CHAPITRE DOUZIÈME

Marguerite Audivisier, une légère valise à la main, quitta le Grand Hôtel, refusa un taxi, et se dirigea à pied vers la gare. En passant devant la boutique de la fleuriste, elle entra. La petite Marguerite qui changeait l’eau des lilas, s’avança, les mains humides, un sourire hésitant sur les lèvres.

— Vous me reconnaissez ? demanda Marguerite. Je suis venue acheter des arums ce matin. En avez-vous encore ?

La jeune vendeuse jeta sur la vitrine un regard consterné.

— Ça ne fait rien, déclara Marguerite Audivisier, c’est seulement pour demain. Gardez-m’en un bouquet comme celui de ce matin, je passerai le prendre vers midi.

— Alors Mademoiselle ne s’en va pas ? se risqua à dire la jeune Marguerite en ébauchant un geste vers la valise.

— Je pars, je vais coucher en dehors des limites du département, répondit sur un ton de plaisanterie Marguerite Audivisier, mais je reviens demain matin, et j’espère vous revoir… toujours aussi fraîche que vos fleurs.

La petite Marguerite rougit, rit, un peu gênée. La main sur la porte, Marguerite Audivisier continua :

— J’aimerais bien mieux rester ici, au milieu des fleurs, avec vous qui ressemblez à une tulipe vivante…

Elle sortit, passa en face dans le hall de l’Hôtel des Postes et prit une formule de télégramme. Dans la marge de la feuille, elle amorça son stylographe en traçant de petits traits bien réguliers. Elle réfléchissait, hésitait. Une goutte d’encre s’arrondit en tache. Elle murmura : « C’est la seule personne qui puisse faire quelque chose pour lui. Après tout, il suffit qu’elle vienne dormir ici… » Elle écrivit :

Cyrill BO403. Amsterdam

Dire Odette me rejoindre. Très urgent. M. A.

Elle se relut, ajouta : Répondre Poste Restante, après Très urgent, et alla au guichet du télégraphe.

— Treize mots, dit l’employé. Mettez votre adresse dans le bas.

Marguerite Audivisier écrivit docilement Hôtel de l’Avenue, pendant que l’autre calculait l’application du tarif étranger. Elle paya, et prit le chemin de la gare.

La formule du télégramme passa pour l’expédition dans les locaux interdits au public. Douze heures plus tard, au même endroit, l’appareil récepteur déroulait :

Marguerite Audivisier. Poste restante.

Arriverai demain deux heures. Affectueusement.

Odette Stevens.

L’employé du service de veille qui sommeillait vaguement, s’était redressé au bruit. Il déchira la bande, la colla sur une formule bleue.

— Bon, fit-il. Poste restante, pas besoin de distribuer.

Par acquit de conscience, il consulta la liste, établie par la Sûreté, des correspondances à Surveiller. À Audivisier, rien. À l’S, figurait Stevens Odette. « Eh ! eh ! » fit-il avec un sourire malin. Il recopia le télégramme sur une formule jaune, décrocha le téléphone et demanda la Préfecture.

— Allo, oui, fit une voix endormie.

— C’est toi, Pinçonnet ? Donne-moi la rousse.

Il attendit, rien ne vint.

— Y a personne, dit la voix de Pinçonnet. C’est pourquoi ?

— Un télégramme suspect.

— Ça ne peut pas attendre demain matin ?

— Bien, je ne sais pas.

— Qu’est-ce que ça raconte ?

— Arriverai demain deux heures.

— Deux heures du matin ?

— Oh ! Je ne pense pas, ça doit être l’après-midi ; c’est adressé poste restante.

— Alors, fous-nous la paix, dit Pinçonnet, j’enverrai chercher le papier demain matin.

L’employé raccrocha, alluma sa pipe, et plaça le télégramme dans la boîte du service de la poste restante. Le télégraphe recommençait à marcher. Il s’approcha. Mais il fut rappelé par une sonnerie du téléphone.

— C’est toi, Briard ? dit la voix.

— Oui.

— Ici, Pinçonnet. Il y a le cycliste qui vient de passer. Il a sa moto, je te l’envoie. Tu lui donneras le papier.

— Dis-lui d’entrer par la porte du Service des Dépêches, c’est la seule ouverte. Il n’a qu’à monter l’escalier en face.

— Ça va… Dis donc, vieux, à propos, tu ne veux pas un billet pour la Loterie ? L’acheter après minuit, ça porte bonheur…

— Tu peux le mettre aux chiottes ton billet. J’ai jamais gagné, moi, à ces trucs-là.

Il raccrocha, alla insérer le télégramme dans une enveloppe portant la mention Secret. Sur le tout, il écrivit : Sûreté Générale. Quand Totor arriva, il lui tendit l’enveloppe :

— On a une moto, maintenant ?

— C’est pas la princesse qui la paye, pour sûr, dit Totor, mais on se débrouille. Je fournis la mécanique, on m’offre l’essence, et j’économise mon huile de pattes… Tu viens prendre un verre, je te l’offre…

— Et la mitrailleuse, fit l’autre en montrant le télégraphe, tu crois qu’on peut laisser ça comme ça ?… Si j’en jouais un air, il y aurait là un paquet de serpentins pire qu’un jour de mi-carême… C’est sérieux mon service à moi, c’est pas un boulot de vadrouilleur…

— Comme tu veux, dit Totor en raflant la dépêche.

Les rues, à cette heure, étaient désertes. De la Poste à la Préfecture, il put y aller à toute allure. L’échappement libre résonnait entre les façades que c’était un plaisir à entendre. Il était seul à vadrouiller, mais bon Dieu ! C’était la grande vie. Le pinceau de son projecteur dansait sur les pavés comme un feu-follet.

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