CHAPITRE NEUVIÈME

M. Fabriolle, directeur du Laboratoire des Fraudes, parapha son rapport avec complaisance. La conclusion était formelle : la poudre blanche contenue dans la boîte était de la cocaïne. Il y en avait cent cinquante grammes, quantité trop importante pour qu’on se trouve en présence de la provision d’un particulier. Il s’agissait donc de l’oubli d’un fournisseur attitré.

L’ouverture d’une instruction fut décidée, et le rapport transmis à M. Vinereau, juge désigné pour instruire l’affaire. Il n’était pas dans son cabinet ce matin-là, mais Mastre, le greffier qui ouvrait le courrier, savait ce qu’il y avait à faire. Il convoqua le brigadier Carton.

— J’avertis aujourd’hui la brigade des stupéfiants qui enverra un inspecteur si elle le juge utile. En attendant, si tu es un as, tu débrouilles la piste avant l’arrivée de ces messieurs de la capitale, et, du coup, tu passes à la première classe…

— Ça va, dit Carton. Donne-moi un mandat d’amener en blanc…

Il empocha le papier, et prit sans hésitation le chemin de l’Hôtel de l’Avenue. Jules dut raconter encore l’histoire de la jeune dame du 8 et de l’empoisonnement au véronal.

— Empoisonnement au véronal ? Mon œil, déclara Carton. Elle avait prisé un coup de trop, voilà tout.

— Mais puisque je vous dis que la boîte n’était pas à elle, mais à l’autre, celle qui avait les joues trop roses.

— Tu as vu des poules qui voyagent ensemble et qui n’aient pas les mêmes fournisseurs ?

Carton alla poursuivre son enquête à l’hôpital Saint-Antoine. Là, naturellement, l’adresse était incomplète sur la fiche de la malade, et il fit une scène dans le Bureau des Entrées. La pauvre employée du service en fut terrorisée. À tout hasard, elle déclara qu’un jeune homme était venu quelques jours plus tôt pour consulter la fiche.

— Qui était-ce ? s’écria Carton.

L’employée ne se rappelait plus le nom.

— Naturellement.

— Mais c’est un étudiant en médecine, un ami de M. Desclaux qui habite au 104 sur l’Avenue.

Quelques minutes plus tard, Carton sonnait au 104.

— Police, dit-il en exhibant un morceau de carte d’identité. Monsieur Desclaux ?

— Mon mari est mort depuis vingt ans, monsieur, répondit Mme Desclaux. Sans doute est-ce à mon fils que vous voulez parler ? Il est à Amsterdam, mais doit rentrer d’un moment à l’autre.

— À Amsterdam ? Qu’est-ce qu’il est allé faire là-bas ?

— C’est justement qu’il ne m’en a rien dit…

— On ne passe pas la frontière sans raison. Vous le savez, mais vous ne voulez rien dire.

Alors Mme Desclaux se redressa :

— À qui croyez-vous donc parler, je vous prie, monsieur ?

Carton dut battre en retraite.

— Nous verrons plus tard… Il doit revenir bientôt, je reviendrai aussi… Votre fils connaît une certaine Odette Stevens, n’est-ce pas ?…

— Odette Stevens ?… C’est un nom que je n’ai jamais entendu. Mon fils est un garçon sérieux, monsieur… En tout cas, il ne parlerait pas à sa mère de connaissances qui ne seraient pas dignes de lui être présentées…

— Je vois ce que c’est, on ne sait rien, on ne veut rien dire, mais la police ouvre l’œil, dites-le lui, et tenez-vous le pour dit.

Mme Desclaux faillit en avoir une attaque après son départ.

À soixante-sept ans, voir venir la police chez soi ! Pour se remettre, elle décida d’aller faire une petite prière à Saint-Germain. Avec ça, si elle rencontrait le nouveau vicaire, elle pourrait peut-être lui demander conseil…

Pendant ce temps, Paul qui venait de la gare sonnait une fois, deux fois, sans succès. De guerre lasse, il descendit chez la concierge.

— Est-ce que ma mère… ?

— Monsieur Paul ! Votre maman, justement, vient de sortir, dans un état ! Il paraît que la police vous cherche !…

— La police ?

— Un inspecteur, à ce qu’il paraît… Même qu’il était d’une impolitesse…

— Mais où est ma mère ?

— Elle ne m’a pas dit où elle allait tellement elle était toute retournée…

Paul laissa sa valise dans la loge et se rendit aussitôt aux nouvelles chez Pierre Leblanc.

— Ah ! Par exemple ! fit l’autre, te revoilà !

— La police me cherche, paraît-il ?

— Première nouvelle. S’il y avait quelque chose, je le saurais puisque nous sommes dans le même bain. Mais pourquoi as-tu filé si brusquement ?

— Pour faire l’exécuteur testamentaire… On ne m’y reprendra plus… Ah ! Mon ami !…

Pierre sonnait le domestique pour avoir à boire. Paul but son verre de porto d’un seul coup.

— Raconte, fit alors Pierre en remplissant le verre à nouveau.

— Voilà… Quand Desbois-Santerre a vu que ça n’allait plus, il m’a remis un paquet cacheté à porter en cas de malheur à une personne habitant Amsterdam. Je n’ai eu le nom que le dernier jour : Marguerite Audivisier.

— Marguerite Audivisier, mais elle était ici !

— C’est ce que j’ai appris plus tard… Comme un bon couillon, je suis parti pour Amsterdam. Je débarque dans le patelin, j’ai assez de peine à trouver l’adresse indiquée, au milieu d’un tas de bicoques à pignons triangulaires. Il fallait dire un mot de passe. On me reçoit avec des airs étranges : la personne est en voyage, reviendra dans quelques jours… J’attends, je repasse, toujours rien. Je m’embêtais, j’allais foutre le camp quand on me dit qu’il y a du nouveau. On m’embarque dans une vedette automobile. Une demi-heure de navigation dans le brouillard. Nous accostons à une péniche. À bord, des gaillards masqués nous palpent, je commençais à ne plus rigoler. On me pousse dans une grande cabine où se trouvaient déjà une dizaine de types, hommes et femmes, tous masqués. Je pensais qu’on avait dû se tromper, m’aiguiller de travers… Un homme et une femme s’engueulaient devant les autres. « Non, pas un assassinat, un duel », disait l’homme, « et vous avez essayé de me trahir ! » Je n’y comprenais rien. Alors je décide de leur faire une blague, je déclare : « Je voudrais parler à Marguerite Audivisier de la part du professeur Desbois-Santerre. » Ah ! Mon ami, quel silence ! Tous les masques se tournent vers moi. Brouhaha, on me pousse dans une pièce voisine. Un grand costaud me demande des explications. Je les donne de bon cœur. Il sort, revient avec la poule qui s’engueulait avec le type, une grande bringue maigre : c’était Marguerite Audivisier… Dis donc, il est joliment bon, ton porto…

— Vas-y. Et alors ?

— Alors, elle m’a posé des questions sur nous, sur notre groupe, sur l’activité de Desbois-Santerre quand il était ici. Elle paraissait surtout désireuse de savoir s’il avait soigné quelqu’un. Je lui rends les papiers, et je me fais reconduire chez les honnêtes gens le plus vite possible. Toute cette mascarade m’avait gelé. Desbois-Santerre était décidément embringué dans trop d’histoires louches. Je ne demande plus qu’à me tirer les pieds de toute cette affaire… Et cette histoire de police à mon retour ! Ça la fiche mal ! Avec ça, il faut que j’aille voir si ma pauvre vieille n’est pas rentrée…

Au 104, il sonna trois coups avec l’autorité d’un homme qui n’a plus soif. À travers la porte, il entendit la voix de sa mère : « Je parie que c’est lui ! »

— Mais oui, c’est lui ! cria-t-il, mi-furieux, mi-joyeux.

Share on Twitter Share on Facebook