– Tu y perdras cependant, mon maître, continua le Diable, car j’avais une bonne scène à te raconter : c’est le conciliabule qui fut tenu entre Juliette, de Cerny et Gustave de Bridely. Tu y aurais vu l’impuissance enragée du grand seigneur se mettant au niveau des petites infamies d’une fille publique et d’un intrigant ; tu y aurais vu le vice, la méchanceté, la soif de l’or, s’avançant pas à pas, se tâtant l’un l’autre, puis se reconnaissant tous pour gens de même compagnie, se démasquant effrontément et se saluant en se tendant la main. Ainsi Juliette vendit à M. de Cerny le secret de ta fuite avec Léonie, à la condition qu’il l’aiderait à obtenir enfin de M. de Paradèze, oncle par alliance de M. de Cerny, qu’il voulût bien la reconnaître comme sa petite-fille et qu’il ferait tout pour empêcher madame de Cauny, maintenant, madame de Paradèze, de reconnaître Eugénie pour la fille qui lui avait été enlevée.
– Et de quel salaire le marquis de Bridely a-t-il payé ce service ? dit Luizzi interrompant le Diable.
– Il l’a payé du nom et de la fortune qu’il a volés. À l’heure où je te parle, il y a promesse de mariage entre le marquis Gustave de Bridely et Juliette ta sœur.
– Mais elle aimait Henri Donezau ? reprit le baron.
– C’est-à-dire, ajouta le Diable, qu’il valait mieux être la maîtresse d’Henri Donezau à qui un sot avait donné vingt-cinq mille livres de rente, que d’être fille publique ou religieuse ; mais il valait mieux être l’épouse légitime de M. le marquis de Bridely que la maîtresse de M. Henri Donezau. Ta sœur n’a pas hésité un moment.
– Et elle a sans doute réussi dans tous ses projets ? dit le baron ; et, averti trop tard de ce qu’était cette femme, je n’ai pas pu y mettre obstacle.
– C’est vrai ! dit le Diable. Sur ma foi, il s’en est fallu de bien peu que tout ce qui arrive ne soit pas arrivé.
– Comment cela ?
– Suppose que mon histoire de Mathieu Durand n’eût pas produit l’effet que j’en attendais : Fernand ne nous quittait pas et ne nous laissait pas seuls ensemble.
– Oui, oui, fit Luizzi amèrement, je comprends comment tu m’as trompé en me disant que cette histoire m’était tout à fait étrangère. N’importe, revenons à Juliette.
– Soit ; et, pour revenir à elle, je dois te dire aussi que, si Fernand ne nous avait pas quittés, il t’aurait raconté l’histoire de cette Jeannette, et qu’une fois instruit que c’était ta sœur, tu aurais pu en tirer parti pour empêcher le mal qu’elle a fait.
– Elle a donc réussi ?
– Tu vas en juger : Je t’ai parlé autrefois de Bricoin ; tu ne connais pas Bricoin, mon maître, et tu ne sais pas par conséquent ce que c’est qu’une mauvaise nature arrivée à l’extrême vieillesse. L’homme qui a tué le mari de madame de Cauny pour l’épouser et avoir sa fortune, l’homme qui lui a enlevé son enfant pour l’épouser et avoir sa fortune, doit porter en lui une singulière passion pour l’argent. Tu n’as peut-être jamais vu cette passion quand elle est arrivée au dernier terme de sa folie, quand, la vieillesse enlevant à celui qui en est possédé toute retenue envers le monde et toute puissance en lui-même pour la combattre, il s’y abandonne complètement. Ce n’est plus la fureur de l’avare qui entasse ses trésors et qui les enfouit, fier cependant de la force qu’ils lui donnent, et disant à lui et aux autres qu’il pourra en user le jour où il le voudra : triste satisfaction, orgueil misérable, dont l’avarice cherche à dorer les privations qu’elle s’impose ! C’est la décrépitude de ce vice lui-même ; c’est le vieillard qui, entouré de richesses, avec ses coffres pleins, ses greniers pleins, ses caves pleines, a peur de mourir de faim et de soif ; c’est l’imbécillité qui se traîne dans les cours d’un château, dans les cuisines, dans les offices, disputant un grain de blé aux poules de sa basse-cour, ramassant une croûte de pain pour la cacher dans quelque endroit secret de sa chambre, volant un liard oublié par un domestique et l’ajoutant au sac d’écus qu’un fermier lui a rapporté la veille ; c’est quelque chose de bas, d’idiot, de cruel et de faible à la fois ; quelque chose qui ne peut pas exciter la haine, tant il y a de débilité dans cette passion ; quelque chose qui ne peut pas exciter la pitié, tant il y a de ruse et de méchanceté dans les moyens qu’elle invente pour se satisfaire. Tel était Bricoin devenu M. de Paradèze.
Or, depuis longues années, une femme noble, aux sentiments élevés et doux, subissait, sans pouvoir y échapper, la vie que lui faisait un pareil maître. Faible aussi, car tout s’était brisé en elle, la jeune et belle Valentine d’Assimbret était devenue une vieille femme tremblante, épuisée de privations, se cachant pour cacher ses haillons, et dégradée à ce point qu’elle volait à son tour du feu pour se chauffer, du pain pour manger et du vin pour s’enivrer, et oublier quelquefois qu’elle avait froid et faim. C’est à cette femme que madame de Cerny allait demander une protectrice, c’est à cette femme qu’Eugénie Peyrol allait demander une mère ; mais, comme je te l’ai dit, Juliette les avait précédées. Le jour où elle arriva, madame de Paradèze était malade : étendue sur un grabat, elle avait pour toute garde-malade une vieille femme qui n’était pas assurément plus misérable qu’elle. Juliette sonne à la porte de ce château, jadis si splendide ; car, à l’époque où elle en avait été chassée enfant, l’avarice du maître avait gardé assez de raison pour comprendre qu’en ne dépensant qu’une faible partie des immenses revenus de sa femme, il avait encore les moyens de se faire une belle fortune. À cette époque aussi ; madame de Cauny était dans toute la force de l’âge, et sa volonté, toute faible qu’elle fût, luttait contre la parcimonie honteuse de son mari. Celui-ci, de son côté, n’était pas non plus délivré de la crainte de voir découvrir son ancien mariage ; et, comme il savait que le vicomte d’Assimbret ne demandait pas mieux que de trouver une occasion de le punir d’avoir épousé sa sœur, il n’osait pas donner à sa femme des sujets de plainte qui eussent pu parvenir jusqu’aux oreilles du vicomte. Mais une fois qu’il fut assuré de la mort de sa première femme, une fois que Jeannette fut chassée du château, il se sentit au-dessus de toute erreur et osa commander en maître. Cependant il ne fallut pas moins de vingt ans pour amener M. et madame de Paradèze, et le château qu’ils habitaient, à l’état de dégradation où Juliette le trouva. Je te l’ai dit, elle sonna à la porte de ce château, et pendant longtemps on ne lui répondit pas. Enfin, après une longue attente, la vieille et unique servante, dont je t’ai parlé, vint lui ouvrir et lui demanda ce qu’elle voulait. Elle répondit qu’elle voulait voir M. de Paradèze pour une affaire très-pressante et qui intéressait sa fortune. La vieille femme l’introduisit, et, gagnant une petite aile de la grande cour de cet immense château, elle lui montra du doigt une longe file d’appartements en lui disant : « Vous trouverez tout au bout M. de Paradèze dans sa chambre. » Juliette traversa plusieurs salons abandonnés ; les tentures tombaient par lambeaux, et les boiseries étaient dévorées par l’humidité qui entrait par les fenêtres brisées ; elle arriva ainsi de chambre en chambre jusqu’à une porte fermée, qu’elle ouvrit sans frapper.
Dans une pièce exiguë, elle vit un vieillard assis sur un misérable tabouret dont on avait scié les pieds, et tenant entre ses jambes un réchaud sur lequel chauffait sans bouillir une marmite où nageaient quelques rares légumes ; une vieille couverture de cheval lui couvrait les épaules, et ses pieds et ses jambes étaient enveloppés de tresses de paille pour leur donner quelque chaleur. Lorsqu’il entendit ouvrir la porte, il se leva et se retourna. Ses cheveux pendaient sur ses joues, ses sourcils pendaient sur ses paupières, ses joues pendaient sur son cou, sa lèvre sur son menton : c’était la décrépitude dans ce qu’elle a de plus hideux et de plus sale. À l’aspect de Juliette, il s’empara du misérable tabouret sur lequel il était assis, et s’écria :
« – Que me voulez-vous ? je n’ai rien, je suis un pauvre homme ruiné. »
Juliette avait quitté Bois-Mandé assez tard pour connaître le vice de son grand-père, quoiqu’elle ne fût jamais rentrée au château depuis qu’on l’en avait expulsée ; aussi ne s’étonna-t-elle pas de cet accueil, et répondit-elle intrépidement :
« – Je ne vous demande rien, et c’est pour vous empêcher d’être ruiné que je suis venue ici. »
Le vieillard posa son tabouret à terre, et, s’asseyant entre Juliette et son feu comme s’il eût craint qu’elle lui dérobât une parcelle de chaleur :
« – Eh bien ! qui êtes-vous ? et que me voulez-vous ?
– Je vous l’ai déjà dit, repartit Juliette, je viens vous empêcher d’être ruiné.
– Et qui est-ce qui peut vouloir m’arracher le misérable morceau de pain que j’ai ? dit le vieillard. Tout le monde sait bien que je ne possède pas un sou, et que, si je ne vais pas mendier, c’est par respect pour le nom que je porte.
– Alors, dit Juliette en feignant de se retirer, je n’ai rien à vous dire.
– Restez, s’écria le vieillard en s’élançant vers elle et en la retenant ; restez. Je vous reconnais maintenant : vous êtes la fille de Mariette, vous êtes Jeannette la servante d’auberge.
– Je suis votre petite-fille, dit Juliette, et c’est à ce titre que je viens vous sauver.
– Je n’ai pas de petite-fille, dit le vieillard, je n’ai pas d’enfant.
– Vous avez une petite-fille qui est moi, une enfant qui est Mariette ; et si, pour prix de ce que je viens vous dire, vous ne m’assurez pas votre héritage, il y a quelqu’un qui vous enlèvera tout ce que vous pouvez posséder, il y a quelqu’un qui peut vous envoyer mourir en prison. »
Cette menace épouvanta Bricoin. Se cachant la tête sur ses genoux, il grommela du ton d’un enfant pleurard :
« – Ma femme est morte, il n’y a plus de preuves, je suis innocent.
– Sans doute, dit Juliette, il sera difficile de les retrouver, mais la fille de madame de Cauny vit encore, et je sais où elle est.
– La fille de ma femme ! s’écria le vieillard se relevant et saisi d’un tremblement affreux. Elle vient me voler tout mon bien, n’est-ce pas ? Elle demande tout ce qui a appartenu à sa mère ? Elle veut me dépouiller, elle veut me réduire à mourir de faim ?
– Elle en est bien capable, repartit l’excellente petite-fille de cet honorable vieillard.
– Oh ! je l’en empêcherai, dit Bricoin avec fureur.
– Ce sera difficile. C’est une grande dame très-puissante, très-bien appuyée dans le monde, et que seule, peut-être, je puis empêcher de vous faire du tort.
– Et comment peux-tu faire cela ? dit le vieillard en se rapprochant de Juliette.
– Et comment me payerez-vous ce service, si je vous le rends ? »
Le vieillard baissa la tête et repartit d’un air empressé et mystérieux :
« – Tiens, j’ai là dans un coin un bien beau bijou que ma femme portait quand elle était jeune, je te le donnerai. »
Juliette voulut expérimenter jusqu’au bout la fourbe et l’avarice de Bricoin, et demanda à voir ce bijou. Le vieillard alla dans un coin de la chambre, souleva un lambeau de tapisserie et en tira une chaîne qu’il remit à Juliette. Elle reconnut facilement qu’elle était en cuivre doré. Juliette la jeta loin d’elle et s’avança vers la porte en disant :
« – Je m’en vais avertir madame de Paradèze que sa fille existe encore. »
Le vieillard retrouva assez de force pour se placer entre Juliette et la porte.
« – Tu ne sortiras pas, tu ne sortiras pas ! » lui dit-il.
Mais Juliette l’ayant écarté avec violence, il reprit d’un ton bas et suppliant, et en s’efforçant de sourire :
« – Je m’étais trompé, vois-tu, Jeannette, j’avais mis là cette chaîne pour attraper les voleurs, s’il en était venu par hasard ; mais j’en ai en véritable or, et des diamants aussi ! Eh bien ! je te les… je te les ferai voir !
– Ah çà ! fit Juliette, nous ne nous comprenons plus du tout. Écoutez-moi bien : si la fille de votre femme se fait reconnaître, non-seulement elle héritera de tous les biens de sa mère, mais elle vous laissera dans la misère. »
Le vieillard l’interrompit en lui disant d’un air abattu :
« – Et ce sera là la récompense de trente ans de bonheur que j’ai donnés à ma femme ! »
Juliette ne s’arrêta pas à l’exclamation de M. de Paradèze, elle continua ainsi :
« – Non-seulement cette fille vous laissera dans la misère si vous survivez à votre femme, mais encore elle vous dénoncera à la justice comme l’ayant fait disparaître jadis ; et tout ce qui peut vous arriver de moins malheureux, c’est d’être interdit et de vous voir enlever l’administration des biens de votre femme, de son vivant même.
– Ce n’est pas possible, ce n’est pas possible ! reprit le vieillard, à qui l’idée d’être dépouillé rendait toute sa fureur. »
Juliette ne tint compte encore de l’interruption, et voulant aller droit au but, elle lui dit :
« – Il y a un moyen cependant de prévenir tout cela : c’est de faire déclarer à votre femme elle-même qu’elle a vu sa fille morte, et que toute autre qui se prétendrait être l’enfant qu’elle a perdue est une intrigante, coupable de la plus lâche imposture.
– C’est une idée, fit le vieillard ; mais comment y arriverons-nous ?
– Cela vous regarde, dit Jeannette. J’ai fait tout ce que je devais en vous prévenant. »
Mais enfin, dit Luizzi en interrompant pour la première fois ce hideux récit, quel intérêt si pressant avait donc Juliette à perdre Eugénie Peyrol ?
– Pardieu ! mon maître, dit le Diable, tu as une pauvre mémoire et une triste connaissance des lois qui nous régissent ! D’après ce que tu as pu voir par l’arbre généalogique que je t’ai montré, Gustave de Bridely a déjà hérité d’une fortune qui eût dû revenir à madame de Cauny, et par conséquent à Eugénie Peyrol.
– Je comprends l’intérêt de Gustave de ne pas réveiller une telle affaire, dit le baron.
– Mais tu ne comprends donc pas aussi que, si par son acte de mariage, madame de Cauny a donné, à défaut d’enfant, tout son bien à son mari survivant, Bricoin devenait immensément riche ? Mariette héritait de cette fortune, et Juliette la recevait de Mariette. Elle se mariait à Gustave de Bridely. Et un drôle digne des galères, une coquine qu’il faudrait marquer à l’épaule, se trouvaient les uniques héritiers de l’une des plus grandes et des plus riches familles de France.
– C’est vrai, dit le baron ; mais, pour que cela pût réussir ainsi, il fallait que madame de Paradèze mourût avant son mari.
– Oui, dit le Diable, c’est là qu’était la question, et ce fut cette question qu’on n’aborda pas, chacun étant sûr que l’autre l’entendait à merveille. Le plus pressé était d’empêcher la reconnaissance actuelle et future d’Eugénie Peyrol.
– Et, d’après ce que tu m’as dit, fit le baron, les deux infâmes y sont sans doute arrivés ?
– Et cela ne leur a pas coûté cher, reprit le Diable ; un peu de pain, un peu de viande, un peu de vin, voilà tout !
– Que veux-tu dire ?
– Ah ! mon maître, ç’a été une horrible scène que ce vieillard et cette jeune fille assis auprès du lit de cette vieille mère mourante et presque idiote, lui racontant qu’une intrigante avait la hardiesse de se faire passer pour sa fille. Et, comme quelques étincelles d’amour maternel s’échappaient de cette cendre presque éteinte, on arrosa cette cendre de vin et on en fit de la fange. Et à chaque verre que l’on marchandait à la malheureuse, on lui faisait ajouter une phrase explicative à la déclaration qu’on exigeait d’elle. Et ce fut ainsi qu’elle écrivit sous leur dictée, qu’ayant appris qu’une femme nommée Eugénie Turniquel, femme Peyrol, prétendait se faire passer pour sa fille, elle croyait devoir déclarer, à son lit de mort, étant saine d’esprit et libre de corps, que l’enfant né d’elle était mort, et que ç’avait été dans l’intention d’adopter la fille de son mari qu’elle avait fait semblant de la rechercher, mais que la différence d’âge qu’auraient eu les enfants ne lui avait pas heureusement permis d’accomplir cet acte illégal.
– Et ils ont obtenu une pareille déclaration ? s’écria le baron.
– Oui, maître ; et, comme une pareille déclaration pouvait être rétractée par la vieille femme rendue à la raison, on a le mieux du monde empêché la raison de revenir. À la privation de tout on a fait succéder l’abondance de tout ; et la mort, que n’avaient pas amenée la faim et la misère, l’abus et l’excès l’ont amenée.
– Madame de Cauny est morte ? s’écria le baron.
– Morte, dit le Diable, quelques jours avant le départ de Juliette pour venir déposer contre toi : car tu comprends que sa déposition n’a pas peu contribué à te perdre en montrant que cette déposition sur laquelle tu comptais tant ne pouvait être qu’un faux témoignage.
– Mais comment Eugénie est-elle arrivée si tard chez madame de Cauny, qu’elle n’ait pu prévenir cet épouvantable malheur ?
– C’est que, grâce à tes bons soins, elle avait pour surveillant M. le marquis Gustave de Bridely, qui, en attendant le succès de la ruse de Juliette, eut grand soin de la faire voyager de province en province, de façon à ce qu’elle ne retrouvât jamais sa mère, madame de Paradèze. Ce ne fut que lorsque, fatiguée de cette poursuite inutile, elle revint près de son oncle Rigot, après avoir épuisé le peu de ressources qui lui restaient, qu’elle retrouva la lettre que tu lui as écrite à ton arrivée ici, ce qui la détermina à une dernière tentative. Elle partit aussi à pied, comme ta sœur Caroline ; car elle avait été cruellement avertie plus d’une fois qu’elle n’avait pas de secours à attendre de la comtesse de Lémée, sa fille, et elle ne voulut pas lui apprendre qu’elle allait lui chercher une nouvelle fortune, de peur d’avoir à souffrir des chagrins encore plus odieux que ceux que son ingratitude lui avait déjà fait supporter. Elle partit, elle parcourut courageusement sa route, et elle arriva à la porte de ce château pour apprendre que sa mère était morte, et pour se voir menacée de la prison lorsqu’elle se rendit chez le juge de paix auquel elle déclarerait en quelle qualité elle se présentait. Car on avait eu soin de remettre entre ses mains la déclaration de madame de Cauny, et elle lui fut opposée à la première parole qu’elle voulut prononcer pour justifier sa prétention. Ce fut alors qu’accablée de lassitude et de misère, elle alla dans cette auberge, où elle trouva madame de Cerny alitée.
Comme Satan achevait cette phrase, huit heures sonnèrent, et Luizzi, averti que le temps qui lui restait s’en allait rapidement, fut sur le point de terminer en ce moment son entretien avec le Diable ; mais il calcula qu’il lui restait encore seize heures, et il reprit :
– Allons, hâte-toi. Que je sache aussi comment j’ai perdu celle-là, comment je l’ai amenée, elle si heureuse, si belle, si noble, à aller souffrir sur le grabat d’une misérable auberge ; apprends-moi bien que je n’ai plus qu’un seul espoir dans ce monde ; affermis-moi dans le choix que j’ai fait. Je t’écoute, Satan.
Et Satan reprit :