au milieu des ruines de Woodstock. En s’engageant sous les drapeaux de la république, il n’en avait pas moins conservé ses relations avec Rochecliffe, à qui il avait donné de temps en temps des renseignemens qui paraissaient précieux. Tout récemment il s’était rendu extrêmement utile au docteur en l’aidant, avec le secours de Jocelin et de Phœbé, à imaginer et à exécuter les différentes ruses qui avaient servi à expulser de Woodstock les commissaires du parlement. Il est vrai que son zèle à cet égard avait été stimulé par la promesse d’un présent, et ce n’était rien moins que la vaisselle d’argent qui restait encore à la Loge. Le docteur, tout en admettant qu’il pouvait être un homme corrompu, le regrettait donc comme un homme utile, et dont la mort, si elle donnait lieu à quelque enquête, pouvait attirer de nouveaux dangers sur une maison déjà environnée de périls, et qui renfermait un dépôt si précieux.