3 L’Indochine menacée

Pendant ces quinze jours d’absence, les événements avaient marché à pas de géant. L’épidémie s’était étendue sur tout le Cambodge et entamait la Cochinchine, au sud du Vietnam. On comptait déjà un millier de cas de typhus à Saigon même. La peste bubonique et le choléra étaient également signalés. Il semblait que le monde entier des microbes fût pris d’une agitation furieuse. Il y avait six à sept sortes de typhus, allant du typhus exanthématique à la fièvre paratyphoïde, et cette variété de maladies, qui compliquait le diagnostic, faisait le désespoir des médecins traitants qui ne savaient à quels vaccins vouer leurs malades.

La vie sociale et commerciale de Saigon était durement atteinte. Plus de bars, plus de cinémas. Les grands hôtels étaient transformés en hôpitaux. Chaque jour, le gouverneur demandait à la métropole des renforts en personnel et matériel sanitaires. On estimait que, sur toute l’étendue de la colonie, deux cent mille indigènes avaient déjà été frappés, et la population blanche était également durement éprouvée. Les services du gouvernement général encourageaient l’évacuation et les paquebots des Messageries quittaient Saigon à plein chargement. Quant aux bâtiments étrangers, ils étaient, par mesure de précaution, déroutés et passaient, sans faire escale, au large des côtes indochinoises.

Une controverse s’était élevée parmi les membres de la mission scientifique. Alors que Carnassier incriminait les mouches comme agents de transmission des microbes, le docteur Weinstein, auquel on devait d’avoir distingué les différentes variétés de typhus chez les malades, rejetait la responsabilité de l’épidémie sur les poux et les rats, conformément aux théories classiques. Selon lui, les mouches, incapables de piquer, agissaient seulement indirectement, à la manière de la guerre ou de la misère, en provoquant l’exode et l’entassement des populations indigènes parmi lesquelles les germes avaient beau jeu pour croître et multiplier.

Quand Magne arriva avec ses bocaux, toute la mission se réunit pour écouter son rapport et examiner les diptères. Il en restait trois cent dix-sept ; trente et un étaient morts au cours du voyage. L’aspect de ces mouches n’avait rien de particulièrement extraordinaire : leur longueur était de un centimètre, leur envergure double. La couleur générale en était cendrée, la face et les côtés du front se montrant toutefois d’un blanc gris jaunâtre. Le thorax présentait des lignes noires et l’on relevait çà et là sur l’abdomen des taches brunes. Pattes et antennes étaient noires. Pour une identification plus précise, la parole revenait de droit à l’entomologiste de la mission, le professeur Deferre, qui, la loupe à l’œil, tourna et retourna longuement les insectes. Il toussa, referma d’un coup sec sa loupe à monture de nickel qu’il glissa dans son gousset, et parut hésiter.

— Selon moi, dit-il enfin, nous sommes en présence d’une variété tropicale de la stomoxys calcitrans, cette mouche charbonneuse, dite mouche des étables, qui se rencontre généralement dans nos régions tempérées contre les vitres des maisons en automne. Voyez, la trompe de l’insecte est plus dure, plus longue que la trompe de la mouche ordinaire, la musca domestica, et il pourrait s’en servir pour piquer comme font les Stomoxes. Si nous posons l’animal sur ses pattes et le regardons de profil, nous constatons que sa tête est levée, alors que la musca domestica, dans la même position, porte la tête basse. Encore que la matière soit sujette à discussion, j’incline donc à ranger cet individu dans le genre des Stomoxes, de préférence à celui des Muscidés. Les deux genres sont du reste si voisins que Macquart disait à leur sujet dans son Histoire naturelle des Diptères : « Il n’est pas plus possible de les séparer que d’enlever les Pangonies aux Tabaniens, les Mulions aux Anthraciens, les Orthochiles aux Dolichopodes… »

Carnassier en retenait que la mouche pouvait piquer et par conséquent transmettre la maladie. Mais Weinstein ne se tint pas pour battu : il examina à son tour les insectes, trouva que leur trompe n’était pas suffisamment rigide pour constituer un aiguillon. La conclusion de cette séance contradictoire fut qu’il fallait recommander indistinctement la destruction des mouches, des puces, des poux et des rats.

La chose était plus facile à dire qu’à faire, surtout quant aux mouches dont l’invasion progressait chaque jour vers le sud. On utilisait maintenant les hydravions de la Marine pour repérer leur avance, et les reconnaissances signalaient une extension journalière de dix à quinze kilomètres de la zone envahie. Le gouverneur général Oliviero chargea alors l’autorité militaire d’enrayer cette avance. Une ligne de défense fut organisée le long de la frontière de la Cochinchine. Le feu fut mis à la brousse sur une épaisseur d’une dizaine de kilomètres afin de créer une zone désertique. Seules furent ménagées quelques chicanes, sévèrement défendues par la force armée, pour assurer le passage contrôlé des populations restées au-delà de la ligne. Dans le même temps, toutes mesures insecticides étaient prises sur le territoire cochinchinois. Des patrouilles, armées de pulvérisateurs contre les mouches, circulaient dans les villages. Du crésyl était versé dans tous les lieux d’aisance et feuillées. L’incinération des ordures devenait une mesure réglementaire, et tous les contrevenants étaient sévèrement punis. On recommanda à la population de s’envelopper le visage de voiles de gaze. Enfin, tout l’arsenal de la Marine de guerre fut affecté à la fabrication de papier tue-mouches distribué gratuitement à chaque chef de famille.

Pour lutter contre l’épidémie proprement dite, un conseil de défense sanitaire fut institué. Il délibéra longtemps sans pouvoir arrêter d’autres mesures que celles adoptées lors des grandes épidémies de 1868 et 1925. L’intensification de la verdunisation des eaux ne donna pas grands résultats. Les vaccins semblaient n’opérer que contre une catégorie de microbes et laissaient proliférer les autres. Il était certain qu’on avait affaire à une situation sans précédent : la propagation simultanée de plusieurs épidémies différentes. Ainsi s’expliquait que 80 % des cas étaient mortels. Le malade mourait dans un délai variant de vingt-quatre heures à trois semaines, avec des alternatives de mieux et de rechutes qui prolongeaient la durée d’hospitalisation. On avait beau multiplier les ambulances, les services à peine ouverts se trouvaient aussitôt au complet. Devant l’effarante proportion des cas mortels, un vieux médecin du Service de santé colonial proposa, pour décongestionner les hôpitaux, l’euthanasie de tous les malades indigènes, dès les premiers symptômes du mal. Cette mesure draconienne, inouïe dans les annales de la médecine, ne fut certes pas adoptée, mais en dit long sur le désarroi dans lequel on se trouvait.

Cependant, Magne avait pu installer un semblant de laboratoire dans les locaux d’un lycée dont les élèves avaient naturellement été licenciés. En observant les trois cent dix-sept mouches qu’il avait rapportées, il ne rencontra dans le lot que deux femelles. Ce fut la première constatation intéressante dont il discuta avec Carnassier.

— Êtes-vous sûr de ne pas faire erreur ? lui dit le patron. La probabilité, pour rencontrer deux femelles contre trois cent quinze mâles dans une prise faite au hasard sur l’essaim, est beaucoup trop faible pour être fortuite. Il doit y avoir une raison à cela. Sans compter que, si les femelles sont dans la proportion que vous indiquez, on s’explique mal la pullulation fantastique de ces insectes.

— Une femelle de mouche peut donner quinze mille larves, objecta Magne.

— Sans doute, mais dans la plupart des espèces d’insectes, sauf peut-être chez les hyménoptères, si les femelles sont moins nombreuses que les mâles, l’espèce périclite.

— Minorité de femelles, et pullulation anormale, voilà donc la contradiction à interpréter, conclut Magne.

Il se mit au travail, fit féconder ses deux femelles, et obtint deux portées de larves qui, venues à maturité, lui donnèrent respectivement soixante-douze et cent quatre individus. La fécondité des femelles n’avait donc rien d’anormal. Mais quand il rechercha le sexe des individus de la nouvelle génération, il trouva, non sans étonnement, que, dans chaque portée, il y avait égalité de mâles et de femelles.

— Vous voyez, vous avez dû faire erreur dans votre première observation, fit Carnassier.

— Jamais de la vie, déclara Magne. Il n’y avait bien que deux femelles dans les mouches rapportées. Mais j’entrevois une autre explication.

— Dites.

— Si la prise faite dans l’essaim ne comptait que deux femelles, cela tient peut-être à ce que les autres femelles étaient à l’arrière occupées à la ponte en des lieux plus propices.

— Mais c’est contraire à tout ce que nous savons des muscidés ! s’écria Carnassier.

— L’émigration des mouches en masse est aussi contraire à tout ce que nous savons, rétorqua Magne. Et cette fantastique pullulation l’est aussi… Écoutez, patron, reprit-il sur un ton plus confidentiel, vous êtes mieux placé que quiconque pour savoir ce que sont les mutations. En avons-nous assez dénombré de mutations chez les drosophiles ! Yeux occlus, semi-occlus, corps glabre, ailes tondues, etc. Mais nous ne nous sommes jamais attachés qu’aux mutations portant sur des caractères anatomiques. Et s’il y avait, ma foi je lâche le mot, s’il y avait des mutations d’instinct ?

— Mon petit Magne, fit Carnassier sarcastique, votre tête travaille. Etes-vous sûr de ne pas avoir la fièvre ?

— Mutation d’instinct, insista Magne. Pourquoi les muscidés n’évolueraient-ils pas dans un sens qui les rapprocherait des abeilles ou des fourmis, et qui les conduirait à une certaine organisation ? Les mâles émigrent en essaim, préparant le terrain de l’invasion, les femelles restent à l’arrière, pondant dans les endroits propices, et, la mutation d’instinct permettant de mieux organiser la ponte, l’espèce se développe dans des proportions inouïes. Sans compter que les larves, vivant en grande abondance sur tous les déchets végétaux, se chargent beaucoup plus qu’autrefois de multiples variétés de microbes saprophytes, dont quelques-unes deviennent à cette occasion pathogènes, ce qui expliquerait le caractère varié et surprenant de l’épidémie…

— Vues de l’esprit, vues de l’esprit, répéta dédaigneusement Carnassier. Au lieu de vous laisser obnubiler par nos anciens travaux sur les mutations, cherchez donc plutôt si les mouches peuvent transporter directement les microbes du typhus.

Magne, qui commençait à prendre plus d’autorité, secoua la tête. Il projetait une nouvelle série d’expériences pour tâcher de confirmer ses idées, quand le docteur Weinstein, qui se dépensait dans les hôpitaux, fut atteint de la peste bubonique. Quarante-huit heures plus tard, il était mort, et le plus sombre pessimisme vint alors paralyser les efforts de la mission.

Les choses allaient de mal en pis. Les liaisons avec l’intérieur devenaient plus difficiles et plus incertaines. Le ravitaillement par avion des postes isolés se montrait souvent impossible par manque d’aviateurs. Il semblait que les techniciens fussent attaqués de préférence par le mal, mais les ravages du fléau dans la population indigène n’en défiaient pas moins toute évaluation. La moitié environ des habitants de Cholon, la ville chinoise proche de Saigon, se trouvait atteinte. L’arroyo, ou canal, qui reliait les deux villes, charriait chaque jour un nombre toujours plus grand de cadavres qui échouaient dans les palétuviers et devenaient des foyers d’infection. On dut constituer des équipes de bateliers infirmiers pour les arroser de pétrole et les détruire sur place. Le soir, on voyait ces brûlots humains descendre la rivière de Saigon comme pour une sinistre fête vénitienne. De partout s’élevaient les colonnes de fumée des bûchers où l’on incinérait les morts, et la lourde atmosphère tropicale s’enténébrait d’un constant panache de deuil. Dans les rues de Saigon, où tous les magasins étaient fermés, où toute circulation frivole était interrompue, on voyait seulement de rares passants, le visage couvert d’un tampon de gaze, allant jusqu’aux bureaux de l’Intendance militaire où l’on distribuait des vivres. La seule animation était due au défilé presque continuel des voitures d’ambulance transportant les malades, ou des fourgons du train des équipages partant enlever les cadavres dans le quartier indigène. Bientôt, on prit le parti d’incinérer les corps sur place, et une odeur de chair grillée et de cendres se répandit par toute la ville. Dans ce décor funèbre, des pousse-pousse avaient dû être mis à la disposition des prêtres chargés d’administrer les derniers sacrements. Ils faisaient, chaque matin et chaque soir, la tournée de leur paroisse, comme naguère le boucher et le boulanger. On les appelait quand on les entendait passer dans la rue.

Si le malheur des autres peut consoler, au moins pouvait-on penser que le fléau ne se limitait pas à la seule Cochinchine. Au nord, les autorités avaient dû abandonner Hanoi pour se replier sur Haiphong. Par ailleurs, les trois quarts du Siam étaient la proie de l’épidémie, et la Birmanie elle-même signalait l’apparition des premiers nuages de mouches. Les services des Indes, alertés, prenaient à la frontière les précautions d’usage. Des lazarets s’aménageaient dans tous les ports de la vaste péninsule. L’événement prenait une importance mondiale. De partout affluaient les envoyés spéciaux de la grande presse, et il fallait se battre pour accéder à un bureau de télégraphe.

Lorsque les mouches eurent réussi à franchir le cordon de protection de la frontière cochinchinoise, le gouverneur général Oliviero réunit le conseil de défense dans Saigon déjà à moitié dévastée.

— Nous ne sommes même plus en présence d’un fléau, dit-il, mais d’un véritable cataclysme qui peut nous obliger à des décisions de la dernière gravité. Tous les Blancs dont la présence ici n’est pas rigoureusement indispensable doivent être évacués. Pour aller plus vite, j’ai obtenu que le gouvernement néerlandais nous concède provisoirement une certaine étendue de territoire au sud de Bornéo, et trois paquebots feront la navette entre Saigon et l’île, pour assurer le transport des réfugiés. Toute la flotte française d’Extrême-Orient va se trouver, sur ma demande, rassemblée au large de Saigon, à l’abri du cap Saint-Jacques, prête à intervenir selon les circonstances. Nous tâcherons de protéger jusqu’au bout les populations du delta du Mékong et la ville de Saigon. Je compte plus que jamais sur votre dévouement et vous remercie pour les preuves que vous en avez déjà données.

Le dévouement ne pouvait malheureusement pas servir à grand-chose. Le désordre et l’affolement de la population paralysaient les meilleures des bonnes volontés. Deferre, qui s’était chargé de la surveillance de la ville contre les insectes, fut frappé à son tour et tomba victime de l’épidémie. Carnassier estimait la situation franchement intenable. L’heure n’était plus aux études scientifiques, et les événements gagnaient de vitesse les lentes recherches du laboratoire. Magne, qui avait réussi à préserver tant bien que mal les mouches objet de ses travaux, pressentait que, bientôt, il n’aurait plus à aller loin pour en trouver à proximité plus qu’il n’en pouvait souhaiter : les essaims étaient signalés dans les rizières du delta, à quelques kilomètres de Saigon.

Dans la ville presque abandonnée, on ne rencontrait que le personnel médical qui faisait de son mieux auprès des malades, ce qui, malheureusement, n’était que peu. La mortalité atteignait maintenant près de 98 % des cas, autant dire que tout homme frappé était un homme mort. Les incendies allumés, soi-disant par mesure de précaution contre les insectes, s’étendaient parfois au-delà des limites prévues. La moitié de Cholon était en flammes sans qu’on pût rassembler une main-d’œuvre suffisante pour lutter contre le feu. Il semblait que toutes les plaies possibles se fussent abattues sur la malheureuse colonie.

La troupe se dépensait en dépit des vides que l’épidémie creusait dans ses rangs, mais une mutinerie éclata dans un régiment de tirailleurs indigènes qu’on voulut envoyer dans le Nord combattre le brigandage auquel se livraient des pillards chinois. L’audace des malfaiteurs qui, talonnés par la mort, jouaient le tout pour le tout, ne connaissait en effet pas de bornes. De véritables bandes tentaient, de nuit, des coups de main contre les riches quartiers abandonnés de Saigon. Il fallut procéder à des exécutions en masse, et contenir par des fils barbelés le flot sans cesse accru des indigènes fuyant le fléau. Ces malheureux, pris entre les mouches et les mitrailleuses, et sur lesquels s’abattaient en plus la maladie et la famine, ne formaient plus qu’une tourbe, une masse grouillante qui n’avait plus rien d’humain.

Un matin, des nuages de mouches se posèrent sur les hangars du camp d’aviation, paralysant les trois derniers avions de reconnaissance. Bientôt, tout le quartier des ambulances, qui s’élevait à la périphérie de la ville, connut à son tour l’envahissement par les insectes. Le personnel médical, dont le travail devenait impossible, dut abandonner le terrain. Cédant aux instances de Carnassier qui lui représentait à juste titre l’inutilité d’un sacrifice complet, le gouverneur Oliviero se décida à donner l’ordre général d’évacuation. Les troupes furent embarquées à bord des cargos tenus en réserve. Les dernières patrouilles passèrent dans les rues, emmenant de gré ou de force tous les hommes valides. Le gouverneur ne consentit à quitter le quai que le dernier, quand on lui eut donné l’assurance qu’il ne restait plus personne en ville. Il était en grande tenue quand il monta sut la passerelle du D’Artagnan qui attendait en haute mer. La flotte rendit les honneurs. À l’état-major rassemblé, il dit, les larmes aux yeux :

— Les événements ont été si rapides qu’il est encore impossible d’en avoir une vue bien nette. Néanmoins, espérons tous, messieurs, que nous venons de vivre l’heure la plus noire dans l’histoire de notre colonie, et que l’œuvre des Francis Garnier et des Paul Doumer n’est que momentanément compromise. La science et le courage se sont trouvés impuissants. Mais les conditions de la lutte vont peut-être changer avec la saison des pluies qui seront nos meilleures alliées contre les insectes…

Il donnait l’ordre de gagner l’île de Poulo Condor d’où il espérait pouvoir surveiller au plus près l’évolution des événements, quand on lui remit un radiogramme de la métropole lui annonçant qu’il était relevé de ses fonctions, avec ordre de venir se présenter d’urgence à Paris. Pavillon en berne, le D’Artagnan leva l’ancre pour Marseille.

Quand il fut assuré de s’éloigner à vingt nœuds à l’heure du cauchemar dans lequel il venait de vivre, Carnassier interpella allègrement Magne sur le pont :

— Eh bien, mon petit, puisque vous vous en tirez, il ne faudra pas regretter de m’avoir suivi malgré vous dans les pays exotiques. Si les voyages forment la jeunesse, celui-là vous aura lait passer d’un seul coup à l’âge mûr. Vous aurez vu mourir des milliers et des milliers d’hommes, vous aurez vu les règles d’hygiène les plus éprouvées s’avérer insuffisantes, les vaccins les plus réputés devenir inefficaces, les pronostics les plus sûrs se montrer caducs. À l’avenir, vous saurez douter de tout et du reste, vous pourrez faire un savant. Ah ! ça n’est plus parce qu’une mouche bourdonne à ses oreilles que l’homme ne raisonne pas si bien ! Pas si bête, la mouche ! Elle inocule un virus, et voilà l’homme qui ne raisonne plus du tout. La microbiologie l’emporte sur tout, même sur la réflexion du moraliste. Voyez-vous, l’essentiel n’est pas de penser, mais de vivre… En d’autres circonstances, il vous aurait fallu vingt ans pour acquérir pareille philosophie…

Magne hocha la tête.

— Je crois tout de même que j’ai vu mourir trop de pauvres diables pour être bien fier de vivre, répliqua-t-il.

Mais il avait quand même ses raisons personnelles pour se réjouir secrètement à chaque tour d’hélice qui le rapprochait de Paris.

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